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UNE RADIO LIBRE EN PAYS DE CAUX - 1981-1988

 

Avec la fin du monopole d’état et la libéralisation des ondes en 1981, des centaines de radios locales sont apparues en France, profitant de ces nouveaux “espaces de liberté et de communication”. Ravis de l’aubaine, quelques promoteurs affairistes, avantagés par leurs relations dans les médias et la finance, ont tout de suite mis en pratique leurs compétences et savoir-faire, ce qui explique encore l’existence de leurs stations de nos jours. En revanche, la majorité des autres radios aux moyens plus modestes qui ne manquaient pas d’ambitions, elles non plus, n’ont pas résisté à la loi implacable du marché, au train de vie dispendieux imposé et surtout au manque de rigueur de leurs dirigeants trop candides. Dans cette jungle impitoyable, les gestionnaires ont, une fois de plus, supplanté les “créatifs” !

Station de proximité perdue au cœur de sa Normandie, Radio Solaris avait bien des atouts pour réussir. Trop peut-être : l’estime de ses auditeurs, le soutien moral de la presse régionale, une certaine bienveillance des élus locaux.     

Grisée par autant d’avantages, la station a souhaité réanimer une vie locale particulièrement assoupie, faire bouger tambour battant le pays de Caux de sa douce torpeur, une mission (impossible) dont on l’aurait chargée ! à ce titre, les ondes de Solaris rayonnaient joyeusement aux alentours. Entraînée dans sa propre spirale, après quelques mois d’euphorie, la radio musicale se lance dans une politique risquée de dépenses incompatibles avec son potentiel financier...

Phénomène incongru, agaçant et totalement futile pour les uns, instrument tonique et revigorant dans un pays de Caux languissant pour les autres, l’émergence ici même d’une vraie radio locale fait penser à un étourdissant feu de Saint-Jean : d’abord, il y a plein de lumière, énormément de chaleur, des clameurs intenses, beaucoup d’agitation. Mais tout cela brûle vite... Trop vite !

Brèves expériences…

 

 

 

 

 

Chapitre 1981

 

 

 

Le pays de Caux, terre de radios - L’âge d’or de la TSF : Radio Normandie - Fécamp, Louvetot, Caudebec-en-Caux - L’inspiration des radios “offshore” Nos premières expériences de radios musicales - La bande FM - Yvetot...

 

 

Lundi 16 novembre, le ciel est couvert sur la Normandie. Comme blasés, on ne le remarque même plus ! C’est la grisaille normande habituelle. Toutefois il ne pleut pas. Du moins, pour le moment ! Les habitants de la petite ville d’Yvetot, capitale du pays de Caux, située sur l’ancienne RN15 entre Rouen et Le Havre, viennent d’entamer une nouvelle semaine de travail. En cette fin d’après-midi, ils se hâtent de rentrer au chaud, chez eux. Les rues ne sont pas très animées, c’est le jour de fermeture hebdomadaire de bon nombre de magasins. Seuls les cafés sont ouverts sur la Place des Belges. Les habitués discutent devant le comptoir. évoquent-ils le prochain match de foot décisif “France-Hollande” qui se disputera mercredi au Parc des Princes, ou qui sait, déplorent-ils le mouvement de grève qui paralyse les antennes de FR3 en ce début de semaine ?* Assis aux tables du fond, d’autres clients passent le temps et “touillent” les dominos. Tout est calme, monotone.

 

·         Source INA : Journal télévisé du 16.11.81 - ( FR3 est devenu “France 3”)

 

En revanche à deux pas du centre-ville, l’effervescence règne au fond de la cave d’un immeuble, rue Guy de Maupassant. Oh, on n’est pas ici dans la caverne d’Ali Baba ni devant le rayon hi-fi de Carrefour ou celui de Darty à Barentin (à 20 km d’ici) et pourtant... Éclairés par la lueur froide d’un néon, des hommes relativement jeunes s’affairent devant une profusion d’équipement électronique, de matériel de sonorisation, des platines tourne-disques et des lecteurs de cassettes... Sans oublier les appareils techniques (mesureur de champ, oscilloscope, TOS mètre, générateur BF...) indispensables pour mener une opération autant délicate que mystérieuse dans un pareil endroit. Maîtrisant tout cet appareillage, ils vérifient consciencieusement une dernière fois le câblage des fils enchevêtrés qui relient les machines entre elles. Lorsque soudain, devant les trois ou quatre personnages confinés dans ce sous-sol discret, une voix métallique à la diction impeccable, que l’on croirait sortie de nulle part, s’exclame fièrement au-dessus des conversations ambiantes :

— “Vous êtes à l’écoute d’une émission test en provenance de Radio  Solaris...”

 

Il s’agit bien d’une parole pleine de symboles. La toute première ! Cette phrase résonne en écho dans la cave entière de l’immeuble. Mais pas seulement, et c’est là l’aspect le plus attrayant de notre histoire car l’annonce est également perçue à l’extérieur, à la radio sur plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde, bien qu’à cet instant, on ignore encore quelle est la portée réelle de cette première émission ! Au même moment, des privilégiés au courant de l’événement qui attendaient fébriles, l’oreille rivée sur le transistor, sentent leur cœur battre. A Yvetot, les gars au fond de leur sous-sol, échangent un regard satisfait. Le petit émetteur a balbutié ses premiers sons. ça y est, le pays de Caux possède “SA” radio libre. Enfin ! Ou devrait-on dire, le pays de Caux vient de renouer avec une tradition radiophonique vieille de plus d’un demi-siècle. Les plus anciens ont une pensée émue envers leur vénérable poste émetteur de Louvetot, le village mythique de la radio cher aux vieux “sans-filistes”* normands, situé non loin d’ici, quand vous prenez la route au sud pour descendre vers Caudebec-en-Caux et les bords de Seine.

 

* adeptes de la TSF : la Téléphonie sans Fil (m’enfin, c’est la Radio, quoi !)

 

A Louvetot, le centre émetteur qui faisait tant la fierté du village, s’est tu une première fois, il y a bien longtemps, le jeudi 7 septembre 1939. Cette période marquait le retour de la folie humaine : la France alliée à l’Angleterre venait d’entrer en guerre contre l’Allemagne nazie le dimanche précédent. C’était la fin du rêve de toute une époque, celle de la grande station légendaire Radio Normandie qui émettait d’ici.

Plus tard, lorsque “Louvetot” doit de nouveau s’éteindre mais définitivement cette fois, c’est le lundi 30 septembre 1974 à 22.00. Septembre semblait un mois maudit pour l’émetteur de Louvetot! Le moment correspond aux derniers soubresauts de l’ORTF (l’Office de Radiodiffusion & Télévision Française). Discrètement depuis Paris, une cohorte d’énarques prédateurs avaient jugé bon de mettre fin au relais normand de “France Culture”* sur les ondes moyennes, appelées communément “P.O.” (Petites Ondes) : 214 mètres de longueur d’onde, fréquence : 1403 kilohertz, soyons très précis ! D’ailleurs, n’ayez crainte, on reparle de tout cela dans un moment. 

 

* Quelqu’un s’est-il plaint de la disparition de France Culture par ici ?

 

Revenons à Yvetot, ce 16 novembre 1981. La voix enjouée poursuit : “... Radio Solaris sera une station d’animation musicale*. Une place sera réservée à l’information sous forme de flashes, informations musicales, concerts, spectacles, informations culturelles, rencontres, expositions, informations municipales, foires... Radio Solaris aura une puissance de 100 watts, ce qui devrait couvrir un rayon de plus de vingt kilomètres dans les alentours de la ville d’Yvetot. Radio Solaris ! Votre station de radio locale ! L’équipe se tient à votre service pour tous renseignements complémentaires, aussi n’hésitez pas à nous écrire pour savoir dans quelles conditions nous pouvons passer vos messages...”

 

Les premiers mots de la nouvelle radio viennent d’être prononcés. Comme nous l’avons dit, depuis un sous-sol secret au centre d’Yvetot. Nul ne peut encore imaginer quelle est la portée exacte du modeste émetteur ! Chez moi, très loin d’ici sur les hauteurs de Rouen, je n’en espérais pas tant : rentré en hâte du boulot, j’avais vite branché mon transistor Grundig sur la bande FM aux environs des 101 mégahertz (MHz), orienté l’antenne télescopique dans la direction d’Yvetot sans trop de conviction, pour tenter de percevoir malgré le bruit de fond, un indice, un soupçon de présence du nouvel émetteur sur les ondes. Alors, stupéfaction et quelle heureuse surprise ! A quarante kilomètres d’Yvetot, l’émission de Radio Solaris recouverte de souffle et de grésillements est parvenue sur les hauteurs de Rouen où elle est parfaitement audible. Les voix familières de nos amis sont toutes reconnaissables, là devant moi, sorties de ce récepteur flambant neuf, acheté pour l’occasion. C’est ça l’optimisme, car miraculeusement, la portée de l’émetteur est largement supérieure à ce que le message de test raconte en boucle ! Bon, admettons-le, les puristes de la “fréquence modulée” (ainsi nommée jadis par les élites de l’ORTF), tous inconditionnels de musique classique en Haute Fidélité, refuseraient de prêter une oreille à un son autant dégradé tout juste débarqué dans leur plate-bande... FM !

 

Au contraire, en tant que membre de l’association France Radio Club, passionné par l’univers magique de la radio, je trouve prodigieux de capter  à cette pareille distance un signal noté avec indulgence 2 sur 5 - pour parodier le jargon des radioamateurs - autant distordu et si proche de la saturation, il faut bien l’avouer. Néanmoins, les quelques microwatts parvenus jusqu’à Rouen représentent les premiers balbutiements de notre radio. Je dis “Notre” car le club (1) a été impliqué curieusement dans les préparatifs de cette aventure hors du commun, au cours des semaines décisives qui ont précédé l’émission inaugurale du 16.11.1981. L’avenir lointain montrera combien il est dommage que la collaboration entre France Radio Club et Radio Solaris n’ait pu se poursuivre au-delà des quinze premiers jours d’émission...
 

(1) “France Radio Club” était une association qui regroupait près d’un millier de membres issus de plusieurs pays européens, tous fans de radio et en particulier des fameuses stations offshore qualifiées péjorativement de “radios pirates” par les autorités et la presse asservie à l’époque ou suspectée de collusion avec les gouvernements en place. 

 

 

Avant de démarrer cette extravagante histoire de Radio Solaris et de lui attribuer ce titre “auto-bronzant”, il serait judicieux de remonter le temps de quelques décennies, afin de comprendre les raisons qui ont poussé quelques trublions irréductibles, passionnés de radio “libre”, dans cette foldingue aventure !

 

 

Depuis l’âge d’or de la TSF jusqu’au 16 novembre 1981

 

Dans les années 1930, les pionniers dynamiques normands n’ont pas raté les débuts de la TSF - la Téléphonie Sans Fil, comme on dit à l’époque: l’ancêtre des radios libres s’appelle Radio Normandie ! Longtemps situé à Fécamp puis à Louvetot entre Yvetot et Caudebec-en-Caux, le poste est très écouté. Il émet alternativement en français et en anglais durant la journée puis continue jusqu’à 1.00 ou 2.00 dans la nuit.

Le dimanche, les programmes anglais occupent la majeure partie de la journée. Cette abondance de programmes étrangers provoque quelques frustrations chez les auditeurs normands réfractaires à la langue de Shakespeare ! Néanmoins, ils peuvent apprécier les nombreux orchestres de jazz qui sont diffusés. La musique est internationale et les ondes hertziennes ignorent merveilleusement les frontières linguistiques, terrestres et maritimes, au grand désarroi de nos représentants politiques !

 

Fernand Le Grand dont le grand père inventa la liqueur Bénédictine, est le président du Radio-Club de Fécamp, un club d’amateurs enthousiastes de TSF qu’il a créé en janvier 1924. Sa station d’amateur dont l’indicatif est EF8IC prend le nom de “Radio Fécamp” le 17.11.1926 et démarre de véritables émissions radiophoniques en 1927 depuis le salon familial de sa propriété. Soutenue par la municipalité de Fécamp, la station annonce les cours de la pêche et en particulier ceux du hareng très suivis par les marins, les armateurs et les industriels fécampois. Radio Fécamp est une station très dynamique et rassemble autour de son micro des personnalités locales. D’abord ignorée sur la liste des stations autorisées par le décret de juillet 1928 - Fécamp était déjà si loin de Paris ?- elle bénéficie tardivement d’un décret d’autorisation le 24 janvier 1929 grâce à l’intervention d’un député du Havre et du ministre du commerce et de l’industrie. Comme c’est souvent le cas pour les stations privées en litige avec l’administration, les élus régionaux se mobilisent et obtiennent du gouvernement la reconnaissance et les autorisations nécessaires. Quelle belle époque ! Maintenant officialisée, la station va pouvoir se développer. De statut local, son prestige devient régional et après une augmentation de puissance, elle prend le nom de Radio Normandie. Un studio est inauguré au Havre avec le concours de la municipalité.

 

Mais M. Le Grand est loin d’imaginer que sa station va connaître une notoriété bien plus importante au-delà de la région. Car, avec la mer comme principal horizon, le poste fécampois est perçu en Angleterre, un pays dépourvu de radios commerciales. La publicité radiophonique y est proscrite et de plus, la BBC, l’unique organisme de radio autorisé, fait relâche le dimanche (Sunday is closed comme l’on disait) et ne diffuse que de lascifs chants religieux toute la journée, à laisser croire que le roi GeorgeV est mort et le pays est en deuil ! Enviant les Continentaux, les Britanniques eux aussi désireraient se divertir derrière leurs postes de radio. Voilà qui fait réfléchir et découvrir des perspectives alléchantes !

Avantage supplémentaire comme chacun le sait, la mer, immense miroir, décuple la propagation des ondes, lesquelles se moquent bien des législations en vigueur et franchissent impunément le Channel. Le soir venu, les émissions “étrangères” de Radio Normandie, du Poste Parisien et celles de Radio Luxembourg sont captées par des milliers de britanniques frustrés du Royaume Uni. Une aubaine à exploiter ! Conscients des possibilités commerciales offertes et des profits envisageables, un homme d’affaires britannique, le Captain Leonard Plugge et ses associés, des financiers londoniens, rencontrent M.Le Grand en 1931 et entrent dans le capital de Radio Normandie. Très vite, des émissions en langue anglaise enregistrées à Londres sur disques 78 tours, apparaissent pendant les pauses des émissions françaises sur l’émetteur fécampois. Ainsi, les programmes de Radio Normandie et Radio Normandy font la joie des auditeurs de part et d’autre de la Manche ! Après une discrète augmentation (sans autorisation) de la puissance à 20 kW, les émissions déjà entendues sur la côte Sud de l’Angleterre, parviennent claires et nettes en pleine journée à Londres (à 200 km de Fécamp). La nuit, elles atteignent au Nord, les Midlands et les villes peuplées de Birmingham, Coventry.

 

Côté français, nos parents et grands parents se souviennent de Tante Francine (Francine Lemaître) la première speakerine, d’Oncle Roland (Roland Violette), de René Malandain, de l’accordéoniste Roger Queval accompagné de tout l’orchestre de Radio Normandie. Côté britannique, Roy Plomley, Ian (David) Newman, Bob Danvers Walker (Uncle Bob), David J. Davies, Howard V. Gee, E.J. Oestermann se succèdent au micro et assurent l’enchaînement des émissions en anglais, avec l’assistance d’un technicien français.

 

NB : durant les émissions anglaises, le règlement intérieur stipulait la présence d’un membre du personnel français aux côtés du speaker anglais. On ignore les raisons. Aide technique ou contrôle ?

La station est en pleine expansion mais la   puissance de l’émetteur dont les antennes surplombent la ville, sature les récepteurs (peu sélectifs à l’époque) des Fécampois mécontents de ne pouvoir entendre d’autres stations lointaines sans éliminer totalement le son de Radio Normandie présent en arrière plan. Le projet de déménagement de l’émetteur est donc envisagé. Le 12 décembre 1938, la station d’émission est transférée au cœur du pays de Caux à Louvetot où, au milieu d’un domaine de 3 hectares, un émetteur flambant neuf est construit au pied d’un pylône de forme révolutionnaire type “Blaw-Knox” de 154 m de hauteur qui va considérablement augmenter la portée des émissions. Quelques kilomètres en contrebas, au bord de la Seine, de nouveaux studios occupent un château, le futur Hôtel de Ville de Caudebec-en-Caux. Un câble coaxial de 6 kilomètres posé à travers la Forêt de Maulévrier, relie les studios à l’émetteur. Grâce aux radios-clubs associés, d’autres studios (on disait “auditoriums”) en plus de Fécamp et du Havre, sont créés à Rouen, au Tréport, au Touquet... et à Paris (au siège de Paris-Soir pour transmettre le bulletin d’infos), tous reliés à Caudebec par lignes téléphoniques PTT : la qualité technique du son à cette époque était assez sommaire !

 

L’État français avide de contrôle (son obsession perpétuelle), cherchera à s’approprier cette puissante station de Radio Normandie à tout prix. Toutefois, celle-ci conservera son autonomie. Première radio privée de province, elle assurera un service régulier jusqu’à la guerre avant d’être réquisitionnée par l’état, parvenu à ses fins. Mais très vite, les Allemands investissent les lieux le 13 juin 1940 et s’emparent de la station pour relayer le programme pro-nazi de Radio Paris. Louvetot sera bombardé par l’aviation alliée. Lors de la débâcle en août 1944, ce qu’il reste du pylône sera abattu par la Wehrmacht, comme son ultime chef d’œuvre. D’ailleurs, tous les postes émetteurs français encore intacts sont sabotés et détruits par l’armée allemande au moment de sa retraite.

A la Libération, l’État français institue sans tarder le monopole des ondes qui lui tenait tant à cœur avant les hostilités. Naturellement les autorisations accordées aux anciennes radios privées ne sont pas reconduites, car l’état convaincu que toute activité destinée à satisfaire un besoin d’intérêt général doit être assurée et contrôlée très étroitement par lui-même et son administration: le Service public ! En conséquence, la RTF (Radiodiffusion et Télévision Française) voit le jour en 1949. Elle obtient le monopole d’exploitation de la radiodiffusion. Le statut d’établissement public industriel et commercial lui est attribué. En 1964, les différents services éparpillés dans la capitale sont regroupés à la Maison de la Radio, quai de Passy [actuelle Avenue du Président Kennedy]. La RTF devient le très austère ORTF (Office de Radiodiffusion et Télévision Française) qui impose une chape de plomb sur l’information désormais édictée par le gouvernement. Le Ministère de l’Information exerce un contrôle autoritaire sur les ondes avec la complicité de journalistes plus ou moins soupçonnés de connivence à l’égard du pouvoir. Plusieurs années après, le Président Georges Pompidou n’a-t-il pas déclaré le 2.07.1970 : “être journaliste à l’ORTF, ce n’est pas la même chose qu’être journaliste ailleurs. L’ORTF qu’on le veuille ou non, c’est la Voix de la France ! C’est considéré comme tel à l’étranger et c’est considéré comme tel par le public”. Dont acte !

 

En 1949, après la reconstruction d’un pylône d’émission de taille plus modeste (120 mètres), Louvetot est de nouveau réquisitionné. Il devra relayer sur 214 m (1403 kHz) successivement  les programmes nationaux “Programme Parisien”, “France Inter Variétés” puis “France Culture”.

Cette mainmise de l’état sur les installations exclut définitivement tout projet de radio régionale, exceptés quelques rares et brefs décrochages locaux durant les années 60 qui n’auront aucune suite, faute d’audience ou manque de volonté de poursuivre l’expérience. Citons notamment des émissions réalisées en 1967 en présence de Jacqueline Alexandre, première speakerine de Télé-Normandie, pour initier les jeunes à la radio, depuis un studio-caravane sur la Foire-Expo de Rouen, à l’époque sur l’île Lacroix ! (Souvenirs personnels ! - NdA)

 

En 1974, à la suite de l’éclatement de l’ORTF en plusieurs sociétés nationalisées, la nouvelle “Radio France” hérite des chaînes de radio publiques. “Télédiffusion de France” pour sa part, est chargée d’exploiter tous les émetteurs radio et TV présents sur le sol français. Elle doit garantir l’intégrité du monopole de l’état en surveillant étroitement le spectre hertzien, autrement dit : repérer les émissions clandestines des méchants pirates. Que les braves gens se rassurent : les pirates des ondes sont peu actifs et peu motivés en France ! Si quelques bravades existent, elles sont l’œuvre de rares bidouilleurs inoffensifs. Par comparaison, la Free Radio est un hobby fort répandu chaque fin de semaine en Suède, aux Pays-Bas et  surtout en Angleterre où de nombreuses parties de cache-cache avec les autorités, aussi bien dans la campagne environnante qu’en pleine ville, les saisies coûteuses de matériel d’émission et les amendes records infligées par la Justice, n’effraient nullement les radio-clandestins, à pied d’œuvre le week-end suivant pour de nouvelles aventures. (ex. Radio Jackie, Sunshine Radio, Kaleidoscope, Gemini, Invicta, Sovereign, Radio Free London pour ne citer que les plus fameuses).*

Le monopole en France vit ses dernières années d’obscurantisme. Comme partout en Europe, le retour en force pressenti des radios indépendantes tant redoutées par le pouvoir giscardien en place et les partisans du strict monopole d’état, précipite chez nous la fin d’exploitation de l’émetteur de Louvetot. Le relais est coupé le lundi 30 septembre 1974 au motif : le centre émetteur serait prétendu obsolète! La vérité est tout autre. De peur que ce matériel “hautement stratégique”, une fois réduit au silence ne donne quelques idées et ne soit utilisé à des fins subversives par une minorité hostile au gouvernement (opposants politiques, lobby anti-nucléaire, etc), la destruction pure et simple de l’émetteur et de son pylône sont les conditions imposées aux propriétaires par l’État pour qu’ils puissent réaliser la vente de leur domaine (terrains et bâtiments) à un tiers. Cette sommation d’énarques paranoïaques enterre une fois de plus l’espoir de nombreux normands de réentendre sur leurs terres, une radio indépendante à l'image de l'ancienne Radio Normandie. Cette dernière avait su, par le passé, apporter une dynamique nouvelle. Le développement économique et social de la Normandie, si tant est qu'il se concrétise, pourrait permettre de réduire l'isolement de la région dans les prises de décision, de favoriser la décentralisation des pouvoirs et de contribuer à la lutte contre la désertification des campagnes.

 

“Alors que l’on s’inquiète actuellement de vocations régionales, du dépeuplement des campagnes et des conditions de vie rurale, on peut s’étonner que ce bel instrument de travail perde son autonomie, sa voix propre. Alors qu’un peu partout les radios pirates font fortune et captivent de plus en plus d’auditeurs, on est en droit de penser qu’une station de radio régionale pourrait bénéficier d’une confortable audience”.

(Michel Gibourdel - Paris-Normandie - oct 1974)

L’épisode “radios offshore” volontairement occulté par les médias français, va tout déclencher

 

Dans l’Europe du Nord, entre 1958 et 1990, des navires-émetteurs surmontés d’étranges mâts d’antennes de 50 à 100 mètres de hauteur bousculent le monde sclérosé des vieilles radios d’état. Au nombre d’une trentaine au cours des trois décennies, ces stations sont affublées du terme “radios pirates”, appellation censée culpabiliser ceux qui les écoutent mais qui les rend plus attractives. Elles sont extrêmement populaires en Scandinavie, en Angleterre et au Bénélux, au grand désespoir des autorités. Ce que l’on interdit est forcément populaire, les politiques ne peuvent l’ignorer ! Ces “émetteurs flottants” ancrés à demeure dans les eaux internationales, entre 10 à 30 km au large des côtes de la Mer Baltique, de la Mer du Nord ou de la Mer d’Irlande, jouissent d’une impunité totale car les lois qui règlementent les émissions de radio sont inapplicables à la haute mer. Les gouvernements et les détracteurs des radios offshore accusent ces dernières de brouiller les services d’urgences maritimes et aéronautiques, ce qui est calomnieux et stupide car les gammes d’ondes utilisées de part et d’autre sont évidemment différentes.

Pour contourner les lois oppressives qui protègent les monopoles d’état, les radios sont embarquées à bord de bâtiments arborant des pavillons de complaisance, positionnés au large des zones stratégiques densément peuplées. Parfois, elles sont juchées sur des fortins de DCA abandonnés après la guerre par la Navy dans l’estuaire de la Tamise et diffusent en toute quiétude leur musique pop, rock, country... entrecoupée de spots publicitaires, le tout enchaîné dans un rythme endiablé par des animateurs vedettes, les DJs (disc-jockeys). Ancrée en dehors des eaux territoriales, Radio Caroline, la plus connue, n’a jamais été illégale.Cependant, il est formellement interdit à tout citoyen britannique d’y travailler. Fondée à l’origine pour contourner la restriction de diffusion musicale instituée par les firmes de disques du Royaume Uni (EMI, Decca...), la station incarnera toute sa vie le symbole de la lutte “Free Radio” contre la législation sévère protégeant le monopole de la BBC, réticente à créer une station musicale. Sur les stations officielles, le rock et la pop-music sont diffusés à dose homéopathique. Vous le comprenez, les conditions sont réunies : musique et pub sont les deux ingrédients mis à profit par les corsaires des ondes pour prospérer et s’épanouir! Avec l’explosion culturelle apparue dans les années 60 dont Londres est l’épicentre durant l’époque excitante du “Swingin’ London”, les Beatles, les Rolling Stones et autres groupes musicaux trouvent, grâce aux stations “pirates”, un support considérable et vice-versa : les groupes d’artistes, les chanteurs, tout comme l’industrie du disque elle-même, profitent - avec beaucoup d’hypocrisie - de la présence des radios offshore. Les éditeurs musicaux font mine de s’offusquer lorsque les stations diffusent intensivement leurs disques mais en coulisses n’oublient jamais d’approvisionner ces mêmes pirates et s’assurent qu’ils disposent bien de leurs toutes dernières nouveautés discographiques ! Une rivalité apparaît entre les firmes, l’une reprochant à l’autre de bénéficier de plus de temps d’antenne pour passer sa production. Notion désormais oubliée de nos jours, la radio joue un rôle déterminant dans la promotion des artistes et de leurs albums. De tous les médias, qui mieux que la radio permet de rendre célèbre un chanteur ou un groupe ? Les pirates dévoilent de nombreux talents qui n’auraient connu aucune promotion avec la BBC, celle-ci étant soumise à un règlement archaïque imposé par le syndicat “Musicians’ Union” qui n’autorise qu’une demi-heure par semaine de musique pop sur les ondes!

 

Malgré l’aspect mystique et romantique des stations pirates, les DJs à bord de leurs bateaux sont loin de vivre des croisières maritimes de rêve. Supporter des conditions exiguës durant plusieurs semaines d’affilée dans un environnement potentiellement dangereux, à proximité d’émetteurs hyper-puissants, subir le vrombissement incessant des groupes électrogènes 24/24, affronter les conditions météos le plus souvent apocalyptiques de la Mer du Nord, renforcent l’attachement et la passion des auditeurs pour ces insolentes radios. Ceux-ci, regroupés au sein de clubs, soutiennent cette liberté radiophonique débridée. Seule ombre au tableau : la France est l’unique pays d’Europe qui boude et ignore complètement ce phénomène “radios de haute mer”, à part le Nord et la Normandie, zones d’écoute privilégiées proches de la Mer du Nord. Grâce au flot musical non-stop venu du large, des milliers de jeunes français découvrent avec 4 à 6 mois d’avance sur RTL et Europe1, les derniers succès internationaux malgré le black-out des médias français qui se gardent de ne jamais évoquer l’existence de cette concurrence importune. En France, pas un mot, pas une ligne dans la presse ne popularisent le sujet entre 1960 et 1990. L’UER (Union Européenne de Radiodiffusion) a intimé l’ordre strict aux médias, très asservis à l’époque, de taire les activités des stations “hors-la-loi”, afin de ne pas ébruiter le phénomène et lui faire de propagande gratuite. Une recommandation débile car il suffit à tout un chacun un peu fureteur, de parcourir la bande PO de son transistor, à la recherche de musique pop-rock pour découvrir instantanément ces sublimes radios maudites. Si Caroline a brisé le monopole de la BBC en 1964, il faut attendre 1973 avant que les Britanniques ne puissent entrevoir leurs premières radios légales (terrestres), quoique horriblement moins attrayantes que leurs prédécesseures de haute-mer ! Entretemps, les lois anti-pirates votées par chaque pays européen, le blocus des ravitaillements (nourriture, fuel, matériel, disques) effectués à partir des ports belges et français, les arrestations assorties de condamnations démentielles des DJs, techniciens et matelots en transit, signent l’arrêt de mort des stations flottantes. Quant à la survivante, Radio Caroline, les multiples tempêtes, les problèmes financiers, le manque de gasoil et d’approvisionnement contraignent la station à cesser d'émettre le 5 novembre 1990.

Quelques mois plus tard, le navire toujours silencieux en Mer du Nord, perd son ancre en plein ouragan et est drossé violemment sur un banc de sable non loin de Ramsgate (Kent). L’équipage est secouru par un hélicoptère de la RAF. Malgré l’impatience de nombreux fans d’entendre de nouveau Radio Caroline sur les ondes, il est décidé unilatéralement de rentrer le “Ross Revenge” dans le port de Douvres et de mettre un terme à 27 années de carrière offshore et de totale liberté.

 

En 2017 dans le sud-est de l’Angleterre, quelques ex-DJs nostalgiques décident de reprendre le flambeau et créent une radio communautaire - donc “sous tutelle des autorités anglaises” - en s’appropriant le nom de la station légendaire. Seuls les puristes déploreront l’imposture, la véritable “Radio Caroline” ne pouvant émettre, hors de toutes contraintes étatiques, totalement libre que depuis la haute mer !

 

NB : en 2008, le film parodique “Good Morning England” racontant les déboires romancés et peu crédibles d’une radio pirate aux prises avec un gouvernement anglais archaïque, a néanmoins le mérite de forcer les médias français à rompre leur mutisme légendaire. La chape de plomb enfin levée dévoile le combat mené pour une liberté d’expression tant redoutée de la classe politique. Une question : si les radios offshore avaient survécu, quelle serait aujourd’hui l’attitude de la presse à leur égard? 

Mais revenons à la fin des années 70 : dans chaque pays d’Europe, les monopoles volent en éclats. Avec l’Italie, la “cacophonie des ondes” [sic] issue de la prolifération des radios libres chez nos amis transalpins, devient l’argument épouvantail agité par la politicaille française qui craint une situation analogue dans notre pays. D’ailleurs, les députés et les sénateurs français de tous bords politiques, restent farouchement rivés à leur monopole d’état* vieillot et calqué, il faut le remarquer non sans une certaine ironie, sur celui des pays d’avant-garde (pays de l’Est, URSS, Chine, Corée du Nord...). Drôles de références !

 

Télédiffusion de France (TDF), société nationale, a l’exclusivité d’exploiter tout émetteur présent sur le territoire français. Si cette mesure s’appliquait à la presse écrite, le “Journal Officiel” serait le  seul organe de presse autorisé à paraître en France ! Pour contourner l’interdiction d’émettre depuis le territoire national, les stations commerciales Radio Luxembourg (RTL), Europe 1 et Sud Radio détiennent leurs émetteurs au-delà des frontières, au Grand Duché de Luxembourg, en Allemagne ou en Principauté d’Andorre, d’où le terme de stations “périphériques”. Seule Radio-Monte-Carlo (RMC), titulaire d’une étrange dérogation accordée à la Principauté de Monaco, émet depuis la Haute-Provence, faute de place sur le rocher monégasque, on l’imagine, pour ériger d’imposants pylônes grandes ondes. Caché derrière la Société Financière de Radiodiffusion (la SOFIRAD), l’État principal actionnaire, exerce jalousement un contrôle strict sur ces radios qui émettent vers nous. Brandissant son monopole, il interdit à quiconque d’émettre librement sur le sol français, ce qu’il s’autorise lui-même... depuis l’étranger ! “Faîtes ce que je dis, ne faîtes pas ce que je fais”. Hypocrisie totale. Toutefois, un grain de sable se niche dans cette tartuferie car il existe une station périphérique réfractaire qui refuse la soumission, comme Astérix! Il s’agit de Radio Andorre, station musicale apparue en 1939, restée neutre durant la guerre qui résiste effrontément aux assauts de l’État français. Qu’à cela ne tienne ! Obligeant les techniciens de la RTF à brouiller scandaleusement sa longueur d’onde dans le Sud-Ouest, le gouvernement français ordonne un blocus à la frontière franco-andorrane dans les années 50, pour empêcher toute livraison de disques et de matériel vers la station insoumise. Pas grave! En totale quiétude, les marchandises pénètrent en Principauté via la route sud, côté espagnol, malgré l’existence du régime franquiste. étrange paradoxe ! Ne s’avouant jamais vaincu, le pays des “Droits de l’Homme” charge la SOFIRAD de créer en 1958, une station fantoche dans la Principauté, “Andorradio” (jeu de mot destiné à créer la confusion auprès des annonceurs). Elle deviendra “Radio des Vallées” et enfin “Sud Radio” avec la mission sournoise de couler cette vieille récalcitrante de Radio Andorre. Cela arrivera mais pas avant 1981. La Principauté d’Andorre en a assez de cette comédie sur son sol. Pour y mettre fin, elle prend l’initiative de ne plus renouveler les concessions de ces deux stations “étrangères”. Triste destin, Radio Andorre, survivante d’avant-guerre, meurt le 9 avril 1981 au moment où la “liberté des ondes” fait une réapparition triomphale de l’autre côté de la frontière, et cette fois-ci en territoire français dont Sud Radio seule, bénéficiera.

 

 

Bien avant les radios libres, l’apprentissage de la radio

vécu devant le micro. Premières expériences...

 

Depuis la fin des années 60 et début 70, une radio “expérimentale” de très faible puissance fonctionne épisodiquement dans les quartiers résidentiels surplombant la ville de Rouen. Elle émet modestement sur 371 mètres Petites Ondes (AM). Curieux hasard, pendant la guerre, c’était l’une des longueurs d’onde d’“Ici Londres, les Français parlent aux Français” ! Puis, pressentant la mode, la station débarque sur une bande FM désespérément vide, autour de la fréquence mythique de 100 Mégacycles, rien n’est bien défini ! A ce propos, on ne prononce pas encore “Mégahertz” ! On lui préfère la vieille unité “Mégacycles” (Mc/s) très classieuse, pur jargon des sommités de l’ORTF ! De même, le sigle “FM”, de l’anglais “Frequency Modulation” (Modulation de Fréquence) est traduit par “Fréquence Modulée”, nettement plus soft et beaucoup plus subtil à l’oreille!

Malgré la faible puissance mise en jeu, chacun reste conscient du risque d’être repéré un jour ou l’autre par les autorités à képis, accompagné de la descente de gendarmes, de la confiscation du matériel et en imaginant le pire, un procès retentissant* avec l’implication involontaire de nos parents dans la tourmente, etc. Notre activité répréhensible de jeunes baroudeurs des ondes est certainement la première tentative de radio clandestine perpétrée dans le voisinage de la vieille capitale normande. Notre station, on l’a appelée EuroWeekend Radio en toute simplicité, vu qu’on ne l’entend que le week-end ! Quant au préfixe Euro, c’est la preuve que la station voit large et est déjà tournée vers l’Europe avant l’heure ! Elle y croit d’autant plus qu’elle atteint un rayon d’action phénoménal (!) de 2 à 3 km obtenu à grand peine, avec un émetteur à lampes ou, soyons très  honnêtes, un infâme bidouillage bricolé à partir d’un vieux châssis de TSF des années 30 ! Après chaque fignolage de la bête, le moindre réglage pour tenter d’améliorer la portée du montage démoniaque, impose d’aller faire un tour aux alentours, afin de vérifier les conditions d’écoute sur l’autoradio, et constater jusqu’où l’émission est perçue. Compte tenu de la hauteur modeste de l’antenne au-dessus de notre grenier, la zone couverte par la station n’est pas spectaculaire et s’évanouit assez vite dans la végétation environnante et la densité urbaine. Arrivés au pied des premiers immeubles de B..., nous sommes déjà en limite de portée et dans le souffle ambiant de l’autoradio, nous devinons avec peine, quelques bribes de notre musique décadente! Sans pouvoir le vérifier, à moins de grimper dans les étages supérieurs équipé d’un imposant récepteur sur l’épaule, on peut supposer que la réception de EWR redevient possible et c’est sûrement là-haut, dans ces immeubles, que se situe l’auditoire potentiel d’EuroWeekend Radio!

 

Pour revenir à un aspect hautement technique (!), il faut reconnaître que la fréquence d’émission de notre bricolage est plutôt instable. Dans notre esprit de jeunes bidouilleurs, c’est sûrement ça la “modulation de fréquence”. D’une manière élégante, on dira que celle-ci évolue à sa guise, de part et d’autre de la fréquence nominale pendant toute la durée des émissions. Les variations sont dues à la température des lampes et des autres composants qui chauffent. Régulièrement, il convient d’aller vérifier la position réelle de l’émission sur le transistor de contrôle et rectifier l’accord de l’émetteur si nécessaire, pour se recaler face au repère “100 Mégacycles” que nous nous sommes assignés sur le cadran de la FM. Cette précaution s’avère indispensable et dispense les rares auditeurs de reproduire la manœuvre similaire pour nous retrouver, si possible avant la fin du programme ! Vu le désert hertzien à l’époque, il n’y a aucun risque de perturber d’autres stations. A noter la caractéristique particulière propre à notre engin diabolique, la fréquence d’accord se règle à l’aide d’un simple crayon de papier (cf dessin) que l’on introduit plus ou moins dans l’enroulement d’une self pendant l’émission, en évitant c’est préférable, de prendre quelques châtaignes de haute tension au passage. Oui ça arrive parfois, attention aux doigts qui traînent ! A moins d’opérer d’une seule main et tenir l’autre en sécurité dans sa poche, nous avait recommandé un oncle électricien dur à cuire ! A ne plus reproduire, évidemment. Petite anecdote au passage, le seul crayon adéquat pour ce rôle déterminant de noyau magnétique est un article promotionnel personnalisé au nom de la “Free Radio Association”, une association de soutien des radios indépendantes chez nos amis d’outre-Manche, ça ne s’invente pas ! Parmi notre collection de gadgets publicitaires, ce crayon et sa bonne mine de graphite géniale est bizarrement le seul capable d’une telle propriété physique. Malgré les soins attentifs apportés au filtrage de l’alimentation de notre émetteur, il faut avouer qu’à l’écoute, on entend en fond sonore un bourdonnement persistant à 50Hz plutôt tenace. Que voulez-vous, les schémas pour construire des émetteurs FM en kit ne courent pas les rues, ni les livres de vulgarisation technique ou les revues spécialisées sur le sujet. L’aide d’un aîné électronicien et quelques cours supplémentaires de radioélectricité n’auraient pas été inutiles. Bref, pourquoi y a-t-il ce ronflement permanent derrière nos voix et notre belle musique? Tout a été vérifié, les soudures de “masses” sont bonnes, les condensateurs ont été remplacés par des cartouches surdimensionnées de bonne capacité... Sûrement s’agit-il d’une question d’antenne mal adaptée ? Qu’importe, la parade consiste à pousser le volume sonore au maximum, à la limite de saturation pour couvrir le bourdonnement! Finalement, cela devient carrément un atout : la modulation tout de suite reconnue des auditeurs fidèles, facilite la recherche d’EuroWeekend Radio sur le cadran. Oh, sans difficulté, c’est vrai. N’oublions pas, la bande FM ne se résume qu’aux trois programmes “parisiens” : France Inter, France Culture et France Musique.(via le relais ORTF de Rouen-Grand-Couronne, les Essarts)

 

Pas de mystère, sur EWR on ne passe que du rock et de la pop. La musique anglosaxone règne en maîtresse absolue. Les quotas de chansons françaises? Connaît pas ! Les ritournelles franchouillardes ? Non, vous plaisantez, ici ça n’existe pas ! L’inspiration musicale vient de toute évidence de la Mer du Nord d’où les célèbres Radios Caroline et Mi Amigo arrivent en force chez nous et constituent pour les jeunes animateurs enthousiastes, une excellente école d’apprentissage d’animation radio. Les DJs Johnny Walker, Roger Day, Andy Archer, Tony Allan, Ferry Maat, Don Allen et bien plus tard Marc Jacobs, Peter Van Dam, Jessie Brandon, Johnny Lewis, Kevin Turner... sont des modèles à reproduire. Les animateurs en herbe gardent le souvenir de “Minimax” de l’extravagant Président Rosko. Tout juste débarqué de Radio Caroline justement, amenant un vent de folie sur les ondes françaises, celui-ci réussit l’exploit de dépoussiérer RTL de 1966 à 68, et de rajeunir l’antenne entre 16 et 18.00 avec un style musical inédit, son français approximatif et sa façon foldingue d’animer, en appliquant la règle immuable en radio “Minimum de bla-bla, maximum de musique” qui ringardise du coup et surpasse, le trop mièvre “Salut les Copains” d’Europe 1.

Qui se souvient des jingles farfelus du Président Rosko:“Rosko le plus beau, celui qu’il vous faut”, “Celui qui marche sur l’eau”, “... qui fait des frissons dans le dos”...Et celui-ci très kitch : “Dis p’tit, va chercher ta grand-mère, j’ai là un disque qui va lui plaire!” Le “Président”, avec une habileté remarquable, sait maintenir l'intérêt autour de sa personne et de son émission. Il faut, sans sacrifier la clientèle traditionnelle populaire de RTL (un exploit !), conquérir celle des jeunes dont les sondages révèlent qu’ils sont les consommateurs les plus avides de radio. Le soir à 20 h, le foot n’a pas encore squatté les soirées entières de RTL, vu qu’on attend avec impatience le supplément de Rosko “Minimax Soir”.

 

NB : Jean Farran, directeur de RTL explique : “Pour briser l’image traditionnelle de Radio Luxembourg et pour rallier les jeunes, nous avons engagé Rosko. Nous lui avons offert le plus formidable studio-gadget automatique qui se pouvait imaginer. Chaque jour à 16 heures, à l’heure du goûter des enfants, Rosko lançait ses disques pop en les annonçant dans un langage approximatif inimitable, fait de borborygmes (?), de cris d’oiseaux, de klaxons, de trompettes. Bref, c’était inaudible, mais c’était jeune”. (Communication & langage - 1972 - Jean Namur)

La bande FM avant 1981 ? Le repaire des bobos,

des beaux discours et... que du classique ! Rien d’autre.

 

Quand même, à une époque où l’expression “radio libre” ne veut absolument rien dire, émettre de façon clandestine sur une bande FM totalement déserte, procure des sensations étranges. En plein territoire interdit, vivre le frisson d’une diffusion clandestine, diffuser du rock en un endroit pareil, avec une qualité d’écoute sublime exempte de craquements et de parasites coutumiers des Grandes ondes, on se sent vite rempli de scrupules et coupable de sacrilège de venir troubler un lieu sacré, d’oser souiller ce Jardin d’Eden avec nos gros sabots crottés de rockers et notre “musique de dégénérés” ! [sic] Les transistors équipés d’une touche FM sont des objets de luxe encore rares. A moins d’être mélomane averti, qu’y a-t-il de follement captivant à découvrir grâce à ces merveilles de “haute-fidélité” ?

 

Une fois de plus, ces propos peuvent éberluer les moins de 40 ans à la lecture de notre discours. Courage à eux ! Il y a quatre décennies, la FM est une bande inexploitée en France* dont l’usage semble réservé à l’aristocratie. Jouissant de son monopole, l’ORTF maître des lieux, s’est octroyé la plage comprise entre 88 et 100 MHz pour y planter ses trois programmes “étendards” déjà cités. Vu la largeur de l’espace à sa disposition, la tâche n’était pas insurmontable ! Les premiers postes du commerce équipés de la FM s’arrêtent impérativement à 100, voire à 104 MHz pour les plus luxueux (Grundig, Normende, Philips, Shaub Lorenz...). On n’assiste pas encore au “tsunami” des marques asiatiques. Au-delà de 100 jusqu’à 108 MHz, l’Armée française se réserve plus ou moins cette seconde portion de bande (jusqu’en 1982 à Rouen) pour ses liaisons VHF durant ses grandes manœuvres.

 

Les majors (RTL, Europe 1, RMC) relégués aux Grandes ondes, sont exclus de la bande FM. La “modulation de fréquence” se résume donc à un club privé où, sur France Inter chaque après-midi, les adeptes de Radioscopie se donnent rendez-vous. Il n’est pas question de “bobos parisiens”, cependant on n’invite que du beau monde chez Jacques Chancel... Quelques mégahertz plus loin, c’est France Culture. Le savoir élitiste y trouve sa tribune où les “m’as-tu-vu” érudits aux fins discours ampoulés étalent leurs sciences. Ce monde raffiné côtoie les passionnés de concerts, symphonies et musique de chambre, adulés des esprits bien pensants. Là, on vénère France Musique.La musique classique et l’art lyrique occupent une place de choix : en effet, la Maison ronde ne possède pas moins de quatre formations musicales (l’Orchestre National de France, l’Orchestre Philharmonique, le Chœur et la Maîtrise de l’ORTF). Avouez que ceci laisse peu d’espoir à l’épanouissement d’autres formes d’expressions musicales, disons... populaires. Fans de pop et de rock, passez votre chemin!

Certes (!), les diffusions d’opéras comblent un public averti et ravi qui sait apprécier les hululements crispants des cantatrices dont notre pauvre référence à nous autres incultes irrévérencieux, est coincée irrémédiablement au registre “Bianca Castafiore” sortie de l’univers d’Hergé, entonnant son fameux “Air des Bijoux” du Faust de Gounod et tutti quanti... Humour, dérision ! Allez, on l’aura compris, le répertoire lyrique n’est pas notre tasse de thé à EuroWeekend Radio ! Et manifestement, nous ne sommes pas les seuls à redouter les éclats vocaux des divas et des ténors, comme le déclarait à leur intention, tout en finesse, un romancier talentueux célèbre : “Ah les gars, faut avoir les trompes d’Eustache bien arrimées et s’faire étayer les tympans !”

 

Pendant ces années d’intense découverte de la bande FM et son engouement exclusif pour la musique classique, l’ORTF a délibérément choisi son camp: dédaigner les ados et ignorer leurs refrains décadents, la pop-musique, le rock, etc. Ne parlons même pas de hard-rock qui commence à poindre. Négligeons de même le tout-venant futile, les variétés, les chansons populaires ! Pour preuve, celles-ci jugées indignes et pas assez classieuses pour être livrées au cher public, sont diffusées à dose  homéopathique et ouvertement à contrecœur, quand elles ne sont pas ignorées d’antenne! Combien de titres aux paroles égrillardes de chanteurs impertinents : Léo Ferret, Georges Brassens, Jean Ferrat, Pierre Perret, les Charlots... ont souffert de censure et n’ont jamais connu les playlistes de la Maison ronde ? Malgré un titre encourageant mais trompeur, le “Pop-Club”, un talk-show de fin de soirée sur France Inter, animé par José Artur, est plus porté sur le bavardage mondain que sur la “pop-musique” elle-même, distillée au compte-gouttes entre chaque très, très... longue interview !

 

De nos jours, sur France Inter ou France Bleu, le paradoxe se perpétue: loin de créer quelque réaction indignée, au contraire, les auditeurs conditionnés du Service public ont pris le pli et soutiennent même cette tendance grandissante du rejet de la musique contemporaine pourtant insérée à doses infinitésimales sur les antennes nationales. Pour conforter ce point de vue, voici l’exemple d’un message extrait du courrier des auditeurs de Radio France, à l’occasion de la longue grève d’avril 2015 :

“Au moment de débats des plus intéressants, la séquence est tout à coup interrompue par la diffusion intempestive et incompréhensible d’une “médiocre chansonnette” sans aucun rapport avec le thème concerné. Comme si l’auditeur moyen que je suis, ne pouvait entretenir sa concentration pendant 55 minutes...”

 

NB : “La diffusion répétée ou fréquente de chansons à la mode sur France Inter est à l’origine d’un article sévère d’André Brincourt dans le Figaro du 29.02.1968, lequel a reçu un important courrier approbateur”. 

(D’après “Histoire Générale de la Radio et de la TV en France” - Tome 2 - Christian Brochand)

 

Il existe donc des Français qui ne supportent pas de musique à la radio! C’est affligeant ! En outre, devant la suprématie de l’industrie musicale anglo-saxonne, la mise en place dans les années 90 de quotas de diffusion censés protéger la chanson française, n’a pas semblé produire les effets escomptés. Bien au contraire, le désintérêt global de la musique actuelle sur les ondes qui a résulté de ces mesures protectionnistes, s’est amplifié peu à peu avec l’invasion massive des “Talks-shows”, ces nouveaux déluges de bavardage venus d’Amérique dont les rediffusions nocturnes éliminent avantageusement les dernières tranches musicales encore présentes. Quelle aubaine...Vous devinez le prétexte : économie et rentabilité obligent et surtout moins de SACEM à débourser !

 

Déjà avant 1981, on dispose d’une bonne avance en matière de “bla-bla” sur les Grandes ondes.Chacun “fait et refait le monde” sans relâche. RTL, Europe 1, France Inter s’y adonnent généreusement tout au long de la journée. D’ailleurs nos amis étrangers de passage ne manquent jamais de le remarquer avec effarement : “Chez vous, c’est infernal comme vos radios sont bavardes !” Avec la démocratisation de la bande FM, le virus a migré progressivement des G.O. et s’est propagé. Saturée de bavardages pontifiants de “raseurs” ou de témoignages téléphoniques d’auditeurs vaniteux, sans oublier ces incontournables émissions à ricanements à l’outrance quasi-permanente, la radio en France nous gave! Quelle solution adopter, autre que les NRJ, Nostalgie, Fun... pour écouter une musique décente, apprécier des vraies chansons en continu ? Devons-nous abandonner la radio définitivement et succomber aux offres payantes sur internet - quelle aberration !- ou attendre les rares préavis de grèves d’une “certaine catégorie de personnel” (la formule consacrée). Dans ce dernier cas, votre patience sera récompensée puisque vous découvrirez, grâce au Service public, il faut le souligner, une profusion de refrains insoupçonnés et une faune de chanteurs oubliés qui connaissent en ces occasions exceptionnelles, un vif succès proportionnel au montant des droits d’auteurs qu’il faudra reverser à la SACEM à la fin du conflit ! Des auditeurs ravis et comblés de réentendre une soudaine abondance de chansons dans leurs “postes de radio”, l’ont bien compris. Et pourquoi le nier : les plus enthousiastes espèrent la reconduite du mouvement, c’est dire s’ils apprécient. Reconnus à leurs justes valeurs, les chanteurs et leurs chansonnettes sont finalement les bienvenus, lorsqu’il s’agit d’éviter le black-out des antennes publiques!

 

NB : Télérama - juin 2014  >  “La musique n’est plus à la fête”

 

Mais revenons à EuroWeekend Radio : avec une bande FM ne distillant qu’une guimauve sirupeuse mêlée à de longs discours compassés, imaginez l’effet produit dans vos oreilles par l’irruption impromptue d’un morceau de hard rock bien relevé. Diantre ! Qu’est-ce qu’il se passe? Une horde de hard-rockers chevelus se serait-elle emparée du “Palais Gruyère”? (surnom ironique à cette époque de la Maison de l’ORTF - NdE)

Non, croyez-le, du hard rock, du metal ou heavy metal sur la bande FM quand on ne s’y attend pas, ça surprend! Et puis côté discrétion, autant le dire, EuroWeekend Radio ne passe pas inaperçue dans son quartier.

 

Pendant ces valeureuses années 70, en dehors de ces émissions sacrilèges, l’antenne relaie les pirates de la mer du Nord “en live”. ça ne parle pas français mais qu’importe! Les succès sublimes des groupes rock diffusés depuis la haute mer, condamnés à un anonymat forcé en France, nous fascinent. Quel contraste avec les sempiternels Dalida, Dutheil, Mouskouri ou Souchon et son binôme Voulzy... Dans l’hexagone, trop peu de compatriotes connaissent d’artistes étrangers exceptés les Beatles, les Stones, l’immanquable groupe Queen et curieusement les Pink-Floyds tellement incontournables en France ? Pourtant il existe pléthore de groupes bien plus légendaires mais injustement ignorésdes grandes radios.

 

Entendre une radio étrangère sur la FM de cette languissante banlieue rouennaise, produit son effet de dépaysement et étonne les téméraires hasardés vers nos 100 MHz. Qu’imaginent-ils ? Une onde troposphérique égarée, une propagation surnaturelle ? D’où provient cette musique étrange qui retentit dans nos oreilles ? Selon le témoignage d’un copain du quartier, mis dans la confidence, les radios de “haute mer” sont plus confortables à écouter via EuroWeekend Radio, comparées à l’écoute qu’il obtiendrait lui-même de son transistor, les parasites en prime. La “qualité” s’explique aisément.Dans notre repaire, trône un impressionnant récepteur de trafic Hammarlund SP600. A coup sûr, il est calé sur 963 kHz, la fréquence magique de Radio Caroline. Ben oui !

Ce monstre équipé de 20 lampes accuse un poids honnête de 35 kilos, technologie américaine des années 50 oblige. Pour l’anecdote, ce matériel ultra robuste, réputé pour son extrême sensibilité, est utilisé par les services d’écoute de la BBC pour “épier” dans leurs langues, les infos des radios intérieures d’Europe de l’Est, au-delà du rideau de fer. Pendant les années 70, ne l’oublions pas, nous sommes en pleine guerre froide!

 

Notre récepteur est associé à une non moins encombrante antenne-cadre (pour les Petites Ondes) d’un mètre carré, dotée d’un préampli transistorisé. Par chance, le Nord est la seule direction à privilégier ! Sinon, vu la taille du cadre à orienter dans la minuscule mansarde, on ne pourrait plus bouger ! Ce système de captation a été préféré à une antenne classique extérieure, type “long fil aérien”, tendue à bonne hauteur, trop sensible aux parasites urbains et délicate à hisser par dessus les toits pour rester discrète. Une antenne de forme bizarre intrigue et rend les voisins soupçonneux. Encore quelques décennies de répit avant de voir surgir dès l’an 2000, l’hystérie complotiste de phobie des ondes hertziennes dont se plaindront des “malades psychosomatiques” !

L’antenne-cadre d’un mètre-carré, outre sa sensibilité et sa qualité indéniable de directivité, permet d’éliminer une partie non négligeable de parasites, notamment ceux qui arrivent par les côtés du cadre (Ouest et Est). Grâce à cet équipement, le signal de Radio Caroline / Radio Mi Amigo  reçu sur les hauteurs de Rouen est équivalent à celui perçu par les Anglais, les Belges ou les Hollandais plus proches du bateau-émetteur. Appréciation toute personnelle : la distance (250 km env.) parcourue par les ondes paraît raccourcie de moitié, c’est spectaculaire. La réception sublime durant la pleine journée est d’une clarté limpide (qualité quasi FM !). On entendrait presque le ressac des vagues sur la coque du navire à l’ouverture du micro car l’on est pratiquement à bord, assis aux côtés du DJ pour participer à son show en direct! Mais la radio n’est-elle qu’une illusion ?

 

Pardon aux non passionnés de technique : encore quelques mots pour préciser que notre récepteur Hammarlund possède une largeur de sélectivité réglable de 200 Hz à 13 kilohertz, c’est dire qu’au réglage optimum, le son égale la qualité FM (comme déjà dit!). Le soir, la propagation devient favorable aux émetteurs lointains (> 800 km) : le cadre perd alors son effet directif et n’a plus d’intérêt. Pire avec le préampli, il se transforme en entonnoir ! Des stations européennes et du Maghreb surgissent sur les fréquences adjacentes et perturbent la réception : des radios tchèques, bulgares, italiennes, tunisiennes ou espagnoles, ces dernières reconnaissables à leurs perpétuelles retransmissions de foot, quand ce ne sont pas les vocalises de cantatrices ou de ténors qui réapparaissent... Au secours ! Vite, un réglage plus conformiste s’impose !               

La sélectivité ramenée aux 8 kilohertz conventionnels suffit, la musicalité redevient passable. Cependant, après le coucher du soleil et à mesure que la nuit s’avance, le son se dégrade sévèrement. Apparaît alors ce que l’on appelle le fading, un effet d’évanouissement dû au mélange de l’onde directe (de sol) avec l’onde de ciel (réfléchie par l’ionosphère) plus ou moins déphasée qui rebondit en oblique vers nous. Les deux ondes s’additionnent, saturent le récepteur, le son est déformé, exécrable ou pire, elles s’annulent mutuellement, d’où l’extinction complète de la réception pendant 5 à 20 secondes. Ce sont les inconvénients de l’AM (Modulation d’Amplitude). En revanche, une station AM opérant en Petites Ondes ou surtout Ondes Courtes, peut être perçue la nuit à des centaines, voire des milliers de kilomètres de son point de départ. Ce qui est impossible, sauf cas de propagation exceptionnelle, avec la FM (Modulation de Fréquence) destinée à un usage régional* ou local.

 

En juin 1972, une panne majeure survient au relais ORTF des Essarts au sud de Rouen qui retransmet les deux chaînes TV existantes et les trois radios publiques pour la Haute-Normandie. Un câble d’alimentation des émetteurs FM vient de brûler, privant la région de toute émission pendant plusieurs heures, le temps de réparer les dégâts. Un tel vide sidéral sur les ondes avait existé de cette façon durant des millions  d’années jusqu’aux premiers balbutiements de la TSF à la fin du XIXe siècle. Profitant de la panne, EuroWeekend Radio est restée de fait, la seule et unique radio de quartier à se pavaner au milieu de la bande FM désertée d’un bout à l’autre du cadran ! L’accusation de brouillage n’aurait pas tenu cette fois. Cependant, il faut le reconnaître après coup, c’était une folie pure d’émettre précisément ce jour-là, en plein Sahara hertzien, sans risquer d’attirer des inquisiteurs “Pères la Morale” mal intentionnés et de se faire pincer par les gendarmes ou autres fonctionnaires assermentés. Heureusement les watts ne se bousculaient pas à l’extrémité de notre fil d’antenne.Les fréquentes visites au vasistas du studio improvisé dans le grenier, rassuraient les jeunes mécréants.Après quelques décennies, on peut supposer qu’il y a prescription ! Depuis cette lucarne sous les toits, on découvrait une avenue en enfilade sur cinq cents mètres et il était aisé d’y percevoir tout véhicule suspect rôder et dans ce cas, bondir pour arracher les prises de courant !

 

Justement, le jour de Pâques 1972, une période d’intense activité pour notre radio, le coup d’œil routinier à travers la lucarne permet d’apercevoir avec effroi, dans l’avenue déserte, un camion Renault plus ou moins kaki, assez louche, bâché de surcroît qui s’approche lentement au loin et qui semble chercher quelque adresse autour de lui. Alerte, ça y est, ce sont “eux”, ça devait arriver. Ils sont à notre recherche et ils vont nous trouver. Ni une, ni deux, le temps de se précipiter sur la prise secteur, belle étincelle bleue au passage, le cœur battant, tout le monde retourne à la fenêtre pour vérifier la position de l’ennemi. Et surprise, est-ce une hallucination collective, il n’y a plus personne, ni âme qui vive dans la rue. Comme par magie, pffuit ! L’intrus kaki s’est évaporé. Où?... Ce camion, bien sûr innocent, devait appartenir à un maraîcher et transportait des légumes, des pommes de terre, on ne sait quoi... Peut-être des œufs de Pâques après tout ? Il avait bonnement ralenti avant de tourner à droite et disparaître dans une rue adjacente. Dans ce cas précis, l’imagination galope. Qui n’a pas en tête ces images de guerre montrant la Résistance aux prises avec les voitures radiogoniométriques de l’armée allemande ? Le moindre fourgon et l’innocente camionnette anonymes deviennent vite suspects. De plus, lorsque l’on coupe l’alimentation électrique en catastrophe, l’émission ne disparaît pas instantanément mais subsiste pendant quelques longues secondes dans les récepteurs, le temps pour les condensateurs de notre émetteur FM de se décharger complètement. Et ça dure, dure... Lorsqu’enfin le souffle significatif et rassurant pour une fois, des “chutes du Niagara” dans le transistor de contrôle, confirme l’extinction du signal interdit et en même temps, l’effacement de toutes les preuves de notre (coupable) activité. Ces secondes-là sont certainement les plus longues et les plus stressantes que l’on ait vécues ce matin-là de Pâques.

Au début des années 70, on ne parlait évidemment pas de radios libres. La frustration liée à l’interdiction des radios locales en France avait suscité quelques expériences isolées d’émissions “clandestines” dans les années qui ont suivi la guerre, notamment celle de René Henri, “Cité-Radio” à Colombelles, petite commune de la banlieue de Caen. En 1954, la police investit le pavillon de M. Henri et fait fermer la petite radio locale. 

La même histoire se répète avec Radio des Vallées de Nanteuil en 1959 dans les Deux-Sèvres. (“étonnantes aventures de ces amateurs qui avaient retrouvé la foi et l’enthousiasme des pionniers de l’âge héroïque de la TSF mais qui oubliaient que la “Radio” a aussi ses lois” - J.Gorini - Almanach RTL1955))

 

Voici une autre anecdote cocasse à raconter sur EuroWeekend Radio, un dimanche matin où un programme endiablé de rock sacrilège est venu “chevaucher” le son de la première chaîne TV de l’ORTF et remplacer avantageusement, il faut le reconnaître, les cantiques éthérés du “Jour du Seigneur”, l’émission emblématique la plus ancienne de la télévision française, soit dit au passage ! Pourtant ne dit-on pas que les voies (ou les voix ?) du Seigneur sont impénétrables ! Pas cette fois, comme vous allez le constater. La FM utilise la bande VHF 2, intercalée entre les bandes 1 et 3 (ce qu’aurait dit Monsieur de Lapalisse !) où l’on trouve les canaux de la 1ère chaîne de télé en noir et blanc. La 2è chaîne est reléguée sur les bandes supérieures UHF 4 et 5, moins sensibles aux interférences. (Pas encore de 3è chaîne à Rouen) Les téléviseurs, de fabrication sommaire sont de véritables passoires à interférences, afin de limiter les coûts de fabrication et ne sont pas conçus pour cohabiter dans un environnement hertzien où opère un émetteur de radio : “Arrêtez vos conn...ies là-haut, on vous entend dans la télé !” nous crie-t-on du rez-de-chaussée... “Ah ! Et pourquoi la télé familiale est-elle déjà allumée à c’t’heure?” Par chance, aucune réaction n’est à signaler dans le voisinage ! Il semble donc que personne dans le quartier n’est accro au petit écran et encore moins épris de religion, ce qui facilite bien nos expérimentations radioélectriques.

 

Avouez-le, la délinquance juvénile arbore un autre visage à cette époque. Les ados de maintenant seraient stupéfaits d’apprendre que notre ambition à leur âge, c’était bonnement de “faire de la radio” avec la ferme intention de posséder un jour notre propre station ! Dans cette perspective, notre maigre argent de poche passait dans l’achat de 45 tours, pour être opérationnels le jour où... Un espoir bien désuet aujourd’hui, et pourquoi pas puéril, car de nos jours, l’objectif universel des jeunes générations, n’est-il pas de faire fortune au plus vite et devenir invariablement stars de foot ? A chaque génération, ses rêves...   (suite p 44)

Quelques futurs DJs en herbe de Radio Solaris ont ainsi pu se faire la voix avant l’heure, en direct au micro d’EuroWeekend Radio. D’autres moins téméraires, ne les blâmons pas, préféraient s’enregistrer au préalable, sereinement sur une cassette au cas où ça tournerait mal ! L’émission était diffusée quelque temps après leur départ du studio, le temps qu’ils s’installent chez eux l’esprit tranquille, devant la chaîne Hi-Fi des parents. Pour amuser la galerie, on peut citer aujourd’hui les “pseudos” de ces courageux pionniers : Sylvestre Ringeard, Rod Elby, Bob Hynett, Aurélien Mouzzeran, le Maître O’Politain, Laurent... Dans cette bande de joyeux lurons, bien qu’il soit encore prématuré d’imaginer les entendre sur un territoire beaucoup plus vaste que celui de leurs premiers exploits, la chose est sûre : ils étaient tous sérieusement contaminés par ce terrible et dangereux virus de la Radio, pour lequel, c’est à désespérer, aucun remède n’a été découvert à ce jour.

 

 

L’idée fait son chemin : les premières radios indépendantes

 

On a tous des idées qui nous emballent. En 1978, stimulés par un non-lieu rendu au Tribunal de Montpellier après l’inculpation de trois avocats fondateurs de la station libre Radio Fil bleu(2), les membres de l’association France Radio Club réfléchissent à un projet de station de radio en modulation de fréquence, pour le jour encore lointain où l’abolition du monopole gouvernemental de la radiodiffusion surviendrait en France. Bien avant le remue-ménage juridique qui secoue la classe politique aussi bien à gauche qu’à droite, France Radio Club avait imaginé pour sa part, l’installation d’une station de radio rock soit à Paris ou dans une autre ville, sur le modèle de Radio Caroline que nous connaissions depuis les années 60 en mer du Nord: musique abondante pour l’essentiel de la programmation animée par des animateurs au style débridé qui trancherait avec l’atmosphère guindée des radios publiques et périphériques de chez nous. Pas de mystère, notre but serait évidemment de promouvoir la pop-music et le rock plutôt dédaignés en France, il faut le dire. Une station capable de diffuser de la musique toute la journée connaîtrait auprès des auditeurs, un succès certain et immédiat.

 

Le 14 janvier 1978, Richard Adaridi, l’un des membres du club, envoie à tous une longue lettre dont voici quelques extraits :

“... Voici la concrétisation de ce que j’ai dans la tête depuis très longtemps. La situation concernant le monopole de la radio en France est apparemment sur le point d’évoluer... nous sommes tous très proches à la fois dans les domaines musique et radio, le projet paraît évident pour tout le monde. Il s’agit d’une station à modulation de fréquence stéréo, fonctionnant 24 heures sur 24, essentiellement musicale, héritage        direct, mais aussi adapté de Radio Caroline. Le format, le style et la programmation proposée peuvent intéresser un bon nombre d’auditeurs. Mais à mon avis, ils ne peuvent pas être suffisamment nombreux dans une ville de moyenne ou de petite importance pour que la station accroche les annonceurs susceptibles de la faire vivre.

Le format d’une telle opération très “spécialisé”, avec un rayonnement local (3), ne peut que susciter une réaction très faible. Les auditeurs   français, conditionnés par tant d’années de radio, ne peuvent être d’emblée bousculés. Je suis convaincu que beaucoup d’émetteurs vont se “casser le nez” en proposant des émissions qui violeront l’auditoire. Ou alors elles s’adresseront à une minorité infiniment minime. Le format que nous envisageons n’est viable que dans une très grande ville comme Paris, Lyon... Cette situation évoluera mais il faudra attendre avant que des formats “originaux” pénètrent dans des agglomérations plus petites... Il ne s’agit pas de chercher à obtenir un auditoire maximum mais une minorité suffisamment importante pour que notre projet survive. Il faut donc se battre et satisfaire les auditeurs (...)”

 

Le projet en reste là en 1978. Tant que la législation n’évoluera pas du fait de l’existence de ce monopole, notre idée restera irréalisable. Pour le moment, ces bonnes intentions ne sont que des rêves utopiques. Impatientes, les premières radios indépendantes entrent dans l’illégalité. Lorraine Cœur d’Acier à Longwy est l’une des plus importantes. Des radios de quartier apparaissent à Paris (Radio Ivre, Radio Onz’ Débrouille, Radio Verte...) à Lille, Lyon... Il s’agit surtout d’expressions de radios libres pour défendre une cause (écologiste, syndicaliste...).

 

En Haute-Normandie, Radio CGT 76 est la première grosse radio indépendante à apparaître sur les ondes normandes. Du 7 au 12.11.1979, elle est reçue sur 89 MHz autour de Rouen sur 50 km de rayon. La puissance de l’émetteur est de 600 W. Les émissions sont réalisées par des militants de la CGT depuis un appartement situé au dernier étage d’une tour de Saint-Etienne-du-Rouvray dans la banlieue sud de Rouen. Le programme est composé de débats syndicaux avec les auditeurs à propos de la lutte des travailleurs pour la préservation de leur emploi. La musique provient de quelques disques apportés par les voisins du quartier. L’équipe s’est adjointe la présence d’une journaliste professionnelle Josiane Romero, présentatrice à la télévision régionale FR3 Normandie.

Le 21 novembre 1979, comme il fallait s’y attendre, les responsables de la CGT de Seine-Maritime sont convoqués par un juge d’instruction pour répondre de plusieurs chefs d’inculpation:

- Atteinte au monopole d’état de diffusion radiophonique ;

- Utilisation illégale d’un émetteur ;

- émission depuis une HLM sans l’autorisation du propriétaire (celui-ci l’aurait-il donnée ?) ;

- Diffusion de disques sans l’accord de la Sacem (même remarque).

Une manifestation s’organise alors avec 200 militants qui se déplacent devant le Palais de Justice de Caen. Finalement, avec les prémices de l’abolition prochaine du monopole d’état de la radiodiffusion, le procès n’aura jamais lieu. L’affaire sera classée sans suite. L’émetteur rejoindra l’Eure puis la Gironde pour d’autres actions. Radio CGT 76 émettra une dernière fois, le 22.04.1980 durant une semaine à Canteleu (commune à l’ouest de Rouen). L’antenne est érigée sur le toit de la mairie annexe. Puis la station syndicale est transférée au Havre. D’une source bien informée*, il semble que le jugement rendu pendant les premières émissions en 1979 qui ordonne à la CGT de démonter le matériel immédiatement, n’est pas une émanation du “pouvoir, du préfet, du patronat ou de Lecanuet” (le sacro-saint maire de Rouen), comme le clamaient les syndicalistes-animateurs de la radio, mais tout bonnement d’une plainte des voisins-résidents qui ne voyaient pas d’un très bon œil toutes ces allées et venues dans leur immeuble où ils craignaient un éventuel assaut de la police avec des bagarres probables. Ce qui explique le changement de site d’émission vers Canteleu lors de la seconde série d’émissions d’avril 1980, beaucoup moins médiatisées.

 

Une autre radio pirate rouennaise apparaît entre-temps : Radio Méandre. Créée par un mouvement proche de l’extrême gauche, la radio est encore le relais de luttes sociales et politiques. En matière de radios libres, la Normandie commence doucement à s’éveiller. Radio Méandre sur 101 MHz (reçue faiblement) émet le 13.02.1980 vers 19.00 à grand renfort de tracts distribués à la sortie des lycées. La toute première émission évoque l’expérience d’une radio libre de la région parisienne “Radio Village”. La seconde, le 15.02, est consacrée aux femmes et leurs problèmes au quotidien. D’autres sujets d’émissions sont annoncés. Beaucoup de bavardage en perspective. Paradoxalement, il est vrai que les Français sont sous-informés sur les problèmes graves actuels qui les touchent (le chômage, les inégalités, etc). Mais devant autant de débats et de discours pressentis sur les ondes FM, les auditeurs risquent vite d’être lassés de ces radios militantes et préférer des stations à format musical, pour le moment inexistantes à Rouen.

Partout ailleurs en Europe, des tentatives de radios libres, oubliant le  discours politique et militantiste, préfèrent favoriser l’aspect musical négligé par les radios officielles.Elles sont l’œuvre de jeunes dont la “technicité radiophonique” provient de leur écoute intensive des radios offshore qu’ils souhaitent reproduire autour d’eux sur la bande FM, avec plus ou moins de succès. Bien sûr, toutes ces expérimentations clandestines bravent la législation répressive toujours en place.

 

En France, les politiciens de tous bords, les forces de police et la Justice sont aux abois. Les infractions à l’article L39 du Code des Télécommunications se multiplient, suivies des premières inculpations pour atteinte au monopole d’état. Hélas, pour les contrevenants, du point de vue juridique, la liberté d’expression dont nous jouissons en théorie dans notre pays*, n’inclut pas la permission d’exploiter un émetteur de radiodiffusion en totale liberté ! Le jugement rendu dans l’affaire Radio Fil Bleu à Montpellier, rappelle que selon la Convention européenne des droits de l’homme, la liberté est un droit en matière d’expression et de communication des idées mais la radio en tant que support, reste soumise à certaines restrictions que chaque État doit définir dans sa législation.     A l’inverse de la presse écrite qui est libre, la transmission de la parole et des idées par voie hertzienne est fermement réglementée et échappe donc à tout libéralisme.

 

Nous arrivons au début 1981. Les élections présidentielles approchent et avec elles, la volonté pour certains hommes politiques de l’opposition d’abolir ce maudit monopole d’État de la radio-télévision qui les empêche depuis de nombreuses années, d’exprimer sur les ondes leurs opinions en totale liberté (En politique, il n’est jamais trop tard pour comprendre !), alors que ceux au pouvoir, bien évidemment, ne veulent rien changer.Ceux-ci confortablement installés dans leurs fauteuils dorés républicains, s’y cramponnent et en abusent. Mais pour combien de temps encore ?

 

Dessin : CHANGEMENT  DE  MAJORITé

 

 

Puis, la bombe inespérée éclate : nous sommes le 10 mai 1981 ! François Mitterrand, nouveau président de la République a promis d’abroger le monopole d’état de la radiodiffusion*. Le nombre de stations “libres” se multiplie le soir même des résultats électoraux au milieu de la liesse   populaire générale. Aussitôt le nouveau gouvernement se trouve confronté à l’émergence de centaines de radios indépendantes sur le territoire national mais pour rester conforme à ses engagements, il décide de ne pas intervenir. La loi promulguée le 9 novembre 1981, si elle tolère les nouvelles stations, les oblige cependant à se constituer sous forme d’associations pour émettre, tout en leur interdisant d’avoir recours à la publicité pour subvenir. De telles mesures drastiques sont destinées à décourager les projets de radios purement mercantiles.

Enfin, réjouissons-nous, la radio ne sera plus l’affaire exclusive de “l’élite parisienne” car les provinciaux aussi auront leur mot à dire dans un micro. Eh ouais !

 

C’est parti ! Les radios libres pointent le nez dans la région rouennaise: la puissante VRL “Votre Radio Locale”, les modestes Radio Music, Radio Néon et Radio Soleil avec son interminable bulletin d’informations de midi entièrement lu dans la presse locale. On se rappelle le froissement du journal sur la table de cuisine (la réverbération du son dans une cuisine est caractéristique), sans oublier en arrière plan, “Tyson” (!) qui aboie vigoureusement dehors à la porte d’entrée, se demandant à qui son maître parle à haute voix ?

 

NB : VRL  - “Votre Radio Locale” apparaît sur les ondes en septembre 1981 au Petit-Quevilly, près de Rouen. La fréquence d’émission est 104 MHz. Les programmes essentiellement musicaux sont diffusés de 6 h 00 à 18 h 30 et arrosent toute l’agglomération grâce à un puissant émetteur de 500 W.

 

Dans la capitale normande, il y a aussi et surtout RVS (Radio Vallée de Seine) l’une des premières radios de Rouen, apparue le 14 juin 1981 qui a bien vite distancé l’amateurisme ambiant et commencé à prendre une avance sur les stations voisines. Son rapide succès auprès de la “jeunesse dorée” rouennaise et du milieu étudiant, a fait naître quelques animosités, provoqué certaines jalousies et quelques réactions épidermiques chez ses concurrents. A ce sujet, le magazine des radios libres “Offshore Echos” publie en mars 1982 un article consacré aux nouvelles radios de Rouen qui ne manque pas d’égratigner au passage la station leader :

 

“Etre les seuls “radio-libristes” en fréquence avait conduit les dirigeants de RVS à attraper une hyper-encéphalite aux relents de FR3 (!) Un bon wagon de matériel en plus et le pli était vite pris. II semble que depuis quelque temps, RVS condescende à revenir sur terre. La qualité des programmes s’en trouve améliorée. Deux reproches : le son un peu trop “empâté” mal adapté au style musical de la station et le bla-bla envahissant à certaines heures...”

 

Inutile de préciser que ces lignes à peine fielleuses susciteront le courroux de la direction de la station ! Née sous une bonne étoile, RVS est soutenue financièrement par un journal régional d’annonces gratuites “76 Hebdo”, ce qui aide beaucoup. Ainsi, elle est dotée d’un matériel professionnel et dispose d’un émetteur Itelco de 500W, évidemment le rêve de tout promoteur de radio libre qui débute ! Ayant vite abandonné son studio expérimental dans la zone résidentielle du nord de Rouen, elle s’installe au premier étage d’un ancien garage concessionnaire Renault, encaissé au pied de la colline Sainte-Catherine, à l’est de la ville. Une modeste antenne est érigée sur le toit du garage. Hélas, l’emplacement n’est pas idéal pour émettre bien loin et surtout au-delà de Rouen !* Très vite, une solution miraculeuse va résoudre le handicap: l’émetteur et son antenne sont hissés au sommet de la tour des Mutuelles Unies, le siège social des Assurances AXA à Belbeuf - à 5 km à l’est de Rouen. Du haut de ce promontoire providentiel surplombant toute la vallée de la Seine, RVS va considérablement étendre sa portée d’émission jusqu’à frôler la proche banlieue parisienne, un avantage technique inespéré, une chance inouïe pour la station et un formidable pied de nez à ses concurrents !

 

Anecdote : pendant les premiers jours d’émission, les émissions de RVS sont limitées à quelques heures l’après-midi jusqu’à 19h30. Après une demi-heure de silence, l’émetteur est finalement coupé. Devant mon étonnement pour autant de délai, Eric, le patron de RVS perfectionniste à l’extrême, m’explique que : “L’auditeur doit toujours entendre un son “clean” dans son transistor. Couper brutalement l’émetteur à la première seconde qui suit l’indicatif de fin... Hou ! Et c’est ce que fait VRL la radio n° 2 concurrente, comme de vulgaires cibistes. Bonjour le fameux souffle! ...ça ne fait pas pro, l’auditeur en prend plein les oreilles ! Il faut lui laisser le temps de partir, avant que l’on éteigne de notre côté”.

 

Un soir d’été 1981, la télévision régionale FR3 Normandie diffuse  “Spécial Radios”, un dossier qui montre l’état du paysage audiovisuel proposé aux Haut-Normands avec la présence des premières radios indépendantes face à la station publique “Haute-Normandie-FR3-Radio” (un nom hyper génial très simple à mémoriser!) Dans quelle sérénité, les dirigeants de la radio publique perçoivent l’arrivée de la (rude) concurrence des radios libres musicales ?

Commentaires : pour l’aider face à la concurrence, “Haute-        Normandie FR3 Radio” forte de son succès, a bénéficié d’énormes facilités techniques (puissance, multiples fréquences mises à disposition, etc...) L’avantage d’être une radio publique ! De nos jours sous le label “France Bleu Normandie”, elle se targue régulièrement (placards de propagande à l’appui dans la presse régionale), d’être la “première radio” dans la Seine-Maritime et l’Eure ! L’affirmation est particulièrement indécente, surtout en l’absence d’une vraie concurrence depuis l’époque où les ambitieuses radios privées, dépourvues des mêmes avantages, ont disparu et cédé leur place, du moins en Seine-Maritime, aux ondes spirituelles et religieuses !

 

En Normandie, on capte aussi RFM. Cette radio privée émet en stéréo dès le 6 juin 1981 depuis le centre commercial de Vélizy en banlieue sud parisienne soit à plus de cent kilomètres de Rouen. Toute notre théorie est à revoir sur la propagation des ondes FM ! A propos de RFM, la puissance est si forte, selon Jacques, un membre de FRC, qu’elle est audible au Havre. On frôle alors les 200 km de portée! Pour cette raison, ignorant tout de cette station, nous pensons dès les premières heures d’écoute qu’il s’agit d’une radio locale proche, émettant de la banlieue rouennaise, bien que son style “pro” d’avant-garde surclasse de très loin, le côté amateur des stations normandes de chez nous, excessivement bavardes*. A l’opposé, RFM se veut professionnelle et commerciale. Sa programmation orientée rock avec un format Music and news est inspirée des radios américaines. D’ailleurs les jingles ont été enregistrés à Dallas chez Pam’s, firme spécialisée et renommée. En novembre, sous le prétexte qu’elle diffuse de la pub pour survivre et qu’elle possède une puissance supposée excessive, RFM est brouillée par cinq émetteurs de TDF ! Cela durera 423 jours! Quand il le faut, on trouve les budgets nécessaires ! En totale démesure, l’état ne lésine pas sur les moyens matériels et humains. Au-delà de la région parisienne, le brouillage est heureusement sans effet. La station insoumise reste audible confortablement pour le bonheur des auditeurs éloignés qui découvrent enfin le large choix musical mis à leur disposition sur la bande FM.

Ce sera le pays de Caux

 

Pendant ce temps là-bas sur le pays de Caux, rien ne se profile à l’horizon. Le contraste est saisissant : aucun enthousiasme hertzien en perspective ! Un vide sidéral complet. “Pas un troquet, pas une Mobylette” comme disait le regretté Coluche ! Habitons-nous ici dans un monde à part, déconnecté, vivant sur une autre planète ? Les régions d’Yvetot et de Fécamp semblent à l’écart et ignorent complètement l’engouement général suscité dans le pays par l’arrivée des radios libres. Est-ce dire que l’étendue du territoire cauchois freine les ardeurs radioteuses ? Pourquoi ne retrouve-t-on pas chez nous la même ferveur rencontrée jadis dans les années 1920 avec la fameuse TSF ? Où est donc passée la lignée de pionniers de la belle époque ? Pas d’explication. L’été 1981 passe semaine après semaine dans l’indolence coutumière. Comme on dit : “R.A.S.” ! Personne ne bronche et ne désire se jeter dans l’inconnu. En pays de Caux, le manque d’intérêt flagrant pour ce média que représente la radio, contraste avec l’enthousiasme exubérant, provoqué ici et là partout en France, par l’émergence des nouvelles stations.

 

Tout de même, nous sommes déjà le 29 août 1981 lorsque les choses semblent soudainement frémir. Il est temps pour France Radio Club de montrer son nez et dévoiler cette ébauche de station musicale qui piaffe désespérément au fond de son tiroir. (cf p.44 “L’idée fait son chemin”) L’idée refait surface et on se dit qu’il faudrait essayer. Cette fois, ça peut marcher, puisque les conditions sont réunies.Pourquoi pas nous, finalement? Combien de fois avons-nous rêvé d’une radio différente vraiment innovante et de passer à notre tour devant un micro ? A FRC, nous étions les premiers à dénoncer le bavardage excessif, les sempiternels débats qui accaparent les ondes françaises. Le moment est venu de concrétiser ce projet de radio entièrement vouée à la musique qui nous hante depuis tant d’années. Cette forme de radio manque cruellement dans le triste paysage audiovisuel français. Pourtant aucun auditeur n’a déploré cette carence, car lui, il ignore que cela existe ailleurs. Sauf nous ! Alors, cette fois, la chance est à notre portée, il faut la saisir. L’inaction est devenue trop pesante pour les membres du club et en particulier Daniel Lefebvre.

En tant que président de l’association, il adresse à tous les membres normands - nous sommes une bonne dizaine rien qu’en Seine-Maritime - une convocation extraordinaire pour une conférence de presse qu’il va fixer le vendredi 2 octobre 1981. Celle-ci aura lieu à Fécamp dans la salle du Foyer de la Bénédictine mise à notre disposition par le responsable des relations publiques de la société, Paul-Yves Déchamps dont l’aide sera précieuse. L’endroit choisi pour cette rencontre est hautement symbolique, car nous sommes réunis à quelques pas de Vincelli-la-Grandière, une jolie maison de style néo-normand, rue Alexandre Le Grand où cinquante ans plus tôt précisément, naissait la première expérience de radiophonie dans la région sous l’appellation de Radio Fécamp, devenue par la suite la célèbre Radio Normandie. Ce choix du lieu de réunion n’est donc pas si innocent que cela. A Fécamp, bien peu de Fécampois en ont conscience (ou ne veulent s’en souvenir?), la célèbre distillerie et la TSF sont deux activités importantes dans les années 30s, intimement liées grâce à la personne de M. Fernand Le Grand, le directeur de l’entreprise et grand passionné de “Téléphonie Sans Fil”. Cinquante ans plus tard, la Bénédictine représente encore dans la région, une référence prestigieuse. A ce stade, serait-il présomptueux de notre part, d’imaginer une étroite collaboration entre la société et notre future station ? Tant qu’on y est, pourquoi ne pas rêver d’un jour où la publicité serait de nouveau autorisée sur les ondes locales comme elle l’était avant-guerre.

 

Les journalistes de la presse locale et régionale ont été conviés. Cette rencontre avec les membres de notre association est enfin l’occasion de présenter officiellement notre éternel projet de radio indépendante dont le contenu essentiellement musical pourra largement s’inspirer de nos radios “de haute mer” favorites. Par expérience, nous savons que la recette a été éprouvée avec un énorme succès auprès des populations d’Europe du Nord, de Grande Bretagne et du Bénélux. A nous de l’adapter plus humblement à la région du pays de Caux et de Fécamp. Bien sûr, le fil musical proposé serait enrichi par les flashs d’informations locales, les bulletins sur l’état des routes, les prévisions météos, les annonces de spectacles, cinémas et manifestations culturelles proposés dans toute la région.

 

Au cours de la discussion, il semble se préciser que le lieu d’émission de la future radio locale de France Radio Club pourrait se situer à Saint-Léonard, une commune qui surplombe la ville de Fécamp. Si ce choix a l’avantage d’arroser à la fois la ville de Fécamp et le nord-ouest du pays de Caux, cela inquiète malgré tout les membres rouennais du club. Du coup, cela représenterait pour eux la bagatelle de 140 kilomètres (aller et retour) à parcourir pour venir animer la radio ! De plus, si l’on considère la carte géographique du pays de Caux, on se rend tout de suite compte que la ville de Fécamp est carrément excentrée. Une bonne partie des ondes serait gaspillée vers la mer et compte tenu de la puissance modeste dont on disposera sûrement, Yvetot ne serait à peine atteinte! Il faut donc en discuter très sérieusement.

 

Évidemment l’idée de départ visant une grande métropole comme Paris ou Rouen n’est plus à l’ordre du jour. L’intention d’exploiter un émetteur en ondes moyennes (les Petites Ondes) est abandonnée également. Jamais l’état n’autorisera les nouvelles radios à occuper cette gamme d’ondes pourtant largement disponible et injustement laissée à l’abandon en France depuis la guerre. Dommage car cela résoudrait bien les difficultés de propagation liées à la FM pour couvrir l’étendue de la région avec un unique émetteur ondes moyennes bien plus économique à exploiter qu’une ribambelle de relais FM synchronisés. On pense aux nombreuses vallées cauchoises encaissées dont les creux seront difficiles à desservir. Rappelons que la FM ne se propage qu’en vision directe. De plus, il faudra se contenter d’une puissance d’émission limitée car nous n’aurons pas les moyens de RFM en banlieue parisienne qui narguent les autorités avec un émetteur Telefunken S3194 de 10 kW (40 kWPAR). Selon la future réglementation, il est à peu près certain qu’il faudra se satisfaire d’une puissance comprise entre 100 et 500 W. Soyons sages et lucides, raisons financières obligent, bien que l’on commence à peine à flotter sur un petit nuage.

 

Pour demeurer une entreprise viable, une radio musicale dite de “proximité” n’autorise qu’une programmation ouverte à toutes les formes possibles d’expression musicale. Pour parler crûment, il va falloir ratisser large ! Soyons honnêtes, il n’est plus question de créer un clone de Radio Caroline au milieu de la vaste plaine cauchoise qui ne diffuserait que du “rock progressif” de musique d’albums ! Le projet de radio thématique, isolée en pleine campagne, limitée à un style musical unique pour le bonheur d’une poignée de connaisseurs évidemment comblés, serait suicidaire. Par conséquent, plus l’offre musicale sera variée, meilleure sera l’audience dans cette zone d’écoute autant clairsemée. Ce choix de programmation est confirmé le 2 novembre au domicile de François, le secrétaire de FRC. Entretemps, notre président a convoqué une fois de plus, par lettre circulaire, tous ceux et celles impliqués dans l’illustre projet à une deuxième réunion de travail. C’est l’occasion de faire la connaissance de deux autres personnages originaires d’Yvetot qui nous rejoignent ce soir-là et qui acceptent de s’associer à l’entreprise: il s’agit de Christophe Gubri - il est commerçant en radio télévision et tient un magasin en centre-ville - et Daniel Verdière, le second Daniel de notre équipe de choc. Ce dernier est musicien mais également technicien en électronique. L’oreille du pro et la technique radio à lui seul ! Que souhaiter de plus ? C’est rassurant de s’entourer de personnes compétentes quand on se lance dans une pareille aventure. “Petit” détail physique resté gravé dans nos mémoires, ce soir-là : notre Daniel numéro 2 est un gaillard, certes d’une carrure pas très “épaisse” mais en revanche, gratifié d’une taille impressionnante en comparaison de nos statures de nains, ce que nous découvrons humblement au cours de notre première rencontre ! Ces deux nouveaux amis seront les futurs Géo Trouvetout du projet dont l’histoire commence très sérieusement... maintenant ! On peut l’affirmer, grâce à ces deux nouvelles recrues, les plans prennent vite une tournure concrète ! Et pourrait-on dire, avancent à grandes enjambées. Fini de rêver ! Pour preuve, les locaux destinés au studio ont même été repérés, il y a plusieurs jours déjà. Oh, il n’a pas fallu les chercher loin. Car, depuis quelques semaines, Christophe avait eu l’idée de créer lui aussi sa propre station de radio locale. Par la presse qui publiait le compte-rendu de notre conférence du 2 octobre à Fécamp, il avait appris l’existence du projet concurrent de radio libre dans la région, celui de France Radio Club, en tous points similaires au sien. Après avoir contacté Daniel, notre président, tous deux s’étaient mis d’accord pour s’associer dans un même projet et ainsi regrouper nos moyens. Tout de suite, il a proposé la réserve de son magasin comme base d’émission de notre station commune.

 

Signalons également un détail accessoire qui a quand même son importance : l’instrumental qui servira d’indicatif à la station (utilisé à l’ouverture et à la clôture des programmes) est choisi précisément ce soir-là. En fait Daniel Lefebvre avait lui aussi sa petite idée. Puis comme nous n’avions rien contre... Alors pourquoi pas ! Cet indicatif aux sonorités mystérieuses et solennelles ne nous est pas inconnu car c’est un hymne adopté par une pléthore de radios libres dans toute l’Europe (on pense à Radio Delmare, un navire pirate éphémère qui a sévi en 1978 au large des côtes belges). Autant dire que notre future station n’en aura pas la primauté.“The Eve of the War”, extrait de l’album de Jeff Waynes “La Guerre des Mondes” a pour thème l’invasion des Martiens, une ambiance qui fait froid dans le dos ! Pour l’anecdote historique, une dramatique radiophonique restée célèbre, basée sur le même sujet, avait été mise en ondes à la radio américaine CBS en octobre 1938 par un certain Orson Welles. Prenant la forme d’un reportage réalisé en direct, cette pièce de théâtre hyper réaliste (aujourd’hui, on dirait “radio réalité”) avait provoqué un vent de panique et de folie collective chez les auditeurs curieusement bien candides qui prenaient l’émission en cours, persuadés que les Martiens venaient réellement de débarquer sur terre en choisissant comme lieu d’atterrissage, les États-Unis par pur hasard, éternel centre du monde, suivant la grande tradition des scénaristes hollywoodiens. On se demande pourquoi ces auditeurs autant crédules n’ont-ils pas pris la peine d’aller voir si les stations concurrentes diffusaient les mêmes infos apocalyptiques au même moment ? Rassurez-vous, chez nous, nulle intention de reproduire une pareille hystérie collective. Toutefois les Zombies que nous sommes, avons bien la ferme intention (pacifique) d’investir, nous aussi, le pays de Caux tout entier !

 

Pour en revenir à des considérations plus terre à terre, grâce à Christophe et son offre opportune de local, Yvetot sera finalement le lieu d’origine de nos émissions, avec un grand soupir de soulagement, vous vous en doutez ! La capitale du pays de Caux représente ainsi le point central d’un vaste triangle de 3500 km2 dont les sommets sont à peu de choses près Rouen, Dieppe et Le Havre. Depuis cet endroit stratégique, nous serons capables de couvrir (excepté Fécamp centre ville), la majeure partie du pays de Caux, avec un seul et unique émetteur FM. Un sacré privilège qui va faire des envieux chez les lointaines concurrentes citadines “excentrées” !

 

Il faut maintenant évoquer des choses qui fâchent. Essentiellement rurale, on le sait et pourquoi le cacherait-on, notre région n’est pas connue pour son abord facile : les Cauchois n’ont-ils pas la réputation d’être froids, distants, taiseux et de bouder toutes les innovations qui s’offrent à eux ? Ben oui, la renommée intimide, que croyez-vous ! Par expérience, on se souvient des premiers meetings désertés de notre association d’auditeurs de radios lointaines, consciencieusement annoncés à grand renfort d’articles et de photos dans la presse locale. En mars 1977, un seul visiteur, oui un seul, s’était arrêté ce samedi après-midi-là par curiosité, parce qu’il avait vu de la lumière (authentique !) et perçu une agitation inhabituelle devant l’entrée de la Maison des Jeunes d’Yvetot où France Radio Club organisait son expo-conférence sur le sujet des radios de “haute mer” ! Personne d’autre à Yvetot et ses alentours n’avait jugé bon venir nous rencontrer et ne semblait attiré ou intrigué par ce hobby particulier, révélant un manque évident de passion pour la radio, l’animation et pire, un désintérêt flagrant pour la musique contemporaine. C’était assez déprimant. Toutefois, il faut relativiser ces attitudes décourageantes. Le phénomène de rejet de la part du public cauchois n’est pas lié à notre passion car on l’observe à l’occasion de manifestations publiques consacrées aux thèmes les plus divers sans qu’elles connaissent, elles aussi, des rassemblements de foules époustouflants ! Quand on pense que certains de nos compatriotes avouent s’ennuyer à la campagne, qu’on y est loin de tout et qu’il ne s’y passe jamais rien. Sûrement des ex-citadins exilés ? Vous verrez, nous a-t-on prévenus, ce sera dur de faire sortir les Cauchois de leurs tann... euh, chaumières, à cause de la grisaille, du froid et de la pluie ! Il sera difficile de les faire participer à nos activités et de leur donner l’envie de venir discuter avec nous. Cependant, qu’ils se rassurent, c’est l’avantage d’une radio locale en pays rural : on ne leur demandera nullement de sortir et de se faire tremper durant les caprices météorologiques du week-end, mais seulement d’écouter la musique que nous diffuserons dans leurs postes. Et c’est nous qui parlerons. Le moins possible, évidemment. Si les Cauchois craignent les “ondées”, au moins sauront-ils apprécier... nos “ondes” ? (Ouaaff, excellent ! - NdE)

 

Pourtant, une parole entendue quelque part aurait dû nous mettre la puce à l’oreille et n’allait pas nous rasséréner, c’est la réplique du Père Bernard Alexandre(4), une grande figure locale qui a vécu et exercé dans un petit village près d’ici. Dans l’un de ses merveilleux contes, il disait avec un accent cauchois chaleureux : “En pays d’Caux, faut l’savoir,’est toujou’ çui qui cause eul premier, qu’a tort!” Un constat plein de bon sens que l’on pourrait croire destiné à chacun d’entre nous à la station. Si c’est vrai, eh bien ça promet !

 

(4) Le Père Bernard Alexandre, curé d’une petite paroisse Vattetot-sous-Beaumont, était une grande figure locale du pays de Caux, doué d’un extraordinaire talent de conteur.

Il est resté célèbre non seulement dans toute la Haute-Normandie, mais bien au-delà, grâce à ses histoires cauchoises racontées à la télévision et surtout grâce à son livre “Le Horsain”. Sauf erreur, le Père Alexandre a eu l’occasion de venir un soir dans les studios de Radio Solaris pour y être interviewé. Les circonstances et la date de cet événement sont à confirmer.

S’imposer en modulation de fréquence demandera du temps et de la patience dans une région où RTL (l’ancien Radio Luxembourg de nos parents) malgré sa surabondance de pub, se taille la part du lion ! Créer une station alternative et surtout locale dans ce contexte ne sera pas une mince affaire. La puce contre l’éléphant, David contre Goliath ! D’abord, il faudra inciter le Cauchois à appuyer sur la touche FM sûrement grippée puisque n’ayant jamais servi, à condition qu’il dispose d’un transistor récent ! A cet instant, peu de récepteurs possèdent la gamme supplémentaire dédiée à la “Modulation de Fréquence”. Une fois les premiers moments de curiosité assouvie, les auditeurs devront oublier le déluge verbal des Grandes ondes pour se familiariser avec le flot musical quasi-continu de la nouvelle radio. Si après quelques jours d’écoute, l’estime des Cauchois nous est acquise, alors ce sera notre récompense suprême!

 

Et les jeunes dans tout ça ? Aïe, aïe ! Passés deux ou trois jours de découverte, pas d’illusion. Une fois l’effet de nouveauté estompé, très vite les radios déboulant en force de Rouen, retrouveront leurs faveurs. Si la musique est sensiblement la même, l’emballage devra être différent. Pour les retenir, il faudra les éblouir et montrer que l’on sait faire de la radio autrement. évidemment, on sera plus serein à conquérir les populations hors d’atteinte des concurrentes rouennaises ou havraises. De même, il faudra séduire et ne point négliger les “seniors”. Là encore, pas de réjouissances hâtives. L’instinctif réflexe Luxembourg sera tenace à gommer et à faire oublier ! Alors... Stop ou encore ?

 

Tout compte fait, émettre depuis le centre géographique du pays de Caux (à quelques kilomètres près) est une décision équitable. Cela contente le grand nombre d’animateurs bénévoles qui ne résident pas à proximité d’Yvetot. Tout de même, parcourir deux fois 40 kilomètres (une moyenne) pour effectuer deux, trois heures d’émission, une ou plusieurs fois dans la semaine, qu’il vente, qu’il neige, qu’il tempête... représente une épreuve d’endurance à chacun. Il va falloir être dingue et sacrément aimer la Radio pour accomplir ce sacerdoce ! Sans attendre, des gens attentionnés nous ont mis en garde et se sont étonnés : “Mais, pourquoi n’allez-vous pas exercer vos “talents radiophoniques” (vous sentez la fine pointe d’ironie ?) à côté de chez vous, au Havre ou à Rouen? Il y a des stations là-bas qui fonctionnent déjà ?” A Rouen, on a même entendu des responsables de stations concurrentes nous proposer de venir “travailler” chez eux, beaucoup moins loin ! Effectivement, ce serait logique mais dans ce cas, on ne parlerait plus de notre rêve, celui de fonder NOTRE propre radio ! Pour cette raison, la station ne sera jamais la radio exclusive d’Yvetot intra-muros, mais bien ancrée dans nos esprits, la radio du pays de Caux tout entier, véritable station régionale qui manquait par ici. En revanche, c’est exact et il faut l’admettre, ne pas résider à proximité immédiate des studios sera un handicap pour chacun d’entre nous et un véritable souci pour la radio elle-même. Ce que nous ne tarderons pas à découvrir.

 

Créer une radio, Ok ! Mais quel sera son nom ?

 

La structure de la radio commence à prendre forme. Pour le moment, on ne l’a baptisée d’aucun nom. Pour compléter le titre Radio* , il faut trouver une appellation brève avec un seul et unique mot, afin de ne pas tomber très vite prisonnier d’un sigle réducteur rébarbatif. Si le titre comporte plus de trois mots, ce n’est plus le nom complet de la station que l’on entendra mais inévitablement son acronyme. Une immatriculation impersonnelle à base d’initiales pour désigner les organismes, syndicats, partis politiques ou sans chercher loin, certaines radios concurrentes, n’a rien d’euphonique et ne nous emballe pas. Si les technocrates en raffolent, nos compatriotes ignorent trop souvent leur réelle signification : SAMU, FNSEA, DGCCRF, CHSCT, EHPAD... M’enfin, quelle langue parlez-vous ? D’emblée, on écarte la pressentie “RPC” (Radio du pays de Caux), l’exotique “Radio n’Caux, la non moins attendue “RFY” (Radio Fréquence Yvetot) ou autre “Fréquence Cauchoise”... D’autres suggestions baroques affluent durant cette intense soirée de réflexion. Toutes sont fugaces et vite oubliées dès qu’elles surgissent, sauf celle d’un gros malicieux sûrement inspiré par des origines belliqueuses ancestrales qui ose soumettre une “Radio Vikings Stéréo”? “Ah, oui, mais c’est pas mal, ça ?” Sans plus attendre, cette allusion à nos ancêtres envahisseurs ne manque pas de déclencher dans l’assemblée, une soudaine hilarité générale :

— “Ah, ah, écoute-moi l’autre ! Réfléchis deux secondes. C’est pas très malin ! T’as pensé aux initiales que ça va donner ? R.V.S. ! ça ne te rappelle rien ? Non, non, trop évident dans la région, voyons !”

 

Lorsque soudain l’instant magique paraît ! Laurent, le “Jean-Claude Bourret” de notre équipe, grand spécialiste des OVNIs, féru d’astronomie et de films de science-fiction* propose discrètement : “Et si l’on choisissait un nom comme “Solaris” ? Les ondes radios, c’est comme les rayons du soleil, ça éblouit ? Qu’est-ce que vous en dites, “Radio Solaris”, ça sonnerait bien, non ?” Tiens c’est vrai, on peut le dire, voilà une appellation qui ne nous emprisonne pas dans un lieu géographique ou une région définie comme le ferait une “Radio Yvetot”. Et puis, “Solaris” psychologiquement, ce serait plutôt bon pour le moral des gens à l’écoute. Il faut leur faire oublier la grisaille, conjurer le mauvais sort météorologique qui s’acharne et perpétue ce ciel morose quasi permanent chez nous. En même temps, pourquoi ne pas adopter un énorme soleil radieux comme symbole ? Avec “Solaris” comme appellation, on voit tout de suite l’effet “flashy” produit à la place des 3 ou 4 misérables initiales d’un sigle anonyme, non ? Grâce à l’exubérance des ondes, les transistors vont exploser, la gaîté éclater et la chaleur se répandre à flots bouillonnants dans chaque foyer cauchois ! Et pourquoi pas, en poussant le lyrisme à fond, on pourra clamer que des rayons ardents jailliront de tous les haut-parleurs. Houla, STOP ! N’en jetez plus. ça suffit, c’en est trop. Rangez les violons... Bref, aussitôt choisi, aussitôt adopté ! L’assemblée tombe d’accord.Du premier coup ! Un cas rarissime à souligner. Ce soir-là, c’est donc décidé, la radio locale “de cheu nous” s’identifiera (en deux mots sulement)... “Radio Solaris”!

Il va falloir s’habituer, apprendre à répéter “Solaris”, le mémoriser, s’en imprégner, au besoin mettre en évidence un énorme carton suspendu derrière le micro avec SOLARIS peint en lettres capitales. Clin d’oeil à ceux qui ont fourbi leurs premières armes à EuroWeekend Radio, pas de gaffes, les amis ! Là, on est sérieux. De plus l’appellation “Solaris” colle parfaitement à notre indicatif empreint de science fiction “Eve of the War”, judicieusement choisi où il est question... tiens, encore de Martiens! Pure coïncidence. D’ailleurs, nos “tronches” d’aliens ne dénotent pas dans ce décor et cet indicatif-là, on peut le dire, tombe à pic. En plein registre sidéral, on ne peut adopter meilleure identité !

 

Avant le jour J, il va falloir désigner qui seront les futurs animateurs élus de la nouvelle radio.En clair, ce sont tous ceux impliqués dans le projet. En conséquence, tous les membres de l’association seront expressément invités - forcés, on dira ! - à tenir le micro, trac ou pas. Ah, mais il fallait y songer avant ! Car il va bien falloir la remplir coûte que coûte cette grille de programmes. Dans un premier temps, il est prévu d’émettre chaque jour de 17.00 à 20.00 pour commencer, avec le ferme espoir d’augmenter très vite le nombre d’heures de présence sur les ondes, notamment le week-end où chacun dispose d’un peu plus de temps. Les disponibilités vont être étudiées pour attribuer à chaque membre les tranches horaires qui lui conviennent et voir comment cela peut s’imbriquer. Je passe sur le casse-tête que représente l’élaboration d’un premier planning hebdomadaire car il faut tenir compte de ceux qui travaillent, étudient durant la semaine et ne peuvent se libérer que le week-end, de ceux, du fait de l’éloignement, disponibles uniquement en soirée ; de certains dépourvus de moyens de transport qui profiteront de la voiture d’un autre animateur, sans oublier les tributaires des horaires de la SNCF, originaires de Rouen et du Havre. Par bonheur, les technocrates parisiens, partisans d’une économie “excessive” ont épargné (non sans regret ?) quelques gares du pays de Caux et notamment celle d’Yvetot où les trains peuvent encore circuler, mais surtout s’y arrêter !

 

Ensuite, il reste tout de même à se soucier de l’essentiel pour faire de la radio : ne pas ignorer le matériel technique et surtout l’indispensable émetteur ! Pour le studio, cela ne pose pas véritablement de problèmes: les platines cassettes, les platines disques de chaîne Hi-Fi que l’on possède déjà ou bien qu’on trouve dans le commerce, suffiront amplement pour assurer notre nouvelle activité. Quant à l’émetteur proprement dit, n’a-t-il pas été sous-estimé celui-là ? Que non! Sûrement pas. Mais c’est tout de même un matériel impressionnant, hors du    commun qu’on ne risque pas de dénicher dans un magasin d’électro-ménager ou le premier soldeur du coin. Même si deux ou trois membres de l’équipe possèdent quelques notions d’électronique, personne ne se sent de taille à construire un pareil engin de ses propres mains. La solution de facilité s’impose alors : l’acheter tout fait... clés en mains! En effet des devis ont été sollicités par Christophe et Daniel Lefebvre auprès de quelques fournisseurs d’équipements de sonorisation, voire de cibi (!) récemment reconvertis dans le matériel d’émission FM. Comme on peut s’y attendre, ceux-ci exercent leur commerce en région parisienne (là où la demande est croissante !) Compte tenu de la future réglementation, quelle puissance d’émission raisonnable pourrons-nous espérer ? D’ailleurs, le prix de vente proportionnel au nombre de watts en sortie, sera un critère déterminant pour notre choix de matériel. Aucune comparaison avec les postes cibi que l’on trouve en promotion aux “têtes de gondoles” des grandes surfaces (mode oblige), auprès du rayon Hi-Fi ! Le capital constitué de nos maigres contributions “sonnantes et trébuchantes” ne permet guère d’envisager des folies gargantuesques !

 

NB : pas de cachotteries, le capital recueilli auprès des membres de France Radio Club s’élève à 16 000 F ( = 6 200 € selon barème INSEE actuel)

 

Que peut-on envisager comme matériel avec ce modeste pécule ? Faut-il favoriser une portée maximale des ondes au détriment de la fiabilité du matériel ou bien privilégier une meilleure qualité de signal tout en sacrifiant la puissance émise ? Un choix cornélien ! Compte tenu des contraintes financières, l’offre très limitée se porte d’emblée sur un émetteur de marque italienne. L’Italie est un pays renommé depuis ces dernières années grâce à l’émergence de ses nombreuses radios privées. Le pays a commencé dans le “bizness” bien avant la France dès 1977. Par tradition, les Italiens ont acquis une solide notoriété en électronique et proposent un éventail très large d’équipement à travers de nombreuses marques, depuis le matériel basique jusqu’à l’ultra sophistiqué. Ils disposent d’une bonne avance technologique dans le domaine de l’émission. En compulsant fiévreusement les pages publicitaires du mensuel “Le Haut Parleur”, la bible des électroniciens (!), nous avons retenu le modèle de base d’une marque éphémère Elecktro-Elco. Pour l’anecdote, il ne subsiste guère de trace de cette firme italienne de nos jours. L’émetteur est un modèle simple, transistorisé, de la taille d’une valise moyenne (sans les roulettes). Il délivre un signal en “modulation de fréquence” d’une puissance de 20 watts pour une portée théorique de 3 km environ. Utilisé seul, évidemment pour nous, c’est insuffisant. Pour couvrir la région, il doit être associé à un amplificateur linéaire de la même marque, au même boîtier imposant, boostant la puissance jusqu’à 100 watts, ce qui ne sera déjà pas si mal pour se lancer dans la radiodiffusion locale. Cela devrait permettre (en théorie) d’arroser une zone d’écoute confortable avec un rayon de 30 à 40 kilomètres autour d’Yvetot. De plus, excellente nouvelle, ce modeste matériel d’une valeur de 12 000 francs [valeur actuelle : 4 600 euros] respecte amplement les normes techniques imposées par la réglementation de TDF, ce qui causera un souci de moins avec l’inexistence d’interférences parasites. Il ne s’agit pas de brouiller des quartiers entiers d’Yvetot ainsi que ses alentours pour donner du grain à moudre aux médisants passéistes qui ne voient pas d’un bon œil l’apparition en France de toutes ces radios privées! Comme nous l’avons souligné, le plus proche fournisseur de ce matériel prestigieux tient son activité commerciale à Paris. Hélas, sûrement pas à Yvetot. En doutiez-vous?

 

L’expédition vers Paris est donc programmée dans l’allégresse jubilatoire le lundi 2 novembre 1981. Il ne faut guère longtemps pour persuader les membres de l’équipée sauvage composée de Françoise, Laurent, Florent et Pierre dans la première voiture, Dominique, Rod et moi-même dans la seconde. Bien sûr, il nous faut au moins deux véhicules pour mener à bien ce raid, car on ignore quelles seront les tailles réelles des deux trophées à ramener sur notre terrain de chasse ?

Arrivés dans la capitale en ce début d’après-midi ensoleillé, je conserve encore aujourd’hui, le souvenir d’un énorme embouteillage tout à fait coutumier des Parisiens sur le Pont de l’Europe, au-dessus de la gare Saint-Lazare, comme on en voit rarement en province ! Les voitures sont engagées sur cette place en forme d’étoile à six branches, tout le monde ayant une intention commune: atteindre la sortie opposée coûte que coûte. Le bus 80 en retard sur son horaire, s’approche centimètre après centimètre de mon aile gauche lentement, très lentement. Attention! Plus loin, un automobiliste parisien impatient (pléonasme ?) et très malin vient de trouver l’astuce imparable pour s’extirper du piège. Il n’hésite pas à grimper ses deux roues de droite sur le trottoir, puis remonte toute l’alignée bloquée devant lui et gagne l’issue du carrefour sous les yeux effarés d’un taxi qui lève les bras au ciel devant une pareille audace, le poursuivant agressivement du regard et le jalousant de ne pas avoir osé cette manoeuvre. C’est Paris! On s’invective en toute cordialité. ça y est, c’est notre tour de bouger enfin. Peu à peu, le bouchon se résorbe, comme dit Bison futé. Nous nous échappons du labyrinthe. Bientôt nous sommes en vue de la Place Clichy, puis quelques minutes plus tard, plantés devant l’échoppe, notre but final avenue de Trudaine. Oui, c’est là. C’est aussi un grand spécialiste de matériel cibi, la folie hertzienne précédente, si l’on juge les vestiges peu discrets des énormes calicots publicitaires aux couleurs fluorescentes qui tapissent encore la vitrine. Ici l’on brade les fins de stock à prix cassés. Nous, c’est le modèle de la classe du dessus qui nous motive fortement. Toute la délégation normande pénètre dans le minuscule magasin qu’elle remplit à elle seule, puis s’approche du comptoir. Le vendeur est là aussi, de l’autre côté et ne semble pas impressionné par la soudaine affluence dans sa boutique:

— “Bonjour, on vient pour l’émetteur. On vous a téléphoné...”

— “Ok, je vais vous le chercher”.

 

Nous étions donc attendus, au quart d’heure près, si j’ose dire. En même temps, je suis un peu ébahi que l’on puisse se procurer dans un petit commerce de quartier, un véritable émetteur de radiodiffusion aussi  aisément... qu’un combiné radio-cassette ! J’ai toujours dans la tête ces   photos d’émetteurs impressionnants, ressemblant à des armoires frigorifiques alignées dans des salles aseptisées comme des laboratoires immenses. Bon, soyons modestes, notre émetteur ne sera pas si volumineux et autant puissant que ceux de Radio France ou de la BBC.  

 

La transaction s’exécute rapidement, de crainte que nos hommes politiques rattrapés par leurs vieux démons d’antan, se ravisent, changent d’avis et concoctent in extremis une contre-loi scélérate visant à suspendre toutes ventes de matériel d’émission. Quarante années de dictature du monopole d’État en France ont plombé bien des esprits ! Quand on y pense... 1981 est l’année où “faire de la radio” n’est plus considéré comme un crime odieux ou un délit crapuleux aux yeux du législateur ! Au pays des Droits de l’Homme, les radios libres n’ont plus rien à envier à leurs consœurs étrangères. Diffuser de la musique sur les ondes, en totale liberté, qui aurait pu le croire, il y a encore quelques semaines ?

 

Le chèque bancaire tiré du compte de France Radio Club, soigneusement libellé par Daniel Lefebvre, notre Président, change de mains. Puis, c’est à nous de jouer et de charger le “matos” sentant le neuf, dans les voitures. En parfait égoïste, à moi l’émetteur, le principal ! C’est bon pour lui. Il tient tout le volume disponible du coffre. Bien calé, il est en sûreté à l’abri. De son côté, Laurent emporte l’amplificateur linéaire. Ouf ça y est, on respire ! La première partie de la mission est accomplie. Maintenant, il faut songer au retour en Normandie. Ne disposant que de notre après-midi, aucune réjouissance n’est donc prévue durant notre bref séjour dans la capitale ! Toutefois, au moment de rebrousser chemin, la soudaine détention de ces boîtes noires fait naître en moi un léger tourment. Après réflexion, une vague appréhension m’envahit : avons-nous été trop présomptueux dans notre volonté de créer une radio musicale ? Est-ce bien une entreprise raisonnable et serons-nous à la hauteur de nos ambitions? Oser bâtir une station de radio indépendante au milieu du vaste pays de Caux, parler dans un micro à des centaines (des milliers?) de compatriotes, les satisfaire par quels programmes, quelle musique va-t-on leur passer tout au long de la journée? Toutes ces interrogations surgissent en vrac d’un seul coup. De plus, lancer une radio sans espoir de profiter de la manne publicitaire pour soulager les coûts de fonctionnement, ne facilitera pas la tâche. Bref, oublions ce stress passager et restons zen. De rudes tâches nous attendent là-bas. D’ailleurs, maintenant c’est trop tard ! On ne peut plus reculer. A Yvetot, la presse locale a suffisamment parlé de notre projet. Les gens sont impatients...

 

Encore un autre détail matériel nous chiffonne avant de refermer définitivement les hayons grands ouverts. Un rapide coup d’œil sur les façades des deux engins permet de remarquer que les sorties et entrées respectives de l’émetteur et de l’ampli doivent être connectées avec des cordons blindés munis de fiches “type N”, un modèle d’accessoire pas très courant et le revendeur est malheureusement en rupture de stock, pas de veine ! Depuis cet été, les promoteurs de radios libres se bousculent au comptoir, la clientèle afflue de tout le pays pour se procurer du matériel d’émission. Cela part comme des petits pains, que voulez-vous! Tant pis, comme on est sur place à Paris, on décide d’aller faire un tour chez un confrère revendeur pas très loin. Le marché en pleine expansion de la radio libre est très prometteur, les points de vente de matériel d’émission et d’équipements de studios fleurissent dans la capitale et se livrent une certaine concurrence. Hélas, ici non plus, rupture de stock, on n’a que des fiches “PL259” destinées à la cibi (Rhôôô !) à nous proposer qui ressemblent mais évidemment ça ne convient pas pour notre matériel Elecktro-Elco. Vu qu’on n’a pas acheté le matériel chez lui, pour la rupture de stock de fiches “N”, on ne peut croire le vendeur que sur parole! C’est enfin le retour de notre équipée sauvage avec le crochet par la Place Clichy. Ce n’était sûrement pas le plus court chemin mais ce lieu semble m’avoir marqué ! Je regarde instinctivement dans le rétro. Je m’aperçois que Laurent ne nous suit plus dans l’avenue et s’est même arrêté à une centaine de mètres derrière nous. Aïe, petit accrochage avec un livreur de pizzas, semble-t-il. Non, rien de grave finalement. Le convoi exceptionnel repart. Sans tarder, nous gagnons le périphérique et nous voilà déjà sur l’autoroute A 13. Sur le chemin du retour, comme je connais un autre fournisseur de matériel électronique à Orgeval, (rendons grâce une fois de plus à la pub du Haut-Parleur) nous décidons d’y faire halte. Peine perdue, devant l’attitude déconfite des vendeurs, on comprend tout de suite qu’ils n’ont pas de fiches “N” dans leur stock. En ont-ils déjà vu ? C’est à croire que ce matériel n’existe! ça a l’air d’être un composant bien difficile à dénicher ! Pourra-t-on trouver ce genre d’article dans notre pays de Caux isolé?

 

Nous retrouvons de nouveau l’autoroute de Normandie, ses péages, sa sortie vers le Pont de Brotonne qui enjambe la Seine, suivi de la mythique route D131 Caudebec-Yvetot et le passage obligé à Louvetot, devant l’ancien domaine paradisiaque de Radio Normandie, propriété désormais d’une Communauté évangélique où, en silence et religieusement (ça s’impose), nous avons une pensée ardente : “Prépare-toi Ô Peuple cauchois à réactiver ta radio. Bientôt, ce sera à notre tour d’émettre !”

Dix minutes plus tard, nous sommes parvenus dans le centre d’Yvetot, accueillis par Christophe qui nous attend avec impatience devant l’entrée de son magasin. Nous déchargeons la précieuse cargaison. Hélas, sans connecteurs de raccordement, pas question de faire un test d’émission ce soir. Toutefois, l’absence de fiches “N” ne semble pas être un souci majeur pour Christophe. Gros soulagement donc s’il y a une solution. De plus, sans antenne FM installée, inutile de se précipiter pour la remplacer par un vulgaire bout de fil comme du temps d’Euro-Weekend Radio ! Là, on devient adultes et responsables ! Tant pis... Après ces centaines de kilomètres de bitume, c’est vrai qu’on se sent un peu frustrés de ne pouvoir basculer les commutateurs en position “ON” dès ce soir. Il va falloir attendre quelques heures - Horreur, c’est trop long ! - et calmer notre impatience bouillonnante de mettre ces joujoux sous tension et les entendre rugir sur la bande FM.

 

Le surlendemain, miracle ! Des fiches “N” auraient été repérées dans la région. Elles sont disponibles à la Compagnie Radio Maritime de Fécamp. Manifestement, ce sont les mêmes fiches qui équipent les radiotéléphones utilisés par les marins à bord de leurs bateaux de pêche. L’aller-retour Yvetot-Fécamp est effectué sur les “chapeaux de roues” (l’expression est passée de mode ?) Les premiers tests d’émission vont pouvoir démarrer ! Entre-temps, Christophe a hissé un mât provisoire sur le toit de son immeuble rue Guy de Maupassant. Il est constitué d’un tube métallique de huit mètres, le long duquel sont fixés deux dipôles d’émission type Sherman, alignés l’un en dessous de l’autre. Le tout est fermement ceinturé à la cheminée juste à l’aplomb de son magasin. L’ensemble culmine à une vingtaine de mètres de hauteur. Un mince câble noir relié à l’antenne descend du toit, court le long du mur extérieur et pénètre par le soupirail entrouvert du sous-sol. Ici même, dans la réserve du magasin, un petit studio vient d’être aménagé en compagnie des cartons d’emballage du commerce d’électro-ménager. Pour le moment, l’autre extrémité du câble coaxial “modèle cibi” a été connecté à la sortie HF de l’ampli de l’émetteur. Vu la puissance modeste de 100 W à “sortir”, la section de ce câble assez fin, cependant provisoire, est suffisante. Tous les cartons contenant des téléviseurs neufs (à moins qu’il ne s’agisse de fours, de machines à laver ou de réfrigérateurs ?) ont été glissés au fond du local, le long du mur pour dégager le maximum de place dans ce studio de fortune qui ne peut être que temporaire, l’affaire de quelques jours, voire quelques semaines, en attendant de trouver un lieu plus adapté à notre nouvelle activité. Néanmoins, nous décrirons en détail ce premier studio improvisé de Radio Solaris, tout à l’heure dans notre récit. Le 9 novembre*, la cassette contenant le premier message est lancée depuis l’un des deux lecteurs, tandis que l’émetteur et son binôme amplificateur commencent à ronronner sagement, installés l’un et l’autre sur des étagères métalliques. La fréquence d’émission a été vite choisie. C’est le privilège d’être parmi les premiers à émettre par ici ! Pour info, nos concurrents de RVS à Rouen occupent les 102 MHz depuis le 14 juin 1981, la seconde station rouennaise VRL, les 104 MHz. A l’opposé géographique, les radios du Havre (Porte Océane et Cap de la Hève) ou celles de Dieppe sont éloignées et trop faibles pour être reçues en pays de Caux. Aucune autre radio ne semble perceptible à Yvetot à ce moment. La fréquence de 101 MHz totalement vierge nous tend les bras! Elle semble parfaitement idéale comme point de ralliement. En effet, pour rejoindre RVS ou VRL, l’auditeur de France Inter sur 96,5 MHz, pris d’une envie irrésistible et soudaine d’entendre une musique qui bouge - ouaip, on y croit! - devra obligatoirement passer par 101 ! Et... y rester. ça ne tient qu’à nous qu’il n’aille plus loin ! Et ça marche dans les deux sens. Malin, non ? Les premiers tests d’émetteur commencent. Cependant dès la mise en route, les réglages de niveau s’avèrent indispensables de toute urgence car le son à l’écoute est complètement saturé et plutôt dégradé. Houla ! A cet instant, ça me rappelle le son surmodulé de certaines stations rouennaises bloquées désespérément au stade expérimental. éternel impatient, je commence à m’inquiéter en écoutant nos propres essais d’émission d’aussi piètre qualité. On ne peut pas dire que l’adjectif “propres” soit le terme approprié à cet instant ! Mais c’est normal, tout ne peut être parfait du premier coup ! La cassette passe et repasse, avec l’indicatif “Eve of the War”, suivi de nouveau du speech de Florent. Au fur et à mesure des passages, fort heureusement, le son monophonique s’améliore graduellement, commence à prendre de l’ampleur et à perdre ce timbre discordant et nasillard. Respectueux des règles de l’art en matière d’électronique (et d’acoustique), on devine Christophe et Daniel, nos “experts” de la technique, affairés sur le matériel, le fer à souder d’une main, le tournevis à syntoniser dans l’autre, en train de peaufiner leurs réglages. On peut leur faire confiance. Après quelques soirées, les séances de tests se terminent par des résultats assez encourageants. L’émetteur italien Elecktro-Elco se révèle être un matériel honnête, d’une simplicité d’utilisation.Il offre une qualité technique correcte, compte tenu de son prix modique. Quelques connaissances (des radio-amateurs) avaient été averties de l’imminence des essais (le numéro de téléphone est donné à l’antenne, sans toutefois préciser le lieu exact d’émission - NdA). Selon les premiers témoignages, la réception est confortable dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres autour d’Yvetot. Au-delà semble-t-il, c’est le black-out total, car pour le moment, il n’y a aucun appel. Du fond de la cave, on ignore encore quelle est la portée maximale réelle des ondes de Solaris et s’il y a du monde à l’écoute de la jeune station aussi loin que les villes de Cany, Luneray, Saint-Romain-de-Colbosc, Pont-Audemer...

 

En vérité et pour tout vous dire, la réception sur les hauteurs de Rouen est donc possible ! Je n’en reviens pas ! Cependant, il faut relativiser. La qualité technique de la réception est insuffisante pour espérer une audience record chez les Rouennais. Yvetot est située à 35 km à vol d’oiseau. Il y a de la “friture sur la ligne” due à plusieurs paramètres physiques défavorables : à cette distance, les 100 watts de l’émetteur atteignent leurs limites. Il faut tenir compte de l’antenne émettrice avec juste deux dipôles et sa faible hauteur à peine dégagée au-dessus des toits environnants. L’immeuble rue Guy de Maupassant ne possède que deux étages. En attendant, c’est une chance inespérée d’entendre la station aussi loin. C’est également un privilège que la fréquence de 101 MHz soit si claire et exempte d’autres signaux concurrents (pour le moment). Autre faveur mais personnelle cette fois et non des moindres, la réception a lieu au 12e étage d’une tour sur le plateau nord de Rouen. Hélas, à l’évidence au pied de l’immeuble ou en centre-ville, aucun miracle de la physique, la réception de Radio Solaris est nulle. Le journal hebdomadaire, le Courrier Cauchois consacre un article le samedi suivant à la nouvelle station intitulé “Les Cauchois pourront écouter leur première radio locale au début de la semaine prochaine”. Cet article est illustré par une photo d’un animateur complètement inconnu. Seuls les lecteurs du magazine Offshore Échos se rappellent sans doute l’avoir aperçue : il s’agit d’une photo confiée par Daniel, notre président, publiée il y a quelques mois, dans le bulletin de France Radio Club. C’est celle d’un présentateur italien de Radio Bellagio, une petite station privée de Milan. Qu’importe, Daniel n’avait pas d’autre visage de DJ en action sous la main et puis cette photo accompagne parfaitement   l’article du journal. On y voit un studio convenablement équipé qui pourrait être le nôtre. Raymondo, à l’honneur sur la photo, ne se verra sans doute pas depuis Milan et ne soupçonnera jamais que sa physionomie a été, durant cette semaine-là, à l’honneur dans la plupart des foyers cauchois !

 

 

Lundi 16 novembre 1981 : 17 heures...

 

ça y est ! Le début officiel des émissions de Radio Solaris est prévu ce lundi 16 novembre sur 101 MHz. A 17 heures, après un bref laïus inaugural lu ou improvisé devant le micro, notre président, la voix pleine d’émotion, porte la radio cauchoise sur les fonts baptismaux ! Dans l’affolement des premières minutes, aucun magnéto n’a été déclenché pour immortaliser cet instant solennel. Existe-t-il une cassette secrète quelque part ? Ne la cherchez donc pas dans la sonothèque du site Solaris ! Pour aggraver cette lacune, nous ne possédons même pas la moindre copie écrite du discours inaugural ! On le savait pourtant : les paroles prononcées à la radio sont volatiles et ne laissent pas de trace. Dommage pour la postérité. Voilà qui démarre étrangement et laisse augurer pour la station un avenir plein de tribulations ! Tiens, ça rappelle le fameux appel du 18 juin 1940 où aucun enregistrement n’avait été sauvegardé par la BBC. Les émissions de Radio Solaris démarrent en pleine fébrilité.

Quinze bénévoles dans les premiers temps vont se succéder et partager les heures d’antenne de 17 à 20 heures et le dimanche dès 15 heures, jusqu’à minuit. La diversité des animateurs comme celle de leurs goûts sera un garant de qualité, déclare Le Progrès de Fécamp par la plume d’Eric Deluard. Chacun va y amener son style, en fait y amener surtout... ses disques et son enthousiasme personnel : ce qui veut dire qu’il n’y aura pas “une” Radio Solaris, mais bien quinze stations aux contenus différents sur la même antenne ! Chaque auditeur va pouvoir trouver, en fonction des horaires, la musique qu’il aime: du jazz sous différentes formes, du hard rock, du rock, de la variété française, du disco, les années 60 et 70... D’autres styles musicaux sont d’ores et déjà prévus, les auditeurs décideront, les suggestions étant les bienvenues, comme on dit! Grâce à Serge Couasnon qui est journaliste au Courrier Cauchois, l’hebdomadaire publie notre grille de programmes et, suprême honneur, chaque semaine, brosse le portrait d’un animateur en herbe, avec photo à l’appui, comme avec Raymondo, notre confrère italien mais cette fois, il s’agit bien de notre photo ! Vingt-sept d’entre nous connaîtront les honneurs de la presse entre décembre 1981 et juillet 1982. Allez, qui s’y colle cette semaine ? Le fait important est à noter: dès le début, les journaux de la région ne vont jamais considérer la nouvelle radio comme un adversaire dangereux, contrairement à Paris où la presse s’est inquiétée, devant cette invasion médiatique, de voir fondre ses recettes publicitaires. Chez nous au contraire, les journaux (Le Courrier Cauchois, Le Progrès de Fécamp et Paris-Normandie) se sont montrés complices des activités de Solaris si l’on considère le nombre impressionnant d’articles publiés relatant ses faits et gestes qui ont permis de retracer fidèlement l’histoire de la station et de pouvoir en faire le récit. Réciproquement, Radio Solaris a entretenu de bonnes relations avec ces journaux, ne voulant être qu’un média complémentaire et non un concurrent. Chacun son rôle, chacun sa tâche ! Balayant nos premières inquiétudes, Radio Solaris a été très vite reconnue comme un élément essentiel du paysage cauchois. En plus de l’attrait de la nouveauté, suscité pour une radio locale, “vieux” média ressuscité, les Cauchois ont compris l’enjeu pour leur région de posséder leur propre station de proximité : le pays de Caux a retrouvé une voix. Je n’oublierai jamais cette anecdote racontée par Pierre, de ce commerçant boucher de la place des Belges qui branche un transistor dans son magasin chaque après-midi sur 101 MHz, bien avant l’heure officielle de démarrage des émissions, afin de ne rien rater. Tandis qu’il découpe de généreuses côtes de bœuf à servir à ses clients, il écoute assidûment les rituels tests de réglage de 1000 hertz comme on dit en jargon technique, des signaux émis par les deux techniciens de Solaris, comme s’il s’agissait d’une sorte de musique électronique d’avant garde, ultra moderne... Rien que pour lui bien sûr, une fréquence en “dents de scie” s’imposait !

 

Après les premières soirées d’émission, la toute jeune radio s’installe doucement dans le paysage cauchois. Comme l’estiment unanimement les membres de l’équipe, la main sur le cœur, c’est le goût des auditeurs qui doit primer et composer notre fil conducteur. Assurément de belles paroles ! Déjà, certains envisagent même un projet d’émission de musique classique qui ne manque pas d’inquiéter aussitôt deux ou trois membres de l’équipe peu mélomanes ou plutôt imperméables à ce répertoire musical. Le spectre de France Musique avec sa cohorte de ténors et de cantatrices vient de ressurgir. Attention, il va falloir respecter notre engagement du 2 novembre : “La station destinée initialement à un auditoire jeune doit se transformer en radio généraliste ouverte à tous les âges et à tous les styles musicaux”.

 

Maximum de musique, minimum de bla-bla comme le clamait déjà notre cher “Président Rosko” sur RTL en 1966. La formule plaît aux auditeurs, au regard des premiers courriers reçus à la boîte postale 101. On s’en doutait, certains réclament plus de jazz et... toujours plus de variétés françaises! Où va-t-on trouver cela dans notre stock de 45 tours? C’était à prévoir et la demande ne fait que commencer !

L’adresse répétée de nombreuses fois à l’antenne est une certaine “Boite Postale 101 à Doudeville”. 101 pour 101 MHz évidemment, les auditeurs ont fait le rapprochement, le nombre “101” marque les esprits. Mais une ville du nom de “Doudeville”, où ça peut être ? Doudeville est un petit bourg situé à une vingtaine de kilomètres au nord-est d’Yvetot. Trompés par cette adresse fantôme, quelques auditeurs cauchois persuadés que les émissions partent de là-bas, veulent jouer les Sherlock Holmes amateurs et s’en vont en reconnaissance du côté de l’adresse postale, pour y rechercher vainement des installations significatives, une vague antenne émettrice planant au-dessus d’un toit, voire une trace de studio d’émission avec vitrine et pignon sur rue, quelque part dans la commune. Bien sûr, les recherches sont infructueuses. Une fois renseignés, ils sont en outre surpris d’apprendre qu’il n’y pas vraiment de boîte postale 101 dans le bureau de poste de Doudeville. Que ce soit B.P. 101, 150 ou 300, qu’importe le numéro, il ne peut y avoir autant de boîtes postales dans un aussi petit village. Les employés de la Poste complices acceptent le jeu et de toutes façons, les dizaines de lettres adressées à l’attention de Radio Solaris sont remises chaque matin entre les mains de leur destinataire, en l’occurrence notre ami Daniel.

 

Dans ce courrier, beaucoup de joie s’exprime par ceux qui viennent de découvrir sur leur transistor, une station de radio intégralement dédiée à la musique, ce qui est plutôt inédit dans notre pays et de plus, qui émet tout près de chez eux, dans le pays de Caux ! Ils découvrent les bienfaits de la “musicothérapie” ! En conséquence, il y a beaucoup de demandes de disques et de dédicaces. Beaucoup de compliments et de remerciements sont également prodigués. Les gens sont très enthousiastes et saluent notre arrivée. Toutefois, ne cachons pas le revers de la médaille. Parmi le flot de témoignages, il n’y a pas que des louanges, nous sommes en France, pays des râleurs ! ;-) La toute première lettre reçue à notre boîte postale 101 est celle d’un professeur de collège, originaire de Cany-Barville, une autre commune voisine à 20 kilomètres au Nord d’Yvetot. Il s’agit d’un auditeur très occasionnel, comme il se définit lui-même. Après trois ou quatre soirées à l’écoute de la nouvelle radio, il nous adresse cette longue missive, pleine... d’encouragements :

 

    P. A... 76450 CANY

 

Prof au Collège de Cany

et Auditeur occasionnel à  Radio Solaris.

 

 

    J’avais lu dans quelque presse “locale” qu’il allait y avoir une radio "locale" qui devait s’appeler "Radio Solaris", une image, sans doute de chaud, de gai dans la grisaille cauchoise. Après avoir tripoté les boutons de ma chaîne cinq jours durant, (la presse suscitée avait simplement oublié de donner les heures de diffusion), je finissais par accrocher vos émissions. Réception de qualité acceptable (3,5 sur 5), et un premier essai qui inspire confiance.

 

    Et puis je vous ai entendu affirmer que toutes les critiques constructives étaient acceptées. Faire des critiques c’est facile, mais envoyer des brassées de compliments, ce n’est pas une critique. Mais construire sur rien c’est aisé, sur quelque chose c’est plus compliqué : il faudrait d’abord faire de la place ou même raser tout.                                                                           

 

    Alors disons-le tout de suite, j’ai écouté vos émissions trois jours de rang, puis j’ai soufflé cinq jours avant de refaire un essai ce soir. Je me demande si j’aurais encore le courage de faire un essai. Je ne dois pas avoir de chance.

 

    “Bonbon et gourmandise” pourrait être une émission intéressante et documentaire... On pourrait y connaître les spectacles locaux, les manifestations sportives intéressantes, les expositions régionales et tous les potins que tous se doivent de ne pas ignorer.

 

    A côté de cela, j’entends une publicité pour l’espace Duchamp-Villon. Pour moi Rouen Saint-Sever, ce n’est plus la région immédiate et, oh, ironie !, dans un journal d’informations du pays de Caux, j’entends successivement cinq morceaux de musique en anglais. Je n’ai rien à priori contre le rock, le reggae, le folk, mais j’ai pour me rebattre les oreilles de cette musique, des radios périphériques qui ont derrière elles trente ans d’expérience qui donnent aux mêmes heures que vous force musique du même style sous le nom de “hit-parade”, “grimpette”... Quelle concurrence pour un même style et aux mêmes heures !!!

 

    Et à y bien regarder, je crois qu’il faudrait mieux prononcer “Rédio Solaaaris” with the accent. Car en dehors de Bonbon et Gourmandise (A propos pourquoi ce titre ?) le programme doit provenir du pillage d’un record shop de Londres. Nous avons été longtemps colonisés par nos voisins d’outre-Manche, il doit en rester quelque chose. Car si je suis votre raisonnement vous voulez faire une radio super-sympa et hyper-terrible pour les jeunes de 14 à 15 ans. ça ne fait pas un gros public sur l’ensemble du pays de Caux. Surtout que de 17 à 18 heures où il est dans le car, revenant du collège ou il est encore au travail. De 18 à 19 heures il est à l’écoute de Jean-Loup Laffont et de 19 à 20 heures, il est à table devant sa sacro-sainte télé.

 

    Quant à ceux de cette tranche d’âge qui sont chômeurs, qui mangent tard (ou tôt) et qui n’ont pas de télé ! Ils ont rarement une FM.

 

    Question ? Avez-vous fait une étude d’impact sur la région avant de commencer à émettre ? Réponse (en partie) : sur soixante jeunes de 12-13 ans interrogés le 21 novembre 1981, (rappel : Solaris a démarré le 16 novembre - NdA)  pas un n’avait écouté Radio Solaris et un seul en avait entendu parler. Alors, sans chercher à mettre en cause la technique, l’emphase du parler, la simili radio-pirate (avec jingle, matraquage et uniformité) que j’espère vous améliorerez dans l’avenir, je vais essayer de vous dire ce que j’attendais de la radio locale heureusement libérée depuis l’été. J’attends de la musique, variée, internationale mais que diable!, que la majorité soit d’expression française. Des informations aussi, mais des vraies, pas de celles que des marchands de spectacles vous proposent à coup de prospectus mais de ce que la majorité des auditeurs attend : ce qui se passe chez eux, dans leur village, dans leur salle des fêtes, ce qui peut les amener à se sortir de leur maison, ce qui les concerne, ce qu’ils peuvent espérer d’une région déjà peu dynamique ! Je ne suis pas un de ces pédants qui ne comprend pas d’autre radio que France Culture, ce que je voudrais plutôt, ce serait de “la radio périphérique sans pub, sans trop de bla-bla, sans trop d’outrances.” Je crois me résumer en demandant une radio moyenne pour gens moyens...

 

    Voilà ! J’aimerais dialoguer avec l’un d’entre vous pour dire ce que j’attends. Mais, après tout, si je suis seul à demander un autre style, une autre radio, j’attendrai la prochaine radio locale qui ne manquera pas de fleurir... En tout cas je referai un essai de temps à autre... pour voir.

 

    Mais pour finir, je tiens, quand même à vous souhaiter bonne chance, même si je ne vous écoute plus, parce qu’il faut de la chance et de la volonté pour réussir une pareille entreprise.

                                                                                     P. A.

 

Quand on lit avec fébrilité ce tout premier courrier reçu, on note tout de suite : “J’ai écouté vos émissions trois jours de rang!” A raison de cinq heures d’émissions par jour, cela signifie juste 15 heures au compteur ! Avouez que c’est une durée assez brève pour évaluer de façon équitable une poignée d’animateurs bénévoles, avant que ceux-ci ne prennent leurs marques et ne puissent faire leurs preuves. Comment est-ce possible de juger si vite, autant sévèrement une expérience collective et surtout, se faire une opinion tranchée en à peine trois soirs d’écoute ?

 

Finalement, ce professeur auditeur très occasionnel, puisqu’il le reconnaît lui-même, a-t-il trouvé la radio idéale répondant à ses attentes? S’imagine-t-il fin novembre 1981 que nous nous sommes parachutés en “province profonde” pour tout révolutionner avec notre station FM “clés en main” et notre escouade de superbes et talentueux animateurs ? La vérité est bien différente : loin d’être des super-héros, nous sommes quelques jeunes haut-normands, pleins de bonne volonté, réunis par une même passion, la Radio. Malgré la fin du monopole et la libéralisation des ondes en France, personne n’avait bougé et semblait intéressé par l’opportunité* d’implanter un émetteur local en plein pays de Caux. Les conditions favorables étant enfin réunies, nous avons pris l’initiative de réaliser ce rêve qui nous tenait à coeur depuis toujours, créer notre propre radio indépendante. Celle-ci “boosterait” autour d’elle toute une vie économique et tisserait des liens sociaux à travers la région, comme l’avait déjà fait notre aïeule Radio Normandie en son temps. Bien sûr, tout cela n’est que pur angélisme. A travers notre passion, nous avions la volonté d’animer une vie locale particulièrement apathique où chacun dans son coin, le déplore sévèrement : “A part la délinquance quotidienne d’imbéciles désœuvrés et les granges à foin qui brûlent spontanément, il ne se passe jamais rien dans le pays de Caux !” [sic]

 

Un sondage ? C’est vrai, nous n’y avons pas songé. Mais comment aurions-nous pu financer une telle opération ? Pour rappel, notre mise de fonds initiale s’élevait à 16 000 Francs [6 200 €] et n’avait qu’un objectif: l’achat d’un émetteur ! Aucune dépense supplémentaire n’était admise. Lancer une enquête d’opinion représenterait une opération coûteuse finalement inutile. Ses conclusions seraient tellement évidentes car autour de nous, on ne cesse de le répéter: “Bof, la radio ? En dehors des infos, ce n’est que du papotage non stop à longueur de journée!”

Pour nous, le message est clair : les gens désirent entendre de la musique à la radio. Qu’ajouter de plus ? Le Service public et les postes périphériques préfèrent s’apesantir longuement sur les secrets intimes de la vie des artistes, étaler leur discographie de long en large, affirmer que tel chanteur ou groupe est “super”, talentueux, etc. C’est pour leur dire cela qu’on les invite d’ailleurs. Les animateurs réussissent l’exploit de commenter leur dernier album “hyper génial” sans jamais en diffuser le moindre extrait, ou si peu, car la pub derrière n’attendra pas !

Dominique, trésorière de l’association et responsable de l’émission au titre controversé “Bonbons et Gourmandise” a tenu à répondre personnellement à notre premier correspondant. Voici son commentaire recueilli au cours de la première réunion d’association tenue le 7.12.1981 à la Maison des Jeunes d’Yvetot dont on reparlera plus loin:

(...) “En ce qui concerne la première émission d’informations “Bonbons et Gourmandise” où d’ailleurs j’ai répondu “au type” (NdA : c’est le franc parler de Dominique !) qui a envoyé la super lettre, je n’avais que le programme condensé de Duchamp-Villon à annoncer (complexe de théâtres/cinémas à Rouen Saint-Sever), alors qu’ici dans la région, on n’avait rien, aucune nouvelle à annoncer (...)”

 

NB : au fait, pourquoi un tel sectarisme ? Les annonces de spectacles rouennais n’avaient rien d’insolite car Solaris était perçue à Pavilly et Barentin et pas seulement du côté d’Yvetot, Cany ou Doudeville. En bonne logique, elles pouvaient intéresser ces auditeurs (20 km les séparent de Rouen). Dans ses colonnes, le “Courrier Cauchois” annonce les films projetés à Rouen ! Est-ce un problème ?

 

J’ignore ce que notre auditeur éphémère, égaré sur nos 101 MHz, a pensé de la réponse qu’il a reçue et si les arguments exposés l’ont convaincu! Peine perdue : notre courrier est resté “lettre morte”. Espérons sincèrement que ce récit aujourd’hui, lui fasse comprendre quelles étaient les motivations qui nous animaient à l’époque, pour faire fonctionner cette radio, en dépit des nombreuses tracasseries et embûches que nous avons rencontrées durant sa trop brève existence.

 

La publicité radiophonique ? Sûrement la moins prestigieuse des formes de publicité. Qui ne connaît la méthode de répétition : “Enfoncez-vous ça dans le crâne !” Sur les Grandes ondes, les mêmes réclames éreintantes, serinées d’une station à l’autre, sont réalisées sans véritable effort de les faire apprécier. Les refrains enjoués qui aidaient autrefois à mémoriser les marques ont disparu.Il ne subsiste qu’une logorrhée indigeste,    débitée d’une voix robotisée, accélérée parfois, au ton monocorde : les fameuses mentions obligatoires ! Dès 1981, on supporte les louanges des “Nouveaux commerçants”, ceux où “la vie est moins chère” et “où le positif est de retour” durant 12 mn, chaque heure. (NdA : en 2010, la pub sur RTL a atteint et dépassé allègrement les 20 minutes par heure).

 

Alors, cette publicité sur les radios libres, faut-il l’oublier ? Sincèrement, ne rêvons pas. A part les utopistes idéalistes, chacun admet sa présence. La pub est une épreuve imposée pour garantir l’indépendance et la survie d’une station. Pour espérer dépasser le stade de l’amateurisme, les subventions et les dons accordés à une radio locale associative resteront insuffisants et éphémères. Est-ce notre bonne volonté qui paiera la monstrueuse note d’électricité, notre premier poste budgétaire? Quelles solutions adopter pour régler le loyer d’un local ? Le jour viendra où il faudra verser quelques salaires. Combien de temps le bénévolat peut-il tout résoudre au sein d’une association ? Soyons réalistes: une radio indépendante idéale sans le soutien nourricier de la pub n’est qu’un pur fantasme. Les mécènes ne courent plus les rues et encore moins les routes de campagne cauchoise. Néanmoins, si un jour la publicité est autorisée sur les radios locales, elle devra s’adapter à l’auditoire. Les futurs écrans publicitaires (5 mn maximum par heure*) “patronnés” cette fois par des annonceurs locaux, seront discrets pour mieux se couler dans l’ambiance et la fluidité du programme, avec l’impérative exigence de ne jamais briser l’identité et le rythme de la station.

Diantre! Que tout cela est beau! (un vrai cauchois dira “cha est biaô” !)

 

L’autre question primordiale concerne le contenu des programmes. Quels chanteurs et quels groupes auront les honneurs de notre antenne ? Sans plus attendre, certaines personnes se plaignent qu’il n’y a que des titres anglais sur Solaris. La belle affaire ! Et à votre avis, pour quelles raisons? D’emblée, l’argument de réponse est évident : la force musicale ne vient-elle pas essentiellement d’Angleterre et d’outre Atlantique, qui peut encore en douter ? Bon d’accord, on exagère. La raison est toute différente et simpliste : les disques entendus depuis le 16 novembre 1981, proviennent de nos collections personnelles comme vous l’imaginez, largement pourvues en chanteurs et groupes internationaux. Pop, rock, disco, on trouve de tout: des chanteurs et groupes anglo-américains, australiens, belges, néerlandais, québécois, italiens et bien trop peu de français... transcendants, ça c’est vrai !

 

De toute évidence, les 45/33 tours amassés en ces premiers jours de Radio Solaris ne sont que le reflet de notre culture de radios étrangères où il faut l’admettre, le patrimoine discographique “made in France” actuel fait pâle figure : “Il est mort le soleil”, “Ne me quitte pas”, “Je suis malade”, “Que c’est triste Venise”... Que des mélopées lancinantes à se pendre qui filent le bourdon, au lieu d’une compilation “Joie de vivre” tant attendue ! Des paroles pleurnichardes d’amours déçus priment exagérément au-dessus d’airs fadasses sans fougue ni rythme*, sans oublier ces multiples rengaines aux textes engagés à travers lesquels l’artiste revendique et affirme ses convictions qui n’auront aucun lendemain... On dit aussi que la barrière de la langue serait un frein à la promotion de la chanson française à l’étranger. Taratata ! Réciproquement, comment expliquez-vous la popularité de certains succès anglophones auprès de nos compatriotes dont la plupart, nous le savons tous, ne comprennent rien à la langue de Shakespeare ?


Pour s’évacuer de leur bulle dépressive, une poignée de célébrités nationales parient sur la reprise de gros tubes étrangers, sans pour autant reproduire et égaler le panache orchestral d’origine, notoriété ne signifie pas talent : qui se rappelle des adaptations poussives de Claude François, Richard Anthony, Sylvie Vartan ? Fin des années 70, la vague disco, un mélange de funk, de soul, de pop et de musique latino-américaine, déferle sur la planète avec ses paillettes, ses boules à facettes et ses tenues extravagantes. Les rythmes endiablés bousculent l’indolente chanson traditionnelle. En peu de temps, apparaissent Abba, Boney M, Cerrone, Donna Summer, Gloria Gaynor, Imagination, John Travolta & Olivia Newton-John (Grease), Kool and the Gang, Patrick Hernandez, les Village People ou le retour des Bee Gees (La fièvre du samedi soir), etc...

En attendant, Radio Solaris est née. Il va donc falloir poser quelques refrains exaltants sur ses platines toutes neuves, impatientes de tourner. Quelle musique, l’essentiel de notre programmation, allons-nous diffuser ? Quelles chansons françaises enivrantes ? Quels titres étrangers prestigieux? Attention, on doit garder à l’esprit qu’il sera impossible de reproduire en pays de Caux, le format des radios offshore avec lesquelles certains chez nous ont forgé leur passion pour l’animation radio et affûté leurs goûts à travers le pop/rock anglais et outre-atlantique. Bercé dans cet univers, notre quarteron d’animateurs partage en toute logique des préférences similaires. Un mauvais point pour l’éclectisme ! Souhaitons tout de même que les auditeurs nous suivent sur ce terrain et adoptent le même engouement pour l’ensemble des titres proposés. Très tôt, Rod, Pierre, Florent et les autres ont amené leurs galettes-trésors à Yvetot. Sans surprise, l’éventaire constitué par la mise en commun de leurs chères collections de vinyles, révèle des refrains en triple ou quadruple exemplaire, ce qui ne va pas nous aider à constituer un stock de roulement suffisant pour tenir l’antenne plus d’une journée d’émission. Personnellement, je me souviens avoir apporté une bonne centaine de mes vieux 45 tours, la plupart inconnus, des sixties et seventies, usés aux deux tiers jusqu’à la corde, après leur diffusion intensive sur EuroWeekend Radio (cf chap. précédent). Ne résistons pas au plaisir de citer pêle-mêle les artistes et groupes célèbres des précédentes décennies: Abba, AC/DC, Animals, Barry White, Beach Boys, Black Sabbath, Blues Brothers, Box Tops, Cat Stevens, Chicago, Chuck Berry, Creedence Clearwater Revival, David Bowie, Deep Purple, Dionne Warwick, Doobie Brothers, Doors, Dusty Springfield, Earth Wind and Fire, Emmylou Harris, Elton John et Kiki Dee, Equals, Flirtations, Fortunes, Gilbert O’Sullivan, Genesis, Golden Earing, Helen Shapiro, Hot Chocolate, Jackson Five, Johnny Cash, Kinks, Kraftwerk, Linda Ronstadt, Led Zeppelin, Lou Reed, Mamas and Papas, Manfred Mann, Moody Blues, Nancy Sinatra, Otis Redding, Patti Smith, Petula Clark, Procol Harum, Rolling Stones, Sam and Dave, Sandy Shaw, Santana, Shadows, Shocking Blue, Sisters Sledge, Spencer Davis Group, Suzie Quatro, Three Degrees, Tremeloes, U2, Who... Sans oublier la musique soul de la Tamla Motown: Aretha Franklin, Diana Ross et les Supremes, Four Tops, Gladys Night & The Pips, Ike &Tina Turner, Junior Walker & The All Stars, Martha & The Vandellas, Marvin Gaye, Mary Wells, O’Jays, Smokey Robinson & The Miracles, Stevie Wonder, Temptations, etc, etc... ignoblement ignorés de nos “Grandes ondes” nationales. 

 

Lorsque l’état de la caisse le permettra, l’achat de nouveautés sera une urgence absolue. Les gens désirent une musique variée, à condition que la majorité soit d’expression française.Soit ! Si l’écoute (abusive) des stations étrangères n’a pas amélioré notre culture musicale francophone indigente, que les bonnes âmes se rassurent, on le promet, les chanteurs compatriotes ne seront pas oubliés. “Oui Môssieur, il n’existe pas que des “champions de reprises” en France!”

Pour autant, va-t-on être obligé d’endurer toute la journée des Patrick Bruel, Dalida, Jean-Luc Lahaye, Gérard Lenorman, Nana Mouskouri, Michel Sardou, Michèle Torr... ou supporter cette indéfectible “Danse des Canards” qui représente en cette fin 1981, les grandes gloires de la chanson francophone. Aïe, aïe ! Rien qu’en y songeant, la nausée monte, car c’est précisément ce que réclament les auditeurs à travers leurs premières demandes de dédicaces! Malédiction...

 

L’éclosion des radios libres et la folie disco ont créé un appel d’air et permis à l’industrie discographique française de connaître un boum prolifique et un renouveau extraordinaire. La qualité artistique des œuvres musicales sur le marché s’est prodigieusement enrichie avec l’afflux d’interprètes talentueux : Jeanne Mas, Niagara, Jean-Jacques Goldman, Catherine Lara, Mylène Farmer, Rita Mitsuko, Images... (cf page 329) L’inspiration se poursuivra jusqu’aux années 90 avant de sombrer dans la musique“fast-food”, les reprises fadasses et... le rap ! No comment...

 

Soulignons que Radio Solaris durant son existence achètera elle-même ses disques jusqu’au dernier jour, en les payant TVA incluse, avec nos propres deniers, malgré la légende tenace selon laquelle les éditeurs musicaux au grand cœur et grande prodigalité, inondent les radios indépendantes de leur abondante production : idée reçue à chasser des esprits! Ou alors, la liste de leurs stations à privilégier est incomplète. Une autre source d’approvisionnement à ne pas négliger vient également de nos “chers-z-auditeurs”. En ces premiers temps héroïques de radio libre, ceux-ci n’hésitent pas, lorsqu’ils passent nous saluer à la station, à se débarrasser fièrement de leur discothèque élitiste bien aimée. évidemment, nous en sommes conscients, tous ces dons partent d’un bon sentiment. Pour une radio de proximité qui démarre sans trop de moyens, ces gestes charitables sont les bienvenus. Seulement, prenons garde! Une fois de plus, un tri sévère s’impose dans la récolte. Il faut écarter les 45 tours rayés, dans un état parfois pire que les nôtres.Oui, c’est possible. A coup sûr, ils ont été écoutés des milliers de fois avec un clou ébréché en guise de “saphir”, c’est à croire ! La friture sur les ondes est assurée, sachant que les craquements et les rayures s’entendent clairement en FM pour peu que l’on écoute la station sur la chaîne        hi-fi, dans le salon des parents ! De plus, il faut écarter les inévitables célébrités omniprésentes du microcosme parisien, ces artistes vintage déjà cités qui ne correspondent pas à l’étiquette que nous voulons accoler à la radio. On le sait, dans ce domaine, les opinions et les goûts de chacun divergent et font grincer les dents. Pourtant, il faut être conscient, assurer une image estimable à la station fait partie de nos objectifs. Pour les atteindre, de rudes responsabilités nous attendent.

 

Nous savons qu’en pays de Caux, la dénomination “radio rurale” peut vite devenir péjorative et se retourner contre nous. Certains dénigreurs sans doute dé-sabusés de vivre reclus à la campagne dont le choix d’écoute s’orientera de toute évidence vers les lointaines concurrentes citadines, censées plus prestigieuses, n’hésiteront pas à détourner le nom de la station en “Radio... Betteraves” [sic] et la classer ringarde dès la première occasion, au   moindre faux pas de notre part. Cette affirmation vous semble grotesque et exagérée ? Pas tant que ça ! C’est une réalité que nous découvrons en totale innocence, à peine débarqués dans la capitale du pays de Caux où semble régner ici une forme de masochisme. Cet état d’esprit* se ressent-il ailleurs dans d’autres communes rurales transformées elles aussi en zones résidentielles? Comme nous l’avons remarqué avec surprise dans les environs d’Yvetot, il est de bon ton d’affectionner particulièrement tout ce qui se crée au-delà, de préférence dans les métropoles voisines (Rouen, Caen, voire Paris) dans le domaine du spectacle, les concerts, le théâtre, la télé et évidemment pour ce qui nous touche de près : la radio. En revanche, il convient naturellement de dénigrer la plupart des initiatives locales, traiter avec dédain les rares occasions culturelles et artistiques offertes à domicile, bouder les divertissements de quartier pourtant destinés à éveiller ce bon vieux pays de Caux du marasme coutumier dans lequel il est plongé. En résumé, ce qui se fait près de chez soi, dans un rayon de cinq à vingt kilomètres, ne peut être que médiocre, sans intérêt car inévitablement produit par des amateurs. “Un public trop clairsemé”, “Trop peu de monde pour ce bon spectacle” ou encore “Un accueil bien mitigé” sont généralement les en-têtes d’articles désabusés, recueillis le samedi suivant dans la presse locale qui relate ces rares événements festifs.

 

Par conséquent, la station n’échappera pas à la règle, comme vous le découvrirez. Elle subit déjà une étiquette “amateurisme” avant même de commencer d’émettre et de faire ses preuves face aux stations rouennaises opérationnelles depuis l’été et techniquement audibles jusqu’ici. Dans l’esprit de beaucoup de monde, Radio Solaris est reconnue (à tort) comme une initiative locale yvetotaise, alors que nous la voulons fermement régionale : servir le pays de Caux dans son intégralité et pas exclusivement la ville d’Yvetot. Attention, pour nous, pas question de partir battus.Toutefois il va falloir surveiller étroitement notre image par le choix de notre musique, soigner notre élocution et ne pas exagérer l’accent cauchois, s’il subsiste encore pour annoncer le dernier “Depeche Mode”, “Spandau Ballet” ou “Duran Duran” !

Là où l’on évoque habituellement l’exode rural et la désertification des campagnes avec un flux de population attirée vers les zones urbaines, nous c’est la démarche inverse que nous avons accomplie car si l’on considère la vingtaine de membres fondateurs de Solaris, nous sommes seize individus à débarquer de l’extérieur, nous, des gars et filles d’la ville !

Comme l’aurait dit une grande figure locale, l’Abbé Bernard Alexandre, nous sommes tous des “Horsains” (Titre de son livre- voir p. 61) à notre tour qui découvrons pour la première fois, cette petite ville d’Yvetot en Normandie. Alors, ne nous laissons pas abattre. Gardons nos ambitions et notre courage intacts pour la suite des opérations!

 

Forcément il ne sera nullement question d’imiter le matraquage enjôleur de RTL ou Europe 1 comme ironisait tout à l’heure notre premier correspondant pétri de certitudes sur son idéal de radio élitiste, même si cela va à l’encontre de notre résolution sentencieuse : “Ce sont les auditeurs qui choisiront ce qu’ils veulent écouter”... Ouais! Seulement si l’on imite les concurrents de Rouen, quel sera l’intérêt de reproduire sur la FM, ce qui existe déjà sur les Grandes Ondes : à savoir, la “diarrhée verbale”, les débats stériles sur tout et n’importe quoi, les jeux, le téléphone... Le succès de Radio Solaris dépend d’une approche différente de celle appliquée par les autres stations voisines ou parisiennes. Profitons de ce renouveau médiatique pour faire découvrir d’autres titres et musiques inconnus jamais entendus à la radio, un engagement candide qui effraierait les programmateurs de radios périphériques et publiques! Le choix musical à notre disposition est si vaste. Aussi n’est-il pas rare d’entendre pêle-mêle en ces premières soirées de radio libre, des airs de flûte de pan sud-américaine, des voix de chanteurs kabyles comme celle du chanteur Idir, des airs de musique brésilienne ou ce qui paraît assez insolite dans nos contrées, des chants et de la musique bretonne interprétés par le Groupe Try-Ann ou Alan Stivell encore très en vogue. Ces musiques éclectiques sorties d’un monde parallèle et ces airs inhabituels débarqués sur les ondes normandes, infligés aux oreilles de nos concitoyens, résonnent étrangement au fin fond du pays de Caux mais nous donnent bonne conscience. Un programme réalisé à partir d’un tel éventail discographique, rendrait-il aujourd’hui notre auditoire autant assidu et fidèle qu’il pouvait l’être en ces premiers temps de FM libérée ? Pas si sûr ! La profusion des nouvelles technologies qui a suivi le déclin des radios libres musicales, a rendu l’auditeur volatil. Désormais, celui-ci n’écoute que ce qu’il connaît. S’il ignore quelles sont les premières notes d’une musique qu’on lui sert, hop, d’un geste, il zappe et Bye, bye !

En novembre 1981, misant sur l’attrait de la nouveauté durant ces premiers jours d’effervescence, nous avons la ferme volonté de modifier les habitudes et les préférences musicales de nos compatriotes. On ne vous le cache pas, la tâche est rude. Pour preuve, avec les premières demandes de dédicaces, les conversations téléphoniques sont quelquefois surréalistes. Voilà un exemple parmi tant d’autres :

— “Allô Solaris, pourriez-vous nous passer “Michel Sardou, la maladie d’amour” ?

—  Euh désolé Madame, ça, euh... On n’ l’a pas !

— Comment ça, vous ne l’avez pas ? Mais si voyons, vous l’avez ! Rappelez-vous, c’est même moi qui vous ai apporté le disque, la semaine dernière !!!”

 

 

 

Embêtant : France Radio Club ne veut plus “faire de radio” !

 

Après trois semaines d’émission, la “Première grande assemblée générale” entre les membres de l’association va se tenir lundi 7 décembre 1981 à la Maison des Jeunes d’Yvetot. Les propres dirigeants de la Maison des Jeunes seront également présents, car ils semblent vivement intéressés eux aussi par un projet de radio locale sur la ville d’Yvetot et dans cette éventualité, pourquoi n’envisagerions-nous pas une éventuelle collaboration? Si cela se concrétise, ce serait une excellente initiative car il est toujours profitable de regrouper ses moyens pour consolider les bases d’une pareille entreprise. Hélas ! Il ne faut pas longtemps, quelques minutes de discussion avec nos interlocuteurs suffisent pour s’apercevoir que nos horizons radiophoniques n’ont absolument rien de commun et ne visent pas les mêmes objectifs. Pour résumer, on ne parle pas la même langue : une sorte de “robinet à disques”, une radio entièrement dédiée à la musique en plein pays de Caux comme celle que nous soutenons, semble être pour eux une incongruité futile, une légèreté complètement absurde qui ne représente aucun intérêt idéologique pour enthousiasmer la population d’Yvetot et ses environs. Pour parler crûment, un programme 24/24 composé uniquement de musique et de chansonnettes, ça ne va pas “voler bien haut”. :-\  Ok, soit ! Avec l’arrivée des radios libres, tout laissait croire qu’un changement s’opérerait dans les mentalités et les habitudes d’écoute de nos concitoyens qui favoriserait en priorité la musique cruellement absente de nos médias traditionnels jusqu’à maintenant. C’était oublier qu’en France, la radio bavarde et austère est irrémédiablement ancrée dans les mœurs. Impossible d’en réchapper et d’escompter entendre autre chose que du babillage non stop! Autant respectable que puisse être leur projet, nos ex-futurs coassociés préconisent une large place aux interviews de personnalités du monde littéraire, scientifique, artistique et théâtral, aux grands débats de société qui reflètent toute une activité économique et intellectuelle au plus haut niv... STOP ! On arrête tout! Disons-le tout de suite, chez nous, il ne sera pas question de venir insérer nos tubes pop-rock et hard-rock dans cette foison de palabres pour le moins rébarbatifs! Combien restera-t-il de monde encore à l’écoute? L’auditoire que nous voulons capter est-il prêt à supporter des causeries assommantes d’autosatisfaction, à endurer des parlottes compassées, guindées, à subir d’interminables jacasseries soporifiques où infatigablement chacun à sa guise fait et refait le monde ? Est-ce vraiment cela que le public attend ? Hors de question de cautionner un projet pareil. A travers l’association France Radio Club, nous n’avons eu de cesse de dénoncer la logorrhée maladive qui affecte la radio en France depuis des lustres. Soyons clairs! Nous n’éprouvons aucune envie de participer à un second “France Culture” local. La décision s’impose d’elle-même: nous mènerons seuls notre “juke-box radiophonique” qualifié ainsi par nos interlocuteurs, avec la petite pointe d’ironie et de mépris gratifiés au passage !... Qu’importe. Un véritable juke-box lui, ne saura jamais vous annoncer le disque suivant!

 

NB : l’émission “Vivre à Yvetot” qui apparaîtra sur l’antenne de Solaris en septembre 1985 présentera une version édulcorée de ce projet avorté. Chaque premier lundi du mois, une émission “clefs en main” d’une heure, très solennelle, sera préparée par le service culturel de la municipalité d’Yvetot. On en reparle au chapitre 1985.

Au cours de la seconde partie de cette réunion du 7 décembre 1981, qui se tient à la Maison des Jeunes d’Yvetot, une autre nécessité d’importance va ébranler France Radio Club, l’association qui représente depuis trois semaines la toute jeune Radio Solaris aux yeux de la loi, sans toutefois remettre en cause l’existence de celle-ci. Cette décision concerne la création d’une nouvelle association, intitulée “Association Solaris” (pourquoi se compliquer !) qui se substituera au Club pour gérer la station. Bien que certains d’entre nous contestent cette évidence, FRC restera toujours intimement mêlé à l’existence de la radio par l’implication de ses membres (ou ex-membres) haut-normands dans le projet. Alors, pour quelle raison, faut-il s’embarrasser d’une tracasserie administrative supplémentaire ? D’après ses statuts, France Radio Club créé en 1974 est une association d’auditeurs français et étrangers dont la vocation est de promouvoir l’écoute des radios lointaines, offshore ou clandestines et non de “faire de la radio”, même si depuis 1978 (éclosion des premières radios libres en Europe), ceci était plus ou moins envisagé et ardemment désiré par quelques membres. En effet, pourquoi ne faudrait-il faire les choses à moitié quand on est passionné de radio ? Pourquoi ne devrait-on rester que simple auditeur passif, alors que l’on pourrait aussi bien émettre ? La crise va prendre une tournure aiguë lorsque le Président d’honneur de FRC exprime son profond désaccord en invoquant une dérive dans les activités statutaires du club.

Avec grande surprise, des membres proches, pourtant favorables au projet de radio libre, quelques jours avant le démarrage officiel, lui emboîtent le pas et menacent de démissionner à leur tour si l’association persiste dans ses intentions d’exploiter elle-même une radio “pop-rock” locale. Évidemment cette démission collective aurait des conséquences néfastes pour l’avenir de France Radio Club. De janvier 1978 à novembre 1981, le projet de radio n’avait soulevé aucune objection au sein du club pour autant qu’il s’agissait de recréer un clone de “Radio Caroline” en France et notamment à Paris. Chacun y avait même trouvé sa future fonction: technicien de maintenance, animateur... On peut donc s’étonner du volte-face inattendu de nos amis, juste au moment où les dérogations au monopole d’état de la radio sont enfin accordées en France et notre projet de radio FM sur le point de se concrétiser plus modestement, il est vrai... en pays de Caux! (Pour des raisons pratiques, bien évidemment - NdA) En même temps, oublions vite notre pâle copie de Radio Caroline perdue au beau milieu de la plaine cauchoise! De plus, question animation et esprit pop-rock, il faut rester humble, on n’égalera jamais le talent et le bon goût génétique des DJs d’outre-Manche !

 

Pourtant, malgré ces revirements spontanés, rien ne laissait prévoir de tels désistements au sein de France Radio Club pendant notre Conférence de presse initiale du 2 octobre 1981 au foyer de la Bénédictine à Fécamp et encore moins pendant celle de l’ultime mise au point, deux semaines avant le jourJ où tout le monde semblait d’accord ! Triste cependant de voir le club divisé par une banale affaire de statut. Soutenir les radios libres et vouloir en créer une, qu’y a-t-il d’incompatible ? Les premières stations de TSF apparues dans les années 1920 n’étaient-elles pas nées de la volonté de clubs de “sans-filistes” passionnés par cette nouvelle technique de transmission du son qui souhaitaient l’exploiter eux-mêmes ?

 

Afin de calmer le jeu, Daniel Lefebvre, le président (contesté) de France Radio Club, après avoir résumé la situation explosive qui règne au sein du club, propose la “solution miracle”, celle de créer une seconde association totalement indépendante des activités de France Radio Club, qui sera chargée de gérer la station. Bien sûr, un autre président et un autre conseil d’administration devront être désignés. Ainsi les deux associations distinctes poursuivront leurs activités respectives selon leurs propres statuts, sans jamais s’entremêler. Prévoyant, car il a soigneusement anticipé la situation, Daniel dépose sur la table devant lui un dossier à sangle tout neuf, d’où il extrait quelques feuillets qu’il commence à nous lire. Ce sont les statuts de la nouvelle “Association Solaris” qu’il a préalablement rédigés en s’inspirant de ceux de FRC. Aucune différence notable, puisque l’on retrouve à peu de choses près les mêmes dispositions, sauf en ce qui concerne le siège social de l’association domicilié cette fois à Yvetot, chez Christophe, rue Guy de Maupassant. L’objectif, évidemment toujours le même, sera de diffuser par voie hertzienne des émissions musicales depuis le pays de Caux et de promouvoir à l’antenne les activités et les manifestations programmées dans la région. Rien de changé pour l’essentiel. Les dix-sept personnes présentes, la plupart membres récents de France Radio Club pour la forme, bien que ce ne soit plus nécessaire désormais, adoptent les statuts de la nouvelle association. Selon la règle, les membres du nouveau conseil doivent en premier, procéder à l’élection d’un bureau. Ensuite il restera à recueillir les signatures de chacun de ces nouveaux administrateurs.

 

Malgré le brouhaha ambiant, nous avons retranscrit les échos de cette réunion, recueillis pour la postérité par un valeureux magnéto-cassette, témoin indiscret de cet événement mémorable :

Maison des Jeunes d’Yvetot

Compte-rendu de la réunion du lundi 7 décembre 1981

Adoption des statuts de l’association Solaris

 

Daniel Lefebvre demande solennellement :

— “Alors quels sont donc les volontaires pour le poste de président ?”     et ajoute, un ton plus bas, peu rassurant : “C’est-à-dire celui qui ira en prison si des choses infâmes ou obscènes sont dites sur l’antenne.”

Quelqu’un précise :

— “Celui qui va assumer les responsabilités pénales...!”

 

En insistant bien sur le terme “pénales”, les conversations se calment d’un seul coup.

Rémy Adam (un des animateurs visiblement pas intéressé par le poste suprême, jette un coup d’œil rapide autour de lui) :

— “Alors, qui est-ce qui veut se proposer comme président ?”

 

Ayant bien compris que Daniel ne désire pas cumuler à la fois deux postes similaires de présidents, les regards convergent naturellement vers Paul-Yves, notre aîné (enfin, de si peu) :

— “Paul-Yves, tu veux être président ?”

Paul-Yves (à moitié surpris, il s’y attendait visiblement) :

— “Alors honnêtement, je vais être très sincère, si Daniel ne veut pas être président, je veux bien être président!”

Daniel : - “J’accepte pleinement, justement parce que, comme je l’ai expliqué tout à l’heure, je ne voudrais pas provoquer la peine de voir le journal* tomber et je souhaiterais personnellement que quelqu’un d’autre prenne la responsabilité de l’association (Solaris).”

 

L’assistance attentive suit la scène sans rien dire. Elle est soulagée et prend acte : la radio pourra continuer sereinement en toute légalité, mais cette fois sous l’égide d’une nouvelle association. A l’unanimité le président de l’Association Solaris est donc élu.

Paul-Yves : — “D’abord merci. Ce que j’aimerais, c’est qu’il y ait une répartition géographique des responsabilités, qu’il y ait, par exemple un secrétaire rouennais ou havrais... J’aimerais bien qu’il y ait aussi un vice-président pour une raison très précise, en cas d’absence de ma part, qu’il y ait quelqu’un derrière moi pour suivre la manœuvre...”

Daniel : — “En ce qui me concerne, je veux bien prendre le poste de vice-président.”

P-Y : — “... Quand on voyage et quand on n’est pas toujours là, ce n’est pas pratique de ne pouvoir suivre. Je sais qu’avec le secrétaire et le   trésorier, il n’y aura pas de problèmes mais autant qu’il y ait un vice-    président, cela fera trois personnes, ce ne sera pas plus mal. Si Daniel est vice-président, faites-moi confiance que le plus heureux, ce sera moi, je le dis bien volontiers.”

Daniel sera donc le vice-président. Avec satisfaction, on devine aisément que nos deux amis avaient discuté au préalable et s’étaient mis d’accord sur leurs décisions, ceci juste avant d’entrer dans cette salle. Il reste quand même d’autres postes à pourvoir. Paul-Yves se tourne maintenant vers Christophe, Jean-Paul et le second Daniel (Daniel Verdière) et déclare :

— “Bon maintenant il faudrait un Yvetotais, au hasard, comme secrétaire ou trésorier...”

 

Devant le peu d’emballement et les pseudo “protestations” de nos trois amis pour les postes proposés, invoquant soit un emploi du temps chargé, soit une phobie envers la paperasse, ce sont finalement Jacques (du Havre) et Mlle Dominique B. (de Rouen) qui acceptent les fonctions respectives de secrétaire et de trésorière. Le secrétaire sera chargé entre autres des formalités de déclaration de l’association à la préfecture. Celle-ci enregistrée le 24 février 1982 apparaîtra le mois suivant dans le Journal Officiel daté du 12 mars 1982.

Paul-Yves, du coup un peu déçu qu’un “autochtone” n’ait pas accepté un poste à responsabilités dans l’association, ne désarme pas et s’adresse de nouveau à “l’équipe d’Yvetot” :

— “J’aimerais quand même qu’il y ait un Yvetotais dans l’histoire.     Honnêtement, vous êtes sur place, alors que n’importe quel autre membre a un minimum de vingt kilomètres à faire...”

 

NB : Paul-Yves réside à Fécamp, Daniel Lefebvre à Cany-Barville et la plupart des membres sont originaires du Havre ou de Rouen.

 

Christophe : — “Il va falloir créer un poste pour Yvetot”. 

 

Par évidence car tous les postes précédents sont maintenant pourvus.

Daniel (Vice-Président) met tout le monde d’accord :

— “On peut le désigner comme membre du bureau, il aura la responsabilité technique de l’opération”.

 

Daniel (D. Verdière) et Christophe seront confirmés bien naturellement dans leur tâche de “responsables du matériel” ! Habitant à deux pas du studio et de l’émetteur, ce sera un avantage indéniable en cas de pépin technique ou simplement pour assurer devant le micro, le remplacement d’un animateur défaillant.

 

L’Association Solaris est enfin légalement constituée. Pour France Radio Club, la logique reprend ses droits, le club redevient, selon le désir de ses membres une simple association d’auditeurs. Quant à la station, à travers sa propre association Solaris, elle volera de ses propres ailes.

 

Serge, membre du bureau et journaliste au Courrier Cauchois, de même qu’Eric, du Progrès de Fécamp, s’interrogent :

— “Il est nécessaire de préciser de quoi est composé le patrimoine de départ de l’association parce que vous avez eu l’expérience avec France Radio Club récemment où les gens n’étaient pas d’accord, cela pourrait se renouveler ici prochainement...”

Daniel : — “Le patrimoine ? Il va falloir faire la liste de tout le matériel. Quant à l’argent versé par les membres, il est à “fond perdu” sauf pour un cas particulier, celui de Didier M. (un animateur havrais) qui n’est pas là aujourd’hui... Il a versé 10000 francs et il souhaite en récupérer une partie”...   (no comment !)  ;-)

 

La somme globale de départ constituée avoisine les 25000 francs environ (16000 F + 9 000 F en apport de matériel. [val. actuelle : 9 600 euros]

Le matériel apporté par les membres est considéré comme don à l’association, dans l’attente d’un équipement professionnel. Ce matériel modeste a quand même permis de réaliser les premiers programmes dans des conditions pas si mauvaises que cela, après tout.

 

Daniel : — “Pour terminer, j’ai noté quelques observations personnelles sur le fonctionnement de la radio qui vont permettre de définir une ligne de conduite à suivre pour l’avenir, même si celles-ci ne sont pas, bien sûr l’avis de tout le monde et cela sera soumis à votre assentiment...

J’ai trouvé que les infos locales dans les programmes n’étaient pas assez développées... Puisqu’on a la chance d’avoir un accord avec le Courrier Cauchois pour l’utilisation de leur journal au niveau de l’information, il serait bon de laisser le journal “au coin de la platine” et de regarder de temps en temps ce qui se passe le soir à Yvetot, Doudeville ou Fauville et de l’annoncer. Ce n’est pas à perdre de vue...”

Rémy : — “Encore faut-il qu’on ait les infos à temps”.

Daniel : — “Vous aurez le Courrier Cauchois sous la main”.

Dominique : — “En ce qui concerne la première émission, où d’ailleurs j’ai répondu “au type” qui a envoyé la super lettre (cf. plus haut), je n’avais que le programme super-condensé de Duchamp-Villon alors qu’ici, dans la région, on n’avait rien ; aucune nouvelle à annoncer.”

Serge : — “Dans ce domaine-là, pour l’information culturelle, il existe l’association pour l’action culturelle de Haute-Normandie qui diffuse une liste tous les deux mois sous forme d’un petit journal, il est possible d’établir une liste des programmes culturels sans trop de difficultés”.

Daniel : — “A ce sujet, Christophe a proposé que Serge soit nommé, par exemple délégué à l’information pour le fonctionnement de la radio.”

P-Y : — “Est-ce qu’à cinq heures, le soir, Serge ou Eric, vous pouvez passer un coup de fil pour annoncer s’il y a quelque chose de particulier?”

Christophe : — “Vendredi, Serge a apporté un bulletin avec les principaux titres de la région, c’est très bon, tu l’as passé...”

Serge : — “ça pourrait se faire à 19 heures. On est tous les soirs à 18 heures, à la gendarmerie pour les faits divers, s’il y a un accident, s’il y a des inondations ou des déviations. L’autre fois à Allouville (Allouville-Bellefosse, village à quelques kilomètres d’Yvetot, célèbre pour son chêne millénaire - NdA), la route a été coupée près d’une heure par un accident à 18 heures, les gens s’engageaient et restaient bloqués, cela provoquait un embouteillage terrible, ça c’est de l’information service.”

Christophe : — “Il y a aussi le vendredi des informations locales qui présentent les manifestations du week-end”.

Dominique : — “C’est ce que l’on fait dans “Bonbons et gourmandise”.

Christophe : — “A ce propos, il y en a qui ont demandé la raison du nom “Bonbons et gourmandise”, je ne la connais pas...”

Dominique (piquée au vif !) : — “Je leur ai répondu qu’ils n’avaient qu’à appeler ça “Flash infos”, c’est pareil !”  Et toc !

Un éclat de rire général salue cette évidence laconique puis la voix d’Eric vient au secours de Dominique et conclut :

— “Gourmandise, ce doit être quand tu vois un programme alléchant”.

 

Ensuite la séance s’achève avec des discussions diverses.

 

                                

Mais il faut penser à l’avenir. Côté “investissements”, le matériel d’émission a été la grosse priorité immédiate. Nos maigres seize mille francs d’apport ont été sérieusement entamés par l’achat de l’émetteur. Et encore nous avons pris l’équipement le moins cher, pas “bas de gamme”, mais presque ! Maintenant, comment trouver d’autres fonds pour faire tourner la station ? Pourquoi ne pas envoyer comme toute autre association, une demande de subvention aux communes situées dans notre zone d’écoute? Celui qui ne risque rien... Le manque de ressources impose très vite des limites à l’ambition car hélas, la publicité sur les ondes libres nous est interdite. Toutefois, on ne peut nous empêcher de citer sur l’antenne le nom d’excellents commerçants partenaires! Moyennant dix francs, l’auditeur peut trouver dans les magasins cités à l’antenne, le poster de la station et devenir membre de l’association. Le poster, œuvre réalisée par Pierre, édité par les soins de la Bénédictine et de son imprimerie interne, représente un transistor géant où s’affairent des lilliputiens, censés représenter l’équipe (chacun tentera de se reconnaître dans les caricatures), en train d’astiquer, de fignoler les réglages d’un récepteur géant. Les commerçants “complices” reçoivent les clients et sont étonnés d’en accueillir de nouveaux, venus d’assez loin pour réclamer le poster et s’inscrire sur la liste des membres de l’association. Le poster numéroté va permettre en outre, de participer à un tirage hebdomadaire doté de places de cinéma offertes par les différentes salles de projection de la région. Ces nouveaux clients provoquent un modeste coup de fouet et un tel afflux que d’autres commerçants désirent eux aussi grossir la liste de nos dépositaires. La pub sur une radio locale, ça marche !     L’attrait de la nouveauté radiophonique déferle sur tout le territoire du pays de Caux : de Duclair à Tôtes, de Fécamp à Caudebec, de Yerville à Goderville, partout la région prend conscience des perspectives offertes par la présence d’une radio locale.

 

 

Les radioélectriciens eux aussi se frottent les mains. Jamais ils n’ont vendu autant de postes avec “Modulation de fréquence” ces derniers temps. Avant, cela n’avait que peu d’intérêt ! Un bémol à cet enthousiasme, on peut regretter toutefois que notre station n’ait guère profité de cette embellie commerciale. Aucun geste en retour, de soutien financier n’est venu récompenser et saluer notre initiative de relancer la vente des transistors en pays de Caux ! Ingratitude ou discrétion toute cauchoise ?

 

Parmi les fans enthousiastes, certains de passage à Yvetot viennent régulièrement faire le plein de provisions. Après leur marché, certains ont pris l’habitude de venir nous rendre visite à la station. Pour ne pas arriver les mains vides, ils profitent en même temps de se débarrasser de leurs vieux 45 tours (cf plus haut). ça peut toujours intéresser ! Surtout ne voyez aucun mépris de notre part, c’est le geste qui compte ! Un des dépositaires de nos affichettes a même promis d’apporter à l’équipe du matin un thermos de café chaud. Chouette, riche idée ! Mais la joie des animateurs s’est vite figée lorsque le personnage est arrivé à la station et a commencé à verser son breuvage dans les gobelets. Celui-ci d’une couleur marronnasse avait dû séjourner dans une ancienne bouteille... de lait, probablement mal rincée ! Bizarre, il n’y a pas eu beaucoup d’amateurs de petit noir (ou de petit brun), ce matin-là !

 

Des actions de promotion sont décidées dont les bénéfices permettraient de s’offrir un émetteur un peu plus puissant. Par exemple, l’idée d’organiser un concert de soutien à notre station trotte dans la tête de nos dirigeants. Cela est envisagé le dimanche 3 janvier 1982 au Théâtre Municipal de Fécamp, avec la présence bénévole de divers groupes de musiciens de la région, enthousiastes à l’idée de supporter la station. De plus, et surprise de taille, on annonce la venue en personne de Laurent Voulzy ! Belle accroche promotionnelle pour remplir la salle !

Notre tout premier studio

 

Le studio actuel, installé dans la réserve du magasin de Christophe, est tout petit et heureusement provisoire. De retour à Yvetot, en ce dimanche midi, pour l’émission de “Sixties”, j’aperçois sur le toit de l’immeuble de la rue Guy de Maupassant, un tube métallique flambant neuf, très court, vu d’en bas. L’illusion est trompeuse car il fait tout de même huit mètres de longueur ! Il est attaché fermement le long d’une cheminée, et supporte à sa partie supérieure deux dipôles d’émission Sherman orientés plein nord-ouest, direction Fécamp. Le tout culmine à une vingtaine de mètres de hauteur. Descendu au sous-sol, j’arrive dans le cœur de la station, la “caverne d’Ali Baba”. Paul-Yves est au micro depuis 10 heures ce dimanche matin, le casque sur les oreilles. Il se fait appeler Paul “DOM”, une manière comme une autre de nous rappeler le texte de l’étiquette collée sur les flacons de Bénédictine, la liqueur fabriquée non loin d’ici dont il est le digne représentant. En pays de Caux, la radio par tradition a toujours eu un petit goût de liqueur et cela depuis les débuts de la TSF à Fécamp. Il présente son émission dominicale “D.O.M. on the Rocks”. Aujourd’hui, nous parlerions de pub mais en ces premiers jours de Radio Solaris, il ne faut surtout pas prononcer ce mot tabou, car la réclame est interdite sur les radios... “libres”. Un comble !

Paul, fécampois d’origine, président de l’association Solaris, est un passionné de musique, ses goûts sont éclectiques, a-t-il confié dans son interview donnée à la presse locale. Spécialiste de rock des premières années, il a pris l’habitude à travers le micro, de ne s’adresser qu’à un seul auditeur imaginaire et anonyme, en le tutoyant : “Après les Shadows, spécialement pour toi, tu vas aimer ça, j’en suis sûr, voici les Chats Sauvages...” De plus, il sera bientôt célèbre dans toute la région pour chanter en accompagnant les chanteurs, prêt à leur souffler les paroles s’il le fallait, le micro... largement ouvert. Cette exubérance pétulante est diversement appréciée par une poignée d’auditeurs... pointilleux, on va dire ! On le lui fait remarquer que ce n’est pas très correct. Il le sait, mais il n’en a cure. Qu’importe, il aime trop ça ! Alors, pourquoi se priverait-il ?

Faisons maintenant un tour d’horizon (rapide) de cette cave qui n’est que la réserve du magasin d’électroménager situé au-dessus de nos têtes, au rez-de-chaussée. L’équipement de ce studio de fortune improvisé est sommaire. Il s’agit du matériel mis à la disposition de l’association par Christophe, maître des lieux. Au milieu d’un large plateau de bois soutenu par deux tréteaux, il y a une minuscule table de mélange, la fameuse petite BST à 5 entrées, bien connue des premiers “radioteurs”. Installées de part et d’autre, on trouve deux platines disques flambant neuves Akai, encore pourvues de leurs couvercles en plexiglass impeccables, grands ouverts. Munies de têtes de lecture “Ortofon” (trop fragiles pour un usage intensif à la radio), ces platines sont excellentes pour constituer une chaîne hi-fi de salon mais l’entraînement par courroie qui caractérise ces platines, n’est pas adapté au démarrage instantané (départs trop lents), indispensable en radio pour réaliser des enchaînements corrects sans temps mort ou “blanc”. Ici, le coup de poignet pour accélérer le disque au démarrage doit être savamment dosé.Trop ferme ou pas assez, les intros musicales deviennent vite désastreuses avec un pleurage d’enfer. Bref, la honte totale ! En attendant d’être équipés de platines disques adaptées, Rod et Pierre ont mis au point une astuce pour pallier l’épineux problème des démarrages. (cf page 110)

 

Les CDs sans doute plus faciles à utiliser n’apparaîtront qu’à la fin des années 80, hélas bien trop tard pour en doter la station. N’oublions pas le premier micro BST, sa fameuse pile intégrée d’1,5 volt et son interrupteur-piège (on en reparlera). Ajoutons les deux platines cassettes Akai destinées aux jingles-maison, la plupart fabriqués par Rod. Dans chaque boîtier de cassettes “bon marché”, il a substitué la bande magnétique par une autre de meilleure qualité, d’une longueur de quelques secondes, équivalente à la durée du jingle. Du bidouillage en quelque sorte. Les voix chantées, véritables talents vocaux qui s’ignoraient, sont celles des filles et des gars de l’équipe, faute de mieux, ne disposant pas de vrais choristes et d’orchestres sous la main ! Rod le confirme : “Nous utilisions les intros des groupes Sparks, Ted Nugent, ZZ Top, Marianne Faithfull, entre autres !”

Certains jingles d’origine anglaise ou américaine proviennent des catalogues de France Radio Club, inutile d’aller chercher bien loin! Une trentaine de cassettes ainsi montées, à la libre disposition des animateurs, sont alignées et occupent le mur entier de la cave, accrochées à des clous parmi les posters. Impressionnant! Le jingle, “virgule musicale” méconnue en France, nécessite de mettre en garde les jeunes animateurs - et quelquefois les plus aguerris ! - tentés d’en intercaler trop souvent, pour ainsi dire entre chaque disque. Toujours abuser de ce qui est nouveau : la règle de l’art préconise “un” seul jingle avec identification de la station toutes les 15mn. Les vrais DJs le savent ; tout au moins ceux de 1981.(5)

 

Nous sommes le dimanche 22 novembre 1981 : cela fera une semaine que Radio Solaris émet. Continuons la description de notre studio. N’oublions pas l’indispensable casque branché sur la table de mélange, pour la pré-écoute et le calage du disque suivant. Pas d’ampli studio, le retour se fait sur une enceinte connectée à un transistor dont l’aiguille du cadran est bloquée sur 101 MHz.Il vaut mieux ! Ce qui a l’avantage de vérifier instantanément le bon fonctionnement de l’émetteur. L’animateur entend la même musique que l’auditeur écoute simultanément, derrière son récepteur ou son auto-radio. Près de la porte d’entrée, l’émetteur trône sur des étagères métalliques. Cette fois, le pilote et l’amplificateur linéaire, “fruits” de notre escapade à Paris, sont bien en action. Les roues crantées faisant office de fréquencemètre affichent le nombre “101”, pour “101 MHz”, la fréquence d’émission. A côté, sur le panneau de façade, une alignée de leds clignote au rythme de la musique, preuve qu’il est en train de transmettre. Sur l’étagère inférieure, l’ampli HF est correctement réglé : l’aiguille stable de son wattmètre indique la puissance émise 100 watts. Elle ne pénètre pas dans le rouge. Preuve que ce matériel fonctionne comme une véritable horloge! Ceci est confirmé par le bruit de fond régulier et rassurant des ventilateurs. Le ronronnement conjoint des deux “machines” couvre à peine le fond musical. Toutefois, à l’ouverture du micro, les auditeurs attentifs le perçoivent. Heureusement la cohabitation forcée studio et émetteur n’est que provisoire. Un câble d’antenne de cibi (Ø 15 mm) s’échappe de l’arrière de l’ampli, atteint le soupirail entrouvert et parvenu à l’extérieur, grimpe le long du mur directement sur le toit, rejoindre les deux dipôles aperçus là-haut en arrivant. Dans notre studio, en suivant du regard ce coaxial disparaître dans ce rectangle de ciel, c’est impressionnant de songer qu’à cet instant précis, des centaines, peut-être des “milliers” de Cauchois aux alentours (on a le droit de rêver, non?), captent ensemble une infime part d’énergie invisible qui s’échappe là-haut. Les ondes festives de Radio Solaris inondent le pays de Caux! Jusqu’à présent, la radio n’était l’affaire que d’une élite parisienne.Avec la revanche de la province sur Paris, cette fois la donne est changée ! Baignant en totale béatitude, ce que nous, provinciaux, n’osions à peine croire il y a juste quelques semaines, vivre dans l’ambiance musicale, partager l’atmosphère d’une véritable station de radio, être utiles à sa région et ses habitants, tout cela est en train de se concrétiser.

 

 

 

 

 

Chapitre 1982

 

 

 

Premiers contacts avec le public cauchois - Installation d’un studio au centre d’Yvetot - La puissance d’émission passe de 100 à 400W - Pose d’une antenne de 35 mètres - Maxi-soirée au New Club de Grémonville - Les Tops horaires

 

 

La grille de programmes s’étoffe

 

Le grand concert de soutien au profit de la station a donc lieu cet après-midi, le dimanche 3 janvier 1982 au Théâtre Municipal de Fécamp. La radio espère beaucoup de cette journée : d’abord pour apprécier un premier contact avec le public et mesurer le résultat de nos premiers efforts. L’autre raison est bassement matérielle, chacun espère que le spectacle va provoquer une recette confortable nous permettant d’acquérir un équipement beaucoup plus puissant dont les Fécampois, tout de même, seront les premiers bénéficiaires. Mais pourquoi Fécamp en particulier? Parce que les conditions de réception de la FM dans cette ville nichée au creux des falaises sont médiocres, voire inexistantes. Le modeste signal de notre émetteur de 100 W présent sur une bonne partie du plateau de Caux s’évanouit brutalement dès l’amorce de la descente sur Fécamp. Les ondes courtes ne se propagent qu’en ligne droite et le moindre obstacle coupe leur élan. La ville représente un auditoire potentiel de 25000 auditeurs. Peu de Fécampois peuvent entendre Radio Solaris et ici ne parvient pour l’instant aucune autre radio, à l’exception des grandes ondes (RTL, Europe 1...) et des postes anglais en AM.

Il y a au moins deux cents personnes cet après-midi dans la salle.Plus peut-être. Dans cette foule d’amateurs de musique, on trouve des jeunes en majorité mais aussi des moins jeunes. ça, c’est surprenant. Tous sont venus participer à la grande fête. La présence des seniors dans l’auditoire de la radio donne à réfléchir. Pour l’instant c’est vrai, les programmes de Solaris sont plutôt axés autour des 15-35 ans. En attendant, sur la scène du vieux théâtre fécampois, un très beau plateau d’artistes compose le spectacle comme “Les Revenants”, une formation rouennaise de rockabilly, le rock des années 60 revu façon années 80 ; “Lee Roy’s Band”, spécialistes de musique pop anglaise des années 70; “Déjà vu” un groupe fécampois de country-rock. Enfin, le chanteur très populaire ici, Michel Deshays, fortement acclamé qui ne s’attendait pas à un tel accueil, comme il l’avouera lui-même à l’issue du spectacle. De ce fait, les spectateurs ont oublié l’absence d’un certain Laurent Voulzy dont, c’est vrai, la présence était annoncée “sous réserve” sur l’affiche promotionnelle. Les spectateurs n’étaient pas là spécialement pour lui, contrairement à ce que nous pouvions supposer. La semaine suivante, les deux journaux locaux, par l’intermédiaire de leurs représentants Eric et Serge, ont couvert généreusement l’événement avec quelques photos.

 

Pendant ce temps, là-bas à Yvetot, la grille s’élargit. Au bout de deux mois d’existence, ce sont quarante-trois heures hebdomadaires d’émissions qui sont désormais diffusées. La grille de la semaine en ce début 1982 se compose ainsi: lundi, 17 heures, les programmes démarrent avec “Jazz magazine” présenté par Jean-Paul. Pianiste de jazz et animateur de cette première heure, Jean-Paul tient un commerce d’instruments de musique et de disques dans le centre d’Yvetot, autant dire qu’il ne manque pas de matière première pour agrémenter son émission. Attiré aussi par le classique, il espère voir bientôt figurer dans la grille des programmes une émission consacrée à cette forme de musique.

 

Après une heure laborieuse - enregistrée à domicile, sur cassette dans un premier temps - consacrée aux sixties et animée par votre serviteur, place à “Tropiques” dans laquelle Catherine, d’une douce voix enchanteresse, présente un programme dédié à la musique sud-américaine et plus particulièrement brésilienne (bossa-nova, salsa, samba...) Plus tard, le nom de son émission se transforme en “Mi Amigo”. Bien entendu, ce titre n’a aucune relation musicalement parlant avec la célèbre radio pirate belge dont le format musical et surtout le style d’animation nous ont sûrement inspirés pour créer Radio Solaris ! Catherine anime jusqu’à minuit. Ensuite l’émetteur est coupé pour la nuit. 

 

Mardi 17 heures : dès le retour à l’antenne, “Non stop music” fait la part belle aux artistes français sans pour autant négliger les variétés internationales. Néanmoins le titre est trompeur. En jargon radio, l’expression “non-stop” désigne logiquement une plage musicale ininterrompue sans intervention parlée, d’où ce terme. Bien qu’ici une voix, celle de Daniel, est présente? Musicien batteur dans un grand orchestre régional, Daniel Verdière, passionné de musique et de son, est un personnage primordial dans le fonctionnement de la station. Responsable avec Christophe de la partie technique, il met l’émetteur en route chaque après-midi à 17 heures, selon une procédure rigoureuse et méthodique. D’abord, allumer le matériel studio, ensuite l’amplificateur de puissance de l’émetteur. Toujours dans cet ordre. Attendre que ce dernier monte lentement en température. Enfin après quelques minutes, c’est au tour de l’émetteur proprement dit. Si cette procédure d’allumage n’était pas scrupuleusement respectée, il faudrait craindre des conséquences dramatiques, autant dire funestes pour le matériel d’émission. Bref, si pareille catastrophe survenait, cela signifierait pour Radio Solaris d’être condamnée au silence forcé pendant une éternité ! Un écriteau placé en évidence a été placardé auprès des blocs-interrupteurs pour rappeler le respect absolu de ces consignes. évidemment en fin d’émission, la procédure est inversée! Lorsque la grille des programmes deviendra plus consistante, la décision sera prise de laisser le matériel sous tension 24 h/24 afin d’éviter toute manœuvre fatale ! L’excédent de consommation électrique qui en résultera, sera d’ailleurs peu significatif. Avec l’oreille de l’expert rivée sur un transistor, jour et nuit, Daniel écoute, contrôle le son, fignole ses réglages en prenant garde de ne jamais casser la dynamique du signal.Il ajoute ce qu’il lui faut de densité, sinon le son resterait plat, terne et sans vie. D’ailleurs, pendant toute la vie de la station, Daniel passera beaucoup de temps à comparer le son émis par Radio Solaris avec celui de RVS, la radio rouennaise “rivale” - ce n’est pas par obsession mais c’est une référence (?) selon lui, du seul point de vue technique, on l’espère ! Ce soin particulièrement attentif, s’il permet à coup sûr de créer l’identité sonore de notre radio, laisse croire à beaucoup de monde que Solaris possède un émetteur musclé, puissant, un rudement bon matériel et... ce qui est vrai, un excellent technicien ! Quand il ne traîne pas autour de l’émetteur, on le retrouve une fois de plus devant le micro avec son compère Jean-Paul, chaque mercredi pendant une heure pour “Solarisques et périls”. A eux deux, l’émission dépeint successivement une musique de film, un groupe musical, un chanteur français et pour conclure, une séquence instrumentale.

 

Le mardi soir, Michel Montchaussée propose “Night flight to Venus”, une heure de refrains récents, enregistrée sur cassette C120 depuis son domicile en région parisienne aménagé en studio de radio. Pour info, la face B de la cassette contient une seconde émission, celle qui sera diffusée la fois suivante. Michel n’est venu qu’une seule fois en Normandie, voir les studios d’où partent ses émissions qu’il réalisera bénévolement pendant plusieurs années pour Radio Solaris. Régulièrement à la station, nous recevions un colis de la part de Michel, contenant ses prochaines cassettes soigneusement datées et étiquetées. A cet effet, il dispose chez lui d’un studio quasi professionnel lui permettant de réaliser ses émissions en “semi-direct” pour apporter plus de spontanéité, en les truffant d’échos et d’effets sonores extravagants. Son show bi-hebdomadaire prendra ensuite le nom de “Flipper” et sera programmé à des horaires variés les lundi et mercredi, en fin d’après-midi.

Le mercredi, à 19 heures, Sylvain propose “Sylvain est tiré, faut l’boire”. Excellent calembour ! Tout un programme. Une émission forcément pleine de décontraction, à consommer sans modération comme vous le pensez !

 

Une radio de proximité peut s’écarter de sa ligne musicale pour servir d’autres trésors sonores à ses auditeurs. Ainsi Gilles, un garçon passionné de folklore cauchois présente “Cauchoiseries” une série de chroniques qu’il consacre aux traditions de la vie quotidienne du début du XXe siècle dans le pays de Caux. On peut toutefois regretter qu’il ne subsiste aujourd’hui aucune trace enregistrée de ses émissions. La toute première avait pour thème : “Le cidre”. Un programme pétillant, pour une région de connaisseurs ! La suivante était “Les traditions du mariage en pays de Caux”. Chaque émission révèle un vrai petit chef d’œuvre. L’accompagnement musical, il va de soi, est constitué de chants et de musique traditionnelle normande. “Cauchoiseries” est composée de beaucoup d’extraits sonores qui ne facilitent pas une diffusion en direct: la lecture des récits et l’enchaînement des diverses séquences sonores seraient trop complexes à réaliser seul devant le micro, compte tenu du matériel sommaire dont nous disposons à l’heure actuelle. Gilles doit venir tôt le mercredi matin, préparer ses textes et monter son émission dans le calme du studio encore désert, avant que les émissions régulières ne démarrent à 17 heures comme chaque jour de la semaine. La cassette “Cauchoiseries” est ensuite diffusée le jour même, en début de soirée.

Prochainement, le mercredi justement, une émission préparée par Philippe Thomas et Maurice, deux nouveaux venus sur les ondes de la      station, occupera le nouveau créneau 14-17 heures avec rien de moins qu’un hit-parade destiné aux jeunes auditeurs. Tout un programme ! On aura l’occasion de reparler un peu plus loin de Philippe Thomas et de son empreinte personnelle sur les programmes à venir de Radio Solaris.

 

Ensuite, Jean-Pierre qui se révèlera excellent intervieweur, soit dit en passant, invitera les auditeurs dans “Dites 33” et donnera sa chance à un album passé inaperçu. Mais plus du tout inconnu désormais pour les auditeurs de Radio Solaris en tout cas !

 

Le jeudi, Didier Marlay propose “Music Power”. Didier a derrière lui cinq années d’animation itinérante à travers la région, ce qui lui procure une certaine habileté à tenir le micro. La recette de son programme sur Solaris est très simple. Quatre séquences composent toujours son émission: rock, reggae, salsa, ensuite country. Puis il termine avec les nouveautés “devant faire un malheur en discothèque !” selon lui. C’est tout dire.

 

Le vendredi, samedi et dimanche sont “Gravés au burin” : Pierre, vieux briscard des ondes, ex-DJ clandestin sur EuroWeekend Radio et sa musique “qui bouge”, tranche bruyamment avec le reste de la grille. Encore un spécimen d’animateur bercé à la sauce pirate. Pierre est par ailleurs l’infographiste de la station. On lui doit le logo de la station, les maquettes d’autocollants, les affiches, les T-shirts et les petits dessins humoristiques qu’il griffonne sans cesse sur un coin de table en attendant son tour de passer au micro. Des caricatures que l’on retrouve un peu partout, scotchés au mur dans les locaux. D’ailleurs trente ans plus tard, certaines de ses œuvres sauvées de la corbeille à détritus se retrouveront, comme le hasard fait bien les choses, publiées sur les pages web du site officiel de Radio Solaris !

 

A 19 heures le vendredi, a lieu l’émission d’informations culturelles “Bonbons et Gourmandise”, un titre alléchant dont personne ne connaît vraiment la signification exacte, pas même Dominique, sa présentatrice. Durant cette heure, un bulletin d’informations est lu à l’antenne. Rédigé pour nous par l’hebdomadaire Le Courrier Cauchois associé à la station à cette occasion, seuls les principaux titres de l’actualité locale sont repris. Si l’auditeur désire lire les articles dans leur intégralité, cela ne vous échappe pas, il lui suffira d’acheter le journal ! En supplément, des informations de proximité venant d’associations diverses, des avis à diffuser fournis par quelques municipalités complaisantes, les programmes des salles de cinéma, les communiqués de presse émis par la centrale de Paluel et même les dates de ramassage des ordures ménagères (ça c’est de l’info locale pratique !) sont lus à l’antenne entrecoupés par un programme musical des plus variés : Mike Oldfield, Status Quo, Françoise Hardy, Jacques Dutronc, Isabelle Mayereau...

 

NdA : certains de nos détracteurs reprochaient que seuls des disques anglo-américains étaient diffusés dans “Bonbons et Gourmandise” ! A la réflexion, je me demande si cachée derrière ces titres en anglais, on ne devrait pas parler d’intrusion transalpine: rappelez-vous tous ces tubes de crooners italiens (disco, etc).

 

Faut-il le préciser, c’est Pierre qui mène la technique d’un train d’enfer. Parmi toutes les émissions de Solaris, ce rendez-vous hebdomadaire d’information au titre intrigant de “Bonbons et Gourmandise” semble faire l’objet d’une fixation particulière chez certains correspondants et susciter beaucoup d’intérêt dont quelques critiques. Outre le choix plus ou moins contesté des disques diffusés pendant cette heure, la voix caractéristique de la présentatrice ne passe pas inaperçue. Devant le micro, Dominique a juste une particularité qui peut rebuter les auditeurs du pays de Caux : elle est très volubile. Trait de caractère assez peu répandu chez nos concitoyens, vous en conviendrez ! Dès son arrivée dans la région, il y a quelques mois, elle avait pu en faire l’amère constatation. Sa voix “haut perchée” jugée pleine d’emphase selon 2 ou 3 correspondants agacés, a très vite été cataloguée : “Elle en fait des tonnes”. Bien sûr, ceci est loin de l’affecter: “Mon accent lyonnais ne facilite pas mon intégration en pays cauchois” ironise-t-elle, sans oublier après un “bof” de dépit, d’effectuer un large geste de la main, au-dessus de sa tête, comme pour signifier “Rien à cirer !”

 

Rajout en 2011 : à propos des communiqués de presse émanant de la centrale EDF de Paluel, le grand débat sur le “nucléaire” n’était pas d’actualité comme il l’est devenu de nos jours. Toutefois l’opinion publique avait déjà été sensibilisée par les spectaculaires manifestations de 1980 marquant le refus des habitants de Plogoff (Finistère) de voir implanter une centrale sur leur commune. Rien de tout cela chez nous : les Normands se sont montrés impassibles et moins réactifs que les cousins bretons. C’est sûrement pourquoi nous sommes si bien pourvus question centrales nucléaires en Normandie où les “retombées” (humour noir!) financières et sociales, sont déterminantes. Quant à Radio Solaris, nous lisions ces communiqués d’avancement des travaux de construction et de mise en route des installations de Paluel en toute innocence, trop fiers d’avoir une info locale à lire entre deux passages de disques sur notre antenne. On peut le supposer : certains animateurs de radios libres de nos jours, seraient moins candides que nous l’étions, à l’idée de  lire ces annonces qui feraient sûrement l’objet de débats houleux dans leur équipe. Mais cela ne vous a pas échappé, on ne parle plus de “radios libres” aujourd’hui.

 

A 20 heures, c’est Rod Elby (on peut maintenant le dénoncer, il y a prescription, son véritable prénom, c’est André !), jeune employé de banque à Rouen, il attend lui aussi le week-end avec impatience. La radio est sa seconde nature. Ex-DJ d’EuroWeekend Radio, chacune de ses émissions est soigneusement préparée : les disques, les noms des chanteurs ou des groupes, les durées précises de chaque titre qu’il va diffuser, sont choisis consciencieusement au cours de la semaine (durant les pauses de travail évidemment !). Sur Radio Solaris, l’album de la semaine, c’est lui qui s’en charge. Par la suite, on lui devra le “Coup de Soleil”, une chanson élue parmi les nouveautés, pour être diffusée à chaque début d’heure pendant une semaine entière jusqu’au week-end suivant. Bon, les mauvaises langues ne manqueront pas d’appeler ça du matraquage...

 

Spécialiste de rock progressif et d’un zeste de hard rock, Rod nous fait découvrir entre autres Thin Lizzy ou ZZ Top, ses groupes fétiches, chaque vendredi et samedi soir. Le tout premier “Rod Elby Show” a lieu le vendredi 20 novembre 1981 ! Pour introduire son show, Rod utilise comme indicatif, le titre de David Gilmour, à réécouter ici :  “It’s deafinitely”.

 

A 22 heures, Florent, un jeune commercial de la région rouennaise prend le relais avec “Time of your life” son émission de variétés internationales. Florent peut se vanter d’être la première voix entendue sur les ondes de Radio Solaris “en boucle”, avec celle de Christophe, à la mise sous tension de l’émetteur, au cours des premiers réglages. Le message avait été enregistré au préalable dans le studio personnel de Didier Marlay à Sotteville-lès-Rouen, quelques jours avant les premiers tests.

 

Le samedi de midi à 14.00, le très cool Jacques présente “Bon appétit” au cours duquel, il propose tous styles de musique et particulièrement des groupes étrangers. Jacques est aussi le secrétaire de l’association. A lui de répondre au courrier des auditeurs. Si je dis “très cool”, cette anecdote va vous le confirmer : un samedi midi, en pleine discussion passionnée hors antenne avec des membres présents de l’équipe, Jacques est nullement surpris par la fin impromptue de l’un de ses disques. Plutôt que de lancer en catastrophe la chanson suivante pour abréger le temps mort inattendu sur les ondes (en jargon radio, ça s’appelle “un blanc”), sans se départir de son calme, il s’applique à “caler” consciencieusement  le 45 tours très méticuleusement, de façon à démarrer celui-ci sur la première note selon la règle de l’art, devant ses collègues médusés qui se rongent les ongles! Alors que n’importe lequel d’entre eux bien paniqué, aurait jeté le bras de lecture au jugé sur le disque en train de tourner pour abréger les secondes de silence qui s’éternisent côté auditeurs, chez eux bien évidemment morts d’inquiétude !!!

 

Plus tard dans l’après-midi, la valeur n’attend pas le nombre des années: Emmanuel, jeune recrue originaire de Dieppe, si je me souviens, présente “Trou noir”. Aucune allusion au “blanc” évoqué juste avant, car il s’agit-là d’un programme panaché de hard rock, de new wave, de jazz et de chanson française. Un large éventaire ! D’office, Emmanuel a écarté le funky et le disco abondamment dispensés à d’autres heures ! Donc, son émission a du caractère, ce que personne ne songera à lui reprocher. Hélas, blessé sévèrement au cours d’un accident de la circulation, Emmanuel mettra un terme à sa brève carrière d’animateur de Solaris d’à peine quelques semaines. On ne le reverra plus jamais à la station. Pour assouvir une passion radiophonique, il est vrai que la      distance à parcourir de Dieppe à Yvetot, n’est pas franchement idéale.

 

Le samedi à 22 heures, “Version française” est préparée par Christophe. Notre deuxième voix par ordre d’apparition, entendue sur 101 MHz, invite au moment des tests de démarrage, les rares auditeurs à faire part de leurs conditions de réception et les prie d’appeler directement le numéro de téléphone qui n’est autre que celui de son magasin. Technicien de la station, c’est donc du domicile de Christophe que partent les émissions de Radio Solaris jusqu’à cette date importante du 18 janvier 1982, le jour officiel où la station sort de sa cave pour émigrer vers des locaux mieux adaptés. Du point de vue animation, Christophe préfère la vraie chanson française “à texte” (pléonasme, non ?). Grâce à lui, Georges Brassens, Jacques Brel, Francis Cabrel, Francis Lalanne se  succèdent sur cette antenne. Avec la complicité de Daniel Verdière, Christophe a créé la toute première émission de dédicaces. Malgré un choix encore limité de titres dans notre discothèque pour le moment, l’expérience se montre concluante et vu le succès remporté auprès du public, aura le mérite d’être renouvelée dans un proche avenir. Cette démarche qui amorce les premiers contacts téléphoniques avec les auditeurs, permet de connaître s’il y a vraiment du monde à l’écoute derrière les transistors. Fort heureusement, d’après le nombre d’appels reçus, il semble que ce soit le cas. Voilà qui réchauffe le cœur de constater que nos efforts commencent enfin à porter ses fruits. En même temps, ces premiers contacts concrets avec les auditeurs ne manquent pas d’accroître un trac naissant pour la plupart d’entre nous, avec l’augmentation du nombre d’appels ! Il est déjà loin le temps de la clandestinité et de nos animations confidentielles effectuées à partir de notre grenier.

 

Le dimanche matin, vous connaissez déjà Paul et son émission de rock n’roll “D.O.M. on the rocks”. Puis, entre midi et 13 heures, les auditeurs âgés ne sont pas oubliés car ils ont rendez-vous avec “Chansons Rétros” présentées par Joël, un Yvetotais chaleureux pour qui la radio représente vraiment une passion. Il n’est pas le seul ! On reparlera de Joël un peu plus loin au cours de notre récit car le dimanche, dès l’aurore, verra bientôt le retour de l’accordéon à la radio, afin de respecter une certaine tradition française ! La grille dominicale de Solaris sera modelée en conséquence pour offrir aux auditeurs les airs de “piano à bretelles” dont certains raffolent ! Inutile de vous dire que Joël sera “volontaire” désigné parmi les animateurs pressentis, pour accomplir cette tâche, même s’il lui faut sacrifier ses grasses matinées dominicales! Du fait de ces changements, je me suis vu proposer la reprise de l’émission rétro dont le titre est devenu pour la circonstance “Chansons d’hier” en mêlant des titres d’avant-guerre avec ceux des années 50s. Plusieurs virées chez les disquaires rouennais me permettent de constituer une discothèque rétro digne de cette émission. A moi les Tino Rossi, Mistinguet, Charles Trénet, Maurice Chevalier, André Claveau, Lucienne Boyer, Berthe Sylva, Rina Ketty... Cela va me changer de mes groupes anglais des 60ies et 70ies dont je fais ma spécialité à d’autres moments. Les chansons rétros sont la plupart du temps, des vieux succès réédités sur des albums de compilations ou bien ce sont carrément les disques d’origine d’époque, de vénérables 78 tours cassants et très  fragiles. Il s’agit de manier ces trésors antiques avec un soin extrême. Faire du “démarrage instantané” avec ces galettes est devenu pour moi une totale loufoquerie, car il faut poser le bras du tourne-disques trois tours en arrière afin de laisser sa chance au plateau d’atteindre sa vitesse nominale de 78 tours/mn, au moment précis où les premières notes vont retentir. Attention au pleurage! Pour minimiser les risques, j’ai lesté le bras de lecture avec de la menue monnaie scotchée au-dessus de la cellule pour la maintenir dans le creux du sillon. Cela n’arrange ni les disques ni la cellule mais les 78 tours étant déjà bien usés... Les jingles que j’utilise ne datent pas des années 40s car ce sont nos ritournelles “Solaris... flashback !” et quelques autres spécimens déjà connus qui retentissent bizarrement parmi ces succès démodés. Cela produit un son diablement anachronique qui ne manque pas d’éberluer les visiteurs impulsifs ou faussement candides qui effectuent ce dimanche matin (en 5 mn chrono!), un bref passage sur notre fréquence, juste pour “se faire une idée”, intimement convaincus que “Solaris est bien une station arriérée qui ne diffuse que des vieilleries... à longueur de journée!” Ces ragots sont authentiques, on me les a rapportés! Leur ironie aurait pu être décuplée, si j’avais poussé le vice à parodier la voix rocailleuse des speakers de TSF des années 30 qui roulaient les “r” exagérément : “Allo, allo... Ici Rrrradio Solarrris, cherrrs z-auditeurrrs, vous allez entendrrrre...”

 

Fort heureusement, les mamies et les papys Cauchois plus complaisants à notre égard, en veulent toujours plus, si l’on considère le volume croissant des lettres reçues chaque semaine pour cette heure de “Chansons d’hier”. Un courrier de stars ! C’est vrai qu’on a l’impression de répondre à un besoin, celui de se soucier des auditeurs “seniors” dont l’appétit musical toujours intact est malheureusement ignoré, volontairement des radios actuelles, publiques incluses, toutes gangrenées par l’obsession du “jeunisme”. Ah, j’allais oublier, cette émission dominicale est enregistrée, au vu de la manutention de disques 33/78 tours qu’elle exige. Il serait impossible de pratiquer une pareille gymnastique “en direct”, à cause de la fragilité des 78 tours qui se brisent comme du verre. De toutes façons, les platines-disques Technics qui équipent la radio à Yvetot sont inadaptées. Une chance, le studio annexe de “Chansons d’hier” en lointaine banlieue rouennaise est équipé en conséquence !

 

L’après-midi dominicale se poursuit : Laurent, encore un ancien d’EuroWeekend Radio, propose “Osmose musicale”. On entend  des gens comme Jacques Higelin, Bernard Lavilliers... Mais sa passion comme tant d’adeptes à la station, c’est le hard-rock ! Rappelons que Laurent est “l’inventeur” officiel de l’appellation de la radio: “Solaris” ! Hélas pour lui, il ne percevra aucunes royalties, chaque fois que le nom de la station sera prononcé.

 

Après Laurent, c’est au tour de Françoise de s’emparer du micro. Françoise est la plus jeune animatrice de la station puisqu’elle n’a que 16 ans. C’est la sœur de Dominique mais contrairement à son aînée, elle ne possède pas la pointe d’accent lyonnais ! A travers son émission intitulée “Plaqué or”, on devine que Françoise est attirée par les chanteurs romantiques (Angelo Branduardi entre autres...) et les chansons françaises “à texte”. Elle aussi, est persuadée que le texte dans une chanson, a plus d’importance que la musique. Soit...

 

Dimanche 20 heures : la radio reçoit Rémy Adam, un autre “professionnel du micro”, spécialisé dans l’animation de quinzaines commerciales et opérations promotionnelles dans les super et hyper-marchés entre autres. Ses “Rétro-folies” attirent la participation active des auditeurs. Au cours de l’opération Noël 1981 organisée dans les rues commerçantes de Doudeville (14 km au nord d’Yvetot), Rémy en direct sur l’antenne de la radio et en simultané sur le réseau sonore de la ville, a rencontré un confrère de RTL, de passage dans le pays de Caux, le célèbre                Max Meynier. Ensemble, ils ont drainé une foule importante autour d’eux, malgré la neige tombée en abondance ce jour-là dans la région.

Le 7 février 1982, le premier invité de Rémy est le président de Kiwanis Club, une association de bienfaisance venue présenter au micro, le bilan positif de l’opération “Les bougies de l’espoir”, une collecte de fonds destinés aux enfants handicapés. Grâce aux nombreuses annonces passées à la radio et demandes de dons sollicitées auprès des auditeurs cette année, l’objectif a été largement atteint. La générosité des Cauchois ne s’est pas démentie. Par comparaison avec les années précédentes - la radio n’existait pas - le montant des sommes recueillies cette année représente même un record ! Voilà une preuve supplémentaire pour démontrer l’utilité de la présence d’une radio locale dans le pays de Caux pour promouvoir des actions et des causes de ce genre.

 

Si le choix musical de Radio Solaris est éclectique comme vous l’avez compris, il en est de même des styles de présentation ! Que l’on soit amateur ou professionnel de l’animation, passer la première fois devant un micro pour faire de la radio est une épreuve que l’on n’oublie pas de sitôt. Doué ou non, ce n’est pas vraiment ce qui compte à cet instant. La compétence viendra d’elle-même. Notre principale préoccupation, c’est d’occuper la fréquence et pouvoir remplir les cases horaires encore vides de la grille d’antenne. C’est vrai, il faut l’avouer, on n’est pas trop regardant sur la qualité du “discours” débité sur les ondes. Certains plus lucides, préfèrent enchaîner les disques sans prononcer le moindre mot. Sage décision, parfois ! Quoi qu’il en soit, les auditeurs apprécient la présence d’une radio indépendante qui leur ressemble, cauchoise de surcroît, près de chez eux et saluent son évolution jour après jour. Pour respecter les obligations réglementaires, la radio doit doubler son temps d’émission. Grâce au concours de la presse locale, un appel à la recherche de nouveaux talents est lancé. On ne sait jamais. Y a-t-il des perles rares d’animateurs et animatrices qui s’ignorent en pays de Caux ?

Avec l’avènement des radios libres en France depuis cette année 1981, année des grands espoirs, la radio est de nouveau un média très à la mode: tout le monde est contaminé par le virus et veut “faire de la radio”, comme le font déjà le copain ou la copine d’à côté. Sans surprise, de nombreuses lettres de candidatures inondent la boîte postale 101. Parmi nos relations de cette époque, lequel d’entre nous n’a pas connu un jour, un collègue de boulot, un ami ou une amie qui ont osé l’espace de quelques semaines, approcher le micro d’une radio libre, durant ces folles années 80s ?

 

 

Déménagement en centre-ville

 

Après deux mois à l’étroit dans son sous-sol obscur, la radio remonte à la surface et part s’installer à partir du 18 janvier au grand jour, au premier étage d’un immeuble, à quelques dizaines de mètres de là. Cet appartement est la propriété de Monsieur Jean Hétru, une figure très connue d’Yvetot, puisqu’il est l’exploitant de plusieurs salles de cinéma de la région. Le logement proposé est sommaire. Il est composé de deux pièces. La plus grande donne sur la rue des Victoires, la rue commerçante du centre-ville, très passagère et l’autre, derrière, s’ouvre sur une contre-allée. Là, sera le studio, censé être au calme. L’antenne composée de son tube métallique d’une dizaine de mètres et de ses deux dipôles, de nouveau hissée sur le toit, est fixée le long d’une cheminée. Le matériel est réinstallé et recâblé en un temps record dans la matinée du 18 janvier, pour être fin prêt à émettre l’après-midi, comme d’habitude dès 15.00. Hélas, dans la précipitation, une coupure dans la liaison du câble-antenne passe inaperçue : les 101 MHz sont muets. C’est ce que je constate en quittant Rouen au même instant, l’émetteur à Yvetot n’a apparemment pas démarré à l’heure habituelle. Sachant que le déménagement a eu lieu ce lundi matin, je suis à moitié étonné du retard de cette reprise des programmes, supposant un problème technique insoupçonné de dernière minute. Il est pratiquement 16.00, toujours rien sur les ondes. J’arrive enfin à Yvetot. Mais lorsque je franchis la porte d’entrée du studio, je m’attends à voir les collègues stressés par cette faille technique insoluble, tous nos amis affairés devant un matériel récalcitrant en train de vérifier une n-ième fois les branchements. Bien au contraire, une douce quiétude règne dans le local. Les quelques personnes présentes ne semblent guère soucieuses et, un comble, je suis stupéfait de voir Jean-Paul et Daniel V., sagement assis devant le micro comme chaque lundi à la même heure, discuter de jazz tout à fait plaisamment comme si de rien n’était, mais... dans le vide depuis 15.00, semble-t-il et exclusivement pour le petit comité de personnes présentes dans l’appartement: “Eh là, qu’est-ce que vous faîtes à parler dans le vide? ça n’émet pas là? On n’entend absolument rien dehors sur l’autoradio...” Une bombe n’aurait produit pire effet dans le local. En entendant ces paroles, Jean-Paul très dupe d’avoir perdu son temps pendant près d’une heure, se lève de sa chaise et laisse éclater une colère légitime. Tout le monde est consterné d’apprendre qu’effectivement rien ne sort là-haut de l’antenne ou plutôt que ça ne porte pas, car l’émission réduite à un filet de milliwatt n’est audible que dans le tuner de retour studio ainsi que dans un rayon d’une centaine de mètres dans le quartier: une micro-station FM en quelque sorte ! Passé le carrefour de l’église ronde d’Yvetot, c’est terminé, on n’entend plus rien ! Voilà pourquoi la panne est restée insoupçonnée dans le voisinage immédiat de l’émetteur, depuis la mise en route à l’heure habituelle. En ce premier jour dans ces nouveaux locaux, les auditeurs fans de jazz doivent être frustrés. Et moi qui pensait à un retard dû au déménagement et à l’installation de l’antenne sur son nouveau site d’émission! Le silence feutré qui régnait avant notre arrivée dans le nouvel appartement, fait place désormais à des conversations animées. Le branle-bas de combat a sonné à bord du vaisseau amiral Solaris ! On éteint tout (enfin ce qu’il reste à éteindre !) et on ressort les outils, l’ohmmètre, le fer à souder, tout ce qu’il faut pour débusquer cette fâcheuse défaillance... La soudure défectueuse est finalement localisée dans la fameuse prise “N” du câble qui relie l’ampli HF à l’antenne. Apparemment, ce n’était pas un court-circuit franc avec la masse (le blindage métallique du câble) mais une coupure pure et simple dans la liaison avec le coaxial lui-même. Pourtant une rupture entre émetteur et antenne est généralement fatale pour l’étage final d’un émetteur car celui-ci débite... ben dans “rien” ! Les conséquences sont généralement funestes et particulièrement onéreuses! Le circuit de sécurité, s’il existe (?) sur ce matériel italien a dû agir promptement et préserver les transistors de l’ampli de puissance, voués à une mort certaine ! Bon, finalement l’interrupteur général est réenclenché, non sans une certaine appréhension. Heureusement, ça marche cette fois, tout redevient normal, le matériel est sain et sauf. Ouf de soulagement pour cet excellent matériel Elecktro-Elco ! C’est donc reparti sur 101 MHz. Espérons-le pour de bon cette fois. C’est parti également pour accomplir un tour en voiture dans les faubourgs d’Yvetot. Du coup, cela valait mieux de perdre une heure et refaire une soudure soignée. Du même coup, l’on constate avec plaisir que les ondes portent beaucoup plus loin et bien plus fort que les jours précédents, toujours avec les mêmes 100 watts de puissance. C’est vrai qu’avant nous étions confinés dans une cave. Désormais, les ondes parviennent vigoureusement dans les transistors cauchois car ce nouvel immeuble, rue des Victoires, possède un atout supplémentaire non négligeable : un étage de plus ! Ce qui veut dire trois mètres de rab’ pour l’antenne. ça compte énormément. Et un peu plus de hauteur en FM, c’est toujours bon à prendre !

 

Le 24 février 1982, finie la semi-clandestinité ! Ça y est, nous sommes une radio officielle! La préfecture nous adresse un récépissé de déclaration reconnaissant notre Association Solaris. Il faut attendre le Journal Officiel du 12 mars 1982 pour lire la confirmation officielle :

 

 

 

 

 

Dès le samedi 27 février, la grille du week-end s’allonge encore : les programmes démarrent aux aurores à 8 heures du matin avec l’émission “Bande à part” présentée par Arnaud, lequel au bout d’un moment, est totalement blasé d’entendre constamment les mêmes sarcasmes graveleux à propos du titre de son émission, comme on l’imagine. Arnaud agent de France Telecom est aussi musicien à d’autres heures et fait d’ailleurs partie du groupe “Lee Roy’s Band” que nous avions rencontré lors de notre spectacle organisé à Fécamp le 3 janvier.

 

 

Stéréo or not stéréo

 

Le 23 mars, les auditeurs de la station perçoivent soudain une notable augmentation de la puissance. En effet, celle-ci est montée progressivement de 100 à 400 W grâce à l’adjonction d’un nouvel amplificateur d’une marque inconnue “Microset”. Le confort d’écoute s’en est relativement ressenti surtout à la périphérie de notre zone de couverture. L’achat de ce nouveau matériel a été décidé juste après le concert de Fécamp, par les membres de l’association au cours d’une réunion agitée, comme il se doit. Lorsqu’il a fallu songer à améliorer le signal d’émission avec pour objectif, atteindre les auditeurs de Fécamp et bienfaiteurs de notre concert de soutien, les “membres d’Yvetot” sans doute auto-  satisfaits avec les 100 W de nos débuts, ont d’abord pensé à leur confort d’écoute personnel puisque aussitôt le mot “stéréo” a tilté dans leurs esprits. Scandale pour les autres, vous imaginez ! Ceux-ci n’avaient pas oublié la réponse du public fécampois à l’appel du 3 janvier et voulaient du même coup, capter chez eux, un peu mieux leur lointaine station. Certains s’étaient plongés dans la littérature radio-technique d’où, selon les informations recueillies(6), il ressortait qu’à puissance égale, une émission réalisée en stéréo diminue sensiblement la portée des ondes. Déjà les cent watts nous semblaient être un minimum, alors si en plus, il nous fallait encore sacrifier quelques précieux kilomètres de portée, juste pour flatter le seul ego des Yvetotais...  ;-)

Ces révélations alarmistes étaient loin de rassurer les “horsains” (les étrangers d’Yvetot - dixit le Père Alexandre). Avec soulagement, l’assemblée abandonna - provisoirement - l’idée de la stéréo et opta en faveur du quadruplement de la puissance à 400 W. Non sans amertume, les opposants durent s’incliner et accepter la décision.

 

A partir de maintenant, les premières divergences d’opinion apparaissent parmi les membres de notre équipe et commencent à mettre à mal notre belle unité. Les réunions mensuelles, drainant de plus en plus de monde, se déroulent désormais dans un joyeux chahut digne de collégiens où pour chaque décision à adopter, les critiques systématiques l’emportent le plus souvent sur les propositions constructives ! Un soir, la séance est abrégée par le jet de quelques boules puantes... comme ça, pour le plaisir. Les premiers nuages (!) de cette cohabitation apparaissent. Avec la perte de leur influence auprès des dirigeants de l’association, les perturbateurs constatent que leurs plaisanteries potaches ne font plus rire qu’eux-mêmes, se désintéressent peu à peu de l’association et abandonnent l’un après l’autre, leur rôle d’animateurs. Dommage, le virus vient d’entrer. Des clans commencent à se former inévitablement. Les “membres d’Yvetot” regroupés plutôt chansons françaises, regardent avec condescendance les “rebelles”, vestiges de France Radio Club (ceux de Rouen, du Havre, etc) et leur musique décadente anglo-saxonne : deux styles musicaux distincts vont désormais s’affronter sur l’antenne de Solaris. Deux radios différentes vont cohabiter sur un seul émetteur.      A partir de cet instant, chacun va s’épier et aura des idées bien arrêtées sur la façon de “faire de la radio” et la manière de causer dans le micro! Avec des fortes têtes de part et d’autre, des points de vue différents, les esprits s’échauffent. Dans ce chaudron bouillonnant, qui a tort, qui a raison ? Les efforts de tous pour bâtir une radio musicale en pays de Caux n’auraient-ils servi à rien? Ce climat nauséabond de défiance dans l’association, laisse augurer soudainement un avenir plein d’incertitude.

 

Voici une petite anecdote prise comme exemple qui illustre parfaitement ce malaise : pendant que Pierre est en studio et discute hors antenne avec d’autres animateurs et animatrices réunis autour de lui, je choisis seul dans la discothèque à côté, les titres à passer pour mon émission de 60/70ies suivante, lorsque soudain le téléphone sonne. Pensant à une énième demande de dédicace, je reconnais Jean-Paul à l’autre bout du fil, hors de lui qui me hurle d’emblée dans les oreilles :

 

— “C’est inadmissible Pierre, ce que l’on vient d’entendre. Il y a quelqu’un qui vient de “rôter” à l’antenne, devant le micro, c’est scandaleux, comment peut-on oser se permettre une chose pareille ?...

Je débarque, complètement ahuri, comme vous vous en doutez :

— Ecoute Jean-Paul, restons calmes, lui dis-je. C’est moi Jean-Claude... Que pouvais-je ajouter à ce moment ?

— Ah, c’est Jean-Claude ! répète-t-il en se radoucissant et se tournant vers Christophe qui est visiblement à ses côtés. Connaissant mon frère pour son goût de la dérision et son irrévérence envers toute forme de hiérarchie, et vu le climat tendu qui règne entre nos “clans” ces temps-ci, je n’ose l’imaginer capable d’une telle provocation. Ce n’est pas dans les habitudes de Pierre d’éructer en public et encore moins de s’exécuter devant le micro ! Alors, ne sachant que répondre, j’enchaîne :

— Attends, je vais aller voir, il y a sûrement une explication”.

 

J’entre dans le studio où se trouve la “smala” et j’explique à Pierre ce qui m’amène : “J’ai Jean-Paul au téléphone. Il paraît que t’as rôté à l’antenne ?” Celui-ci me regarde complètement sidéré à son tour et ne comprend pas non plus. Tout juste s’il ne s’inquiète pas de mon état mental pour oser lui tenir pareille conversation ! Mais après un temps de réflexion, il se rappelle effectivement, il y a dix minutes, il a mixé au milieu d’un album un peu long, un des bruitages de dessin animé qu’il a compilé sur une cassette où effectivement les inconditionnels de Tex Avery le connaissent bien, dans une poursuite éperdue de personnages animés, il y a UN rot incongru lancé par Ecureuil Dingue (Crazy Squirrel), bien isolé des autres bruits démentiels. ça ne peut être que celui-là ! Ceux qui se rappellent la maîtrise de Pierre pour   la technique, ce son très bref, inséré (de main de maître !) entre deux notes de musique, un tel “rototo” bien sonore ne pouvait passer inaperçu et honnêtement, c’est vrai qu’à l’écoute, on aurait pu croire que... etc, etc! Bon ok, il faut le reconnaître, sur une radio qui se veut “classieuse”, c’est très inconvenant ! D’ailleurs, revivre la scène et vous la raconter, c’est stupide mais je ne peux m’empêcher d’en sourire encore aujourd’hui. De nos jours, on entend tellement pire sur les stations actuelles. Là, c’était Pierre, ses onomatopées burlesques et son style farfelu, inspiré de l’univers des bandes dessinées, complètement atypique de ce que l’on entendait à d’autres moments chez nous ou ailleurs. Ses modèles d’inspiration auraient pu être Rosko ou certains DJs anglo-américains qui truffaient leurs shows de gimmicks sonores extravagants et inattendus, ambiance “caquetages de poules” en arrière plan, à l’ouverture du micro, planchers ou escaliers qui craquent de façon sinistre, portes avec grincements lugubres, grilles rouillées de châteaux hantés avec un écho à glacer le sang, flèches tirées de nulle part visant une cible imaginaire avec le bruit significatif pas facile à décrire (imaginez un ressort de vieux sommier qui se détend brutalement !). Sur Solaris, on avait cette lubie foldingue d’insérer au milieu des disques qui s’éternisent, des bouts de phrases hilarantes, genre “Oh oui” clamées d’une voix langoureuse par une créature en pleine extase, le gag loufoque dont quelques animateurs pris au jeu, ont largement abusé - ils avaient repéré la cassette (n’est-ce pas Bruno ? - NdA) - et des “T’as d’beaux yeux, tu sais” parodiant le bougon Jean Gabin face à l'envoûtante Michèle Morgan sur le “Quai des Brumes”. Ces exemples d’illustrations sonores inattendues accompagnaient les émissions de Pierre mais également celles de Michel dans ses “Vols vers Venus” et plus tard son “Flipper”.

 

Le style “Solaris” se démarquait sans complexe de celui des stations concurrentes excessivement clean, engoncées dans leur professionnalisme politiquement correct. Pour en revenir à notre irrespectueux Ecureuil Dingue et sa conduite “inqualifiable”, je n’ai jamais su si Jean-Paul et Christophe ont gobé mes explications bredouillées, ni si Pierre a osé renouveler son forfait bien plus tard. Sans aucun doute, oui par provocation, le sachant capable de remettre une deuxième couche !

 

 

Un studio tout neuf

 

Nouvelle adresse exige aussi nouveau studio. Le local est bientôt transformé en un atelier de menuiserie avec le sol recouvert de sciure pour confectionner une véritable console de studio, destinée à remplacer le panneau de bois de nos débuts monté sur deux tréteaux, une installation fonctionnelle certes, mais pas très riche lorsqu’il faudra inviter et       interviewer des personnalités ! La console faîte de planches d’aggloméré sera recouverte d’une épaisse moquette rouge carmin collée provenant d’un surplus en promotion chez Bricorama. Devant le fauteuil de l’animateur, la table de mixage BST minuscule, placée entre les deux platines disques, trône royalement sur cet “établi” imposant et apparaît, du fait de sa taille, encore plus misérable ! Sur les montants verticaux du meuble, de part et d’autre du siège de l’animateur, deux logements ont été creusés à mi-hauteur, destinés à recevoir chacun une platine cassettes. Vu leur position inhabituelle, attention aux coups de genoux avec départ et arrêt intempestif des cassettes ! Celle de gauche permet en outre d’enregistrer et d’utiliser le studio en dehors des heures d’émission, lorsque l’animateur ne peut assurer son programme en direct. Ceci n’est possible que durant les matinées (ou la nuit !) car l’unique studio est inévitablement bloqué l’après-midi par la diffusion des programmes qui démarrent et se poursuivent jusqu’à minuit. Pendant les travaux de construction du meuble définitif, les émissions sont assurées provisoirement depuis la seconde pièce de l’appartement où l’essentiel du matériel a été transféré. Hélas, il n’y a pas de roulettes! Ce second studio improvisé sert habituellement de local de réunion, de discothèque et même de réfectoire car Rod a fait don - ou peut-être a-t-il profité de l’occasion pour se débarrasser - d’un antique réfrigérateur increvable au look fifties, le dessus arrondi comme les premiers juke-boxes, de même qu’un vieux canapé, témoin passif de certaines frasques nocturnes (?), bof, ce dernier ayant refusé d’en révéler plus, on ne s’étendra pas sur le sujet ! En face, sur toute la longueur du mur, des bacs à disques ont été aménagés pour ranger les 45 tours. Au-dessous, des placards peuvent accueillir les albums. Une modeste chaîne hi-fi abandonnée là par Daniel notre président, permet de “pré-écouter” et vérifier éventuellement si les disques ne grattent pas trop avant leur diffusion, à côté d’un vaillant transistor irrémédiablement bloqué sur 101 MHz. D’ailleurs la ficelle de son cadran semble grippée et collée par les vapeurs de tabac. Dans notre belle station de radio, la salle d’émetteur est proche de l’entrée et... du petit coin ! Sans blague, c’est vrai ! Quand on pénètre dans les toilettes, on est submergé par une bouffée d’air suffocant comme dans un sauna.Ici, le “zonzonnement” de l’émetteur semble accentué par l’étroitesse des lieux. Le matériel trône (quel lieu adéquat, n’est-ce pas ?) sur une étagère au-   dessus des WC. Attention de ne pas confondre le coaxial d’antenne avec la chaîne de la chasse d’eau ! Les toilettes ne sont pas vraiment con-damnées et restent toutefois accessibles. (par mesure de sécurité, elles seront interdites dans l’avenir, lorsque la puissance d’émission sera augmentée) Le mince câble coaxial qui pend fait une grande boucle avant de rejoindre, par le vasistas entrouvert, les antennes sur le toit. Les 400 watts qui parcourent le câble, le rendent tiède. Sur l’émetteur, les leds du contrôle de modulation clignotent de façon saccadée au rythme de la musique venant du studio à côté. On entend à peine celle-ci à cause du bruit soutenu des ventilateurs. L’ancien ampli de 100W, pour le moment débranché (en stand-by), est conservé comme matériel de secours. Le quadruplement de puissance a provoqué dès la mise en service, l’apparition d’un léger grésillement lorsque les faders (curseurs) de la table de mélange sont ouverts, un bruit en arrière plan, perceptible pendant les silences.Bien que le “blanc” soit proscrit à la radio, rappelons-le ! Afin d’atténuer le phénomène, des rouleaux de papier d’aluminium vont être déroulés et collés sur tout le pan de mur des toilettes, mitoyen avec le studio, transformant notre “WC & Transmitter room” en véritable cage de Faraday! ça en jette dès qu’on pénètre ici. J’ai une pensée émue pour le courageux locataire qui a découvert l’appartement en l’état, après notre glorieux passage et tenté de décoller cette brillante tapisserie digne de la Galerie des glaces!

Imaginez la présence d’un émetteur comme celui de Solaris dans votre immeuble. Claude qui habite l’appartement au dernier étage, à quelques mètres en dessous de l’antenne émettrice, ne peut plus regarder sa télé convenablement sans l’installation d’un filtre VHF providentiel, à cause du rayonnement hertzien qui sature son téléviseur. Quand on pense, 30 ans plus tard à la rébellion pleurnicharde née de l’apparition des antennes-relais de téléphonie mobile dont la puissance d’émission n’excède pourtant que quelques watts ! A la grande époque des émetteurs grandes ondes, des centaines, voire des milliers de kilowatts voltigeaient au-dessus de nos têtes, et personne ne se plaignait. Les champs électromagnétiques terrestres nous entourent depuis le “Big bang”.La radio inventée il y a plus d’un siècle, les met simplement en application. En attendant Claude a résolu le problème. Faute de télé, autant faire de la radio son passe-temps favori, puisqu’il vient y présenter “Tempo” chaque jeudi soir.

 

Bon, soyons honnêtes. La présence d’un émetteur FM dans le quartier cause tout de même quelques soucis aux riverains car il perturbe lourdement les circuits téléphoniques et évidemment la télé. Des filtres adéquats installés sur les téléviseurs-passoires du périmètre concerné, aux frais de l’association évidemment, sont censés atténuer les perturbations. Mais est-ce suffisant, vu notre position en plein centre ville. Les harmoniques sont perçues quelques rues plus loin. Combien avons-nous reçu de coups de fil de téléspectateurs en colère, super-excités, le samedi soir notamment (interférences bien plus sévères ce jour-là à cause d’un choix musical trop éclectique ?) du genre: “Si ça va durer encore longtemps c’te comédie ? Qu’on n’peut même plus r’garder Drucker à la télé, à c’t’heu’!” (authentique ! - NdA) Dur de se faire engu...ler par un brave Yvetotais, à peine échappé des embarras de circulation et être pile à l’heure devant le micro de Solaris pour entamer un show endiablé ! Voilà qui présage d’une “sacrée soirée” ébouriffante. Anecdote en passant, pour tenter d’atténuer les interférences, j’essayais, après avoir essuyé ces vives algarades téléphoniques, de ne pas pousser les faders à fond sur la table de mixage, croyant avec grande naïveté, limiter les nuisances dans les téléviseurs alentour... Réaction stupide de ma part après réflexion, car le compresseur-limiteur rétablissait le volume sonore au niveau optimum de son côté, ce qui en fin de compte ne servait à rien, à part accroître et créer du souffle supplémentaire chez l’auditeur lointain qui nous faisait l’honneur d’écouter. Heureusement, tout le monde dans la région n’était pas scotché devant “Champs Elysées” !

 

NB : à y réfléchir, le véritable gagnant incontestable de cette         glorieuse époque, si ce n’est pas Radio Solaris disparue prématurément, c’est Michel Drucker. Tu parles d’une longévité ! Lui au moins, il est là, toujours “vautré” dans son éternel canapé rouge. (Ok, on me signale que c’est plus correct de dire  “alangui” !)

 

Toujours plus haut

 

Fin juin, nouveautés dans le studio : remplacement de la petite table de mélange par deux respectables Redson Pam 802, accompagnées de deux nouvelles platines disques Technics à démarrage instantané : c’est la folie! Finis les démarrages foireux... Et puisqu’on est dans les frais, un nouveau câble d’antenne beaucoup plus gros et adapté à la puissance d’émission, est monté à la place du précédent coaxial de cibi, responsable des grésillements et trop mince en diamètre puisqu’il chauffait. Et ce n’est pas tout. Le premier élément d’un pylône prévu en cinq sections va être érigé sur le faîte du toit. Hélas, appelés sur un autre chantier entamé, les monteurs d’antennes abandonnent temporairement l’installation après la pose de ce premier bout de pylône de trois mètres.C’est un début...

 

En attendant, l’échelle restée en position dans la cour intérieure, appuyée sur la gouttière, passe à moins d’un mètre devant la fenêtre du studio au 1er étage. Il fait chaud en cet été 1982, Stanislas animateur destroy néanmoins talentueux pour le peu que je me souvienne, est en charge de “Quartier libre” son émission, cette nuit-là. L’esprit nébuleux, vraisemblablement à la suite d’absorption de “substance propice à l’inspiration des mots et des idées”, il éprouve le besoin de se rafraîchir un peu. Le disque fait dix minutes, ça va, il a largement le temps. Il s’avance vers la porte d’entrée de l’appartement, l’ouvre et descend quelques marches, histoire de s’oxygéner un peu. La fenêtre est grande ouverte, et voilà l’invité qu’on n’attend jamais : le courant d’air. Vlan...fait la porte de l’appartement qui claque. Aïe, embêtant ! Stanislas se retrouve seul du mauvais côté, sur le palier avec la radio qui fonctionne toute seule et en sursis, vu qu’il n’y a pas de clenche sur la porte d’entrée.

 

NB : cela permet de ne donner qu’une seule clé au premier animateur du matin. Les DJs suivants doivent sonner et s’annoncer pour se faire ouvrir. Le dernier animateur nocturne referme la porte simplement derrière lui, en espérant n’avoir rien oublié !

 

Pour Stan, comment faire ce soir ? C’est lui le dernier de la journée ! Défoncer la porte à cette heure tardive pour pénétrer dans les lieux, ça va faire désordre dans le quartier. Les buées cérébrales se dissipent plus vite quand on est devant un pareil dilemme et peu à peu, il émerge de sa torpeur découvrant l’ampleur du désastre. Il se rappelle vaguement avoir aperçu une échelle en arrivant, placée en travers de la fenêtre du studio. Alors, il imagine la même chose que vous : pourquoi ne pas redescendre dans la cour, puis tenter une escalade.Dans la nuit, personne n’en saura rien. Là-haut, la fenêtre béante et éclairée représente le but final, le repère à atteindre. Il n’y a que quatre ou cinq mètres à gravir. A tâtons, lentement, l’ascension commence péniblement, titubant, échelon après échelon. A-t-il le vertige ? Finalement, c’est plus haut qu’il n’y paraît ! Parvenu enfin à bonne hauteur, il lui reste à faire le grand écart entre l’échelle et le rebord de la fenêtre. Reprise d’équilibre à travers l’encadrement et Stan s’écroule dans le fauteuil, juste à temps pour lancer le disque suivant, comme si rien d’inhabituel n’était arrivé. L’auditeur n’aura rien remarqué. ça, c’est notre version “soft” de l’aventure. Selon d’autres sources, l’histoire serait différente : l’ascension nocturne ce soir-là, se serait prolongée bien au-delà de notre premier étage ! “L’escapade” manquant de discrétion, remarquée par les habitants du quartier, a malgré tout mis un terme à la brève carrière de notre DJ-cascadeur et provoqué quelques sueurs froides rétrospectives chez les dirigeants de l’Association Solaris.

 

Le vendredi 2 juillet 1982, les émissions sont arrêtées dans la journée car notre antenne émettrice est démontée de son emplacement provisoire pour être transférée et hissée au sommet du pylône tout neuf, complété de ses cinq éléments. Le tout culmine désormais à près de trente-cinq mètres du sol. Les passants, sur le trottoir d’en face de la rue des Victoires, sont figés, les yeux en l’air. Le spectacle est visible de loin lorsque l’on approche du centre ville. Le pylône de transmission radio de la gendarmerie dans une rue voisine semble minuscule. A moins que ce ne soit un effet d’optique. Pour placer l’antenne à cette hauteur, l’Entreprise Lemelle (père et fils) ne dispose pas d’échelle suffisamment longue et aussi haute. C’est pourquoi l’Association Solaris n’a pas hésité à demander carrément l’autorisation à Monsieur le Maire d’Yvetot, le concours des sapeurs-pompiers de la ville et surtout de leur grande échelle. C’est bon d’avoir quelques relations ! Après consultation du Commandant de la caserne, Monsieur le Maire donne son accord par écrit le 24 juin, sous certaines conditions : la grande échelle ne sera en aucun cas utilisée par les pompiers eux-mêmes - ceux-ci se chargeront de son installation mais ne participeront pas au montage du pylône pour des raisons évidentes de sécurité et d’assurance.Enfin, la date d’utilisation ne devra en rien gêner le fonctionnement du Centre des sapeurs-pompiers. Avis lancé aux pyromanes de granges à foin : pas d’allumettes ni briquets aujourd’hui ! Ainsi équipés, André Lemelle et son fils Alain, véritables acrobates, ont pu terminer le haubanage de cette superbe antenne FM équipée de ses quatre dipôles alignés et pointés plein nord-ouest, privilégiant l’axe Goderville, entre Fécamp et Le Havre. Pourtant au-delà de la théorie, l’effet directif existe-t-il vraiment ?

 

La bataille des tops horaires

 

Pour faire pro, la radio du Soleil à la pointe de l’innovation, décide de marquer le “sommet” de chaque heure par des tops horaires, comme le font depuis belle lurette France Inter ou quelques radios étrangères. Nos premiers bips apparaissent le 25 décembre 1981.Pour l’anecdote, ce sont ceux de BBC Radio 1 récupérés par l’ami Rod qui les a montés sur une cassette spéciale.La fameuse cassette “Tops horaires” dont l’usage sera tant controversé, est bien en vue, à la disposition de tous, à proximité de la table de mixage. Une fois introduite dans un des lecteurs, elle est déclenchée manuellement et rigoureusement à H moins 5 secondes, toutes les heures par l’animateur présent à l’antenne. Vous vous en doutez déjà, à Radio Solaris, la procédure va être plus ou moins respectée, voire totalement ignorée. La distinction entre “pro-Tops” et “anti-Tops” se remarque donc très vite. Ces derniers se disent puristes et rechignent à polluer leur programme avec un gadget sonore qu’ils jugent débile ou bien déplorent que “Toutes ces cassettes, ça fait de la manutention, etc, etc”. Ok, si cela se conçoit avec l’émission de musique classique, les “proTops” tentent de les convaincre qu’il suffit, grâce au minutage indiqué après chaque titre d’un disque, de décompter le temps en secondes qu’il reste avant l’heure H (moins 5 sec). et faire coïncider la fin de “l’œuvre” avec le premier des 5 tops, puis enchaîner le morceau suivant juste après. Après mûres réflexions, la procédure se révèle peu pratique et horripilante pour ceux qui ne veulent pas se compliquer à comptabiliser des secondes. Un miracle technique viendra résoudre ce grave problème existentiel et rendra le système entièrement automatique. Pour cela, Daniel a ressorti son fer à souder et tiré deux fils depuis le buzzer d’un réveil de poche, oublié intentionnellement par Paul. En effet, celui-ci avait remarqué que nous ne possédions aucune horloge dans le studio, une grave lacune pour annoncer l’heure! Cette pendulette dont l’exactitude est consciencieusement vérifiée chaque jour par Daniel, égrène toutes les heures, cinq bips providentiels, abominablement nasillards, avouons-le, qui ne demandent toutefois qu’à être injectés par une entrée auxiliaire de la table de mélange. Ainsi plus d’excuses, la présence constante du signal à chaque heure sur l’antenne de Solaris devient cohérente. De plus, après la fin des émissions, ils continuent seuls à ponctuer le silence de la nuit. (La régie du studio reste branchée bien que les programmes ne soient pas encore 24 h/24). Les insomniaques, s’ils laissent leur poste allumé - il y en a ! - peuvent ainsi contrôler la ponctualité du système avec leur propre réveille-matin. Jusqu’aux derniers jours de la station, ces tops stridents, véritable signature d’identification de la station, rythmeront la vie du pays de Caux tout entier et de façon tout à fait involontaire, les offices religieux célébrés en l’église d’Yvetot, située à deux cents mètres de notre émetteur : l’on raconte que le dimanche matin pendant la messe, Monsieur le curé prononce un sermon en s’aidant d’une sonorisation pleine de surprises. La vétusté de son installation ou plus vraisemblablement l’envahissant voisinage hertzien démontre, une fois n’est pas coutume que les voix (ou les voies ?) du Seigneur ne sont pas toujours impénétrables ! Car à 10 heures tapantes, cinq tops familiers bien reconnaissables apparaissent faiblement mais clairement dans les haut-parleurs de l’église ronde, en fond sonore de la bonne parole. Instinctivement, quelques fidèles relèvent discrètement le bas de leurs manches de veste, afin de vérifier si les montres ou aussi celles rangées dans les goussets sont bien à l’heure.

Encore plus loin

 

Les deux tables de mélange Redson Pam 802 montées “en série” n’impressionnent pas les nouveaux venus. Les nouvelles possibilités offertes par rapport à la petite BST de nos débuts vont amener les responsables à s’inquiéter de l’usage outrancier de la chambre d’écho intégrée, par les animateurs qui découvrent le gadget à leur disposition, en tripotant les commandes du nouveau matériel. Pendant le temps que dure cette folle manie, le son de la radio se transforme d’un seul coup en celui d’une discothèque ou pire : une sono de fête foraine ! La “réverbération”, phénomène de mode qui rend l’écoute pénible à la longue pour les auditeurs, n’est pas propre à Solaris puisqu’il est pratiqué couramment sur d’autres stations consœurs, ce qui ravale depuis quelque temps la “radio libre” au rang de cibi, avec son côté amateur et vulgaire.

 

Remplacement du micro également. Fini le micro à pile et son interrupteur qu’il ne fallait pas oublier de placer en position “ON” avant de commencer l’émission. Combien de démarrages ont été effectués en “toute discrétion”, faute d’interrupteur fermé. Le plus drôle, c’est que l’on devine l’instant précis où l’animateur prononce quelques mots, dans le vide forcément, quand il shunte le fond musical et le remonte après quelques secondes, lorsque - on le suppose - son speech est terminé. Généralement au bout de cinq minutes, tout rentre dans l’ordre après l’indispensable appel d’un collègue compatissant venant au secours, très laconique : “Fais gaffe, ton micro est fermé, on t’entend pas quand tu causes!” Eh oui, il suffisait de poser le casque sur ses oreilles (pas encore le réflexe d’un vrai DJ) ou de surveiller ses vumètres figés pour se rendre compte qu’aucun son ne sortait ! Ah, ces jeunes! ;-)

A l’inverse, comme le clignotant allumé d’un automobiliste distrait, le micro peut rester ouvert par inadvertance, notamment après minuit, à la fermeture des émissions, lorsque “Eve of the War” a retenti. Dans le calme de la nuit, on entend l’animateur faire son petit ménage : ranger ses disques dans les pochettes en silence, à moins qu’il ne soit accompagné ! A ce moment, sûr que les auditeurs à l’affût d’indiscrétions, n’en perdent pas une miette et guettent la moindre déclaration censée être hors antenne ! Impossible d’alerter l’animateur étourdi par un “Attention… ton micro est resté ouvert !” sans provoquer la sonnerie intempestive du téléphone. Pour mettre fin à ces désagréments, un switch providentiel couplé à la commande du micro est bricolé une fois de plus par Daniel, notre technicien favori. Un relais provoquera l’allumage d’un énorme spot rouge derrière le panneau “On The Air” au-dessus de la vitre du studio, et résoudra ces broutilles. En même temps, le dispositif neutralisera automatiquement les hauts parleurs du retour studio afin d’éviter tout effet Larsen dès l’ouverture du micro. Quelques auditeurs de radios libres regretteront ce temps où le professionnalisme balbutiant n’avait pas résolu les incidents techniques, les hésitations, les bafouillages, les départs de disques sabotés, les fous rires... qui mettaient du sel dans la vie des radios débutantes, les rendant vivantes et moins insipides que leurs héritières. La joyeuse atmosphère de bric et de broc radiophonique a vécu. 

 

A propos de l’indicatif instrumental de Radio Solaris “Eve of the War” qui ponctue le départ des émissions à 6 h 00 et la fin des programmes à minuit (avant d’émettre en continu 24/24), la cassette utilisée, montée par Rod, dure 4 mn 30" précises. Pour les DJs qui assurent le service à ces heures, l’astuce consiste à lancer la cassette pile poil à 5 h 55’ 30 (ou 23 h 55’ 30) de façon à faire coïncider la dernière note de l’indicatif avec le premier des cinq tops horaires de l’heure H suivante. Croyez-le, la prouesse réussie à chaque fois, conduit au Graal, à l’extase et au bonheur total, bien évidemment. (Il en faut si peu pour être heureux ! - NdA)

 

Voici une autre anecdote croustillante vécue sur Radio Solaris avec Martial, grand admirateur de “l’autre radio” et néanmoins amie RVS, comme vous allez le voir. Un après-midi (en 1985 ou 86 ?), au cours de son émission de musique disco composée de “maxis 45 tours” interminables en vogue à cette époque, Martial décide d’aller jeter un œil ou plutôt une oreille, histoire d’entendre ce qu’“ils” passent à Rouen au même moment. Pour cela, il dérègle le tuner du retour studio et affiche 102 MHz, la fréquence mythique de RVS. D’habitude, le tuner bloqué sur 99 MHz diffuse en permanence le son de Radio Solaris par les hauts parleurs du studio, celui-là même que les auditeurs sont censés recevoir chez eux (il vaut mieux !) Avec le retour diffusé en permanence dans le studio, vous le savez, si une défaillance d’émetteur survient, on est au courant instantanément car tout devient muet, ce qui nous épargne de jacasser bêtement dans le vide. Fort heureusement le matériel italien est fiable ! Constatant que le “maxi 45 tours” qu’ils diffusent à Rouen correspond par un pur hasard à son choix programmé juste après, déjà calé sur la seconde platine, Martial démarre précipitamment celle-ci et ajuste la vitesse du tempo (battements par minute) avec le curseur de réglage dont sont munies les platines Technics.Ainsi il parvient à rattraper et à faire coïncider son morceau musical avec celui qui passe au même moment sur RVS ! Du jamais vu et entendu : les deux antennes rivales, distantes de 40 kilomètres, l’une et l’autre diffusent à l’instant T, le même tube et sont synchrones pendant de très longues minutes. Les “30 cm” maxis-45 tours ne comportent généralement qu’un seul titre par face en version longue dont la durée excède la dizaine de minutes. Et ce qui arrive, arriva : la fin du titre de disco approche. Lorsque d’un seul coup, dans les enceintes du studio de Solaris, la voix de stentor de l’animateur rouennais retentit plus tôt que prévu, et à tout casser ! L’esprit bercé par son air favori, Martial complètement surpris - il en avait oublié sa manœuvre- ne pense pas à remettre son casque sur les oreilles (grave erreur car celui-ci diffusait le “vrai” son, celui de Solaris, sorti de la table de mixage !) L’ami Martial commence à paniquer, ne sait plus qui ni quoi passe réellement à l’antenne de notre côté, et quels sont les réglages à remettre en place, tout en supportant la voix du DJ de RVS qui continue de résonner à fond par les enceintes du studio. Pas question d’ouvrir le micro avec les haut-parleurs qui gueulent... Bref, tout ce micmac technique (à hurler de rire) se traduit pour les auditeurs par un “blanc” monumental à l’antenne que vous imaginez, vu qu’aucun disque suivant n’est calé ou n’est en état de démarrer ! Je me rappelle en tant qu’auditeur chez moi cet après-midi-là, le vide sur les ondes avait duré 30 à 40 secondes interminables, peut-être plus. C’est très long dans ce cas, avant que la première note musicale ne réapparaisse piteusement sur l’antenne de Solaris ! Pendant ce silence forcé, je me souviens m’être posé la question : mais qu’est-ce qu’ils fabriquent là-bas à Yvetot ? Il n’y a plus personne en studio ? Sont-ils tous descendus au bistrot en bas en attendant la fin du maxi-disque ou peut-être y a-t-il une prise d’otages avec on ne sait quelque forcené qui aurait des choses à clamer à la terre entière devant le micro? Je n’ai eu le fin mot de l’affaire qu’au moment où je suis retourné à Yvetot le lundi suivant et ai voulu m’informer de ce qui c’était réellement passé. Pierre m’a alors raconté l’épisode “côté coulisses”. Si cela avait été un grand moment de solitude pour notre ami Martial tout penaud, l’incident avait provoqué ce jour-là un énorme fou rire général parmi toute l’équipe présente. Imaginons le pataquès, si les gars de RVS à Rouen, on peut rêver, avaient entrepris la manœuvre réciproque, en se branchant sur Solaris au même instant ! Mouais... bon d’accord, c’est fort improbable. C’est pourquoi j’ai dit: imaginons...

 

Pom, pom, pom... Pooom !

 

Ces quatre notes ne vous rappellent rien ? En tous cas, c’est le titre d’une nouvelle émission présentée par Jean, chaque jeudi après-midi. La passion de ce commerçant yvetotais: la musique classique ! Depuis le temps qu’on en parle. Jean au cours de la dernière foire commerciale de Printemps n’avait pas manqué de souligner combien quelques heures de musique classique seraient appréciées des auditeurs. Seul problème, quel est celui d’entre nous qui souhaiterait ajouter une corde supplémentaire à son arc et mettre de côté son répertoire pop/hard-rock pour se convertir au classique. Pas de candidat ? Alors n’est-ce pas l’occasion de prendre Jean au mot et de le convaincre d’assurer lui-même une émission de musique classique à l’antenne ? C’est aussi ce qui est arrivé à Arielle. Pas pour du classique, non! Après une visite aux studios, la jeune     Yvetotaise a passé un test de micro concluant. Elle a été retenue pour animer “Parasolaris”, consacrée au rock, chaque samedi après midi. Plein d’autres DJs ont tenté l’expérience: le dimanche soir, Hélène avec “Douce folie” ; le lundi, Philippe avec “Long Jeu” ; le mardi, Helmut qui fait une entrée fracassante avec sa “Légitime démence”. Roi de la provoc’, Helmut va se rendre coupable de chaudes émissions qu’il sera donné d’entendre ici dès ses premiers moments d’émission. Il y a aussi Bertrand, Didier, Eric, François, Germain, Harry, Hervé, Isabelle, Jean-Luc, Marina, Michaël, Philippe Thomas, Thierry, Valérie, William, le Bandit(!). Aucun détail n’est disponible sur ce personnage au surnom pittoresque mais c’est le pseudo dont il s’est gratifié lui-même qui figure sur la grille de programmes. La folie “radio” a contaminé la région. On le répète : quel(le) est celui ou celle d’entre vous qui n’a pas songé “faire de la radio” en cette année 1982 ?

 

Autre exemple, Annie a une spécialité : elle écrit des histoires et des contes pour les enfants. Chaque mercredi, elle vient au micro les raconter. Surprise, apparemment, il n’y a pas seulement les enfants qui écoutent car les plus grands sont présents et pâmés à l’écoute eux aussi et ne perdent pas une miette des aventures de Balumba et Tinja le crocodile, d’autant plus qu’Annie a une voix envoûtante de conteuse ! Alors, comme dans la fable, si le ramage ressemble au pl... Houla, houla, on se calme !

 

En soirée, Léon présente “Caméléon” avec toutes les couleurs du... jazz. En l’absence de publicité pour subvenir aux besoins de la station, les questions financières provoquent d’inévitables soucis. Les dons et les symboliques rentrées d’argent en caisse ne suffisent pas à faire tourner l’émetteur. Toutes les solutions pour augmenter les recettes sont explorées. Léon, au cours d’une de nos réunions mensuelles toujours en effervescence, propose un soir, un moyen imparable de sortir l’association             de ses embarras financiers. Cela consiste à mettre sur pied un vaste réseau pyramidal chargé de recruter des souscripteurs qui à leur tour recruteraient d’autres candidats, on dira “candides”... et ainsi de suite, le système prenant de l’ampleur, faisant boule de neige. Selon lui, tout en haut de la pyramide, l’association Solaris serait le bénéficiaire final de ce drôle de jeu qui empocherait la mise. Avec graphiques sur tableau blanc à l’appui, en toute bonne foi (il faut l’espérer !), Léon est pleinement persuadé que nous - en fait l’association - pourrions toucher le pactole grâce à ce système. Néanmoins, sa démonstration se termine piteusement dans les moqueries et les éclats de rire, un peu vexé tout de même de n’avoir su nous convaincre. Heureusement cette forme d’escroquerie, puisqu’il faut bien finalement l’appeler par son nom, n’a heureusement jamais vu le jour chez nous. A part ceux qui ont le privilège d’être bien nés, qui peut croire un instant que l’argent magique coule à flots et que l’on puisse en disposer à profusion, sans jamais fournir le moindre effort?

 

Le dimanche, réveil en fanfare à 8.00 du “Piano à bretelles”. L’instrument de musique tant décrié de la plupart des animateurs a trouvé droit de cité sur les ondes cauchoises comme la musique classique ou le jazz. Pour le plus grand plaisir des amateurs fort nombreux dans notre région, c’est finalement Joël et sa discothèque personnelle qui s’y collent avec grand succès cette fois. Effectivement, après les tentatives infructueuses des dimanches précédents, il faut bien le reconnaître : le rayon “accordéon” de la modeste discothèque est quasiment nul, deux ou trois albums (André Verchuren et Aimable ?), on a vite fait l’inventaire.

 

Pour tendre vers un format final, l’association au vu des moyens dont elle dispose, ne manque toutefois pas d’idées, puisqu’elle envisage d’intégrer à la grille un projet d’émission en collaboration avec l’Agence pour l’emploi d’Yvetot, traiter des problèmes d’urbanisme dans le pays de Caux avec des architectes-conseil, débattre des droits et devoirs du monde agricole, présenter des associations et annoncer leurs manifestations, monter un réseau de correspondants dans chaque bourg, annoncer les résultats des clubs sportifs locaux, parler de gastronomie locale avec une recette d’un restaurateur, créer un hit-parade avec le concours des auditeurs et des discothèques de la région, diffuser des opérettes avec l’aide des clubs de troisième âge, proposer sketches, anecdotes, et interviews sur divers sujets, demander la collaboration des services publics (gendarmerie, équipement ou mairies) pour informer les usagers de la route (mise en place et la levée des barrières de dégel). Avouons-le, ceci n’est pas très rock’n roll pour une radio dite “musicale” mais d’une manière générale, la station entend développer et améliorer ces différents services à l’attention des Cauchois, afin de bénéficier des aides accordées par les instances publiques. Dans cette optique, les idées ne manquent pas ! Les dirigeants de l’Union Commerciale Yvetotaise l’ont bien compris et se sont assurés au mois d’avril 1982 le concours de Radio Solaris pour promouvoir leur nouvelle quinzaine commerciale. Le jeu ainsi proposé à leur clientèle durant les émissions récompensent les participants, et s’intitule le “3, 5, 10”. Il permet de remporter 30, 50 ou 100 francs, si la réponse aux énigmes intervient au bout de 3, 5 ou 10 minutes. Rémy Adam reçoit chaque soir, les appels de plus en plus nombreux. Un avantage indéniable : l’opération bénéficie d’une animation quotidienne sur le réseau sonore de la ville, à l’attention des Yvetotais qui ignoreraient encore l’existence d’une radio “de proximité” dans leur propre ville.

 

 

Le coup de folie

 

Printemps 1982, à l’occasion du passage du Podium Europe1, installé sur le champ de foire de la ville d’Yvetot, nous décidons à quatre animateurs, d’aller interviewer le nouveau chanteur en vogue Thierry Pastor, avec l’assentiment de son proche entourage évidemment. Devant le public d’Yvetot, celui-ci vient juste d’achever son bref récital,  composé de deux titres, les faces A et B de son premier 45 tours? C’est lui l’interprète du “Coup de folie”, ce tube éphémère que nous matraquons sur l’antenne comme les autres, depuis une semaine sans discontinuer, jusqu’au jour de ce regrettable incident. Alors que sur scène, la soirée se poursuit avec les autres chanteurs inscrits à  l’affiche, nous nous présentons au nom de notre radio locale, à l’entrée de l’enceinte close du Village Europe 1, comme il était convenu avec les responsables du podium et l’entourage du chanteur. Vous voyez, nous respectons les règles. Tels de grands reporters armés d’un magnéto portable sur l’épaule, le micro tendu devant nous pour fendre la foule, nous nous frayons un passage au milieu des véhicules de la caravane Europe1, à la rencontre des organisateurs. Un guide nous mène directement à l’un des camping-cars faisant office de loge d’artiste à Thierry Pastor, super-vedette qui a déjà une “grosse tête” comme vous allez le constater. En effet, notre expédition s’arrête brutalement devant le marchepied du véhicule où nous allons faire ici le “pied de grue” durant deux bonnes heures ! La soirée s’annonçait réjouissante ! Heureusement dans notre malheur, ce soir, il ne pleut pas. Malgré les promesses rassurantes et répétées de son armée de gorilles que l’on sent quand même gênés plus la soirée s’avance - “Si, si, ne vous inquiétez pas, il va sortir!” - le personnage terré en compagnie de quelques sbires dans son bunker ne daignera esquisser la moindre apparition juste un bref instant, dans l’embrasure du porche de son palais à notre micro car le croirez-vous, il y a ce soir-là, la retransmission d’un inévitable match de football tellement important une fois de plus, à ne rater sous aucun prétexte si l’on est supporter inconditionnel. D’ailleurs les beuglements exaltés perçus à travers la mince cloison ne laissent aucun doute. Dans ces conditions, la terre peut discrètement s’arrêter de tourner, sans émouvoir quiconque. Fort heureusement le spectacle offert à quelques dizaines de mètres derrière nous, continue d’enthousiasmer un public indifférent au ballon rond, rassemblé devant le podium. Pour nous quatre, témoins  passifs de cette actualité inopportune, c’est la douche froide. Nos derniers espoirs de rencontrer la “star” s’évanouissent plus la soirée s’allonge, en même temps que la perspective de ramener au studio une interview exclusive. Le match est terminé depuis un moment car les clameurs se sont apaisées à l’intérieur des mobil-homes. Toutefois personne n’est en vue. Désolation totale ! La lutte inégale est perdue pour notre petite radio. Tant pis, au moins, nous détenons la révélation de la soirée: Thierry Pastor, malgré son patronyme, n’est pas de bonne parole puisque nous ne l’apercevrons jamais, ni ce soir, ni un autre jour d’ailleurs! étrange ce comportement irrespectueux et méprisant vis-à-vis de son public dont nous sommes ce soir les entremetteurs impuissants ! Dommage pour les auditeurs lointains que vous êtes (étiez) comme pour nous qui avons fait la démarche de venir sur ce champ de foire avec notre matériel. Il fallait se douter : une modeste radio provinciale ne fait pas le poids lorsque le dieu tout puissant du foot associé au géant Europe1, sort son artillerie! Je ne me souviens pas à cette occasion si les journalistes de la presse locale ont été éconduits de façon autant cavalière par le personnage, au moment de rédiger leurs papiers. A moins qu’il leur ait promis en guise de confidences, le compte-rendu de ses appréciations d’après match pour leurs rubriques sportives ! De retour bredouilles rue des Victoires, l’intervention à chaud sur l’antenne est cinglante, d’autant plus que nous avions eu la maladresse d’annoncer toute la journée, au cours de nombreuses interventions enflammées, la diffusion avant minuit d’une entrevue exclusive avec Thierry Pastor ! Pas très malin, il faut l’admettre. Alors dans ces moments torrides, oui les paroles ont largement traduit notre rancoeur. P’t-êt’ ben que le mot “goujat” nous a échappé!

 

Le lendemain, l’ambiance n’est pas pour autant calmée car la discussion se poursuit hors antenne avec les copains de la station et reste étonnamment survoltée ! Notre prise de position publique, la veille au soir, loin de faire l’unanimité, fait l’objet d’âpres controverses, c’est le moins qu’on puisse dire. Selon eux, il fallait se taire et ne rien révéler de notre escapade calamiteuse. Soit ! Sauf que les fidèles à l’écoute attendaient. Les collègues qui ont entendu notre diatribe à 23.00, n’ont pas poireauté et attendu vainement l’apparition du messie (à défaut de “pasteur” ! - NdA), comme de vulgaires groupies enracinées devant la porte close d’un camping-car ! Ne souriez pas, notre vengeance a été terrible.Le 45 tours, rayé de la playliste, a été classé “verticalement”, via la trappe du vide-ordures accessible depuis le palier, très pratique pour se débarrasser des daubes. On peut le révéler aujourd’hui, le “Coup de folie” dans la région aura connu une carrière... supersonique !

 

Super Solaris !

 

Le 7 août, un correspondant britannique, David Markwick habitant Saint-Leonards-on-Sea, près d’Hastings (Angleterre) signale qu’à 138 km d’Yvetot, il perçoit de temps en temps Radio Solaris, lorsque les conditions météorologiques sont favorables.Pour prouver ses dires, il joint à son courrier une cassette de nos propres émissions enregistrées de l’autre côté de la mer ! Toutefois, il tient à relativiser son exploit car il reconnaît bénéficier d’une situation géographique privilégiée à cent mètres à peine du rivage du Channel (la Manche) et posséder un arsenal adapté (super antenne DX-FM de réception et tuner professionnel) pour capter les émissions étrangères puisqu’il entend avec autant de facilité, la très parisienne Radio Tour Eiffel. Une réception idéale des stations parisiennes dont nous n’avons nous-mêmes jamais bénéficiée sur le continent, RFM exceptée ! Quoi qu’il en soit, cela fait plaisir qu’à Hastings, on nous entend et qu’il y a aujourd’hui d’autres raisons, pacifiques celles-là, de ne pas bouder la Normandie.

Le Solaris Super light show

 

Un rendez-vous est pris le samedi 21 août, avec les auditeurs pour une grande soirée dansante Super Light show au “New-Club”, une immense boîte de nuit isolée en pleine campagne, à Grémonville, non loin d’Yvetot, dans un vaste hangar au milieu d’un parking géant, pour danser au son d’un véritable orchestre. Le batteur n’est autre que Daniel Verdière. Le technicien de Solaris dévoile ainsi l’autre corde de son arc ! Un service d’ordre très musclé canalise les entrées, chaque week-end, des centaines de jeunes, en provenance de toute la région, au milieu d’un vacarme assourdissant, sous une profusion de spots et de lasers étourdissants. Impressionnant, rien à voir avec la petite discothèque de quartier. Ici, c’est l’usine à grand spectacle du samedi soir où la foule vient dans un seul but : s’éclater ! Cette soirée organisée sous l’égide de l’association Solaris permettra, une fois les achats de boissons, les charges de l’orchestre et celles de la salle déduits, d’encaisser le surplus des recettes générées par les entrées et la buvette. En effet, toute association loi 1901 peut parrainer, un certain nombre de fois dans l’année, de telles soirées, ce qui est très profitable, financièrement parlant! Le seul risque est de ne pas faire suffisamment d’entrées, ce qui serait catastrophique pour notre trésorerie. Devant notre hésitation, Daniel maintient que le dancing fait le plein chaque week-end, qu’il n’y a donc rien à craindre et qu’on est ridicule de s’en faire. De plus, avec un porte-voix comme la radio pour ameuter la région, le support de pub est tout de suite trouvé. Aucune autre      association ne dispose d’autant d’atouts pour se faire entendre. Le Super Light show ne peut être que bénéfique. L’argent doit forcément couler à flots...

Le but de l’action est avant tout d’assurer financièrement l’avenir de la radio et d’améliorer aussi bien le confort d’écoute d’un point de vue technique que les conditions de travail dans le studio. Toute la semaine, les spots d’auto-promos de la “Soirée New Club” envahissent l’antenne, osant une annonce tous les quarts d’heure pendant l’ultime soirée du samedi fatidique. La folie délirante ! Tout est bon pour faire venir le monde de toute la région. Seul dans le studio, je l’avoue, le responsable du matraquage de ce soir sur l’antenne, c’est moi et j’ai honte forcément ! Pendant ce temps-là, au “New-Club”, la buvette ne désemplit pas. Elle est tenue par les animateurs eux-mêmes déguisés en barmen. En même temps, puisqu’ils “tiennent” le client, ils profitent de l’occasion pour proposer leur stock de cartes de membres de l’association Solaris, les autocollants et les posters qui font partie du kit, à ces danseurs assoiffés, sans grand succès, il faut le reconnaître. Ce n’est pas du tout le moment de les encombrer et de leur proposer cette marchandise car la majorité du public est là ce soir pour se divertir, danser, boire, en un mot... s’éclater, donc pas pour admirer nos portraits ! Que ce soit la radio ou un organisateur quelconque qui parraine le spectacle, ne fait guère de différence pour eux, ils seraient venus ici de toutes façons. Néanmoins, près d’un millier de personnes sont présentes ce soir-là sur la piste de danse. C’est beaucoup plus que d’habitude, reconnaît tout de même un membre du service d’ordre à l’entrée, bien que ce ne soit pas le record qu’ait connu cette salle. Preuve tout de même que notre notoriété et la pub démentielle déversée sur l’antenne pour ameuter le public cauchois, ont bien fonctionné. Dès mon arrivée sur les lieux juste après la fin des émissions à minuit, Laurent me fait une révélation, au milieu du brouhaha:

“Au cours de la soirée, l’atmosphère était de plus en plus chaude. Aussi pour inciter les danseurs à se diriger volontairement en masse vers la buvette, on a fermé les vasistas du dancing bien avant l’arrivée du public et répandu du gros sel sur la piste, pas pour éviter le verglas mais plutôt pour assécher l’air ambiant et surtout les gosiers !”

La version de Rod à propos de cette légende n’est guère différente : “Lors d’une des soirées organisées par la radio dans ce club, certains animateurs - David, moi-même et peut-être d’autres - ont acheté, en plus des caisses de boissons gazeuses et autres bières, quelques kilos de gros sel qu’ils ont consciencieusement répandus sur la piste de danse ! Ils espéraient ainsi réduire l’hygrométrie de l’air ambiant, et voir les danseurs assoiffés se précipiter vers les canettes de bière, dont le bénéfice de la recette était destiné à gonfler la trésorerie de Radio Solaris. Mais la méthode ne s’est pas révélée très efficace !”

Vieille rumeur fondée ou pas, tout de même les décapsuleurs chauffés à blanc n’ont pas chômé cette nuit-là !

 

Les organisateurs du corso fleuri de Doudeville arborent une triste mine en ce dimanche d’août. Va-t-on devoir annuler la fête annuelle à cause de tous ces nuages noirs qui menacent dans le ciel au-dessus de la cité? Que nenni. Quelqu’un a l’idée de brancher la sono de la ville sur la radio “pop-rock” locale : les ondes hertziennes peuvent-elles accomplir des prodiges ? Aussitôt fait, quelques minutes plus tard, le soleil pointe son nez et réapparaît dans toute sa splendeur. Le corso va pouvoir démarrer. Encore un miracle à mettre au crédit de la “radio du soleil”. Rayonnant non ?

Le 2 octobre 1982, la radio du soleil torride continue son évolution technique avec l’apparition de la stéréophonie ! L’apport d’un codeur stéréophonique est venu compléter le matériel d’émission. L’amélioration technique était tellement attendue par les mélomanes ! Malgré nos quelques appréhensions, la portée des ondes de Radio Solaris ne semble pas affectée par ce nouveau traitement apporté à notre signal.

 

Enfin, ce n’est pas le moins important, l’association, après avoir déposé auprès de l’administration publique un dossier de création d’emploi d’initiative locale, a décidé d’accueillir un premier poste d’emploi permanent. En principe, d’autres embauches suivront. Pierre est le premier bénéficiaire de cet emploi. Il lui sera confié la tranche matinale de 6 h30 à 10 h 00 et en tant que responsable des programmes, chargé de mettre en place une grille de programmes. Celle-ci devra comprendre de nombreuses pages pratiques, des infos locales, un ou plusieurs bulletins météos, une page agricole, etc. Interviewé pour l’occasion dans le Courrier Cauchois, le souci de Pierre est de mieux répondre aux attentes du public, avec l’exemple d’émissions destinées aux jeunes, programmées en toute logique en fin d’après-midi au moment de la sortie des lycées. La tranche réservée à la musique classique de Jean passera le matin. Une chronique hippique est prévue le dimanche matin avec Monsieur Leprince, turfiste et tenancier de l’annexe de la station, euh, pardon... du Café de la Place des Belges, avec l’ambition avouée de faire gagner le tiercé à nos auditeurs, pourquoi pas?

 

Si le départ des émissions est fixé de si bonne heure, cela ne veut pas pour autant dire que Pierre est fidèle au poste dès 6 heures tapantes. Après toutes ces années, il y a maintenant prescription : Pierre nous a finalement avoué qu’une bande enregistrée assure (parfois), de façon automatique, l’intérim en attendant son arrivée “en chair et en os” dans les locaux de la station. Le rêve de tout travailleur de l’aube : se faire remplacer par un robot ! Or un jour, la bande (à la longue, elle se fatigue aussi !) casse pendant la diffusion ou se termine plus tôt que prévue. Cela survient, laissant sur l’antenne, un “blanc” qualifié à ce stade de... vide sidéral. Le silence, c’est bien connu, est l’ennemi redouté de la radio ! Jean-François (Jeff), un jeune animateur à l’écoute, a tout de suite compris ce qu’il se passait et partant au lycée, a dû faire un détour, tambouriner à la porte de l’appartement de Pierre profondément endormi!

 

Anecdote cuisante : le magnétophone démarre automatiquement avec plus ou moins une à deux minutes de flottement à l’aide d’une petite pendule programmée (les timers digitaux précis à la seconde près n’existent pas encore). D’ailleurs, les deux magnétophones Revox du studio antenne sont équipés de tels dispositifs archaïques qui permettent néanmoins de meubler l’antenne la nuit, sans la présence de quiconque, avec des bandes enregistrées d’une durée de trois heures, à la condition qu’elles puissent démarrer toutes seules et au bon moment. Lors du passage de l’heure d’hiver à l’heure d’été ou réciproquement, cela représente chaque semestre un casse-tête chinois pour certains : cette fois, faudra-t-il retarder ou avancer les pendules d’une heure ? Malheureusement à la radio, l’erreur de programmation ne pardonne pas ! Après quatre ou six heures épuisantes d’antenne (je plaisante) la nuit de samedi à dimanche, fin mars 1986, je suis le responsable - tout désigné, puisqu’il en faut un - d’un impardonnable pataquès : de façon consciencieuse, j’avais bien pensé à avancer la seconde pendule pilotant le Revox n° 2 pour démarrer à 6.00 (nouvelle heure d’été). Là, c’était fait, j’étais tranquille. Hélas, juste avant de quitter le studio dans la nuit, l’esprit flottant déjà dans ses limbes nocturnes, j’ai lancé le premier magnéto comme je le faisais d’habitude à 3.00 (heure d’hiver) sans me soucier que la bande enregistrée allait durer trois heures au lieu de deux nécessaires cette fois ! Mauvais calcul car à 6.00, heure (soit à 5.00 d’hiver, oui on s’y perd même en le racontant), le second magnéto démarre à son tour comme prévu, mais évidemment chevauche la dernière heure superflue du premier magnéto qui continue de tourner. Résultat : entre 6.00 et 7.00 (heures d’été), les deux Revox diffusent simultanément leurs programmes respectifs sur l’antenne, deux programmes pour le prix d’un, avouez que c’est une affaire! Bien sûr, c’est une heure interminable de honte sur toute la région, au grand    étonnement des couche-tard et des lève-tôt, ce dimanche matin-là. Ils ne sont pas les seuls à l’écoute ! Depuis Rouen, je ne suis pas fier ! Inutile de préciser une fois de plus que les avis critiques du fond de leurs lits, sans prononcer le nom du coupable de cet “embrouillamini”, y sont allés de leur venin les jours suivants : “C’est inadmissible ce qu’il s’est passé dimanche matin, c’est scandaleux... pas sérieux, etc, etc...” Ok, sympas les amis!

 

NB : en 2019, on réfléchit toujours à l’utilité de cette mesure controversée de changement d’heure qui n’a jamais démontré son efficacité : l’énergie supposée économisée en soirée n’est-elle pas gaspillée tôt le matin et vice-versa six mois plus tard ?

 

Un hit-parade intitulé le SOLARIS TOP 20 est diffusé tous les samedis après-midi. Il dure une heure et est établi à partir du vote des animateurs de la station : sur le tableau blanc du studio principal figurent les 20 titres du TOP 20 de la semaine, ainsi que quelques propositions d’entrées. Chaque samedi, Rod fait les comptes et présente le nouveau TOP. Chaque disque est précédé d’un jingle avec beaucoup de réverb’ comme il se doit en pareil cas : “Num…numéro 20 !” puis “Num…numéro 19!”, etc… Pas facile de transcrire ici un semblant d’écho rien qu’avec des mots ! Pour les fans de technique, les jingles sont enchaînés à la suite sur la même bande magnétique, uniquement séparés par une amorce transparente qui provoque l’arrêt du Revox, instantanément prêt à repartir dès le numéro suivant dans le décompte. Le départ est télécommandé de la table de mixage en actionnant le fader* correspondant. Le Top 20 de Radio Solaris a même été présenté par Rod en direct de la Salle des Fêtes de Doudeville, Vincent assurant la diffusion des disques et des jingles depuis le studio d’Yvetot. Un exploit si l’on considère que les deux compères ne pouvant se voir, ne disposaient que d’une seconde ligne téléphonique et non d’un circuit fermé de télévision pour communiquer leurs instructions.

Fin octobre les PTT ont organisé en collaboration avec la station une opération intitulée “Le Jeu de l’épargne à la Poste”. Sept personnes parmi les 800 cartes reçues, tirées au sort, ont ainsi pu gagner chacune un récepteur FM, le minimum indispensable pour qu’elles deviennent auditrices de la station, si ce n’est déjà le cas. La cérémonie qui se déroulait dans les studios s’est terminée devant une coupe de champagne à la prospérité de la Poste et de la Radio.

 

Un an après des débuts timides et modestes, la grille s’étoffe toujours. Radio Solaris se remémore les grandes étapes marquantes de ces douze derniers mois, l’arrivée dans les nouveaux studios, la construction du pylône d’émission, l’émetteur de 400 W - pas très fiable, il faut le dire car trop souvent en panne - et l’arrivée de la stéréophonie ! Quarante-trois animateurs bénévoles assurent 120 heures hebdomadaires.

 

 

 

 

Chapitre 1983

 

 

 

Changements de présidents à la tête de l’Association Solaris - Autorisation officielle d’émission accordée par la Commission Galabert - Un DJ québécois au micro de Radio Solaris

 

 

3 mars 1983 : dérogation accordée

 

Parmi les 24 dossiers haut-normands présentés à la Commission Galabert, composée de représentants de l’État chargés d’accorder les autorisations d’émettre, celui de Radio Solaris a été accepté et jugé, paraît-il, le plus intéressant, le plus varié du département d’après les commentaires d’un participant! Le rêve continue ? La commission a donc donné un avis favorable à la demande de dérogation présentée par l’association. La fréquence sera attribuée à titre officiel avec 500 watts. Cet avis favorable conforte l’avenir de la station et remplit de fierté toute l’équipe. La signature, par Georges Fillioux, le ministre de la communication, de cette dérogation doit être accompagnée d’une subvention de 100.000 francs. C’est ce qui est annoncé. N’oublions pas qu’il y a à ce moment quelques centaines de radios libres en France qui espèrent “toucher” elles aussi cette manne financière promise.

 

Note ajoutée en 2011 :  sauf erreur de ma part, aucun souvenir du virement de cette subvention ? ça ne devrait pas s’oublier pourtant. (jcd)

En ce mois de mars 1983, voici le moment d’apporter des changements majeurs dans la composition du bureau de l’association Solaris : Paul-Yves, engagé par ses responsabilités professionnelles et de moins en moins visible à la station, cède sa place de président. Le vice-président Daniel Lefebvre lui succède logiquement dans ce rôle qui ressemble de plus en plus à celui d’un véritable chef d’entreprise. Paul-Yves prend la place de vice-président. Arielle est nommée secrétaire. Didier devient trésorier. Confortée dans ces choix, Radio Solaris poursuit sa vie paisible et atteint progressivement sa vitesse de croisière. Elle s’installe déjà dans une certaine routine. Pendant cette année 1983, si les articles de la presse locale relatant les faits et gestes de la radio se raréfient, l’activité de la station ne fléchit pas :

- Radio Solaris contribue largement à l’information culturelle du pays de Caux et annonce toutes les activités dont ont bien voulu lui faire part les divers comités et associations de la région.

- Elle accueille dans ses studios de nombreux présidents d’associations, responsables de clubs qui viennent faire part de leurs activités aux  auditeurs de Radio Solaris.

- La station présente, à l’occasion du passage du Tour de France dans la région, quelques flashes journaliers.

- Elle anime de nombreuses quinzaines commerciales, accueille les responsables d’une exposition consacrée à l’ancienne “Radio Fécamp”.

- Radio Solaris sonorise le Corso Fleuri de Doudeville et apporte son patronage au premier podium d’été qui visitera une vingtaine de bourgs cauchois tout au long de l’été.

 

En septembre 1983, Solaris accueille une nouvelle voix. Cette fois, ce n’est plus l’accent cauchois ou rouennais que l’on entend sur l’antenne mais celui du Québec. En effet, Paul-Yves a invité l’un de ses amis Sylvain Tremblay à passer quelque temps dans notre Normandie et à “jouer” du micro par la même occasion. Ceci n’a pas dépaysé Sylvain car celui-ci est déjà animateur sur une radio FM du Québec. Un professionnalisme qui n’est pas passé inaperçu parmi nous et nous a rendus, comment dire, assez humbles devant le micro ! Sylvain s’est rappelé de ses quelques jours passés chez nous et nous a adressés un petit message:

 

Radio Solaris, j’y étais en septembre 1983...

 

Bonjour,

En septembre 1983, je fus invité par Paul-Yves Deschamps à visiter la Normandie et faire quelques émissions sur l’antenne de Radio Solaris les week-ends. Je me rappelle très bien l’émetteur dans les WC, le pupitre de son quelque peu rudimentaire, ainsi que la pub et les jingles diffusés sur mini-cassettes. Pour un Québécois travaillant dans une radio commerciale du Saguenay (CKRS AM), j’ai été enchanté de voir des gens aussi passionnés de radio que moi. Aujourd’hui, j’occupe le poste de directeur des émissions à "Radio Rock-Détente", une station adulte située à Chicoutimi, Québec.

(Rock Détente est devenue “Rouge FM” en 2011 - NdA) 

J’ai toujours en mémoire les agréables moments passés avec votre équipe de pionniers de la radio FM “Libre”.

Amitiés du Saguenay,

Sylvain Tremblay

directeur produit CFIX RockDétente 67, rue Racine Est Chicoutimi, Qc  G7H 5K3

 

ASSEMBLéE DE L’ASSOCIATION SOLARIS

article du “Courrier Cauchois” du 24.12.1983 - Extraits :

 

“Le 16 décembre 1983, les membres de l’association se sont réunis en assemblée générale à l’Hôtel du Chemin de fer à Yvetot.

 

Après avoir salué les participants et remercié chacun d’être présent, le président Daniel Lefebvre insista sur la volonté et la passion avec lesquelles les animateurs ou administrateurs de la station ont rempli leurs fonctions durant l’année 1983. Il souligna en particulier qu’être animateur sur une radio locale cela suppose, prendre l’engagement d’être    derrière le micro à chacune de ses émissions et de ne pas faillir à la tâche; même si l’on est bénévole. Il adressa également ses remerciements aux deux permanents, Pierre et Jean-Luc, pour le travail d’organisation accompli tout au long de cette année.

 

Puis il rappela que Radio Solaris a été créée par une équipe de gens convaincus par la radio libre, la vraie, celle qui est indépendante de tout pouvoir, qu’il soit psychologique, politique ou financier : Si l’on veut que Radio Solaris conserve cet esprit de liberté, il nous appartient de rester vigilants et de ne pas céder au chantage de l’argent, ou du contrôle des idées ; de la musique avant tout, voilà ce que demandent les auditeurs de Radio Solaris, témoins les 1 245 cartes reçues à la boîte postale pour le deuxième anniversaire de la station, qui sont autant d’encouragements pour nous, à continuer sur la voie que nous nous sommes tracée, devait-il conclure.

 

Puis il céda la parole à Arielle pour le compte rendu d’activités de la station en 1983. De manière très éclectique, Arielle dressa un tableau des diverses activités ou manifestations auxquelles s’est associée la station en 1983 ; elle rappela également l’accueil dans les studios, de nombreux présidents d’associations et responsables de clubs qui sont venus faire connaître les activités de leurs sociétés aux auditeurs de Radio Solaris. Septembre 1983 vit la modification de la grille de programmes qui semble avoir donné satisfaction à tous (...)”

 

En attendant, avec les premières froidures, c’est déjà le deuxième anniversaire. Le brave facteur d’Yvetot croule sous les 1500 cartes de vœux de Nouvel an envoyées par les auditeurs.

 

 

 

 

Chapitre 1984

 

 

 

Solaris autorisée à 500Watts - Déménagements des studios rue Pierre et Marie Curie - Achat d’un nouvel émetteur - Légalisation de la publicité -  Nouvelle fréquence 88,6MHz - Interférences et “Affaire Solaris v/s TDF”

 

 

Cela fait des mois que l’on attend la décision de la Haute Autorité (l’ancienne commission Galabert ou le futur C.S.A. - Conseil Supérieur de l’Audiovisuel) concernant les autorisations accordées aux radios locales. Le Journal Officiel du 20 mai 1984 vient de mettre un terme à cette attente en publiant la liste des autorisations d’émettre pour la Seine-Maritime. Dans notre voisinage, les radios suivantes sont donc autorisées, dans l’ordre de publication :

 

- Fréquence Fraternité à Louvetot 150 W sur 101,6 MHz

 (sur le lieu des anciennes installations de Radio Normandie - NdA) ;

- Radio Solaris d’Yvetot, 500 W sur 88,6 MHz,

- Radio Rivage de Dieppe 100 W sur 94,3 MHz ;

- Dieppe FM 100 W sur 100,6 MHz ;

- Caux Média de Saint-Martin-du-Manoir 100 W sur 89,6 MHz ;

- Horizon FM de Villers-Ecalles 100 W sur 89,9 MHz ;

- Radio Cumulus à Fécamp 40 W sur 95,3 MHz.

 

Enfant particulièrement gâtée, Radio Solaris bénéficie de la puissance maximale, 500 watts ! Cependant, soyons-en conscients, c’est juste le minimum requis pour couvrir le pays de Caux dans son intégralité. De plus, cette faveur de watts autorisés devra être encore réduite dans certains azimuts pour ne pas gêner d’éventuelles radios qui partageraient la même fréquence dans les départements voisins et particulièrement sur la côte sud de l’Angleterre. Un autre bémol tempère notre enthousiasme, le “vieil” émetteur Elecktro-Elco connaît ses limites: impossible pour lui de descendre au bas de la bande FM jusqu’à cette fréquence imposée de 88,6 MHz où son fonctionnement se révèle instable (!). Voilà une excellente raison pour nous d’acquérir un nouveau jouet encore plus performant. Le remplacement du matériel s’impose sans tarder! Un nouvel émetteur de marque Itelco d’une puissance nominale d’un kilowatt est commandé. Mille watts, ça va nous donner de la marge, même s’il ne doit tourner qu’à mi-puissance ! Le prix de l’engin est de 150.000 F (val.actuelle : 45 000 €). Du coup, la banque est sollicitée : il sera payé à crédit, les finances de l’association Solaris obligent!

 

Avec une puissance (théorique) réduite à 500 W - le déménagement de notre lieu d’émission va devenir une obsession. Toutefois, le rayonnement électro-magnétique d’un émetteur FM en pleine zone urbaine, pourtant réglé avec soin, ne passe pas inaperçu dans les circuits téléphoniques et ceux des téléviseurs du quartier de la rue des Victoires à Yvetot. De plus, pour se faire entendre jusqu’à la lisière du pays de Caux, il faut disposer d’une antenne d’émission suffisamment élevée et bien dégagée au-dessus des toits des immeubles aux alentours. Il y a, paraît-il, un silo à blé non loin de la gare d’Yvetot qui offrirait une vue imprenable sur la région et donc un perchoir idéal à notre pylône si l’on exclut les nuisances dues à la poussière stagnante, préjudiciable au bon fonctionnement de l’émetteur. Un instant, on avait songé demander l’autorisation de hisser l’antenne au sommet de l’église d’Yvetot dont le clocher* se distingue de très loin dans la campagne environnante. Non sincèrement, mieux vaut oublier.“On a dit : Pas de provocation avec la religion”. Alors, faisons une croix là-dessus ! <  Logique... mais j’ai honte ! (NdA) 

Encore un déménagement

 

La subvention de 100 000 francs, promise par le gouvernement pour soutenir les radios associatives, semble enterrée (sauf erreur ?) et passée aux oubliettes. Le seul moyen pour financer la station reste la publicité dont on nous promet l’autorisation imminente. Enfin après 33 mois de tergiversations au plus haut de l’État... Celle-ci va-t-elle modifier les statuts de l’association ? En contrepartie, allons-nous perdre notre liberté de ton à l’antenne et notre identité ? Autant de questions qui seront évoquées lors de l’inauguration officielle de nos nouveaux studios fixée le vendredi 15 juin 1984.

 

En effet, le F2 de la rue des Victoires est devenu à son tour, trop exigu. Il va être abandonné partiellement, au profit d’un appartement beaucoup plus vaste et mieux adapté pour “faire de la radio”, rue Pierre et Marie Curie à quelque soixante-dix mètres de là, dans une rue adjacente. Rien n’est prévu pour l’émetteur et l’antenne, lesquels resteront en place, rue des Victoires. De ce fait, Monsieur Hétru aura la gentillesse de mettre à notre disposition l’intégralité de son appartement pour y loger notre émetteur dans une seule pièce ! D’ores et déjà, on peut révéler que la présence de ce locataire autant encombrant que bruyant ne lui permettra pas de re-louer les lieux à d’autres occupants pendant la durée de vie de la station. Quand j’emploie le mot “gentillesse” à propos de Monsieur Hétru, ce terme est évidemment trop faible, même si je connaissais peu cet homme, ne l’ayant rencontré qu’une seule fois. Sauf erreur, je suppose qu’il n’a pas dû (beaucoup) profiter du revenu de cet appartement pendant les années de notre occupation. Là aussi, le terme “beaucoup” est superflu ! Mais une radio musicale attachée à sa bonne ville d’Yvetot devait représenter énormément pour lui, au même titre que ses multiples activités (gérances de salles de cinémas, organisations de spectacles, vente de disques) pour qu’il accepte de s’associer et de soutenir notre fragile entreprise, bien conscient de l’état de nos finances. S’il avait fallu payer un second loyer en centre ville, pendant combien de mois, ou plutôt de semaines, Radio Solaris aurait-elle pu survivre ?

 

IMPORTANT - C’est un privilège dont a bénéficié Radio Solaris qu’il convient de souligner ici et c’est grâce aux appuis discrets d’une poignée de personnes, tel Monsieur Hétru que notre station de radio indépendante a survécu et progressé pendant ses quelques années d’existence malgré les embûches et les déceptions rencontrées. Forcément, on éprouve un pincement au cœur aujourd’hui en repensant à l’inutilité de tous ces efforts.

 

Ainsi, pour relier les deux appartements distants de 70 mètres, évidemment, pas question de louer une coûteuse ligne spécialisée à France Telecom (qui loue ses câbles de cuivre au prix de l’or !) pour connecter les studios à l’émetteur, ni d’installer un “pont hertzien”, vous vous en doutez, rigoureusement interdit aux radios libres par la législation : rien n’est jamais simple en France avec l’Administration, c’est bien connu ! Il ne nous reste qu’une solution très basique pour joindre les deux locaux, tendre un double fil téléphonique en travers de la rue principale, à bonne hauteur, soit une dizaine de mètres environ et en totale impunité. N’est-ce pas là une violation manifeste du monopole de France Telecom? Sûrement !

 

Les nouveaux locaux rue Pierre et Marie Curie comportent deux studios: un petit de production (studio 2) pour la confection des messages publicitaires ou des annonces promotionnelles, et l’autre studio principal de diffusion (studio 1) destiné au programme “direct”. Celui-ci plus spacieux est séparé par une sacro-sainte vitre épaisse comme dans toute radio de pros (!). D’un côté, on trouve la régie technique avec les commandes automatiques à portée de mains du DJ (mixage, platines disques, cassettes, magnétos et micro). Pour se prémunir des sauts de disques intempestifs, les platines Technics SL1200 sont posées sur des parpaings de ciment cachés sous la console. De l’autre côté de la vitre, une table ovale équipée de 6 micros, accueillera les invités. Dans l’appartement, est prévu un coin pour la discothèque, un local pour les téléphones (il y a plusieurs lignes groupées. Le rêve, je vous dis !), le magnéto de contrôle. C’est mon vieux magnétophone Philips 4450 auto-reverse amené à la station qui va tourner jour et nuit. Ben oui, faut être motivé! Pour finir, la dernière pièce disponible du logement est affectée au secrétariat. Chaque mois, ce sera une salle de réunion houleuse, à l’occasion! L’appartement, deux fois plus vaste que le précédent rue des Victoires, va permettre de faire de la (bonne) radio dans de meilleures conditions. Il est situé au premier étage de l’immeuble. Une mansarde sous les toits est mise à la disposition de l’association. On y stockera nos vieux disques usés 45 et 33 tours, nos trésors passés de mode et malheureusement nous oublierons de les récupérer quelques années plus tard. Le rez-de-chaussée est occupé par le siège de l’agence locale de Paris-  Normandie, l’autre journal régional.

 

Il faudra près d’un mois pour aménager ce local. Pour l’inauguration des nouvelles installations, une réception officielle est organisée. De nombreux invités, des élus et aussi des responsables d’associations qui ont accepté l’invitation, visitent les nouveaux studios. Parmi les personnalités, on remarquera la venue de Monsieur le Maire d’Yvetot, également conseiller général qui a honoré de sa présence la sympathique manifestation, selon le compte-rendu publié dans la presse. Au cours de son allocution, Daniel, notre président, a dressé un rapide historique :

 

“Depuis le 16 novembre 1981 jusqu’à maintenant, que de chemin parcouru ! Depuis fin 1982, les programmes s’étendent de 6 à 24 heures, l’ensemble est assuré par des animateurs bénévoles, car ici on fait de la radio de la même façon qu’on pratique un sport. L’antenne, le matériel ont évolué, de nouveaux animateurs sont arrivés, d’autres sont partis, l’évolution n’a pas été toujours facile, si aujourd’hui tous les types de musique ont droit de cité, il a fallu tenir compte des goûts exprimés par les auditeurs, et non pas seulement ceux des animateurs.

Trois emplois ont été créés en octobre 82, novembre 83 et mars 84 pour répondre aux besoins qui surgissaient. Une quatrième création est envisagée actuellement. L’indépendance de la station, la qualité des programmes, la conformité aux dispositions légales et techniques ont été reconnues par la “Commission Holleaux-Galabert” ou “Haute Autorité” ( le futur CSA ) le 3 mars 1983 puis par l’attribution d’une dérogation au monopole d’état de la radiodiffusion le 6 avril 1984. Aujourd’hui, l’objectif reste de conserver la structure associative tout en faisant appel à la publicité, apport indispensable à l’équilibre d’un budget qui atteindra 450 000 francs en 1984. Solaris est maintenant l’auxiliaire précieux des collectivités locales et des entreprises si j’en juge par la présence d’élus et de responsables d’associations parmi les personnes ayant répondu à notre invitation...”

 

Pendant cette manifestation, la présence honorifique du maire d’Yvetot, le Dr Pierre Bobée dans nos locaux, est la meilleure preuve que la radio locale s’est débarrassée du soupçon d’amateurisme qui subsistait encore, qu’elle a pris la place qu’il convient dans le tissu économique de la région et est devenue maintenant un média reconnu.

C’est l’occasion pour Daniel Lefebvre d’annoncer une importante nouvelle qui concerne l’avenir de la station : il s’agit du prochain changement de fréquence qui a été fixé début juillet ! (ce sera en fait le 18.8.1984 - NdA) Effectivement, nous quitterons le point symbolique des 101 MHz sur les cadrans des récepteurs pour “régresser” au bas de la bande FM jusqu’à 88,6 MHz, une place nettement moins stratégique pour capter de nouveaux auditeurs. évidemment, ce n’est pas avec une gaîté de cœur que nous allons abandonner notre fréquence mythique. Mais il faut se soumettre, les désirs de la Haute autorité sont des ordres !

 

En attendant, la cérémonie d’inauguration se poursuit. La manifestation va maintenant se prolonger autour du verre de l’amitié pour lequel sont conviés toutes les personnalités présentes, les collègues et les amis de Radio Solaris réunis dans ces nouveaux locaux.

 

 

 

Arrivé dans ces nouveaux studios, je crois que je me souviendrais longtemps de cette anecdote personnelle vécue grâce à Jonathan, un collègue DJ accompagné de l’un de ses amis dont j’ai malheureusement oublié le nom. J’en pleure de rire encore aujourd’hui, c’est dire ! Il faisait très chaud ce dimanche après-midi-là à Yvetot. Le quartier était désert. Tout Yvetot était parti en week-end, semble-t-il ? Les fenêtres du studio largement ouvertes sur la rue Pierre et Marie Curie laissaient pénétrer un maximum d’air supposé frais ! Jonathan venait de terminer la session précédente (12.00-15.00) et après quelques mots échangés, les deux amis prirent congé avec une idée derrière la tête. Ils rejoignaient leur voiture stationnée en bas, juste au-dessous des fenêtres du studio,      toutefois sans démarrer aussitôt, le temps de brancher l’auto-radio et que de mon côté, je reprenne la suite des opérations. J’étais bien en place devant le micro. J’avais lancé le Coup de Soleil*, selon la coutume à chaque début d’heure. Ils ont attendu patiemment la fin du disque, que je commence à parler et à ma grande stupeur, se sont mis à klaxonner à toute volée en bas dans la rue. Évidemment avec le micro allumé et les fenêtres grandes ouvertes, ça n’est pas passé inaperçu car tout le monde à l’écoute dans le pays de Caux entier a entendu ce concert de folie donné en plein Yvetot. La grosse farce, j’aurais dû m’y attendre ! Tous écroulés de rire en bas et moi seul devant le micro pris d’un énorme fou rire impossible à contenir ! Je ne me rappelle plus comment j’ai pu reprendre mes esprits et enchaîner le disque suivant. Et difficile, me direz-vous, de poursuivre l’émission sereinement après une pareille entrée en matière ? Détrompez-vous, car pour les trois heures suivantes, le ton était lancé ! Quels joyeux souvenirs de radio !

 

* Le "Coup de Soleil", en référence à notre logo, était une chanson extraite des nouveautés de la semaine, mise à l’honneur par la station du samedi au vendredi suivant. Le 45 tours en évidence au-dessus de la table de mixage devait être diffusé impérativement à chaque début d’heure, soirées et nuits exemptées. Voir p. 121

Le 1er août 1984 : légalisation de la pub sur la bande FM.

Quoique certaines radios n’avaient pas attendu...

 

Avec l’arrivée officielle de la publicité, on va enfin mettre du beurre dans les épinards. François est chargé de prospecter et de contacter les premiers clients-annonceurs. Une deuxième ligne téléphonique lui est totalement dédiée. Le magasin Darty de Barentin (25 km d’Yvetot) après notre achat de deux platines cassettes Technics, nous promet de brancher la sono interne du magasin sur notre station. Aussitôt dit, aussitôt fait, promesse tenue. Ce sont nos propres voix que l’on entend dans l’ambiance feutrée du magasin. C’est drôle, on les reconnaît à peine. Est-ce bien nous ? Quand on pense que les clients qui déambulent dans les allées à la recherche du lave-vaisselle ou de la chaîne Hi-Fi de leur rêve, ne prêtent aucune attention au programme sublime qu’ils entendent et qui est concocté pour eux, au même moment à Yvetot ! Grosse surprise, l’Intermarché d’Yvetot qui nous a pourtant acheté des “espaces de pub”, a oublié sa sono par pure négligence sur... RVS, “l’arrogante” (humour) concurrente rouennaise ! Idem chez le Bricorama d’Yvetot où une réclame d’Art du Bricolage, une (grande) enseigne rivale de Rouen, passe sans complexe dans ses propres haut-parleurs. Oups, colossale erreur ! Étrange qu’ils n’aient pas encore acquis le réflexe de se brancher sur leur radio “pop-rock” locale, celle que leurs clients connaissent et qui passe leurs pubs pourtant, plutôt que d’aller chercher à 40 kilomètres ce dont ils disposent à proximité ? Avec l’arrivée de la pub à la radio, on aura tout vu et tout entendu. Ils sont surprenants les commerçants d’Yvetot !

 

Encore une anecdote. Après avoir aperçu les autocollants qui tapissent les vitres arrières de la R5, le gérant cauchois d’une station-service(à l’ex-enseigne Leclerc) de Sainte-Marie-des-Champs, une commune limitrophe d’Yvetot, comprend immédiatement qui nous sommes et où nous allons cet après-midi-là. Bien naturellement, il nous demande si l’on ne pourrait pas également lui faire un peu de pub pour son commerce qu’il vient de créer, comme celle qu’il a déjà entendue “dans le poste” à l’intention de ses confrères. Bien volontiers et aucun problème en ce qui nous concerne. En deux mots, on lui explique ce qu’il convient de faire, coordonnées et tarifs... “Ah mais, grogne-t-il soudainement, il faut payer ? Moi je croyais que vous étiez des bénévoles. Vous ne faîtes pas ça gratuitement ?”

 

Alors là, je reste sans voix. Dans ma tête, me vient rapidement ce dialogue surréaliste :

— “Euh, pour le plein d’essence, on va pouvoir s’arranger ?”

Mais je me retiens. Avant de repartir, j’imagine un marchandage avec l’EDF le jour prochain où il s’agira de payer l’infernale facture d’électricité (nucléaire) consommée par l’émetteur : “Ah bon, z’êtes sûrs, il faut vraiment régler quelque chose ?” *

 

C’est vrai, pourquoi payer ? Pourquoi verser des salaires, nous sommes des philanthropes, tous des bénévoles, pas vrai ? Un détail tragique : la “station service” en question, n’existe plus aujourd’hui. Elle a disparu. Tiens, elle aussi. C’est dur... Oui, c’est dur pour tout le monde.

 

 

 

 

Pour survivre, il existe quelques rentrées d’argent issues de subventions versées par quelques communes du pays de Caux et également du SIVOM Caux Maritime (un syndicat intercommunal en pays de Caux). Si elles sont les bienvenues, le montant de ces aumônes est trop modeste pour faire tourner durablement une radio locale et pouvoir embaucher du monde pour l’animer. Les charges financières de la station, par ordre d’importance, représentent les salaires versés aux employés permanents qui entraînent les charges sociales URSSAF (un budget démentiel, comme chacun le sait!). Viennent ensuite l’électricité, le loyer de l’appartement, les frais postaux, la maintenance du matériel et les droits d’auteur à payer à la SACEM pour la musique diffusée. Quoique sur ce dernier point, je serais moins affirmatif. Je ne suis pas sûr que cet organisme ait encaissé quelque somme de notre part. Déjà qu’on achète nous-mêmes les disques, TVA incluse, en puisant dans nos fortunes personnelles, il ne faut tout de même pas exagérer.

 

A ce propos, je me rappelle les formulaires SACEM contraignants que nous nous appliquions à remplir consciencieusement, disque après disque, pour le cas où l’obligation de verser des droits d’auteur deviendrait effective. Pendant chacune de nos émissions et après chaque disque, il fallait inscrire le titre de la chanson, le nom du compositeur (et non celui de l’interprète !), sans oublier la référence du disque. Une corvée, j’vous dis ! Dans les radios actuelles, l’informatique gère la “paperasse”, l’ordre des disques, tout est programmé à l’avance. Après cet intermède épistolaire, il fallait vite se hâter de “caler” le morceau suivant sur l’autre platine, tout en réfléchissant à notre prochain laïus, en rapport avec le titre précédent. (que l’on avait eu à peine le temps d’écouter forcément.Un titre durait en moyenne 2 mn 30 à 3 mn - NdA).

 

 

De la Radio à la TV

 

Peu après notre arrivée dans les nouveaux locaux de la rue Pierre et Marie Curie, une équipe de télévision investit les studios à Yvetot, le 14.06.1984. Non pas que la radio cauchoise cherche à franchir allègrement une nouvelle étape vers le petit écran... Une équipe de la télévision régionale FR3 Normandie est venue tourner un sujet de reportage pour son journal de 19.00, consacré aux problèmes financiers rencontrés par les radios privées au moment où enfin la publicité tant convoitée va être légalisée et apparaître de façon officielle cette fois sur les ondes de la bande FM, au début août. Après l’octroi des dérogations aux radios de la région, le journaliste Dominique Voegelé est allé interroger les responsables de quatre radios citadines et rurales haut-normandes, pour le département de l’Eure: Andelle FM (à Fleury-sur-Andelle) et Radio REV (à Evreux) ; et pour la Seine-Maritime : RVS (à Rouen) et Radio Solaris (à Yvetot). Aux quatre représentants de ces radios locales, le journaliste de FR3 a posé les deux mêmes questions : comment votre  station   a-t-elle vécu jusqu’à présent, sans possibilité d’avoir recours à la manne publicitaire et désormais, comment envisage-t-elle l’avenir?

 

Chaque responsable de station apporte une réponse différente adaptée à son propre cas, ce que les téléspectateurs haut-normands ne manqueront pas de découvrir au moment de la diffusion du reportage programmée dans les jours suivants.

 

NdE : la video “Financement des radios privées...”  © FR3Normandie

est visible à partir de ce lien   >   http://www.youtube.com/embed/H857QzqMpew

 

Représentant Radio Solaris, notre porte-parole Daniel Lefebvre approuve l’instauration d’un véritable équilibre, d’une part, entre les subventions publiques et les cotisations des membres de l’association, et d’autre part la publicité, de façon à préserver le caractère particulier des émissions et l’esprit de liberté que chacun peut connaître avec Radio Solaris.

 

Commentaire :  il est évident que les ressources nouvelles apportées par la publicité représenteront la part la plus importante du financement de la radio, les subventions publiques et les cotisations restant purement symboliques ! Sauf erreur, les cotisations des membres de l’association ont cessé d’être exigées avec l’arrivée de la publicité.

Alors comme ça, la puissance “excessive” de Solaris

dérange ? Le piège tendu sur 88,6 MHz va-t-il fonctionner ?

 

Le moment venu de changer la fréquence de l’émetteur est enfin arrivé. Les réjouissances vont pouvoir commencer ! Enfin, pas vraiment celles que l’on attendait. Le 18 août 1984, le changement de fréquence s’effectue conformément aux instructions de la “Haute autorité” sur 88,6 MHz. Il y avait tout lieu de se réjouir de l’attribution d’une dérogation au monopole et d’une fréquence. Seulement, les éminents théoriciens de la Haute Autorité n’ont pas prévu (vraiment qui peut croire ça ?) que nos émissions perturberaient à coup sûr les liaisons VHF sur 80 MHz de la Gendarmerie d’Yvetot dont l’antenne se trouve à une centaine de mètres de la nôtre. Les gendarmes en communication avec leur QG entendent bien malgré eux, les émissions de Radio Solaris en fond sonore de leurs dialogues de service dans les haut-parleurs de leurs véhicules. Qui sait finalement s’ils ne préfèrent pas entendre nos dernières rengaines à la mode à la place de leurs communications professionnelles généralement moins guillerettes ! A l’inverse, évidemment, les auditeurs ne doivent percevoir aucune des confidences gendarmesques dans leurs autoradios! Moins drôle, cette situation burlesque aurait pu avoir des conséquences fâcheuses puisqu’une rumeur circule à Yvetot selon laquelle une nuit, les gendarmes en patrouille ayant repéré une bande de malfrats sur le point de commettre quelques larcins auprès d’une enseigne de bricolage n’auraient pu joindre leur central pour réclamer des renforts, leur matériel de transmission insuffisamment sélectif était saturé par les ondes hertziennes d’une certaine station !

 

Finalement, une radio FM qualifiée de “trop puissante”, agissant en plein centre-ville est-elle considérée comme la bienvenue dans la capitale cauchoise ? On peut se le demander. Les autorisations de monter une antenne de dix-sept mètres sur un silo à grain à l’atmosphère trop poussiéreuse non loin de la gare ou encore d’ériger notre perchoir sur le sommet du château d’eau de la rue des Champs, trop vétuste à ce qu’il paraît pour recevoir un pylône, n’ont finalement pas été accordées. L’un ou l’autre de ces points d’émission beaucoup plus élevés que notre modeste toit d’immeuble de la rue des Victoires, auraient non seulement permis à nos auditeurs éloignés de retrouver une réception confortable, compte tenu des inconvénients liés à la fréquence 88,6 et auraient mis un terme aux nuisances constatées en centre-ville. Tant pis ! Reste donc à dénicher un autre site adéquat en dehors d’Yvetot, à la fois non frappé d’interdit et favorable sur le plan technique. C’est ce qui s’appelle :  Mission... impossible !

 

NB : Le Conseil municipal d’Yvetot avait refusé notre demande d’utiliser le château d’eau municipal comme lieu d’émission, prétextant sa vétusté (?) Devons-nous croire que notre pylône d’émission en alu pèserait plus lourd que les centaines de mètres cubes d’eau contenue dans le réservoir ? Grotesque ! Cela n’a pas empêché l’installation d’antennes SFR sur ce même château d’eau pour la téléphonie mobile 30 ans plus tard. Sûrement là, l’enjeu financier n’était plus le même!

 

Avant de poursuivre notre passionnant récit, faisons le point et reprenons notre souffle :

1 - Après le passage imposé sur la fréquence de 88,6 MHz, les émissions de Radio Solaris brouillent les transmissions de la gendarmerie dont les fréquences utilisées (autour de 80 MHz) sont trop rapprochées de notre nouvelle fréquence imposée ;

 

2 - En même temps, certains auditeurs nous ont fait part de la nette régression de qualité de notre signal, perturbé par le puissant émetteur de France Musique Lille 88,7 MHz et celui de la BBC Île de Wight 88,4 MHz audibles en arrière plan, avec des frisottis constatés à divers endroits du plateau de Caux ;

 

3 - Après réception d’un avis avant poursuites, TDF nous enjoint de déplacer notre antenne sous huitaine, en la dressant à l’endroit où le déclare le Journal Officiel (du 20.05.1984) mais où les Conseillers municipaux d’Yvetot nous l’interdisent !!!

 

 

Qui veut la peau de Radio Solaris ?

 

Que faire ? Faut-il se taire définitivement ? Est-ce vraiment le souhait des autorités ? On se pose la question. L’affaire Radio Solaris, c’est ainsi qu’on en parlera durant quelques semaines, va commencer à faire grand bruit et grossir les titres d’articles des deux journaux locaux. Ceux-ci (il faut les remercier au passage) ont pris le parti de la radio, ce qui n’est pas du goût de Monsieur Wyon, chef du groupe réception de TDF Haute-Normandie à Grand-Couronne qui ne sait plus où donner de la plume pour exercer son droit de réponse et clamer les arguments de Télédiffusion de France : “Ce n’est pas la fréquence 88,6 MHz qui est mauvaise, c’est la puissance qui est trop forte”, écrit-il au Courrier Cauchois du 13 octobre 1984. Signalons tout de même que cette puissance était la même lorsque nous étions sur 101 MHz durant trois longues années où elle ne causait aucune gêne aux liaisons de la gendarmerie !

29/09/84  (Le Courrier Cauchois)

 

LES MYSTÈRES DES ONDES

La Haute Autorité a attribué à RadioSolaris

une fréquence qui perturbe

LES TRANSMISSIONS DES GENDARMES !

Depuis qu’ils se sont conformés aux décisions de la Haute autorité et émettent sur la fréquence 88,6 MHz qui leur a été attribuée, les responsables de Radio Solaris sont victimes de bien des déboires. Il y avait tout lieu de se réjouir de l’attribution d’une dérogation au monopole et d’une fréquence. Depuis sa naissance, la radio libre cauchoise s’était tenue dans la légalité et, sur 101 MHz n’avait causé aucun trouble dans la région.

Ses animateurs regrettèrent bien sûr de devoir quitter la fréquence 101

...

...

qui était la leur depuis novembre 1981, d’autant que la fréquence 101,1 MHz était dans le même temps attribuée à une radio havraise qui n’existait pas encore ! De plus, leur émetteur ne pouvait être réglé pour fonctionner sur la nouvelle fréquence qui leur était attribuée : 88,6 MHz. Ils durent donc faire l’acquisition d’un matériel nouveau, dépensant dans l’affaire la bagatelle de 150.000 F (= 45 000 €). Or, depuis qu’ils se sont pliés à ces différentes obligations et émettent sur 88,6 MHz, les responsables de Solaris couvrent les émissions de la gendarmerie d’Yvetot.

Une telle situation ne pouvait évidemment durer. Les gendarmes ne pouvaient plus travailler dans des conditions normales et assurer leur tâche de sécurité publique, privés de moyens de transmission. Conscients de ces problèmes, les responsables de la station cherchaient de leur côté une solution dans le transfert de leur matériel d’émission et de diffusion. Une solution qui ne pouvait être immédiate en raison des contraintes financières et techniques qu’elle suppose.

Mardi, cependant, on pouvait noter la présence à Yvetot de véhicules techniques de TDF, venus effectuer des contrôles à la suite desquels l’émetteur de Solaris à dû restreindre sa puissance. Certains auditeurs ont depuis des difficultés de réception et le maintien d’une telle situation entraînera inévitablement des difficultés pour la station qui emploie trois salariés et qui doit faire face à ses engagements financiers.

Une solution simple et peu coûteuse consisterait à changer de fréquence en se plaçant sur 99 MHz. Une fréquence libre en Seine-Maritime et dans les départements  limitrophes. Des essais ont été effectués vendredi dernier et les gendarmes ont pu constater que toute gêne cessait dans ces conditions.

La qualité de réception restait excellente pour les auditeurs et aucun trouble n’était signalé par les autres utilisateurs de la bande F.M. Une démarche vient donc d’être faite en ce sens auprès de la Haute Autorité qui se doit de remédier à ses erreurs.

Parallèlement, Solaris poursuit ses recherches de site pour implanter à proximité d’Yvetot une antenne-mât. Le particulier ou la  collectivité susceptible d’apporter une aide sera le bienvenu... Il n’est malheureusement pas possible de connaître l’avis de TDF ou d’avoir connaissance du résultat des mesures effectuées (Elles n’ont pas été communiquées aux responsables de Solaris). Aux Essarts, les services de TDF  ne répondent pas depuis mardi(7). Le service public est... sur répondeur automatique...                                                       S.C.   (Le Courrier cauchois)

 

(7) TDF : Télédiffusion de France, d’abord établissement public, est devenue une société anonyme, filiale de France Telecom, en 1987. Elle protège les ondes (ou les brouille, selon les points de vue). Dans le monde des radios libres, elle est surtout connue pour son rôle répressif, voire policier. Grâce à ses 12500 émetteurs répartis sur le territoire français, elle assure la diffusion des programmes radio du service public, des radios périphériques, de certaines radios privées et des chaînes de télévision pour lesquelles elle a la maîtrise de leurs régies finales. Les radios locales privées dont la puissance est supérieure à 500 W doivent se soumettre à son inspection technique.

 

6/10/84 (Le Courrier Cauchois )

 

LES MYSTèRES  DES  ONDES :

Voici  aujourd’hui  la "VéRITé  OFFICIELLE"

                                                 

Notre article de la semaine passée sur les "Mystères des Ondes" et les difficultés traversées par la station Solaris n’ont pas fait plaisir à M. Maurice Wyon, chef du groupe réception de Haute-Normandie de TDF, qui tient à apporter quelques précisions pour la bonne information de nos lecteurs.

"Vous indiquez : "La haute autorité à attribué à Radio Solaris une fréquence qui perturbe les transmissions des gendarmes." Il convient de préciser que la fréquence 88,6 MHz a été attribuée avec une puissance apparente rayonnée de 100 watts à l’adresse, 20, rue des Victoires, à Yvetot, par la Commission Consultative des R.L.P. le 3 mars 1983".

 

RLP = Radios Locales Privées

 

"La puissance de 500 W parue au J.O. précise: emplacement de l’émetteur Z.I. CARY Yvetot et non rue des Victoires - avec une restriction de 200 W dans les azimuts 360° à 20°. Mardi 25 septembre 1984, j’ai donc été amené à faire baisser la puissance nominale de l’émetteur Radio Solaris à 100 W afin de supprimer les perturbations des services Radio de la Gendarmerie. Ce n’est donc pas la fréquence qui gêne mais la puissance trop élevée et interdite.

 

La P.A.R. de 500 W pourra de nouveau être autorisée en un point extérieur à la ville d’Yvetot, après accord des services de T.D.F. et du C.O.R.E.S.T.A."

PAR = Puissance Apparente Rayonnée

TDF = Télédiffusion De France

CORESTA = Comité d’étude de la Répartition géographique des Stations radioélectriques

 

"Vous écrivez que les services de T.D.F. des Essarts ne répondent plus depuis mardi. Le service public est sur répondeur automatique."

"Je précise que notre secrétaire répond au téléphone tous les après-midis et que les matins où les techniciens et moi-même étions à l’extérieur, un surcroît de travail nous étant imposé par les radios locales privées qui ne respectent pas leurs obligations, le seul moyen de rester en contact avec nos correspondants est le répondeur téléphonique enregistreur qui nous permet de les rappeler lorsqu’ils ont eu la gentillesse d’indiquer leurs coordonnées".

 

Nous avons réussi à joindre téléphoniquement M. Wyon, jeudi matin. Celui-ci nous a confirmé qu’il s’agissait bien là de la "Vérité officielle" [sic]. L’émetteur de Solaris a été ramené à sa puissance minimale en sa présence et une lettre du Capitaine Folope est venue depuis confirmer au responsable de T.D.F. la fin des troubles observés auparavant. M. Wyon nous a par ailleurs précisé que les mesures de puissance apparente rayonnée avaient été effectuées par ses services début août mais que les résultats n’ont pas été communiqués aux intéressés (hormis une communication orale à M. Daniel Verdière, responsable technique de Solaris, qui les conteste !).

 

Quant à la redistribution des fréquences dont nous dénoncions l’absurdité, M. Wyon explique qu’elle a été effectuée par le Service de Planification des Fréquences, dirigé par un polytechnicien, après introduction de différentes données sur ordinateur. C’est pour lui un gage de sérieux. Nous ne partageons toujours pas sa belle assurance sur ce point.    :-))

Enfin M. Wyon reconnaît que son service était bien raccordé sur un répondeur téléphonique et que, de plus, il éprouve bien des difficultés avec les transmissions téléphoniques. "Vous n’êtes pas le premier correspondant à nous téléphoner sans pouvoir nous joindre", s’est-il plaint en nous faisant part de ses problèmes avec les télécommunications. Même pour la facturation...

Les solutions pour Solaris ? M. Wyon en voit deux et d’abord le transfert de l’émetteur et de l’antenne hors de l’agglomération d’Yvetot, auquel cas la station pourrait sans doute retrouver sa puissance de 500 W.

La seconde réside dans une proposition "d’exploitation par T.D.F." sur les installations de Doudeville. T.D.F. possède là-bas un pylône de 40 mètres.

Moyennant une location de 60 à 70 000 F par an (émetteur fourni par T.D.F.), la station n’aurait plus aucun problème. Mais n’est-ce pas alors de la liberté étroitement surveillée ?

                                                                         S.C.   (Le Courrier cauchois)

 

Daniel au nom de Solaris rétorque que si la Haute Autorité et TDF n’assouplissent pas leur position, c’en sera fini de la station cauchoise, mercredi matin ! Un courrier est adressé à TDF (et une copie à Michèle Cotta, présidente de la Haute autorité) sollicitant l’établissement d’un nouveau dossier CORESTA pour un projet de site sur un autre château d’eau de la région, et le report de l’ultimatum de 8 jours, à un délai plus raisonnable de 6 mois, rappelant aussi un précédent courrier - sans réponse à ce jour - exprimant son souhait de se voir attribuer une meilleure fréquence, en raison de la qualité du son déplorable constatée sur 88,6 MHz. Si aucune réponse n’intervient le 16 octobre 1984 à minuit, Radio Solaris cessera purement et simplement d’émettre afin de ne pas se mettre en contravention avec la loi.*

 

* C’est tenter le diable, n’est-ce pas ?

 

Pour Daniel : “TDF supportera la responsabilité de la fermeture d’une radio locale “étouffant” ainsi le souffle de liberté d’expression qu’a représenté la radio du pays de Caux.” 

Il souligne que “la fréquence 101 n’a jamais posé de problèmes de brouillage aux radio-téléphones, ceux-ci ont commencé avec la décision de la Haute Autorité de nous placer sur 88,6 MHz. Il n’est donc pas valable d’affirmer que les perturbations créées à la gendarmerie proviennent de la puissance, la même utilisée sur 101 MHz. C’est le fait de descendre en fréquence qui a contribué à créer ces perturbations, la gendarmerie utilisant des fréquences proches. Le retour à 500 W hors agglomération n’est pas synonyme de suppression de la gêne si 88,6 est conservé. Permettez-moi de contester le sérieux de cette planification (l’attribution des fréquences) quand on sait que notre station est fortement gênée par la BBC avec 120 kW et France Musique à Lille, si l’administration voulait nous asphyxier, elle ne pouvait mieux faire !

 

Du coup, est-ce raisonnable de nous proposer, en guise de solution au problème de nous installer sur le relais TV de Doudeville moyennant un “modique” loyer de 70.000 F annuels avec un supplément de 120.000 F par an de location d’une liaison PTT, ramenant ainsi le coût d’une telle opération à près de 200.000 F par an ! (val. actuelle : 58 400 € par an)

Ne parlons pas du matériel que nous avons acquis et dont il faudrait que l’on se sépare... Notre intention n’est pas de travailler pour alimenter le budget de TDF, et cela dans le cadre de la liberté surveillée. L’expérience nouvelle des radios locales baigne en pleine hypocrisie. Pourquoi faut-il que Solaris fasse les frais d’une décision prise sans concertation ni étude approfondie du spectre de fréquences, nous n’avons jamais été consultés et nous avions des choses à dire”.

 

NB : la liberté d’émettre se monnaie avec Télédiffusion de France et ça fait cher du watt !

Réveiller l’instinct de survie

 

L’ultimatum de menace de fermeture de la station semble avoir tempéré les esprits. Cependant rien ne bouge. Le 17 octobre 1984, Radio Solaris est encore là, (au grand dam de certains) et continue sur... 99 MHz. Par chance, cette fréquence en plein milieu du cadran de la bande FM est totalement inoccupée dans la région. En désespoir de cause, les responsables, de leur propre initiative, ont décidé ce changement, où forcément, les perturbations subies par la gendarmerie ont soudainement disparu.

 

Revenir à notre ancienne fréquence est désormais impossible : le point 101 devenu indisponible entre-temps, a été réattribué à une autre radio du Havre (?). D’ailleurs, c’est étonnant de constater que la fréquence de 101 MHz prétendue “mauvaise” pour Radio Solaris et qu’il nous fallait impérativement abandonner, semble d’un seul coup adéquate... pour une autre station ! Enfin ne perdons pas de temps à élucider cette énième énigme administrative.

 

En attendant, le temps se gâte, l’orage couve, la foudre menace...

 

 

                                               

Revenons aux programmes de la station et à l’apparition de quelques nouveautés à l’honneur en cette fin d’année 1984 : la durée de chaque session d’émission passe désormais de deux à trois heures. Pas de changement pour les émissions à thèmes, mais les émissions de jazz et de musique classique disparaissent pendant la soirée pour réapparaître dans des séquences de quinze minutes, le matin. Inutile de dire que le jazz et le classique saucissonnés à un horaire matinal ne rencontrent pas le même succès escompté auprès des “ménagères” cauchoises. Quelles idées saugrenues ! A moins que ceci n’ait été mûrement réfléchi pour les faire disparaître à terme de l’antenne ? Pourquoi n’avoir pas conservé ces programmes en fins de soirées de la semaine pour lesquelles ils semblaient mieux adaptés et garantissaient l’originalité de Radio Solaris face à la concurrence ? Osons croire que la présence de ces deux ou trois animateurs concernés par le jazz et le classique, ne soit pas devenue subitement importune ?

 

En soirée, deux rendez-vous apparaissent : des infos locales à 18 h 30 et un point météo à 19 h. Le mardi, Martial anime le “Top 30” d’après un classement établi suivant le seul choix de quelques animateurs éclairés! Ainsi, l’occasion est donnée d’entendre de nouveaux talents sur l’antenne mais également des titres de chansons peu connues.

 

A l’opposé des voix clonées d’animateurs des radios voisines, notre station censée être plus proche de son public, a conservé son “franc-parler” dans le vrai sens du terme ! Les titres étrangers sont quelquefois déclamés avec un accent anglais... pittoresque ! Toutefois, la liberté de parler vrai et de “tout dire dans le micro” y est jugée insuffisante, car l’instauration d’un tout premier règlement intérieur accompagné d’un contrat de bonne conduite à l’antenne, provoquent le départ de quelques DJs dissidents. Dommage. Même Daniel (technicien) se fait “rare” à l’antenne. “Faute de temps” précise-t-il, dans un grand soupir. Personne n’est dupe. Il explique, sans se départir d’un certain sourire qu’il a “honte désormais de mêler sa voix au reste de l’équipe” ! Humour, dérision ? On ne sait plus. Encore une fois, c’est regrettable de devoir se priver d’une personnalité parfaitement à l’aise devant le micro. Les souhaits de la radio sont pourtant légitimes : entrer dans le rang, cela signifie être professionnel et consolider l’image respectable de la station auprès de ses auditeurs dont certains sont aussi des annonceurs !

 

Forte de sa notoriété et de “sa puissance”, Solaris considère les petites radios locales voisines avec une pointe de condescendance : Résonance, par exemple, est une station typiquement “de proximité” car elle émet pour la seule région de Bolbec (20 km du Havre). Une autre station, Radio Fraternité, s’est installée à Louvetot, non loin d’Yvetot, sur       l’ancien domaine de la légendaire Radio Normandie. Tout un symbole. Elle appartient à une communauté religieuse. Un jour, les responsables de Radio Fraternité font l’acquisition d’une table de mélange Redson semblable à celles que nous utilisons à l’époque. Ils nous téléphonent pour avoir un avis technique sur la manière d’y connecter des platines disques. Comme ils ne disposent d’aucuns préamplis RIAA, accessoires indispensables pour corriger la courbe de réponse sonore des disques vinyles, nos conseils ne leur sont pas d’un grand secours. Sans entrer dans les détails et à défaut d’utiliser les entrées lignes comme il se doit, la solution dans l’immédiat est de brancher les platines disques en “attaquant” la table de mélange par les prises haute sensibilité que l’on réserve habituellement aux micros. Ensuite, faute de mieux, ils devront réduire au minimum les aigus fortement accentués qu’on ne pourra corriger davantage. Voilà un compromis provisoire pas très “catholique” (oh !) qui a dû donner un son nasillard... d’enfer !  < alors ça, fallait oser !   :-(

 

Rajout en 2017 : Radio Fraternité, station évangéliste implantée à Louvetot, fait maintenant partie du réseau "Phare FM".

Quant à Resonance, c’était une station locale plutôt discrète. Elle s’est implantée au Havre, Bolbec, Fécamp, Saint-Valery et Dieppe. Une fréquence supplémentaire refusée en 1991 ne lui permet pas de succéder à Solaris dans la région d’Yvetot.

Coup dur en 2017, elle perd son identité locale, une fois absorbée dans le réseau bas-normand "Tendance Ouest".

 

Le 22 octobre 1984, un camion radiogoniométrique de TDF sillonne les routes du pays de Caux. Le résultat des mesures de réception effectuées à une dizaine de kilomètres d’Yvetot sur l’ex-fréquence de 88,6 MHz, révèle un champ inférieur à 0,14 millivolts par mètre pour France Musique Lille ; 0,014 mV/m pour France Culture Amiens et 0,025 mV/m pour la BBC Ile de Wight, ce qui selon les conclusions des techniciens de TDF est insuffisant pour causer les perturbations que quelques auditeurs de Radio Solaris et nous-mêmes avions prétendues, la sensibilité d’un récepteur FM classique n’étant jamais inférieure à 0,25 mV/m.  [sic]                                                                            (suite p. 192)

Autre point très bizarre dans ce rapport : le signal de Radio Solaris (désormais sur 99 MHz) est noté à 1,4 mV/m à Fauville-en-Caux (théoriquement en plein dans l’axe privilégié nord-ouest des dipôles de notre antenne) alors qu’à la même distance, dans la direction opposée, ce même signal arrive à 2,5 mV/m à Yerville, soit quasiment deux fois plus de signal dans le sens inverse du lobe d’émission? S’agit-il d’une erreur dans le relevé à moins que ce ne soit un phénomène mystérieux de propagation favorisant l’est par rapport à l’ouest ? Les conclusions de ce rapport ne seront communiquées à la station que le 5.12.1985 (!) soit plus d’un an de délai pour obtenir le relevé de ces mesures et après la demande insistante de Daniel, notre président. Inutile de préciser que notre second Daniel (technicien) contestera ces résultats fantaisistes à la lecture du document. En attendant, depuis que l’émetteur est réglé sur 99 MHz, les interférences avec les communications des gendarmes ont cessé. Ce qui confirme qu’à puissance égale d’émission, le faible écart entre les fréquences de la gendarmerie et la fréquence assignée de 88,6 Mhz, était bien la cause des perturbations. Quoi qu’il en soit, TDF “humiliée” dans cette affaire, n’abandonne pas pour autant la partie !

 

Notre changement de fréquence sur 99 MHz va faire réagir TDF au bout de cinq semaines de délai ! Celle-ci déclare le 27.11.1984 :

“qu’elle n’a pas été consultée pour ce changement, et qu’il n’y a pas eu collaboration”, (Pressentant le refus, était-ce judicieux de les avertir ? - NdA) ce qui est confirmé par lettre du président Daniel Lefebvre : “Nous avons décidé le 17 octobre et sous notre propre responsabilité, de passer sur 99 MHz à titre expérimental”.

Cette modification ne peut être décidée que par la Haute autorité, sur avis de TDF, Radio Solaris se trouve donc en infraction avec la loi du 29 juillet 1982”.

 

 

 



Chapitre 1985

 

 

 

Création des emplois “TUC” - Participation à la première Foire de Printemps d’Yvetot - Découverte du conteur cauchois Jean Avenel - Les Girls d’Enfer- Lancement du “Podium Solaris” dans chaque ville du pays de Caux

 

 

Vivre à Yvetot

 

L’humoriste bien connu Pierre Péchin est venu en personne dans les studios de Radio Solaris, rue Pierre et Marie Curie en 1985, un vendredi soir, pour présenter son spectacle donné le soir même à la Salle des Vikings d’Yvetot. L’interview était menée en direct par Philippe Thomas.

 

Avec Pierre Péchin, nous avons rencontré ce soir-là une personnalité fort sympathique qui durant son bref séjour dans les studios, avant de s’asseoir devant le micro, n’a pas hésité à participer au fonctionnement de la station puisqu’il accueillait lui-même à chaque coup de sonnette, les visiteurs qui se présentaient à la porte d’entrée de la station. A chaque fois, c’était la même réaction, ils n’en croyaient pas leurs yeux médusés... “Tiens, Solaris a embauché un huissier qui ressemble étrangement à Pierre Péchin !” Sûr qu’ils s’en souviennent encore !

Au cours de l’assemblée générale annuelle, les membres de l’association se sont retrouvés pour faire le bilan de cette année 1984, année la plus fertile que nous ayons connue. Après le rapport d’activité et le rapport financier lus par Arielle qui tient le rôle de secrétaire et Didier, celui de trésorier de notre association, Daniel, le président rappelle que 415 communes environnantes ont reçu un dossier de demande de subvention, justifié par l’aide à la promotion des activités locales qu’apporte la radio aux communes du pays de Caux. Ce dossier comporte une copie du budget prévisionnel pour 1985, le rapport d’activité 1984 ainsi qu’un éventail des services proposés par la station aux communes. Hélas, seule une ou deux réponses positives ont été reçues ! (NdA : voilà bien du temps et des timbres perdus...) Dans les communes cauchoises, les budgets municipaux sont serrés : des années de tradition ont privilégié les maigres subventions au bénéfice des seules associations de joueurs de boules, les sacro-saints clubs de foot et les incontournables fédérations de chasseurs... ! Alors vous pensez, s’il faut en plus subventionner une radio musicale, quelle idée saugrenue, gaspiller les deniers publics rien que pour encourager des gugusses à jouer les saltimbanques, là-bas à Yvetot: “Pourquoi faudrait-il dilapider l’argent de la commune pour pouvoir écouter la radio ? Puisqu’on l’on entend de toutes façons et gratuitement, y’a juste qu’à tourner le bouton du poste, pas vrai ?”

 

Parmi les discussions entendues pendant cette assemblée, la question épineuse de la TVA est évoquée car l’administration fiscale exige dé-sormais que des taxes sur les messages publicitaires que nous diffusons (enfin) officiellement depuis le 1er août 1984, doivent lui être reversées! Vous vous en doutez, ces recettes financières tant espérées par la station n’ont pas échappé à leur vigilance. Ok ! Mais lorsque l’association avait sollicité timidement le remboursement de la TVA - payée à tort, pensions-nous? - lors de nos acquisitions récentes de matériel, la réponse du Centre des Impôts avait été cinglante : “Ah, mais non, ça ne va pas être possible. Vous savez bien que l’activité d’une station de radio associative... n’est pas assujettie à la TVA !”* Et toc ! Comprenne qui peut? Dans un sens, c’est oui, vous êtes concernés, vous devez payer, et dans l’autre non, circulez ! On n’a rien à vous rembourser. Le plus scandaleux dans cette affaire, c’est que d’autres stations voisines - de même statut associatif - ont récupéré, elles, le montant des fameuses TVA payées lors de leurs achats d’équipement professionnel ! Alors, qu’est-ce que ça veut dire ? Pourquoi une telle discrimination fiscale entre les stations ? Ces radios étaient-elles plus influentes dans leurs zones d’émission ou mieux conseillées ? L’Association Solaris ne comprend pas le refus partial dont elle fait l’objet. Existe-t-il plusieurs règlements en vigueur chez nos amis des impôts selon la notoriété de la station qui réclame ou bien est-ce suivant l’interprétation particulière des textes fiscaux qu’en fait l’agent des impôts chargé de notre dossier ? Didier dans son rôle de trésorier de l’association Solaris est chargé de “débrouiller” l’affaire. Sans préjuger de l’avenir, on peut révéler dès maintenant qu’aucune solution amiable ne viendra dénouer l’imbroglio et nous n’obtiendrons jamais de réponses concrètes, aucune réponse en fait. Le fisc préfère bouder nos revendications, ce qui lui évite de se justifier, le silence valant reçu. Le pot de fer contre le pot de terre ! Confrontés à l’inertie de la bureaucratie robotisée et déshumanisée, fidèle à sa culture du pouvoir de dire “Non”, il ne nous reste qu’à s’incliner, obtempérer ou voir l’huissier s’inviter (!) et payer, payer... Radio Solaris serait-elle devenue à son tour, une aubaine tolérée dans l’unique but de renflouer les caisses des pouvoirs publics ? Rappelez-vous le sketch des Frères Rapetou des Inconnus. Pas d’alternative envisageable à défaut d’explications claires. Osons croire que l’incompréhension réciproque du citoyen contribuable, présumé resquilleur éternel, opposé à une bureaucratie obtuse (pas seulement fiscale) a disparu et qu’un dialogue constructif entre interlocuteurs dévoués s’est instauré depuis cette époque seigneuriale!

 

NdE : quel angélisme ! Si les radios associatives indépendantes ont été tolérées en France dès 1981 avec plus ou moins de grâce, il faut admettre que rien ne leur a été facilité sur le plan administratif où cela freinait des quatre fers : mauvaise volonté (concertée ?) de la part des impôts, de l’URSSAF, de TDF et de la Haute Autorité (futur CSA). Si cela se trouve, l’état regrettait amèrement son geste obligé de libération des ondes et désirait reprendre d’une main ce qu’il avait accordé avec tant de parcimonie de l’autre. D’ailleurs, combien de radios locales indépendantes ont survécu à ces multiples tracasseries administratives ?

Lors des questions diverses abordées au cours de cette assemblée générale, notre président Daniel présente Annie et Marylin, deux jeunes filles retenues pour travailler dès le 28 janvier 1985 prochain dans le cadre des Travaux d’Utilité Collective, les “fameux” TUC créés par le gouvernement, sur la base de 20 heures hebdomadaires. Le 8 janvier 1985, une convention est signée entre le préfet et le président de l’Association Solaris aux termes de laquelle, deux jeunes sont autorisés à exercer une activité salariée parmi l’équipe d’animation, au titre des TUC. Une cinquantaine de demandes sont parvenues à la radio et le bureau a procédé sérieusement (si, si, c’est vrai !) au choix de deux élues en tenant compte de leur aptitude à présenter et réaliser une émission de radio. Car à Radio Solaris, contrairement aux autres radios, il n’y a ni réalisateur ni une ribambelle d’assistants derrière la vitre du studio, chacun affecté à une tâche précise: un pour choisir le disque, un pour le poser sur la platine, un autre pour le caler, un pour le lancer ! Ici, l’animateur de Solaris est responsable de son émission de A à Z. Il assure lui-même sa technique simplifiée à l’extrême grâce aux télécommandes des lecteurs de k7 ou des platines disques, à portée de mains depuis la table de mélange du studio. Ce système, à “l’anglo-saxonne”, assure plus de spontanéité et évite hésitations et temps morts. L’animateur qui débarque ici doit savoir se débrouiller seul et assurer la continuité de l’antenne. C’est véritablement l’homme ou la femme-orchestre qui anime son show pendant les trois ou quatre heures suivantes. Ce n’est pas évident lorsque l’on aperçoit l’effrayant micro pour la première fois de sa vie et qu’il s’agit de parler en face de lui d’une manière intelligible, dans l’étrange silence du studio, sachant que toute la région est là derrière. Vos voisins et amis invisibles le sont également et tous ceux qui vous reconnaissent, vous entendent, vous jugent et inévitablement... vont vous critiquer ! Nous sommes en pays de Caux ! Un peu d'expérience, un peu de compréhension de ce qui se passe, éliminerait toute peur. Hélas !

 

Pour l’instant, chacune de nos nouvelles collègues devra assurer ses trois heures d’émission quotidienne et consacrer le reste de son emploi du temps à divers travaux administratifs, moins plaisants. Nos deux jeunes stagiaires sont encadrées et chaperonnées par les “anciens” permanents Pierre, Jean-Luc et François. Ces derniers espèrent que ce stage fera naître chez les nouvelles recrues, une vocation radiophonique insoupçonnée.

Après les radios libres, l’actualité envisage l’avenir de nouveaux médias et on parle maintenant en toute logique de ‘Télévision libre”. S’il n’est pas encore question d’ajouter aux activités radiophoniques de Solaris, l’exploitation d’une TV locale, on découvre un article pleine page du Courrier Cauchois, illustré d’une photo où quelques visages connus sont regroupés autour d’un vénérable téléviseur. L’écran arbore un écriteau marqué “Télé Solaris”. On apprend qu’un groupe de travail serait constitué au sein de l’association pour suivre l’évolution de la législation en ce domaine et entreprendre les démarches nécessaires si l’occasion se présentait. En vérité, quand on voit les problèmes engendrés par l’exploitation d’une modeste radio locale... alors pensez donc, quelle drôle d’idée de songer en plus au lancement d’une télé locale à Yvetot ? Néanmoins le 30 septembre 1985, la Haute Autorité accuse réception de notre très sérieuse demande d’attribution d’une fréquence UHF pour la création d’une TV locale, tout en nous précisant que rien n’est encore défini à ce sujet. Vous le savez, il n’y aura aucune révolution en France en ce domaine, ni d’invasion de TV véritablement “libres” dans notre pays, contrairement à l’exemple italien. En attendant, c’était une excellente occasion d’évoquer “Radio (+ TV !) Solaris” dans la presse et vraisemblablement pour l’hebdomadaire, une opportunité de combler l’une de ses pages.N’est-ce pas ?

 

Depuis septembre 1985, la municipalité d’Yvetot présente le premier lundi soir de chaque mois une émission “clefs en main” préparée par le service culturel de la ville avec le concours de Didier à l’animation et Pierre à la technique. Le succès rencontré par cette émission “Vivre à Yvetot” a encouragé l’équipe à proposer des projets similaires mettant en scène les villes voisines de Lillebonne ou de Fécamp. Mais contrairement à la ville d’Yvetot, ces deux municipalités ne souhaitaient nullement s’investir sur les ondes, préférant ignorer nos demandes de collaboration et rester recluses dans leur coin.

Dans le studio 1 de la rue Pierre et Marie Curie, ce soir, une quinzaine de personnes entassées dans le local trop petit, assistent depuis une heure, à une cascade ininterrompue de reportages, interviews live ou sur bobinos. Le tout s’enchaîne dans un rythme endiablé, sous la houlette de Gérard Jacquel, chargé de communication à la mairie d’Yvetot, véritable chef d’orchestre.

 

  EXCLUSIF...  Dans les archives audios de radiosolaris.99.free.fr

  retrouvez les 2 enregistrements sauvegardés de “Vivre à Yvetot”.

  Choisir les dates  >  lundi 30.09.1985 ou celle du lundi 7.04.1986  

 

Lorsqu’il est 20 heures à la pendule, l’émission est terminée. Tout le monde pousse un soupir de soulagement, et quelques disques d’affilée non-stop sont nécessaires pour reprendre son souffle et faire retomber l’adrénaline de tous à des doses raisonnables ! Le seul à garder son calme au cœur de ce volcan où tout le monde s’agite dans chaque pièce de l’appartement, est notre meneur de jeu Didier. Dans l’équipe, Didier représente à cet instant le modèle idéal d’animateur radio. Ignorant le “blanc” à l’antenne et jamais à court d’inspiration, lorsqu’il s’agit d’annoncer (et de désannoncer !) le disque précédent, ses interventions “plantureuses” font l’étonnement et suscitent l’admiration de tous. On voit tout de suite qu’il adore “broder” devant le micro. Emporté par sa verve, l’on se demande comment il va pouvoir s’en sortir et conclure son envolée verbale sans commettre la moindre défaillance de langage (bafouillage, gaffe, lapsus...).Devoir improviser un discours ne semble jamais l’angoisser! On se rappelle l’interview délicate d’une toute jeune chanteuse de la région BéatriceB. venue avec Papa (!), présenter aux auditeurs son premier 45 tours, peu loquace et toute intimidée par les micros et l’ambiance de la radio ! Une épreuve périlleuse pour l’interviewée mais surtout pour l’intervieweur lui-même qui doit “sortir les rames” dans ce cas, pour meubler les silences et les hésitations ! 

Toujours très volubile, Didier fait le rêve fantasque de devenir, présentateur météo à la télévision, pourquoi pas ? Et de suivre les traces du regretté Alain Gillot-Pétré (présentateur météo TV emblématique disparu le 31.12.1999 - NdE). Déjà rompu à cet exercice, il est capable de répéter et reconstituer de mémoire, en direct devant le micro, les prévisions météorologiques qu’il a entendues quelques minutes auparavant sur le répondeur téléphonique de Météo France. Je peux le certifier : cet exploit est réalisé sans l’aide de notes griffonnées à la hâte sur un bout de papier.Tout cela est déclamé le regard fixé sur le micro, lequel ne contient évidemment aucun prompteur où un texte lisible de lui seul s’afficherait. Chaque matin à 8 heures, du lundi au vendredi, on              le retrouve dans sa rubrique “Je voudrais savoir”. Les cinq rendez-vous journaliers sont enregistrés dans le studio 2, au cours de la semaine précédente. En moins de cinq minutes, il répond à toutes questions diverses rencontrées dans la vie quotidienne, avec le mérite de rester limpide et toujours intéressant.

 

Entre lui et moi, nous avons convenu d’un jeu très risqué - sans filet - qui consiste chaque dimanche matin à échanger quelques propos “anodins” au moment du passage d’antenne à la fin de son émission et au début de mes “Chansons d’hier” qui suivent. Rien d’extraordinaire direz-vous, sauf que mon laïus étant déjà “fixé” sur bande magnétique depuis trois jours, j’ai donc ménagé des “blancs” que Didier doit remplir en lisant (en direct) les répliques que je lui ai laissées sur un papier. L’illusion à l’écoute est troublante, les auditeurs étant persuadés que nous sommes présents physiquement l’un et l’autre en studio, jusqu’au jour où la belle machine déraille, sa langue fourche (une fois n’est pas coutume !), il n’a pas le temps de terminer sa phrase et déjà, je reprends la parole. La supercherie est éventée ! De plus, il faut bien se renouveler chaque dimanche, inventer d’autres dialogues moins routiniers et plus percutants. Après quelques semaines, je décide d’arrêter ce ping-pong verbal, stressant et épuisant, par manque d’inspiration. Plus tard, Didier tente de me faire comprendre qu’un jour, il arrêtera la radio comme ça, purement et simplement. Ah tiens ? Comme on l’a remarqué, il fait partie des meilleurs interviewers de personnalités qui font honneur à la station. Entendre ces paroles définitives me déçoit réellement et me déroute, le considérant comme l’un des plus doués d’entre nous. Après un tel aveu, je n’aurai jamais d’explications claires de sa part et ne connaîtrai jamais ses vraies motivations. On partage pourtant la même passion pour la radio libre. En ce qui me concerne, faire de la radio a toujours été un grand rêve de gosse et si les circonstances le permettaient, je n’hésiterais pas à troquer une vie professionnelle avilissante et austère, pour me consacrer pleinement à cet univers magique de la radio. Sans doute commettrais-je une erreur, bien qu’il s’agisse d’un désir partagé comme je le sais, par d’autres personnages de l’équipe. Depuis 1981, nous avons réalisé le “plus gros”: nous possédons un émetteur, nous avons des auditeurs et la station est en plein essor. Nous couvrons la majeure partie du pays de Caux. La concurrence n’est pas très féroce. Nous-mêmes progressons devant le micro et le trac commence à s’atténuer. Avec plus d’assurance, nos voix encore loin d’être “radiogéniques”, ont perdu leur ton caverneux des premiers jours. Que demander de plus?

 

La déclaration soudaine de Didier de tout arrêter me surprend. Je lui demande pourquoi? Toujours avec un sourire, il se contente inlassablement d’éluder mes interrogations et de répéter d’une façon blasée et dé-sinvolte, ce qui est troublant dans ses paroles, que le plus gros de sa carrière “radiophonique” est derrière lui. Tout de même, une carrière à peine commencée ! éprouve-t-il tant de déception après seulement quatre années de présence à la radio ? Personnellement, je n’ai rien remarqué jusqu’alors. Si c’est de la lassitude qu’il ressent de notre hobby, je trouve ça dommage. Qu’a-t-il envisagé pour l’avenir, quel sens convient-il d’attribuer à ses propos énigmatiques qui hantent désormais nos esprits ? Quelles réponses se cachent derrière ces questions ? Une pièce manque au puzzle. Laquelle ? L’avenir le dira...

Mon mari a fait la guerre, lui !

 

La diffusion de “Chansons d’hier” si elle ne dure qu’une heure d’antenne, réclame trois bonnes heures de préparation toutes les semaines. Je l’ai déjà expliqué... Cette émission composée de succès des années 30 à 50 est destinée aux “seniors”, terme hypocrite pour ne pas oser prononcer le mot “vieux”. Les personnes âgées ignorées volontairement des radios officielles où le jeunisme* fait rage, constituent cependant l’auditoire lève-tôt du dimanche. Sur Solaris, on ne les a pas oubliées !

 

Chaque jeudi soir, j’enregistre “Chansons d’hier” à mon domicile, dans une pièce reconvertie en studio de radio. La bande magnétique de 18 cm passe le dimanche matin de 8.00 à 9.00 à l’antenne. Elle est lancée sur l’un des Revox par le courageux collègue animateur levé tôt, présent à ce moment en studio. Ce rôle ingrat a été assuré successivement par Joël, Didier, Thomas et Pierre. L’avantage d’enregistrer l’émission, s’il permet d’évacuer le surplus de trac, autorise les inévitables retours en arrière nécessaires pour corriger les défauts techniques, rechercher à la dernière seconde, une chanson précise dans le stock d’albums ou simplement effacer un lancement raté ou bafouillé. Ce que le direct n’autorise pas ! De plus, suivant l’humeur du moment, j’avoue être obligé m’y reprendre plusieurs fois et à chaque répétition, prendre soin de conserver la même intonation de voix qu’au début de l’émission pour atteindre quelque chose de “diffusable”. Peine perdue parfois, il faut le reconnaître, à cause d’un départ saboté ou catastrophe avec les 78 tours, lorsque le bras du pick-up saute et dérape à mi-chanson,  les “pétages de plomb” sont fréquents ! Une chance, le micro est fermé.Donc, je ne proposerai aucun bêtisier ! Alors stop, dans ces cas extrêmes, on respire profondément et on reprend dans le calme. Ou du moins, remonter le temps à la fin du disque précédent censé représenter la dernière séquence potable! Difficile dans cette effervescence, vous en conviendrez, d’adopter au micro une attitude joviale, enjouée et blasée, sans la moindre trace de crispation, comme si la tâche d’un animateur de radio libre ne se déroulait paisiblement que sur du velours !

Ceux qui avaient notre âge pendant les années noires (entre 1940 et 1945) éprouvent-ils le même plaisir à réentendre les vieux succès de leur jeunesse comme nous savons apprécier les nôtres, aujourd’hui ? Pas toujours, je le crains. Pour cette heure rétro, je choisis ces chansons démodées avec une préférence pour les plus joyeuses et les plus entraînantes, sans trop  me soucier du contexte ambigu de l’époque troublée dans laquelle, elles sont apparues. C’est un tort ! Pourtant ces chansons sont disponibles de nos jours sur des albums de compilation en vente libre chez les meilleurs disquaires, donc parfaitement diffusables sans restriction sur les ondes en 1985. Je ne me suis d’ailleurs jamais soucié de savoir si la diffusion de chansons bannies dans les années 40, pourraient encore indisposer certains esprits aujourd’hui ou seraient qualifiées d’atteinte à la bienséance ! On n’est tout de même pas là pour indigner les auditeurs comme s’il s’agissait de chansons paillardes ou anarchistes. Excepté un dimanche, semble-t-il, que n’avais-je fait... Faute impardonnable, j’ai osé passer “Maréchal, nous voilà”, une chanson populaire de ralliement au Maréchal Pétain pendant l’occupation, si l’on écoute attentivement les paroles interprétées par André Dassary. Alors là, c’est la boulette ! J’imaginais nullement que ce titre faisait office d’hymne emblématique du régime de Vichy, ce que j’ignorais à cet instant, et allait provoquer les foudres d’une auditrice revêche particulièrement remontée. Une furie verbale ! Là, on tombe de haut. Celle-ci aussitôt a appelé le standard de la station, l’émission n’était même pas terminée, ni le disque incriminé peut-être. Très irritée, elle s’en est prise à la pauvre Marylin toute étonnée qui a décroché, et “si l’on n’avait pas honte de passer des chansons pareilles à la radio”, puis d’expliquer que “son mari avait fait la guerre, lui... etc, etc” ! Cet échange verbal coloré avait mis en émoi toute l’équipe présente ce dimanche matin-là, juste à l’instant de recueillir les premières dédicaces pour l’émission suivante. L’ambiance était mise à mal pour un moment. Tout le monde affairé à rassembler les messages des auditeurs, s’est demandé ce qui arrivait et quel était cette chanson diabolique que Jean-Claude avait osé diffuser, déclenchant une telle irascibilité  téléphonique? Va-t-on nous reprocher de réveiller les hontes du passé avec cette innocente émission de “Chansons d’Hier” ou pire, nous dicter nos choix de programmation ? Le lendemain, tombant des nues à mon arrivée à la station, Pierre me met tout de suite au courant de l’esclandre provoquée la veille par la dame susceptible. Sur l’instant, je l’avoue, je n’ai pas trop saisi quels rapports elle entretenait entre la radio, nous, son mari, la guerre, le Maréchal Pétain et André Dassary ? Alors, honte à moi ! Disposant de 500 à 600 titres rétros pour réaliser ce rendez-vous hebdomadaire, j’ai choisi bêtement celui-là. Manque de bol ! Grand candide que je suis, je ne pouvais imaginer que l’on reprochât tant de choses à ce Monsieur Dassary, un chanteur célèbre, au visage avenant et sympathique, si je considère son portrait sur l’album. Le contexte de l’époque du Maréchal Pétain et de ses sbires est une chose. évidemment personne à la radio n’a connu cette période. Nous sommes en 1985, pourtant les vieux démons rôdent encore. Des esprits susceptibles et attardés subsistent et refusent obstinément d’évoluer : la simple écoute d’une chansonnette qu’ils considèrent (considéraient) sulfureuse, les indigne toujours et ravive leur folle intolérance restée intacte un demi-siècle plus tard ! Combien faudra-t-il d’années pour apaiser ces rancunes tenaces nées du passé ? Fort heureusement, la majorité de ceux qui écoutent savent faire la part des choses, apprécient la radio qui est là pour les distraire et non pour les exacerber. Entre-temps, j’ai appris que André Dassary n’était pas le seul chanteur victime de cabale après la guerre. Maurice Chevalier (ça fait d’excellents français), Suzy Solidor (Lily Marlène), Charles Trenet (Douce France), Arletty, Lys Gauty et sûrement beaucoup d’autres habitués de notre heure rétro avaient été concernés en 1945 par ce que l’on appelle l’épuration. Enregistrer cette émission particulière va donc devenir un véritable casse-tête de programmation, s’il ne faut s’en tenir qu’aux artistes politiquement irréprochables afin de ne pas froisser la susceptibilité des grincheux. Quelle affaire pour une chanson! Bref, j’ai placé un post-it sur la pochette de “Maréchal...”, une manière de me rappeler - comment l’oublierais-je - de ne pas rediffuser de sitôt ce refrain-là (enjoué pourtant) de 1940 qui soulève tant de haine chez une auditrice au moins ! Pour une fois qu’une chanson française ne me semblait pas pleurnicharde ! C’est pas de veine.

L’incident comme d’autres à l’occasion, pas seulement à la station mais aussi dans notre routine quotidienne (professionnelle, p. ex.), nous confirme que les individus chicaniers prolifèrent et admettent de moins en moins le droit à l’erreur. Forcément, ils ont le “bras long”, la plume facile dès qu’il le faut, le coup de téléphone vengeur, lorsqu’une parole, un acte, une attitude sont mal interprétés et dans notre cas, incompris à l’antenne. Je peux l’avouer, à chaque ouverture de micro, malgré un air faussement enjoué, j’avais la hantise du dérapage verbal involontaire au détour d’une phrase anodine, au point où je m’efforçais de peser chaque mot, de préparer chaque intervention griffonnée à la hâte sur un carnet, que je prononcerai à la fin du disque. Ce semblant de garde-fou me rassurait mais limitait toute improvisation, bien évidemment.

 

 

Solaris ferait-elle l’apologie de "De Gaulle" ?

En d’autres termes, était-ce bien raisonnable de diffuser

un discours de De Gaulle... sur une radio libre ?

 

Encore une autre anecdote à propos de cette émission (oserais-je dire à problèmes?) : pour Noël 1982, j’ai déniché un enregistrement historique de la BBC, au cours duquel le Général de Gaulle parle aux enfants de France dans un discours prononcé depuis le micro de Londres, le soir de Noël 1941. Oui, vous avez bien lu. Vous allez croire que j’adore provoquer des mélodrames à travers cette émission historique de “Chansons d’hier”! J’ai trouvé amusant d’insérer ce document d’un autre temps, tiré d’un disque souple, vendu en supplément de “Son Magazine”, bien connu des audiophiles. Est-il nécessaire de préciser que ce message de Noël d’à peine 5 minutes était destiné à redonner espoir et réconfort aux petits Français, jeunes auditeurs clandestins de “Ici Londres” durant la guerre. Il avait été diffusé à la radio anglaise après les célèbres messages personnels. Naturellement, le discours était complètement apolitique. Pour cette bonne raison, je ne voyais pas ce qui s’opposait à le diffuser à la radio au moment des fêtes de Noël. Sauf que c’était tout de même la voix du “Général” dans un rôle qu’on ne lui connaissait pas. Et il y a 41 ans de cela ! Encore une fois, une loi interdit-elle à une radio libre de diffuser des documents historiques? Si cela avait été un message d’encouragement prononcé par Mistinguet, Maurice Chevalier ou Pierre Dac, mon choix n’aurait été guère différent. Qui sait s’il n’y avait pas parmi ces enfants de 1941, un futur auditeur de Solaris, parvenu à un âge respectable, en train d’écouter nos fameuses “Chansons d’hier”? N’y voyant qu’un intérêt strictement historique pour égayer nos refrains des “années noires”, ça tombait à pic ! Et ça nous changeait du sempiternel “Petit Papa Noël” de Tino Rossi ressassé chaque année par les radios concurrentes, toujours en mal d’inspiration. (remplacé désormais par... Mariah Carey ! - NdA)

Le décor est planté. La diffusion de “Chansons d’Hier” a donc lieu peu avant Noël, ce dimanche 19 décembre 1982 précisément et ne provoque aucune réaction sur le moment. Les fêtes se déroulent paisiblement et nous voici arrivés en janvier 1983. Au cours de la première réunion de l’année, l’un d’entre nous qui a quelques bonnes relations, (sauf erreur, il s’agit de Paul-Yves - fonction oblige !), nous apprend au détour d’une conversation, qu’un homme politique très influent en Seine-Maritime (futur Premier Ministre), invité officiel d’une manifestation locale, à qui l’on demandait à brûle-pourpoint s’il connaissait le nom de quelques “radios libres” de la région et notamment celui de Solaris, une station célèbre en pays de Caux! Très caustique, il aurait répondu ceci, avec juste une pointe de dédain :

“— Ah oui... Solaris ! N’est-ce pas cette... “radio” qui fait l’apologie de De Gaulle ?

— ???!!!” 

L’étonnement a dû être “général” dans l’assemblée des notables, avec quelques sourires gênés en prime ! Hein, qu’est-ce qu’il a dit là ? De Gaulle ?... Et pourquoi il a cité De Gaulle?... Quel est le rapport entre le personnage historique et notre radio ? Qu’a-t-il voulu dire par là d’une façon autant sarcastique ? Ce soir, un coup de massue asséné en plein milieu de notre table de réunion n’aurait produit pire effet. Stupeur, incompréhension et grand silence parcourent aussitôt nos rangs après la révélation de cette anecdote. Sans oublier une profonde déception envers ce dirigeant politique que l’on connaissait d’habitude mieux inspiré ! Peut-être avait-il confondu “Solaris” avec une station au nom quasi-similaire, soupçonnée d’extrême droite, évoluant dans son fief de banlieue sud de Rouen. Ou alors se contentait-il tout bonnement de répéter, tel un perroquet, une calomnie soufflée juste avant par un triste collaborateur trop zélé! Sans doute lui aussi, n’avait-il écouté Solaris qu’une poignée de secondes, juste suffisamment, quand on désire “gloser” sur la station et la critiquer coûte que coûte ? Dans cette salle de réunion d’Yvetot, nous nous sommes regardés, interloqués, se demandant lequel d’entre nous - présent ou absent - avait (aurait) tenu sur l’antenne des propos élogieux sur l’ancien chef d’état, au lieu de se cantonner à ses seuls 45 tours de chansonnettes. Le mystère est entier. Mais bon, histoire d’avancer et de songer à des choses constructives et sérieuses, on passe vite à la suite de l’ordre du jour fort chargé qu’il convient de respecter malgré les nombreuses interruptions, objets de discussions hors sujet, selon la grande tradition de nos réunions mensuelles.

Cependant à la sortie de cette salle de la rue du Château, c’est le déclic. De toute la soirée, je n’ai cessé de turbiner dans ma tête ce plaidoyer à la gloire du “Général”, entendu soi-disant chez nous. Peut-être cela n’a aucun rapport, néanmoins en ce qui me concerne, l’image du fameux disque souple m’est réapparue tel un flash dans mon esprit, je l’avais oublié. Depuis quelques minutes, je me vois ce jour-là, de nouveau passer et repasser ce disque sur la platine, entre deux refrains des années 40. Celui qui avait raté le début du fameux discours, prenant l’émission en cours, aurait pu constater de bonne foi qu’il ne recelait aucune allusion politique, bien que l’on reconnût immédiatement dans ce message d’espoir destiné aux enfants, la voix caractéristique de l’orateur, idolâtré par les uns ou haï par les autres. évidemment, c’est là le problème! Cependant, il est curieux d’admettre que le son d’une voix ou des phrases (anodines ?) prononcées il y a quarante ans, puissent encore offenser. De plus, il est navrant que nos acteurs politiques fassent preuve d’intolérance et ne retiennent trop souvent que des bribes de déclarations sorties de leur contexte évidemment. Sur le trottoir, Pierre très philosophe a coupé court à mes réflexions en disant: “Bof, laisse tomber, “ils” comprennent rien...” Ce soir-là, le pronom “ils” englobait trop de monde pour moi, et une fois encore, la plupart de nos futés décideurs politiques !

 

 

La Foire commerciale de Printemps d’Yvetot

 

Pâques 1985, la radio s’expose à la Foire commerciale de Printemps d’Yvetot. Durant trois jours, grâce à une liaison spécialisée PTT, les émissions de la journée sont présentées en public sur le stand Radio Solaris par notre ami Philippe Thomas. Une régie composée d’un pupitre de mixage et de deux platines disques font face à la table autour de laquelle les invités de marque sont interviewés. Parmi ceux-ci l’acteur Bernard Menez est venu faire la promotion du dernier film de Serge Pénard “Tendrement Vache” dont le principal atout lui valait d’être tourné dans notre belle région. Au bout d’un moment, Thomas qui a mené l’interview, est à court de questions. Alors il se rappelle que Pierre est resté seul en duplex, là-bas, au studio pour superviser la liaison et reprendre le programme en cas de rupture de la ligne. Peut-être a-t-il une question à poser à Bernard Menez ? Oh l’imprudent ! Rien de tel pour déclencher le trac du direct, surtout quand on ne s’y attend pas... On sent tout de suite Pierre pris au dépourvu. Visiblement surpris et intimidé devant son micro, il bredouille négativement mais se reprend vite et ajoute finalement à l’intention de Bernard Menez “qu’il l’apprécie beaucoup”. A cet instant, ceux qui connaissent Pierre, ne pourront s’empêcher d’esquisser un léger sourire narquois ! Toutefois à l’autre bout du câble sur le champ de foire, Bernard qui a entendu le retour-son est très flatté du compliment reçu, puisqu’il ajoute : “Aaah, mais il est très bien ce garçon !”... Alors, on peut le dire: Ouf, on l’a échappé belle. Pas vrai ?

 

Devant l’entrée du stand, la séquence d’une vidéo filmée dans les       studios quelques jours auparavant, avec une caméra VHS, passe inlassablement sur les deux téléviseurs encadrant le stand Solaris et présente au public yvetotais, les visages de quelques animateurs et animatrices en pleine action, chacun(e) leur tour, devant les micros de la rue Pierre et Marie Curie. A l’écart de l’autre côté de l’allée, juste en face du stand, Rod et moi, avec nos beaux visages totalement protégés par l’anonymat (miracle de la radio !), surveillons le flux à sens unique et ininterrompu des centaines de visiteurs qui avancent et piétinent lentement dans l’allée, lorsqu’un personnage un peu excentrique, marginal bien connu à Yvetot, arrive à notre hauteur et nous prend à témoin. D’un hochement de tête, il désigne les écrans et déclare :

—“Et mè auchi, j’chais fair’ d’la radio. Eun’ faï, euj n’ai mêïme déjà fait, pisque j’étais eun’animateur à Cholaris ! Est mè qui pachais les dixes...” (désolé pour la phonétique cauchoise approximative ! - NdA)

Visiblement, il ne sait pas qui nous sommes. Très perplexes, nous entrons alors dans son jeu :

—“Ah bon, vous êtes sûr, mais c’était quand ça ?”

—“Ouais, comme j’vous l’dis, j’ai été animateur... ch’était... tout au début...”

Emporté par le flot de la foule vers les stands suivants, on n’en saura guère plus sur le rôle exercé dans l’organisation par ce mystérieux collègue des premiers temps de Radio Solaris.

—“Encore un mythomane !” s’écrie Rod en souriant.

 

Le président de Solaris, Daniel Lefebvre aime raconter une anecdote similaire vécue au cours d’une émission extérieure tenue à Doudeville pendant la Quinzaine commerciale locale qui attire là aussi énormément de monde, chaque année. Connectée à un transistor, la sono retransmet le programme de la radio cauchoise haut et fort dans les principales rues de la cité ! Avec l’affluence des visiteurs, les places de stationnement sont devenues rares et convoitées durant ces quelques jours de liesse. Malgré les interdictions municipales, certains conducteurs indélicats n’hésitent pas à contourner le sacro-saint règlement à leur profit et investissent impunément les emplacements apparemment vides mais non autorisés. Par exemple, ce commerçant ambulant qui se gare sur une place réservée et déclare avec beaucoup de culot qu’il a eu l’autorisation verbale de stationner à cet endroit, de la bouche même du Président de Solaris, la station justement qu’il entend dans les haut-parleurs : “Alors, ch’est-y pas eun’ autorisation valab’, cha ?” Dans le cadre de ses fonctions, Daniel, justement chargé de gérer les places de stationnement pour le compte de la commune, lui fait gentiment remarquer que le président de Solaris... c’est précisément lui, en personne ! Et qu’il ne se souvient, mais pas du tout, lui avoir donné une telle autorisation ! Oups...

 

Les spectacles organisés dans la région, les kermesses, les quinzaines commerciales, avec animations sur les réseaux sonores de la ville d’Yvetot sont bien souvent présentés par Philippe Thomas (voir p. 215) animateur populaire bien connu depuis de nombreuses années dans la région. Il est aussi régisseur de la salle de spectacles de la ville “Les Vikings” et également Président du comité des fêtes de la Ville d’Yvetot. C’est donc quelqu’un d’incontournable en matière de spectacles dans la région d’Yvetot qui possède plusieurs cordes à son arc. Sauf celle de la radio ! Logiquement, Thomas (il préfère qu’on le nomme à l’antenne par son patronyme), en homme de terrain, avantagé par sa connaissance du public cauchois et sachant répondre aux attentes de celui-ci, ne pouvait ignorer plus longtemps cet ancien nouveau media que représente la radio tout juste réapparue en ces années 80. Arrivé sur le tard (vers la fin 1982), il commence sa collaboration avec Radio Solaris par quelques apparitions au micro d’un Hit-Parade qu’il co-présente avec Catherine puis Maurice, suivi plus tard d’une émission à base de sketches comiques co-animée avec son copain Bruno “Dents Blanches et Haleine Fraîche”. Enfin, il prend les rênes des programmes du dimanche matin et leur insuffle un style ô combien différent de tout ce qui est entendu habituellement sur l’antenne ! Cela va jaser, et pas que dans les chaumières normandes! Car cette fois, ce sont les auditeurs eux-mêmes qui décident du programme musical par le biais des demandes de dédicaces. L’enjeu est risqué* mais le succès ne se fait pas attendre. Philippe connaît bien son public. L’audience va exploser et par la suite, ne sera jamais égalée par aucune autre radio voisine à cet horaire précis: autrement dit, le standard téléphonique est quasiment bloqué durant trois heures complètes chaque dimanche matin, malgré l’existence de plusieurs lignes groupées au numéro légendaire 95.41.42. Les nombreux messages, sans oublier ceux acheminés par la voie postale, les jours précédents, sont triés par une équipe de bénévoles dirigés par Maurice. Les textes reçus se révèlent souvent très cocasses. Les demandes de dédicaces sont lues au micro avec la complicité de Marylin dont les fous rires communicatifs contribuent grandement à la joyeuse atmosphère dominicale qui règne à la fois dans les studios et surtout sur l’antenne, là où c’est le plus important. A midi et quelques secondes, juste avant la fermeture des micros, le studio résonne de l’écho caractéristique provoqué par le sacrifice de quelques bonnes bouteilles “gardées au frais”, apportées par les auditeurs. Après les “tops” de midi, ce sont les “pops” des bouchons de liège qui retentissent et sautent sans modération! Inutile de vous le préciser, ce style d’émission à la bonne franquette est stigmatisée durement par l’équipe des permanents salariés en charge de la station pendant la semaine. Faut-il entrevoir ici une certaine jalousie? D’ailleurs et ce qui n’arrange rien, les disques bannis d’antenne durant la semaine, passent effrontément le dimanche matin, vu que ce sont les auditeurs eux-mêmes qui les réclament pendant cette émission “Dédicaces”. Ils sont puisés dans la discothèque personnelle de Thomas qui les apporte à la station ! Pour mémoire, on peut citer quelques titres légendaires qui ont marqué cette période de folie : “Viens boire un p’tit coup à la maison...”, du Groupe Licence 4, “Besoin de rien, envie de toi” de l’inoubliable duo Peter et Sloane, “Jolie poupée” de Bernard Menez qui nous avait fait les honneurs de sa présence lors de la Foire de Printemps 1985, “J’ai bien mangé, j’ai bien bu etc...” de Patrick Topaloff ou encore Frédéric François, David et Jonathan et d’autres “inconnus” de la semaine. Bref, le concept retenu du lundi au samedi pour Radio Solaris, station respectable, est de promouvoir et d’imposer un programme musical de “bonne tenue” [sic], différent des radios voisines selon les critères définis aux premiers jours, alors que celui de Thomas, débarqué dans nos murs tel un “cheveu sur la soupe” dans la grille des programmes, consiste à diffuser (tout) ce que le public désire entendre, sans restriction, admettant par là qu’une radio commerciale ne vit, non pas de ses auditeurs mais uniquement de la publicité qu’elle attire par la diffusion de ses programmes, dès le moment où ceux-ci sont écoutés. D’ailleurs, qu’on ne s’y trompe pas, le tarif de la pub a été majoré le dimanche matin, ce qui plaide en sa faveur. Ainsi, le message commercial passe à 240F [70 euros]* les 30 secondes au lieu des 180F [50 euros] exigés aux mêmes heures, pendant la semaine.

 

 

Alors, Thomas a-t-il raison ou bien tort ?

 

Le débat partage l’équipe, l’éternel problème ressurgit : faut-il persévérer à fabriquer une radio élitiste appréciée d’une minorité de puristes connaisseurs ou bien bâtir une radio prospère qui sera écoutée par le plus grand nombre ? Le choix pourrait être comparé - toutes proportions   gardées - quinze ans plus tard au cas TF1, télé populaire tant décriée mais que tout le monde regarde, face à Arte, fleuron de la télévision culturelle dont nous sommes si fiers, sans pour autant y jeter un œil !

 

Au cours d’un de ses spectacles dans le pays de Caux profond, avec le parrainage de la station, Thomas doit faire face à l’inattendu et gérer les comportements de personnages très particuliers. Heureusement ceux-ci représentent une minorité. Au cours d’une kermesse dans un petit village près de Valmont (pas loin de Fécamp) un après-midi très ensoleillé et surtout bien arrosé de cidre, à la suite d’un pari stupide lancé par des énergumènes sévèrement éméchés, Thomas et un autre animateur David ont terminé leur prestation trempés comme des soupes. Peut-être est-ce une tradition locale que l’on réserve exclusivement aux invités de marque : les rustres n’avaient rien trouvé de plus amusant que de les jeter tous les deux, revêtus de leurs vêtements du dimanche (qu’ils n’ont pas eu le temps de retirer !) dans le bassin ayant servi aux jeux nautiques de la journée, accompagnant leurs gestes musclés de beuglements hystériques : “Allez, Solaris... à l’eau !” A moins que ce ne soit “Solaris sal...ds”, si l’on a notre esprit tordu ! Encore heureux, les micros et la sono n’ont pas suivi le même parcours. Une sacrée chance. Il s’en est fallu de si peu ! Ce supplément fâcheux et imprévu du programme d’animation champêtre a démontré une fois de plus que le travail de saltimbanques ruraux, en dehors des heures d’antenne, n’était pas de tout repos et réservait parfois son lot de mauvaises surprises.

 

Ce jour-là, nos amis restés très dignes mais dégoulinants et surtout assez dupes, ont conservé malgré eux durant les heures suivantes, les traces ruisselantes de leur passage, ne pouvant troquer leurs vêtements sur place, n’ayant prévu aucune tenue de secours. Difficile de ne pas se faire remarquer là où ils allaient ensuite, vu qu’il ne pleuvait pas ce dimanche-là, pour une fois. L’épisode dégoulinant des deux héros a été vécu pour eux comme une grande solitude : au retour, les chaussures faisaient splout, splout et marquaient leurs pas d’une trace humide! La prolongation involontaire d’un spectacle burlesque dont ils se seraient bien dispensés dans leur rôle d’acteurs principaux, s’est poursuivie juste après. On les attendait pour animer une autre manifestation plutôt sélecte et protocolaire celle-là : une remise de coupes sportives ou quelque chose dans le genre ! On imagine la scène à l’arrivée des deux énergumènes devant l’assemblée de notables. Quant au sérieux, la réputation de la radio et de ses représentants, n’en parlons pas ! C’est sûrement la raison pour laquelle, on n’a jamais vu de photos de l’événement!

 

Le soir du dernier jour de la foire de Printemps 1985, de retour rue Pierre et Marie Curie, avec quelques membres de l’équipe, nous avons revécu cette journée mémorable dans le grand studio en visionnant la cassette VHS enregistrée autour du stand. Ensuite, m’étant porté volontaire ce lundi de Pâques (8.04.1985) pour assurer les émissions de fin de soirée, il est plus d’une heure du matin lorsque je sors enfin dans la rue déserte, emportant sur mon dos, le magnétoscope portable, le bloc d’alimentation-secteur sous le bras et la caméra vidéo gros modèle sur l’épaule, pfff... pour ranger le tout dans le coffre, à l’arrière de la R5. Eh bien non, les caméscopes miniatures, ça n’existe pas en 1985 ! Faire de la vidéo nécessite - comme Rambo - des épaules larges et musclées!

 

Lorsque soudain une camionnette bleu sombre débouche du coin de la rue, s’approche doucement, puis s’arrête à ma hauteur. Ce sont des policiers ou plutôt des gendarmes, je ne vois pas bien la différence à cause de la pénombre et de la faible lueur des réverbères. Du haut de sa portière, le conducteur en képi m’interpelle :

— “Ah, compris ! Vous êtes de Solaris ?

— Euh, oui, je m’en vais... Je viens de terminer !

— Ah bon ! C’est donc pour ça qu’on n’entend plus rien ?” dit-il en se    retournant vers ses collègues et son autoradio devenu subitement muet.

— “Bon, eh bien, bonne nuit !”

Et le car de gendarmerie s’éloigne et continue sa ronde. D’un seul coup, je réalise le tableau, comment les gendarmes ont-ils pu deviner que je faisais partie de la radio ? Voir un type à la mine patibulaire (?) en train de déménager et charger du matériel électronique dans le coffre d’une voiture, le hayon grand ouvert à une heure du matin, et en plus, juste devant l’entrée de la radio déserte, moi ça me paraîtrait louche si j’étais policier ! Seul pendant la longue route qui me ramène vers Rouen, je n’arrête pas de ruminer la situation. Puis soudain... le déclic! Bon sang… mais c’est bien sûr ! C’est évident... Parce qu’ils ont simplement aperçu ma ribambelle d’autocollants rouge et blanc de Solaris qui tapissent les vitres arrières de la R5. Comment n’y ai-je pas songé ? De vrais laissez-passer... pour ne pas passer inaperçu !

 

 

 

 

 

Les Girls d’enfer et les Groupies du courrier

 

Il est temps d’évoquer ici le rendez-vous attendu des Cauchois tous les vendredis de 22 heures à minuit sur 99 MHz et parfois un peu plus suivant l’humeur et la forme physique de nos amis dans le studio pour deux heures d’intenses rigolades avec les  “Girls d’enfer” ! Derrière la vitre, à la technique, Daniel V, notre technicien-animateur bien aimé et particulièrement en pleine verve chaque vendredi soir, devient le “Grand Prêtre de la Radio” ! Jusqu’alors, tout en continuant sa tâche de responsable technique, il avait déserté depuis plusieurs mois l’antenne de Solaris sans trop d’explications précises. Caprices de star ? Tout de même pas ! Peut-être exprimait-il ainsi une divergence d’opinion vis-à-vis du choix de programmation adoptée par les pontifes de la radio ? Nul ne le sait (ou ne s’en rappelle). L’un des rares à maîtriser le micro, c’était regrettable de se passer du savoir-faire de Daniel et de ne plus pouvoir l’entendre sur l’antenne. Sont-ce nos incessantes suppliques qui l’ont incité à revenir devant le micro, au premier plan ? A notre grande satisfaction, enfin, il a accepté, profitons-en, de reprendre le “crachoir” après ces quelques mois d’abstinence verbale dont finalement lui seul connaît les raisons. Qu’importe. Le principal, c’est qu’il soit là... No comment comme l’on dit dans ce cas, en ajoutant à la façon des “Inconnus” : “Cela-ne-nous... re-gar-de-pas !”

 

En face dans le grand studio des “Girls d’enfer”, autour de la table ovale, il y a (ça change chaque vendredi) Pierre, Gérard, Arielle, Didier, Jean-Jacques, Martial, Rod, Marylin, Rose-Laurence en arrière-plan... et bien d’autres dont j’ai oublié les prénoms depuis ce temps. Et il y a les invités. Selon la grande tradition, ces derniers ne pourront pénétrer dans les lieux qu’en poussant la porte d’entrée avec leur pied ! Leurs bras étant impérativement encombrés de bonnes bouteilles ou de mets appétissants typiquement cauchois, comme des... pizzas ou des crêpes ! Pierre précisera par la suite que les pizzas étaient aussi avalées juste avant l’émission dans un resto italien du centre d’Yvetot, au cours de repas copieusement arrosés... pour être en pleine forme ! Et sans modération, ça on l’a bien compris ! Pourtant Pierre a sûrement oublié les crêpes aromatisées au Grand Marnier largement garnies de confiture, apportées à la station par Joëlle (dont on reparlera plus loin dans notre récit). Cette confiture de fraises faite maison, bien liquide qui dégoulinait un peu partout dans le studio et dont on a retrouvé le samedi matin quelques traces de la veille, collantes et sucrées sur les bonnettes des micros et d’autres reliefs du côté de la technique, incrustés le long des curseurs de la table de mélange... Qui se souvient des bonnes bouteilles apportées par ce jeune lycéen à la voix gouailleuse dont le prénom m’échappe, décidément cette mémoire...* Le breuvage comportait bien des bulles pétillantes mais il ne s’agissait que de Sprite une boisson festive moins prestigieuse ! “Humiliés et contrariés”, Daniel et son équipe qui espéraient siroter un autre liquide, ont quand même daigné poursuivre l’émission, non sans avoir raillé toute la soirée le pauvre amateur de soda!

 

Chaque vendredi, l’exercice n’est pas si facile car pour être admis ici, il faut être un bateleur du micro, détenir l’indispensable esprit de répartie, le sens du rebond, la pratique de l’enchaînement, disposer d’une pointe d’exubérance mais pas trop, savoir répondre du tac au tac à l’auditeur à l’autre bout du fil, c’est primordial. Peu d’animateurs et animatrices de la station sont suffisamment rôdé(e)s à ce rôle autour de la table ovale. Pendant les deux heures d’émission en direct, ces joyeux drilles dissertent, parfois la bouche pleine. Bon, à l’antenne, ce n’est pas très poli. Ils lisent le courrier à haute voix, déclament quelques fines blagues de potaches avec plus ou moins de succès suivant l’art et la manière de raconter de nos orateurs, inventent des jeux de mots “foireux”, tentent quelques contrepèteries pas évidentes à remettre dans le bon ordre pour tout le monde, réussissent quelques imitations de personnages politiques en vogue et délirent au téléphone dans cette joyeuse et franche atmosphère de rigolade avec les auditeurs et surtout les jeunes auditrices particulièrement délurées de la région, d’où le titre de l’émission “Girls d’enfer” évidemment qui leur est dédié.

Sur une radio vouée prioritairement à la musique comme Radio Solaris, on ne jacasse tout de même pas pendant toute la soirée. En effet ce programme de “libre antenne” est entrecoupé de quelques tubes puisés au fur et à mesure dans la discothèque, en fonction des dédicaces réclamées, par le Grouillot, un jeune étudiant fidèle au poste chaque semaine. Lui ne rêve que d’une seule chose, devenir un jour animateur à Solaris! Malgré de nombreuses cassettes d’entraînement effectuées dans le studio2, ses efforts ne sont pas encore récompensés. En attendant, il paraît qu’à la longue, le terme “grouillot” dont il est affublé, n’est pas valorisant à entendre à l’antenne. Pourtant c’est bien le mot utilisé couramment dans les rédactions de presse pour désigner le jeune employé à tout faire, futur (grand) journaliste ! Mais Gérard trouve cela dégradant. Soit ! Si le terme nous semblait amusant au début, évidemment, il n’a rien de péjoratif dans nos esprits, ni dans nos grandes gueu... d’enfer ! D’ailleurs la totale liberté des propos tenus, faut-il le rappeler, prouve que nous sommes ici dans une véritable radio libre. Dès les premières minutes de “Girls d’enfer”, les sonneries des téléphones du standard commencent à retentir. Les premiers appels bloquent les quatre lignes groupées. Souvent, ce sont les habitués qui appellent. Dès 22 heures, chaque vendredi soir ressemble à une série télé sans l’image, avec ses personnages attitrés dont on attend la suite de leurs histoires semaine après semaine. Le prétexte de l’appel à la station est d’abord la demande de passage d’un disque quelconque pour les copains et les copines qui écoutent aux alentours, pour la famille rassemblée pas très loin du transistor. Parfois le disque est dédié à l’équipe de Solaris elle-même qui se montre alors très touchée de cette délicate attention. Tour à tour, nos lurons jouent la connivence et posent des questions fort souvent indiscrètes à ceux et celles qui ont l’audace ou disons, la naïve inconscience d’appeler et d’engager la conversation. Bien sûr, dans ces paroles échangées, il n’y a pas la méchanceté et le cynisme que l’on connaît désormais avec les lointaines radios actuelles où règnent l’insolence et le ricanement! Dans les “Girls d’enfer”, tout le monde joue le jeu. D’ailleurs on se défend d’aborder les sujets graveleux qui sont “à peine” effleurés. Les auditeurs vous le confirmeront! Bon allez, oui admettons-le, il y a quelques petits dérapages volontaires, il faut le dire car c’est évidemment le but recherché pour booster l’audience chaque vendredi et créer l’événement de la soirée! Maintenant on dit “faire le buzz”! Comme l’a souligné un correspondant, auditeur anonyme des “Girls d’enfer” :

“— Cette émission permettait de rapprocher les auditeurs, on passait deux heures de détente. Même si Pierre et Daniel “charriaient” un peu les gens qu’ils avaient au téléphone, ils les respectaient toujours, ce qui n’est malheureusement plus le cas maintenant dans les émissions de libre antenne...”   (Anne N... - correspondant-e anonyme)

 

évidemment, les auditeurs cauchois peuvent regretter cette grande époque de Radio Solaris où la possibilité de s’exprimer librement sur une antenne leur était largement offerte ! Dans ce temps-là, la radio locale jouait son rôle de porte-voix chez nous et autorisait l’auditeur à se libérer et ainsi d’exister. Phénomène exceptionnel en ces années 80, la radio avait cessé d’être le média à sens unique que nos parents et grands-parents connaissaient de longue date. Le téléphone à la radio dont on abuse maintenant, autorise la participation (et l’intrusion) de l’auditeur dans le programme lui-même, satisfait son ego, son désir de prise de parole et sa satisfaction de passer à l’antenne : “Merci de prendre mon appel”, “Merci de ME DONNER la parole”, pour les plus humbles. N’oublions pas les malotrus exaltés, avides de notoriété soudaine et impatients de délivrer leurs diatribes virulentes sur les antennes à sensation : “Moi, je sais de quoi je parle !” et puis, il y a le summum : “Laissez-moi parler car vous, vous avez le micro toute la journée pour vous exprimer...”

 

Loin de telles arrogances, la conversation moins passionnelle en pays de Caux avec les auditeurs rompt la solitude des personnes isolées, éparpillées dans la campagne, avec un sentiment accentué particulièrement la nuit comme le démontrent les discussions des Girls d’enfer. Donner la parole à un inconnu en direct est toujours un risque. A de rares occasions, “l’interactivité” comme l’on dit, peut être source de dérapage. Le débat improvisé peut tourner à l’aigre lorsque la politique (beurkk) pointe le bout de son nez. Une radio indépendante doit se conformer à des règles : elle peut être un outil dangereux (pour elle-même) lorsque le nom d’un notable local ou celui d’un personnage public est diffamé à l’antenne, pour de bonnes raisons ou non. Sans vouloir censurer qui que ce soit, il faut être diplomate et avoir un vif esprit de répartie pour conclure un dialogue ardent et orienter des propos “hors limite” - non politiquement corrects ! - de son correspondant vers un sujet plus anodin. Pour cela, il faut posséder une réelle maîtrise du micro. Fort heureusement avec l’auditeur cauchois, même réputé fort en gu..., ça n’ira jamais loin. C’est évidemment cette possibilité offerte au citoyen ordinaire de s’exprimer librement en public, de façon autant débridée qui effraie tant nos hommes politiques de tous bords, depuis la fin (forcée ?) du monopole d’état et l’ “invasion” des stations libres en province.

 

Reparlons de Joëlle qui avait fait porter au studio ses fameuses crêpes aromatisées au Grand Marnier. Joëlle était une grande “bavarde”. Elle avait tant de choses à dire et ne trouvait personne à qui “déballer” tout ce qu’elle avait sur le cœur, dans sa bonne ville d’Yvetot, hormis les confidents de SOS Amitié, là-bas à Rouen, juste avant qu’elle ne découvre le numéro de téléphone de la radio ! Jusqu’alors sa facture de téléphone n’avait rien à envier à celle de la station et Pierre lui avait même proposé un marché : échanger nos factures. Elle y gagnait, paraît-il ? Au cours de cette “période Joëlle”, elle avait fièrement troqué le numéro pré-programmé de SOS Amitié contre celui de Radio Solaris comme confident local moins onéreux question tarif mais vraisemblablement inopérant quant au réconfort moral ! En dehors de l’émission, hors antenne donc, Joëlle continuait d’appeler le standard de la station à n’importe quelle heure, dans le seul dessein de se vider l’esprit au désespoir de celui ou de celle piégé(e) qui allait décrocher. Le problème pour celui d’entre nous qui avait le privilège d’être son interlocuteur, c’était de ne pas trop éterniser la conversation. Pas facile d’arrêter Joëlle dans ces moments-là: “Ah je comprends, je vous dérange... ? - Non, non, pensez-vous !” et de conclure aimablement sans la froisser, heureusement elle ne semblait pas susceptible : “Bon c’est pas l’ tout, mais on a une émission à préparer, et l’heure approche...”

 

Tous les vendredis soir, devant la gare d’Yvetot, des familles venues accueillir un des leurs, attendent le dernier express en provenance de Paris. Pour patienter durant les quelques minutes, elles ont branché l’autoradio : les rires éclatent dans les voitures un peu partout sur le parking simultanément ! Visiblement, tout le monde est branché sur le même programme. A leurs mines hilares, pas besoin de deviner ce que ces gens écoutent ! Citons le cas où de très jeunes auditrices appelaient la station à l’insu de leurs parents. Enfermées dans leur chambre pour ne pas se faire surprendre, elles chuchotaient devant le combiné, dissimulées sous une épaisse couverture. A l’autre bout du fil, Daniel d’un air très solennel, à quelques millimètres du micro, répondait d’une voix identique sans être perturbé par les rires étouffés des autres membres de l’équipe. Cet échange de propos murmurés à l’antenne prenait une dimension pathétique dans le silence et l’obscurité de la nuit ! L’auditeur isolé dans son hameau, mêlé au dialogue, devenait sûrement un complice lui aussi et s’imaginait comme des centaines d’autres, en plein cœur d’un mélodrame! L’atmosphère était à son comble encore une fois, lorsque Daniel, les mains en porte-voix devant le micro, avec l’écho réglé bien à fond dans les hauts parleurs de retour-studio, s’adressait à on ne sait quelle bande de forcenés et se mettait à hurler à la cantonade : “Rendez-vous... vous êtes cernés” ou bien parodiait de sa voix de stentor la fameuse scène de Jean Gabin, Bourvil et Louis de Funès dans “La traversée de Paris” : “Jambier, nom de Dieu, j’veux deux mille francs, Jambier, 45 rue Poliveau”... Sans oublier les imitations de nos grands personnages politiques et du show-biz, inspirées des marionnettes satiriques du “Bébète Show” de la télé - “grui, grui, grui”- débarquées dans la nuit, ici au milieu du pays de Caux. (Les Guignols de Canal+ n’existaient pas encore) Tous les personnages parodiés y passaient: le Général Buzard : “Attendez voir, bandes de p’tits salopards !” Ces gamines, de l’autre côté du poste, un rien les amusait, tout les excitait. Chaque imitation provoquait les éclats de rire de toutes ces Girls d’Enfer au bout du fil. Imaginez un instant la tête d’auditeurs occasionnels revenant d’une soirée, au milieu de cette loufoquerie, en quête d’une station, prenant l’écoute sur leur auto-radio par pur hasard : “Mais qui sont ces fous furieux échappés d’un asile d’aliénés qui viennent d’envahir cette radio?” De nos jours, un tel bastringue sur les ondes pourrait-il encore se reproduire ?

Encore un mémorable souvenir à l’antenne de Radio Solaris : citons  l’appel  de cette jeune femme peu farouche prénommée Danièle qui avoue être “pelotonneuse” dans une filature de la région de Bolbec. Inutile de préciser que ce terme de métier vite transformé en “peloteuse” a créé l’hilarité générale dans le studio une bonne partie de la soirée. Les questions ont “fusé” ( jeu de mots facile !) de toute la table ovale pour en savoir plus sur cette demoiselle et bien qu’il ne s’agisse que de diriger une machine servant à enrouler du fil sur des pelotes, vous imaginez bien quel sens a pris la conversation ! Aujourd’hui, qu’est devenue notre “Danièle* de Bolbec”, après toutes ces années passées ? Se souvient-elle toujours de cette joyeuse soirée hilarante de radio ?

 

Parmi les auditeurs de cette période, il est difficile de se rappeler de tout le monde, de tous ceux qui ont appelé ou tenté d'appeler chaque vendredi le 95.41.42 - un numéro systématiquement bloqué - ou adressé des messages via la boîte postale. Il y a beaucoup de personnes qui ne resteront que des prénoms, simples voix à l'autre bout du téléphone, Corinne et Joëlle d'Yvetot, Barbara de Foucart, Véronique et la bande d'Ourville-en-Caux, Pierre de Lillebonne, Jean-Yves d'Yvetot, Danièle de Bolbec, Francine de Saint-Nicolas-d'Aliermont, Claudine de Sainte-Marie-des-Champs, Thierry dit Grisou de Bourg-Baudouin, Catherine de Quillebeuf-sur-Seine, ou encore Agnès, Marie-Christine, Patricia, Nicole, Nathalie, Philippe, Mario et ceux ou celles qui en dehors des demandes de dédicaces, entretiendront avec nous une correspondance fidèle : Austin Mini, Babybel, Martine... Pardon de ne pas citer tout le monde. Que sont-ils (elles) devenu(e)s ? Certaines demoiselles Girls d’Enfer n’hésiteront pas à venir en personne aux studios, découvrir quelles têtes peuvent bien avoir ces ahuris qu’elles entendent   délirer sur tout le pays de Caux, devant les micros de Solaris. Même s’il n’y a jamais eu de cars entiers stationnés devant l’entrée rue Pierre et Marie Curie, ces visiteuses débarquent dans l’antre, chaque vendredi soir en bandes courageuses de deux, trois ou quatre filles ! Forcément, on n’est jamais trop prudentes. Ces saltimbanques de Solaris n’ont pas l’air bien sérieux dans leurs têtes !

Un autre habitué sympathique, auditeur esseulé, prénommé également Pierre, appelait en cours de soirée, le standard des Girls d’Enfer, souvent à l’insu de sa femme, pendant que celle-ci, infirmière, était de service dans un hôpital de Lillebonne. Il parlait de choses et d’autres, de son couple, de choses plus ou moins intimes, profitant de l’absence de sa dame... Par la poste, la station recevait durant la semaine beaucoup de courrier. La plupart du temps, c’était de simples messages pour les “Dédicaces du dimanche matin” ou bien des demandes de photos dédicacées de nos trombines de super stars ! A ce propos, Jean-Jacques, un ami de Gérard (à eux deux ils tenaient l’émission juste avant les Girls d’Enfer du vendredi soir), lui, il était photographe (amateur ?) et avait entrepris de nous tirer le portrait les uns après les autres dans le grand studio, devant un immense pare-soleil Solaris qui barrait tout le bas de la photo. Les résultats de nos “tronches” en noir et blanc étaient pitoyables : surtout si l’on est peu photogénique, voire pas du tout. C’est ce qui s’appelle avoir (ou pas) un physique de radio ! Un jour, apercevant mes propres photos, je demandais à Annie qui s’occupait du secrétariat si elle osait envoyer ces horreurs à chacun de nos correspondants: “On envoie ce qu’on a, puisqu’on n’a rien d’autre!” me répondit-elle d’un air encore plus dépité que le mien. Sûr que les auditeurs devaient être traumatisés de recevoir de tels portraits et qu’ils les ont vite brûlés sans tarder !

 

Si l’on excepte le gros du courrier et ses sempiternelles demandes de dédicaces, l’éventail de notre auditoire restait large. Faute de témoignages d’autres animateurs, je ne peux parler que de mon cas, puisque j’ai conservé pieusement les courriers qui m’étaient adressés : ça allait du petit retraité qui remerciait d’avoir entendu tel ou tel disque lors de “Chansons d’Hier” - lui rappelant quelques souvenirs - ou cette dame qui demandait de bien vouloir lui passer un titre précis, pendant l’émission suivante. Une chance inouïe si je l’avais dans ce cas. Et pas d’internet à l’époque pour faire son marché ! Il y avait aussi des félicitations, quelques critiques parfois mais toujours constructives.

Dans ce courrier, il y avait les lettres touchantes de jeunes gars et filles. Grâce au pouvoir mystérieux de la radio, ces jeunes derrière le transistor percevaient ou imaginaient beaucoup plus sur nos personnages que ne le révélait le simple son de nos voix. Peut-être s’ils avaient vu nos visages - mis à part ceux de ces horribles photos noir et blanc - nous aurions eu nettement moins d’attention ! Le choix de nos disques et la façon d’associer les titres entre eux, lorsque nous avions la maîtrise totale de ce choix, véritable privilège, dévoilaient notre personnalité. Si ça se trouve, une oreille attentive aurait pu y déceler quelque message caché.Voilà qui nous épargnerait de trop longs épanchements !

 

NB : cette époque est révolue. Désormais l’informatique dépourvue d’âme impose ses choix de diffusion ! Le DJ a-t-il un avenir?

 

La radio est un média pudique car elle ne parle jamais d’elle-même. En conservant ses secrets, elle entretient son côté mystère. Cependant, au cœur lourd de la nuit, elle dévoile des vertus magiques. Outre son aspect de convivialité, elle entretient l’imaginaire de l’auditeur. Durant l’écoute de chaque disque, l’esprit vagabonde. La nuit, isolé dans son coin de campagne à des lieues du prochain village, la radio permet de se sentir proche et en lien avec les autres auditeurs. Grâce à la radio, chacun est interconnecté et partage à l’instant T la même musique, la même histoire, la même atmosphère. La force discrète de la radio, surtout quand elle est locale, est tellement supérieure à celle qu’exercent les radios de réseaux, distantes, inaccessibles, clinquantes et rarement confidentielles. Moi, je le ressentais comme ça : au-delà de la tâche (agréable) qui consistait à enchaîner les disques l’un après l’autre (choisis suivant l’inspiration du moment), en présentant le chanteur, le titre du morceau et un petit commentaire souriant d’une voix pas trop monocorde - ce que certains animateurs blasés après quelque temps, appelleraient une routine - nous, à Radio Solaris, avions la mission de ne jamais décevoir ceux et celles qui étaient derrière le transistor, attentifs. A cause du trac omniprésent, nous savions qu’ils/elles étaient là, de l’autre côté. C’étaient tous des auditeurs fidèles. Chaque semaine, nous les sentions reliés à nous, comme s’il existait un cordon à travers le poste. Encore une fois, seules les radios de proximité et également les radios offshore étaient capables d’établir une pareille complicité entre auditeurs et animateurs, impossible à créer avec une web radio trop virtuelle sans âme qui vive, ou un réseau avec un DJ éloigné, apparaissant à l’antenne trois ou quatre fois dans l’heure ! Je n’ose évoquer ce procédé perfide de “radio en conserve” inventé dans les années 90 dit Voice track où toutes les interventions parlées sont enregistrées en une seule passe avant d’être insérées une à une, de façon aléatoire, dans une suite musicale diffusée ultérieurement par plusieurs stations différentes, situées aux quatre coins du pays.

 

Seuls devant la console de mixage, nous maîtrisions la radio entière, ses jingles, ses refrains, ses pubs, toute cette ambiance sonore nous appartenait. Baignant dans ce flux musical, quelle satisfaction éprouvions-nous de réussir l’enchaînement de tous ces éléments, comme celle d’un jingle avec le disque suivant, sans le moindre “blanc” ou chevauchement puis d’une voix assurée, profiter des quelques secondes d’intro offertes pour dévoiler le titre et le nom de l’interprète “pile poil” avant l’arrivée des premières paroles : le bonheur total ! évidemment, il fallait connaître ses intros par coeur, pour savoir à quel instant précis la voix de l’interprète surgissait ! Des enchaînements sublimes réussis dans la règle de l’art nous dopaient véritablement.Ils accentuaient l’aspect magique de la radio et prolongeaient son pouvoir mystérieux au-delà les ondes jusqu’à l’auditeur. La radio est un média chaleureux, à l’opposé de la télé impudique et démystificatrice. En 1981, les esprits obtus qui accusaient les radios musicales de n’être que de vulgaires juke-boxes, ne pouvaient évidemment comprendre cela.

 

Très vite la correspondance, lorsqu’elle commençait à s’établir avec les auditeurs(trices) fidèles, dérivait vers les confidences. Sans posséder les compétences d’une Ménie Grégoire, nous devenions malgré nous, mi-psychologue, mi-confesseur. On ne s’imaginait pas tenir un tel rôle. Sortis de l’univers de la radio et de son ambiance musicale, il ne fallait pas nous demander plus! Toutefois, j’ignore si nos réponses maladroites par des allusions à l’antenne entre deux chansons ou quelques lignes griffonnées en réponse à une lettre, réconfortaient et effaçaient la mélancolie passagère de nos correspondants. J’espère sincèrement que la présence de Radio Solaris pendant ces brèves années a permis de donner un sens à leur existence. Au moins, il restera quelque chose de cette (courte) période de radio locale chez nous ! Un exemple parmi des dizaines, “Babybel”, son pseudo pour Isabelle, était sûrement une jeune fille sympathique, adolescente qui voulait s’échapper de son cercle familial trop restreint d’après ce qu’elle laissait supposer dans ses courriers. Elle se sentait isolée et terriblement éloignée de cette inaccessible ville d’Yvetot, idéalisée par la présence de la radio. Avec ses lettres dont nous lisions souvent quelques extraits à l’antenne, elle avait trouvé avec Solaris, l’occasion d’échanger et se faire quelques ami(e)s aux alentours, tout comme sa grande copine Valérie, laquelle en revanche était très exubérante, extravertie même, mais touchante elle aussi. Curieusement surnommée “Austin Mini”, (waaouh, quel surnom !), elle écrivait de longues lettres passionnées, illustrées de petits dessins, à l’attention de chaque animateur. C’était une véritable fan de la radio, fidèle, toujours     présente et indéfectible assistante de toutes les fêtes organisées avec le parrainage de la station. Véritable garçon manqué, impulsive et comme beaucoup de jeunes, ne trouvant aucun emploi, elle ressentait l’urgence de se sentir utile et de passer à l’action. Sur un coup de tête, elle avait pris la décision de s’engager dans l’armée ! Malheureusement, la radio ayant disparu prématurément, le contact a été rompu. On ne saura jamais si elle a mis son projet à exécution.

Parler, écrire, faire des confidences à des centaines d’auditeurs durant ces quelques années, était le grand privilège de cette époque fantastique. Pendant son existence, la station a contribué à créer un tissu social et économique dans cette région. On peut l’affirmer aujourd’hui, les années 80 représentent l’époque unique dans l’histoire du pays de Caux pendant laquelle les habitants ont pu se parler entre eux, d’un village à l’autre par l’intermédiaire de leur radio de proximité. Les gens du coin de la rue pouvaient discuter librement avec leurs semblables à l’autre bout de la région et réciproquement. Cette correspondance écrite et ces dialogues téléphoniques diffusés sur l’antenne ont révélé l’important besoin de s’exprimer de tous ces jeunes Cauchois et Cauchoises (et des moins jeunes) isolés dans leurs hameaux perdus. La solitude dans les campagnes, souffrance volontairement minimisée à notre époque et le mal-être de se sentir exclu et éloigné des autres, existent réellement. Nous les avons entendus. La boîte aux lettres était trop petite pour contenir le courrier enflammé de toutes ces Groupies, lycéens et lycéennes pour la plupart et celui des autres auditeurs dont beaucoup étaient “en recherche d’emploi” comme l’on dit élégamment. Sans être directement impliqué dans cette émission de libre parole, chaque animateur de Radio Solaris recevait régulièrement son lot de lettres décorées et parfois suprême luxe, parfumées ! Souvent les mêmes fans adressaient un mot personnalisé à chacun(e) d’entre nous. C’était une fierté lorsqu’on débarquait au studio et découvrait ce courrier personnel. Pensez donc : “Moi, j’ai reçu une lettre cette semaine !” Des années plus tard, ces lettres conservées précieusement dans une boîte d’archives sont les témoignages rescapés de ces fabuleuses années d’enfer. Pendant presque sept ans, la radio a servi de phare, de point de repère dans l’existence de ces jeunes adolescents. Il suffit de relire leurs messages. Je ne sais pas si les autres DJs ou ceux des radios concurrentes ont pris conscience du pouvoir que leurs voix exerçaient à travers les ondes. Il est évident que beaucoup de jeunes auditeurs étaient “accros” à la radio et idéalisaient les personnages qu’ils entendaient sans pourtant les connaître. Evidemment, nous étions semblables à eux, avec quelques années d’écart, sûrement ! Mais l’énorme différence, c’était d’être de ce côté du micro qui nous donnait tant d’importance ! Pour conclure, “Girls d’enfer”, émission pleine de bonne humeur a été, l’un des gros succès de la station et ces moments intenses de libre expression resteront gravés dans nos mémoires.

 

Au cours de la saison suivante, avec les différents départs intervenus au sein de l’équipe, le titre est remodelé en “Grille d’enfer”. Le principe de l’émission restera le même, mais pour pallier l’absence de Daniel, pivot de l’équipe qui n’a pas souhaité reconduire une saison supplémentaire, un jeu, une sorte de bataille navale va devenir le “fil rouge” de la soirée du vendredi, là où tout s’articule et le prétexte pour forcer les gens à appeler le 95.41.42. Le principe est simple : il suffit pour eux de choisir une case sur une grille gigantesque étalée sur la table ovale du grand studio sous le contrôle strict de l’incorruptible Maître Jaunâtre (huissier virtuel !) et de gagner le contenu de la case, c’est-à-dire des bons d’achats, divers lots... ou sinon, on tombe sur un gage. Et quel genre de gage ? S’agit-il de répondre à une devinette ou une énigme ? Ce que l’on se rappelle, pour appâter les candidats, c’est évidemment de faire naître l’espoir de remporter le gros lot de l’émission pour lequel la station s’est mise en frais : une superbe voiture rouge italienne encore dans sa boîte d’emballage à gagner ! Ola ! Bien bien sûr, ce n’est pas une vraie Ferrari... mais, une “Burago”, un modèle réduit à l’échelle 1/13e. Finances obligent, tout de même ! Malgré le talent de Didier, Bruno, Virginie et des autres, le nouveau rendez-vous de cette “Grille d’Enfer” ne connaîtra pas le même engouement rencontré durant les saisons précédentes.

Vous écoutez... "Reiidio Ouane" FM ! 

A annoncer avec le british accent si possible !

                                       

Coup de semonce, le journal Paris Normandie nous l’apprend en page régionale, Solaris va disparaître, aïe ! Elle devra céder sa place et sera remplacée par une nouvelle radio ! En effet, c’est un coup dur, il faut l’avouer, la station, faute de moyens suffisants, doit s’arrêter ! La fin avant l’heure pour Radio Solaris... Pour sauver leur station, chaque auditeur est instamment invité à envoyer un franc symbolique. Toutefois, selon le journal, on ne devrait pas assister à de gros bouleversements sur l’antenne, l’équipe actuelle restera en place. La seule différence de taille est à noter : la station doit adopter un nouveau nom. Mais lequel ? Là encore, le mystère est complet et ne sera dévoilé qu’aujourd’hui... Premier avril 1985 ! En effet, il a été décidé de rebaptiser la station du nom de... “Radio One” (Radio 1) ! Effectivement, par respect de la tradition, le poisson d’avril, même s’il semble un peu gros, nous vaut notre lot de bévues pour chacun de nous à l’antenne, tout au long de la journée : “Vous écoutez So... euh je veux dire Radio One. Je répète, c’est évidemment Radio One que vous écoutez maintenant...” en insistant lourdement avec l’accent britannique. Pour l’occasion, toutes les cassettes de jingles Solaris du studio antenne ont été substituées la veille par un second jeu contenant les nouvelles “ritournelles” adéquates avec le son de “Radio One FM”, à charge pour les animateurs de So... euh décidément, de “Radio One”, de les diffuser tout au long de cette journée du Premier avril. Évidemment, le nouvel habillage sonore n’est qu’une copie conforme des refrains utilisés outre Manche par la vénérable “BBC Radio One” captée exceptionnellement en Normandie et enregistrée sur une radio-cassette par notre ami Rod. A ce propos, Rod (qui a relu ce texte) précise : “Je ne suis pas sûr qu’ils (les nouveaux jingles) provenaient tous de ma collection. Il me semble me souvenir qu’une bande magnétique de jingles “Radio One” nous avait été prêtée par Paul (Dom), qui nous avait alors dit que c’était un DJ de Radio One qui les lui avait copiés. Quelques uns de ces jingles ont d’ailleurs servi de base musicale à certains jingles de Radio Solaris!”

Les puristes les auront remarqués, on peut en être sûrs... Fort heureusement, pendant ce “British Day”, on n’a pas été tenus d’adopter en permanence l’accent anglais pour faire plus authentique. La prononciation de “Reiidio Ouane”, infligée à 150.000 paires d’oreilles cauchoises, aurait fait rugir le professeur de Cany, notre auditeur éphémère des premiers jours !

 

Dans le bar proche de la radio, (encore une annexe, Place des Belges) à la table voisine de celle où les animateurs de Solaris prennent l’habitude certains matins de se réunir devant un café pour parler d’autre chose que de radio, une jeune femme très BCBG, l’air méprisant, plongée dans son Paris-Normandie et agacée d’y découvrir une fois de plus un article sur Solaris, s’écrie à haute voix pour attirer l’attention du serveur derrière son bar : “Ah, tiens! Solaris s’arrête... Eh ben, on n’pourra pas dire qu’ça s’ra une grosse perte !” pleine d’ironie, sans se douter de la présence discrète, une fois n’est pas coutume, du clan sagement assis au fond de la salle qui vient “d’encaisser”. D’ailleurs la diatribe amère ne suscite aucun commentaire derrière le bar. Le barman est prudent et connaît sa clientèle! On peut imaginer la déconvenue de cette dame intolérante à 19 heures, lorsque Rod devant le micro, a rassuré les auditeurs encore crédules, éteint la mèche et révélé le “Poisson d’avril !” en pensant à la fanfaronne blasée du matin: “Ne soyez pas stupide de croire que Solaris abandonne la partie...” Bien sûr, ça il ne l’a pas dit ! Il aurait pu. Il s’en fallait de peu! Tout au long de cette journée indécise où l’info n’a cessé de côtoyer l’intox, quelques auditeurs trop candides ont envisagé le pire, brutalement inquiets de l’avenir de leur station. En effet dès le lendemain matin à l’ouverture du courrier, nous avons eu la surprise de découvrir une petite somme rondelette constituée par l’envoi de quelques francs symboliques. C’était pour nous une révélation. Un peu émus, on ne l’avait pas fait pour ça ! Le trouble passé, la farce nous a convaincus de l’intérêt et de la popularité réelle de cette radio qui démentent prodigieusement les paroles acerbes entendues la veille. Ce premier avril par tradition, placé sur le signe de la rigolade, vient de nous révéler en toute sincérité, à quel point Radio Solaris est présente dans le cœur des Cauchois. Cela vaut quasiment une enquête de satisfaction ! Et de plus, cette sympathique opération rapporte même quelques modestes francs. Cependant, au fond de moi-même, je ne peux chasser l’idée noire qu’un tel scénario-catastrophe d’une disparition de Solaris pourrait très bien survenir un jour ou l’autre. C’est le destin. Je ne suis pas superstitieux mais tout de même, ne jouons pas avec le feu. Inutile de tenter le diable ! Le lendemain, il y a un second dénouement à ce douteux poisson d’avril, exclusivement réservé cette fois aux membres de l’équipe : certains petits malins ont lancé la rumeur selon laquelle la BBC depuis Londres serait furieuse après nous. Mise au courant de notre initiative personnelle en “Normandy”, le très sérieux organisme britannique n’aurait pas apprécié la plaisanterie et va nous intenter un procès pour plagiat et utilisation abusive de ses “ritournelles” sur nos ondes, sans leur consentement... Bien sûr, tout cela est très crédible ! ;-))  Mais les meilleures plaisanteries doivent avoir une fin.

 

N’ayez pas peur si par hasard un lundi vous vous promenez sur 99 MHz entre 22 et 24 heures, et découvrez cette musique étrange faite de sons agressifs dus aux guitares soumises à de fortes distorsions... C’est Jean-François (Jeff) qui anime deux heures de hard-speed heavy metal. Décibels, puissance, voilà de quoi sortir de leur léthargie bon nombre “d’ignorants” selon son expression favorite. Les nombreux fans de cette musique qui apprécient Solaris, sont au rendez-vous chaque lundi pour “Le soleil dans les tympans!” comme l’illustre le nouveau slogan de l’émission. En effet, la station est la seule radio de la région à diffuser chaque semaine du hard rock. Au moment où vous lisez ceci, pas sûr qu’une radio haut-normande actuelle ne propose un tel choix musical aux nombreux hard-rockers cauchois. Une nouvelle émission vient de faire son apparition sur l’antenne de Radio Solaris, chaque midi, chaque jour de la semaine, consécutive à un manque d’animateurs sans doute, mais qui devrait ravir les passionnés de petites cassettes et les adeptes de déjeuners calmes. Voici une demi-heure gratuite de musique non-stop composée des meilleurs titres du moment sans l’intervention intempestive d’animateur, histoire de faire le plein de douces mélodies pour le reste de la journée! Cela devrait satisfaire les auditeurs qui refusent que l’on parle sur les intros des chansons - éternel débat - et qui préfèrent des radios juke-boxes sans âme, les web-radios !

 

 

V’néï-vous z’en vouér !

 

Une autre façon de mesurer notre popularité a été cette affluence record cet après-midi-là à Doudeville. La salle des fêtes ce dimanche 14 avril, est vraiment trop petite pour contenir tous ceux qui veulent voir Jean Avenel, le célèbre conteur d’histoires cauchoises. L’impact de la radio a été mésestimé. Comment pouvions-nous prévoir une telle affluence ? Des familles entières déçues (le mot est faible), étaient venues de très loin à l’appel de leur radio et ont dû rebrousser chemin, fort mécontentes, c’est le moins qu’on puisse dire, faute de places suffisantes dans la petite salle des fêtes. C’est vrai qu’on n’avait pas lésiné sur le nombre de messages annonçant l’événement sur notre antenne durant toute la semaine, par peur de ne voir personne selon la coutume cauchoise pour ce genre d’événement. Daniel Lefebvre n’a pu que s’excuser mais après en avoir discuté avec Jean, a promis un autre spectacle dans une salle beaucoup plus grande. Pour le moment, les sapeurs pompiers de Doudeville avaient été réquisitionnés pour trouver quelques sièges supplémentaires à ajouter dans les allées et au fond de la salle des fêtes ! Les premiers spectateurs arrivés, les plus chanceux, ont finalement pu s’installer. Philippe Thomas sur scène a présenté l’humoriste sous un tonnerre d’applaudissements alors que celui-ci n’avait pas encore commencé son show. Mais grâce à Radio Solaris, sa notoriété l’a précédée. Reconnu pour défendre un patrimoine culturel grâce à la langue cauchoise, Jean Avenel au cours de son one man show met en scène, à travers ses sketches, des sujets aussi divers que la vie quotidienne, les vacances, le mariage, le conseil municipal et surtout... les Parisiens : “Sont pas comme nous ces gens-là !”

 

Quelques jours après, le second spectacle promis est donné dans une salle des fêtes bien plus vaste, celle de Cany, une ville cauchoise un peu plus importante à une dizaine de kilomètres de Doudeville. Cette fois, les Revox du studio ont même fait le voyage pour enregistrer le spectacle. L’intention d’enregistrer les sketches du conteur cauchois avec le parrainage de la radio avait été évoquée lors de la dernière assemblée générale dans la perspective de proposer à la vente des cassettes audios. (les Compact Discs n’existent pas encore !) La toute première cassette de Jean Avenel éditée à plusieurs milliers d’exemplaires par Radio Solaris va se vendre comme des petits pains chez tous les disquaires de la région et notamment à Yvetot chez Jean-Paul Vuylsteke par ailleurs, l’un de nos premiers animateurs. Voici une anecdote rapportée dans le Courrier Cauchois : les clients sont nombreux, et Jean-Paul ne les connaît pas tous. Lorsque le conteur se présente dans le magasin pour commencer sa séance de dédicaces, il prononce simplement son nom : “Jean Avenel !” Jean-Paul qui ne le connaît pas encore de visu, lui demande : “C’est pour offrir ?”

 

Bien sûr, une ou deux histoires tirées de la cassette sont diffusées intensivement sur l’antenne et grâce au matraquage (!), Jean Avenel rencontre un joli succès. D’ailleurs le magazine  Télérama lors de son enquête consacrée aux radios locales normandes a qualifié Radio Solaris de “station comique”, une sorte de “Rire et chansons” avant l’heure. C’est vrai qu’à l’écoute des sketches de Jean, il est difficile de ne pas pouffer de rire. Les larmes aux yeux, seul au volant de sa voiture, arrêté à un feu rouge par exemple, la situation est quelquefois embarrassante et cocasse, vis-à-vis des autres automobilistes, lesquels sont scotchés sur d’autres fréquences à coup sûr austères et sinistres!

 

Par la suite, deux cassettes supplémentaires d’histoires cauchoises paraîtront encore avec le partenariat de la radio. Un contrat en bonne et due forme sera établi pour garantir les intérêts du comédien et ceux de la radio. Grâce à celle-ci, Jean Avenel, habitué des scènes de théâtre et des plateaux de cinéma, a dévoilé l’étendue de son talent et montré toute la verve pittoresque dont il émaille ses sketches. Il est devenu une vedette incontestée dans le pays de Caux puisqu’il attire la foule enthousiaste à chacun de ses spectacles de “One man shows” ou ses représentations théâtrales. Bien des années ont passé et une question me tourmente encore : est-ce Jean Avenel qui doit son succès à Radio Solaris ou bien, est-ce le contraire?

Le podium Solaris

 

L’été 1985 va conforter incontestablement le succès de la radio. Un nouveau slogan martelé sur l’antenne “Le soleil dans la tête” la force à sortir des studios pour rencontrer les auditeurs grâce à un podium itinérant, propriété du nouveau venu William. Le matériel de sono utilisé d’habitude dans ses soirées de bals, est contenu dans un camion Saviem spécialement aménagé. Grâce aux portes et hayons pivotants, un podium est opérationnel en quelques minutes sur la place d’un village. Une série de douze spectacles va donc être organisée durant tout le mois d’août face à une foule enthousiaste. La première représentation se déroule à deux pas des studios sur la Place des Belges, la grande place en centre ville d’Yvetot. Les autres soirées auront lieu avec autant de succès à Doudeville, Pavilly, Fauville-en-Caux, Saint-Valery-en-Caux, Caudebec-en-Caux, Yerville, Bolbec, Barentin, Cany, Lillebonne et Fécamp. L’organisation du spectacle est une entreprise collective des membres de l’équipe. François a su convaincre suffisamment de sponsors de la région parmi son carnet de clientèle pour financer l’opération. La présentation du spectacle est assuré par nos deux inséparables Thomas et Bruno. Le programme est composé de groupes de chanteurs régionaux, du chanteur Michel Deshays très célèbre dans notre région et est suivi d’un défilé de mode où des mannequins dévoilent sur scène les prochaines tendances de l’automne prochain ! Bien entendu la soirée continue et se termine en beauté par notre découverte, le conteur d’histoires cauchoises Jean Avenel, nouvelle vedette incontestée de la soirée. Au cours de la première, le 1er août à Yvetot, dès le début du premier sketch de Jean, quelqu’un a malencontreusement mis le pied dans un câble d’alimentation secteur reliant la scène à la régie où étaient installés la sono et le pupitre des lumières. Ach, sabotage !!! L’incident a plongé la scène dans le noir assorti du black-out total côté sonorisation. Stupeur générale ! Aïe, ça commence mal ! Sans se démonter, Jean Avenel a meublé ce blanc ou plutôt ce noir, en improvisant sur l’incident de façon humoristique. Au moment de la panne, dans ce silence inopiné, une voix s’est écriée : “Pfff, ça ne m’étonne pas de Solaris !” Tiens, est-ce la pimbêche du 1er avril ? Fort heureusement, la coupure est brève et l’incident est vite oublié dans le feu des histoires qui reprennent. Après avoir applaudi chaleureusement ses vedettes, le public s’est retiré ravi, après les avoir assaillies de demandes d’autographes surtout les jeunes enfants qui découvrent une nouvelle passion: la chasse aux autographes. Nous-mêmes, aux visages d’illustres inconnus mêlés à l’organisation Solaris, sommes sollicités et devons nous livrer à l’exercice. Quelle gloire ! Bruno n’en peut plus de signer à tour de bras des autographes qui vaudront sûrement une fortune dans trente ans ! A Fécamp, lors de l’ultime représentation, la soirée se montre bénéfique pour tout le monde. En remballant le matériel deux micros ont disparu de l’inventaire. Un chapardeur a tenu à conserver un souvenir de ce spectacle mémorable, deux bibelots d’une valeur de quelques milliers de francs. Bien mal acquis... Excepté ce larcin préjudiciable pour la station, le bilan de l’opération estivale se révèle positif, bien qu’il fût ouvertement reproché par la direction de la station, à Pierre et François, organisateurs du spectacle sur le plan technique et commercial, un manque de rigueur dans la préparation de l’opération la transformant en une aventure hasardeuse qui risquait de coûter plus cher à l’association qu’elle n’allait lui rapporter. En pays de Caux, féliciter quelqu’un pour son excellent travail semble être un exercice moins aisé que celui de le critiquer coûte que coûte. Bien entendu les récriminations ont été vite mises en sourdine après les applaudissements d’un public cauchois véritablement conquis. Mais c’est désobligeant quand même !

 

Thomas est secondé au cours de ces tournées du Podium Solaris par Bruno, un jeune animateur fraîchement issu d’une école d’animation, venu faire ses premières armes en Normandie. Son truc, c’est d’imiter l’académicien Alain Decaux à la façon de l’humoriste Guy Montagné, larges gestes de bras compris. Le sketch loufoque de Napoléon déguisé en pieuvre tentant de s’échapper de Sainte-Hélène est encore en mémoire: “Ne tirez pas, ne tirez pas, je suis une pieuvre !” phrase culte devenue célèbre. Avec Thomas, il co-anime l’émission humoristique “Dents blanches, haleine fraîche” restée dans les annales qui passe en début d’après-midi. Les fous rires communicatifs de Bruno sont renommés.

Un simple croisement de regards à travers la vitre du studio suffit à déclencher le rire jusqu’aux larmes, de part et d’autre. Difficile d’enchaîner l’annonce suivante en pleine sérénité dans cet état ! La joie, la folie et le délire règnent en permanence à la station. Aujourd’hui encore, les rencontres de Bruno, souvent le fruit du hasard au détour de manifestations commerciales dans la région, ne passent pas inaperçues! Dès que nos regards se croisent, la machine à éclats de rire se remet en route et les souvenirs de Solaris réapparaissent. Le simple fait de prononcer les noms absurdes de groupes de notre époque (Blancmange, Bronski Beat...) provoque toujours l’hilarité et nous remémore ces instants magiques de radio. Après avoir quitté Solaris et goûté à d’autres ondes voisines, il est monté à Paris. Aujourd’hui, Bruno est entendu sur Nostalgie. C’est le seul d’entre nous qui a suivi sa voie. Et je sais qu’il n’a pas oublié notre époque dorée et nos grandes parties de rigolades.

Le 9 novembre 1985, quatre bougies sont soufflées au Casino de Saint-Valery durant une soirée dansante animée par William. Parmi les chanteurs invités, le groupe Affinity interprète au cours de cette chaude soirée d’anniversaire, son unique et célèbre tube “I love my Radio”.

Quatre ans après, les  projets ne manquent toujours pas. A l’ordre du jour, le déménagement de l’émetteur reste d’actualité. Un autre château d’eau, celui    du paisible village de Carville-Pot-de-Fer (pas loin de Doudeville) a été choisi, sauf que celui-ci isolé dans la plaine cauchoise, n’est pas relié au réseau électrique. Ennuyeux pour y faire fonctionner un émetteur ! On a beau s’appeler Solaris, il nous faudrait beaucoup de soleil pour tenter l’exploit de cellules photovoltaïques. De plus, Monsieur le maire accepterait bien un relais de Solaris sur sa commune mais il redoute des interférences dans sa télé. C’est sûrement un pseudo-technicien qui l’a renseigné ! L’intox “anti-ondes” fonctionne à merveille et répand ses fausses rumeurs. Le village est situé à plus d’un kilomètre et les harmoniques, en admettant qu’elles subsistent malgré un équipement correctement réglé, seraient inopérantes à cette distance. Au pire, des filtres adéquats existent dans ce cas. Mais, on est d’accord, la bidouille n’est plus que de l’histoire ancienne !

 

Olivier, animateur et par ailleurs dessinateur à la Direction de l’Équi-pement, est chargé d’étudier toutes les implantations possibles dans la région et de dénicher la plus élevée de préférence. Ce qui n’est pas évident sur l’étendue du vaste pays de Caux, vu qu’il n’y a aucun sommet vertigineux chez nous, le choix désigne vite les clochers d’églises (oublions !) et les châteaux d’eau, seuls points censés dominer de leur belle hauteur notre plat pays qui est aussi très vallonné, ne l’oublions pas. Donc rien à voir avec la Belgique de l’ami Jacques. Conséquence cocasse de nos multiples hésitations, Olivier commence à détenir un trésor inestimable : la plus belle collection de plans de châteaux d’eau de tout le pays de Caux !

Le 5 décembre, TDF se rappelle à notre bon  souvenir. Une lettre recommandée attend Daniel, notre président, au bureau de poste de Doudeville. C’est tout bonnement un avertissement assorti d’un coup de massue... avant poursuites judiciaires le mettant en cause personnellement, puisqu’il est :

“... déclaré responsable de la station d’émission dénommée Radio Solaris...”

Celui-ci est informé par des agents assermentés de TDF “qu’il a été constaté à la fréquence 99 MHz, une émission émanant de cette station...” 

Non, sans blague ? Quelle belle surprise !*

... et que la fréquence utilisée est différente de celle indiquée au cahier des charges...”

Tu parles ! Pas besoin de remplir un tel P.V. pour constater notre “excursion organisée” de 88,6 à 99 MHz !

“... Donc, il y a infraction. En conséquence, un délai de huit jours (c’est court !) est donné pour se mettre en conformité, sinon une plainte sera engagée pour non-respect du cahier des charges (...)”.

 

Sans surprise, recevoir dès l’aube une pareille missive de l’Administration, a logiquement gâché la journée de notre Président !

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 1986

 

 

 

Clash dans l’association : démission brutale du président - Contrat de partenariat entre Radio Solaris et Radio Cumulus avec création d’un relais en centre ville de Fécamp sur 95,3MHz - Lancement de l’opération “Privilège”

 

 

Nous sommes début 1986, l’équipe de permanents se compose ainsi : François, commercial et... directeur des programmes (drôle de cumul mais pourquoi pas ?), quatre animateurs, Annie, Marylin, Pierre, William, trois stagiaires TUC, plus deux autres agents commerciaux. Seize animateurs bénévoles assurent le reste des programmes de la semaine et la totalité du week-end. Les animateurs prétendus “professionnels” des premières heures ont finalement admis qu’ils ne tireraient pas grand profit pécuniaire de leur participation à la station. Ils ont assez vite posé leur micro et disparu. Plutôt soucieux de conforter leur propre image, il faut reconnaître que les recettes réalisées en animations extérieures en utilisant les couleurs et le nom de la radio, profitaient rarement à cette dernière. Aucune règle précise n’ayant été édictée de façon claire pour éviter les abus, il est certain que la radio représentait une bonne vache à lait, situation maintes fois dénoncée lors des réunions de bureau, sans toutefois y mettre fin.

 

Justement côté bureau, ce 14 février 1986, peu de changements, sinon l’arrivée de Gérard au poste de nouveau vice-président, de Bruno comme secrétaire adjoint et Philippe Thomas en tant que trésorier adjoint.

Un équipage haut-normand participe au raid Paris-Dakar, deux cauchois ont décidé de se lancer sur les pistes africaines avec leur Lada. Solaris a accepté de patronner modestement leur expédition, en échange de deux autocollants apposés sur leur véhicule pour étendre la notoriété de la radio au-delà de la Normandie !

 

Un nouveau jeu apparaît sur l’antenne, le Dicenmille. Dix, cent ou mille francs seront gagnés si l’auditeur appelé est capable de donner le titre du disque diffusé juste avant l’appel. S’il répond, il choisit alors l’une des trois enveloppes et gagne son contenu, un bon d’achat de 10, 100 ou 1 000 francs à dépenser chez un commerçant partenaire de la radio. Mais, le plus souvent, comme pour la plupart des jeux téléphonés chez les confrères, il n’y a personne à l’autre bout du fil, vu que la petite dame n’écoutait pas ou ce qui n’est pas exclu, elle était en train de rentrer son linge - le passe-temps obligé des maîtresses de maison en Normandie juste avant l’averse qui ne va pas tarder (le rinçage de trop !) - et tout cela pendant que le disque dont il fallait deviner le titre, est passé... Aïe, comme c’est ballot ! aurait pu dire Fabrice, animateur luxembourgeois bien connu !

 

Coup de tonnerre

 

Un mois après l’assemblée générale du 14 février 1986, stupéfaction générale, Daniel notre président présente sa démission (le 10.03.1986). Pourtant rien ne laissait présager une telle décision au moment de l’assemblée annuelle plutôt sereine cette année. C’est la consternation. La nouvelle résonne comme une bombe dans les esprits et il ne reste qu’à se réunir de nouveau pour élire un autre président. Avec le départ de Daniel, l’aura protectrice de France Radio Club vient d’abandonner définitivement Radio Solaris considérée malgré tout comme la station des pionniers du club, bien que certaines figures de Solaris refusent catégoriquement cet apparentement. Quoi qu’ils disent, FRC restera intimement mêlé à la naissance de la radio par l’implication de ses membres haut-normands dans le projet. Il est vrai que trois semaines après le début officiel des émissions, l’Association Solaris avait dû être créée en catastrophe le 7.12.1981, les statuts de FRC ne lui permettant pas d’exploiter une radio libre (cf p. 97). La fonction de président de la radio ressemble désormais, à celle d’un véritable chef d’entreprise, une PME de sept salariés, impossible à concevoir dans le bénévolat sans y sacrifier sa vraie vie professionnelle et remettre en cause sa vie familiale. Concrètement cette démission pose la question de savoir comment cette PME va pouvoir continuer à être gérée par des bénévoles qui résident pour la plupart, à des dizaines de kilomètres d’Yvetot ? Sans douter de l’aptitude d’un prochain président, quel qu’il soit, peut-on craindre que la démission de Daniel Lefebvre ne freine l’essor de la radio ou pire... Sait-on jamais ce que nous réserve l’avenir ? Connaître la vie sociale, pouvoir fréquenter les élus et les notables de la région sont des atouts non négligeables pour gérer une radio indépendante de cette envergure. Va-t-on savoir s’occuper de ces choses-là ? Attendons une prochaine réunion fixée au 18 avril...

 

Du 24 au 26 mars 1986, c’est de nouveau la Foire de Printemps sur la Ville d’Yvetot. Pendant ce week-end de Pâques, c’est une grande fête annuelle commerciale et artisanale ! Cette fois la radio a décidé de sortir le grand jeu puisque les émissions de ces trois journées vont être diffusées en direct depuis le hall d’exposition, à partir d’un stand composé de vitres fumées et de panneaux tapissés de moquette rouge et blanche, les couleurs fétiches de la radio, la classe ! A l’occasion d’un spectacle donné à Yvetot, les “Charlots” sont les invités vedettes du studio Solaris. Dès leur arrivée, Gérard Rinaldi, Jean Sarrus et Gérard Filippelli* suivis de leurs nombreux admirateurs créent l’événement et répondent à nos questions sur l’antenne. Aussitôt, la foule bruyante des visiteurs s’agglutine devant les barrières et bloque toute l’allée. C’est comme il se doit, l’interview le plus loufoque qu’il n’ait jamais été donné d’entendre à la radio. La sono extérieure de la foire relaie l’interview. Conséquences inattendues, il n’y a plus un seul visiteur chez les autres exposants. Impossible également de ne pas remarquer durant ces trois jours, la présence d’un hélicoptère qui offre des baptêmes de l’air aux visiteurs dans le ciel d’Yvetot et ses alentours. En effet, chaque quart d’heure, les décollages et atterrissages se succèdent sur l’aire aménagée près du hangar d’exposition. Le vacarme de la turbine couvre la sono et les auditeurs de Solaris à l’autre bout de la région ne peuvent plus ignorer la présence de cette attraction sur le champ de foire d’Yvetot. Malgré cette débauche de décibels, souhaitons que les interviews soient restées suffisamment compréhensibles à l’écoute !

         

La vie continue et une page importante se tourne pour l’Association Solaris. Le vendredi soir 18 avril 1986, un nouveau président va être désigné pour occuper le poste laissé vacant par Daniel Lefebvre, officiellement toujours membre de l’association (pour la forme) mais que l’on ne reverra jamais plus à nos côtés. Son absence brutale et définitive, la première depuis ce 16 novembre 1981, révèle l’existence d’autres raisons d’une démission plus graves qu’on ne le soupçonnait. Sa rapide décision peu de temps après sa récente réélection a été véritablement pour tout le monde un pavé dans la mare. En plus de raisons personnelles (privées ou professionnelles), il semble évident que Daniel éprouve un gigantesque ras-le-bol contenu jusqu’alors, provoqué par les tracasseries de TDF (lettres d’injonction et menaces de poursuites judiciaires...), auxquelles s’ajoutent les crispations causées par le climat détestable, les mésententes incessantes entretenues au sein d’une équipe insouciante et les contrariétés occasionnées par ceux qui n’hésitent plus à mettre en doute sa gestion d’entreprise trop prudente de “bon père de famille” [sic], la goutte qui fait déborder le vase. Si d’un côté, on déplore le départ de Daniel, ses détracteurs s’en réjouissent et ne se cachent plus d’affirmer haut et fort que sous le règne de l’ex-président, la station vivote et n’évolue pas assez vite à leur goût. Prenant pour référence les radios concurrentes rouennaises RVS, VRL ou les “franchisées parisiennes” NRJ ou Europe2, ils envient leurs croissances exponentielles constatées depuis l’année 1981. Avec le passage matraqué dans les émissions de Pierre du fameux 45 tours de Coluche “On n’est pas là pour se faire engu...ler”, une chanson contestataire reprise de Boris Vian, personne n’est dupe. Jusqu’à présent, notre saine et sage gestion a tout de même amené Radio Solaris au niveau prospère que nous lui connaissons. Impatients, les frondeurs veulent sans tarder, investir les bénéfices acquis dans du matériel plus performant et donner à la station le faste qu’elle mérite selon eux, en lorgnant le prestige de la concurrence ! Ils regrettent que les potentialités financières disponibles à cet instant (?), ne permettent pas une évolution beaucoup plus rapide, comme la mise en place d’un service d’informations assorti d’un contrat d’abonnement à une agence de presse avec l’embauche de bénévoles, promus “lecteurs de news” pour l’occasion.

 

NB : A la suite d’une conversation que j’ai eue plusieurs mois après sa démission, Daniel m’a avoué qu’il ne désirait plus évoquer les souvenirs de cette époque qui comportait selon lui plus de désagréments que de moments heureux. Ces déclarations et cet état d’esprit ne reflétaient plus l’enthousiasme qu’il partageait avec nous depuis les premiers moments de 1981 et qui avait contribué au succès de la radio jusqu’à maintenant. Même si l’on comprend sa décision irrévocable, longuement réfléchie, Daniel a-t-il pris conscience des conséquences funestes, pour l’avenir de Radio Solaris, qu’il faut craindre de sa démission ? A cet instant, lequel d’entre nous ose prédire un avenir radieux à la station ?

A propos des salariés ou des membres de Radio Solaris licenciés ou exclus peu de temps après sa démission, il a pu constater : “Certains qui provoquèrent partiellement mon départ en mars 1986 n’ont guère tenu plus longtemps...”    (jcd)

 

Une nouvelle ère s’annonce. Quel futur nous réserve-t-elle ? Un autre dirigeant est donc choisi le 18.04.1986. Sans surprise, il s’agit de Gérard R. qui venait tout juste être élu vice-président le 14.02.1986. Membre de l’association depuis quelques mois, Gérard comprend vite que “le succès de l’entreprise dépend d’une équipe soudée et motivée pour un seul et même but, le maintien de Solaris à la tête des radios de la région”. Admettons. Il est vrai qu’en pays de Caux profond, la concurrence entre radios pop-rock est insignifiante !

 

Un autre vice-président lui succède en la personne de Christian H. nouvellement embarqué (8) lui aussi dans cette galère, inconnu de la plupart des membres de l’association Solaris présents mais qui semble déjà jouir d’une grande notoriété et posséder une influence énorme auprès des salariés permanents, comme vous allez en juger. Par le passé, des membres fraîchement enrôlés, remarqués par leur éloquence excessive, quand ce n’est pas parfois, une forme de vantardise, s’étaient vite éclipsés, emportant à l’occasion, avec eux, leurs grandes idées réformistes, utopiques trop souvent. Mais là : “ça va bouger” fanfaronne notre nouveau collègue. Voilà qui va changer de l’atmosphère des assemblées coutumières et de leur train-train habituel. Surpris par ce premier contact, mes craintes se vérifient le lundi matin suivant, au cours d’une conversation hors des studios, à l’annexe, un bar longeant la Place des Belges. J’entends Christian, décidément habile parleur, rempli de convictions, discuter âprement de la radio, de la façon de la diriger, de l’exploiter, entre autres sujets de discussions, entouré de Pierre, de François et des autres (pas noté les noms), tous pâmés devant lui. En retrait, ma position favorite (je ne suis qu’un bénévole !), je les observe tour à tour :            ils boivent littéralement ses paroles ! La scène est amusante - si j’avais pu, j’aurais pris une photo- mais ce sont les propos entendus et tenus dans cette conversation qui me sidèrent : “Ecoutez, vous vous amusez tous ici avec votre radio pour le moment... Mais sincèrement, vous n’allez tout de même pas faire “ça” toute votre vie ? Vous avouerez qu’il y a quand même autre chose de plus valorisant à faire dans une vie que de causer devant un micro et de faire le pousse-disques toute une journée...”

 

Alors là, je n’en crois pas mes oreilles ! C’est le nouveau vice-président de Radio Solaris, à peine élu depuis 3 jours qui vient de prononcer un tel discours ! Stupéfié, les bras m’en tombent, oserai-je même ajouter... Cela fait cinq ans que nous tous, sacrifions nos maigres deniers, tout notre temps libre, nos nuits, je ne parle pas des dizaines de kilomètres parcourus jusqu’à Yvetot pour faire vivre la radio dans cette région et de pouvoir un jour recueillir les fruits de nos efforts, tandis qu’un “brasseur de vent” subitement débarqué dans nos rangs, d’une simple parole, d’un seul revers de main, balaie, minimise les résultats obtenus et décourage tous les membres de l’équipe. Nous serions-nous trompés d’idéal dans notre vie, ou pire, livrons-nous chacun le même combat depuis ces dernières années ? Partageons-nous vraiment la même passion, le même goût pour l’animation radio, la technique, la musique ? Après ce qu’il a fallu endurer jusqu’à présent, ces paroles désinvoltes de ce nouveau messie ont de quoi démotiver les meilleures volontés que l’on ne s’y prendrait pas autrement ! L’avenir montrera que Christian a partiellement réussi son œuvre de démoralisation. Il sera difficile de conserver intact notre trop plein d’enthousiasme dans cette aventure.

Quelques jours plus tard, une nouvelle structure commerciale va être mise en place tout comme une “unité de réflexion et d’action” (encore du charabia de technocrates !) qui devra revoir la grille des programmes et y inclure quelques modifications. Sous la responsabilité de Pierre, la programmation, au libre choix des animateurs jusqu’à présent, va être désormais imposée. Une liste préétablie dictera à chaque animateur quels titres devront être diffusés et à quels moments bien précis. La grille doit absolument se rapprocher du format “Top 40”. Des années plus tard, Pierre revient sur cette époque et endosse pleinement ces nouvelles réformes de programmation, tout en refusant le terme de censure que l’on a commencé à entendre peu après, ici et là :

“C’est moi qui ai lancé cette grille de programmes en la canalisant dans la journée et en la laissant libre le soir après 20.00 ou le week-end. La semaine, les animateurs permanents - donc salariés - devaient suivre ces directives fixées par le conseil d’administration. Le soir et le week-end étaient réservés aux bénévoles. Il n’était nullement question de censure envers quiconque. Ce nouveau format devait empêcher le passage de funky à 15.00 sans se soucier des auditeurs présents, de n’entendre que les disques préférés des animateurs et d’écouter dix fois un même tube dans la journée. Il fallait faire des programmes qui correspondent au goût des auditeurs. Pour cela, nous avions créé un code de couleur correspondant à un type de musique avec des gommettes colorées apposées sur chaque pochette, chaque animateur étant libre de choisir tel ou tel disque dans la couleur convenue.

Puis un jour, les programmes ont changé, parce que le conseil d’administration nous a imposé un type que personne ne connaissait (9) et qui a voulu nous imposer les disques, titre par titre, et là j’avoue, j’étais contre, les programmes devenaient de plus en plus stéréotypés, on ressemblait à une “sous-RVS”. Évidemment, nous les permanents, on n’y était pour rien!” (...)     Pierre - extrait d’interview - mars 1999

Le spectre d’un relais NRJ à Yvetot a donc plané sur le pays de Caux avec comme conséquence la fin de notre liberté de ton à l’antenne, incompatible avec les règles imposées par le Groupe parisien. A terme, cette prise de contrôle sous-entendait la fin de nos propres animations à Yvetot et pire, la disparition pure et simple de l’identité “Radio Solaris”, comme cela avait été le cas pour de nombreuses stations en France.

 

Parmi les DJs bénévoles, il y avait Stéphane, une grande figure de la station et avec lui de bons moments à se rappeler. Stéphane est non-voyant, ce qui ne le gênait nullement dans le maniement des maxi-45 tours de disco et de l’utilisation de la table de mixage. Sa phrase d’humour culte quand il découvrait notre présence à ses côtés, était: “Ah, t’étais là, j’t’avais pas vu !” Je me rappelle, ça devait être un samedi soir, j’assurais la soirée jusqu’à 22.00 dans ce temps-là, puis Stéphane prenait la suite pour terminer à son tour vers minuit ou une heure du matin. Après lui avoir souhaité une bonne émission, je suis sorti tout naturellement et ai repris le chemin du retour. Le lendemain, j’entends que notre président Gérard a poussé un coup de gu... en apprenant que tous les spots d’éclairage de l’appartement entier étaient restés allumés jusqu’au petit matin. Dans ma hâte de partir la veille, je n’avais pas songé une seconde que Stéphane pouvait très bien opérer sa tâche de DJ dans l’obscurité complète. Bien sûr, lorsqu’il est parti à son tour, il ne pouvait deviner que toute la radio était illuminée comme un soir de bal à Versailles! C’est vrai, un sou est un sou, pourtant il faut relativiser : dans le même laps de temps, l’émetteur et la technique sous tension 24/24 ont consommé à eux seuls 10 à 15 fois plus de watts que ces quelques spots oubliés. Oups !

Sur le “conducteur” dévolu à chaque DJ, en plus de la liste des pubs à passer aux heures indiquées, figurent les catégories de disques à diffuser (signalées par des gommettes collées sur les pochettes). étant bien entendu que l’animateur a toute liberté de choisir le titre à passer dès l’instant où la couleur de la gommette est respectée. Le but recherché par cette mesure est de rendre le programme plus cohérent tout au long de la journée de façon à retenir un auditoire extrêmement volatil en lui diffusant uniquement les refrains qu’il a l’habitude d’entendre. Les succès anciens et les chanteurs méconnus sont proscrits pendant ces heures décisives et passent à la trappe. Inutile de préciser que la tranche d’auditeurs “15/35 ans” super-exigeants est particulièrement visée et choyée par cette programmation “Top 40”. Revers de la médaille, en ne passant que les titres “sacralisés” des auditeurs ciblés, on va très vite tourner en boucle ! De plus, en faisant mine de délaisser ses auditeurs plus âgés, Radio Solaris risque d’écorner son identité. La banalisation induite par le matraquage des mêmes “tubes” pendant la journée ne permet plus à la station de sortir du lot et de se distinguer des autres radios musicales voisines.

 

Plus grave, le mimétisme concerne également les animateurs de Solaris qui vont se contenter de reproduire, sans s’en rendre compte, les voix affectées de leurs homologues de Rouen, tellement éloignées de notre sacro-saint concept “free radio” censé être au plus proche des auditeurs, jusqu’au point, une fois pour l’un d’eux, d’annoncer fièrement : “Vous écoutez... RVS !” Aïe, la boulette ! Un lapsus involontaire, il faut l’espérer, du plus mauvais effet. Dans l’esprit des animateurs cauchois fraîchement enrôlés, la station rouennaise représente leur seul point de repère et leur unique modèle d’inspiration ! Les valeurs de RVS en pleine notoriété font école.Les voix pleines de suffisance de certains de leurs animateurs-vedettes préfigurent le paysage audiovisuel rouennais à venir. 

 

NB : à la disparition de RVS en 1998, des transfuges ont migré vers d’autres médias, notamment à Rouen aux flashs infos de Radio France Normandie - futur France Bleu Normandie - ou bien à la météo de France 3 (TV régionale), amenant avec eux leur manière caractéristique (très emphatique) de s’exprimer !   ;-))

C’est évident que la nouvelle programmation de Solaris, négligeant délibérément les auditeurs de plus de 35 ans et les seniors, cibles de choix des annonceurs, est une erreur stratégique. Comment une radio qui se définit comme “entièrement à l'écoute de son public” et qui repose exclusivement sur la publicité peut-elle ignorer une telle audience ? Nous avions compris qu'une radio rurale exige un statut généraliste, condition indispensable lorsque l'audience est disséminée sur une vaste zone géographique, à l'opposé de sa concurrente citadine, favorisée par une population dense.

 

Après d’intenses palabres et mûres réflexions, la décision d’appliquer les nouvelles directives d’encadrement de programmation se fera pendant la semaine et non les samedis et dimanches qui resteront à l’appréciation des DJs bénévoles. (NdA : la station n’emploie aucun personnel salarié le week-end) Les bénévoles conserveront leur liberté musicale quasi-totale. Dont acte... Malgré la reculade, le mal est déjà fait et la gangrène s’installe. Ce régime bâtard de semi-liberté n’empêche pas un nouveau coup de théâtre, le départ simultané des deux grandes voix de Solaris, Thomas et Bruno*, conséquence du profond désaccord avec la ligne éditoriale mise en place. Le malaise vis-à-vis de nos deux compères couvait depuis un moment.L’attitude constante d’opposition qui régnait entre collègues est évidemment l’une des raisons de leur départ. C’est désolant. Officiellement, nos deux amis mordus d’animation extérieure, décident d’abandonner la station pour convenances personnelles, afin de “se consacrer pleinement à leur société de spectacles”... montée sur le dos de la station qu’ils ont considérée comme leur pompe à fric ! déclame-t-on sévèrement dans les murs. Ambiance ! Le climat malsain, maintes fois évoqué dans notre récit, responsable de nombreuses démissions regrettables dont la plus marquante a été celle de Daniel Lefebvre, continue de répandre ses folles rumeurs accompagnées de commentaires les plus acerbes qui sapent peu à peu l’harmonie et l’intégrité de la station.

Rajout en 2017 :  une ancienne auditrice de Radio Solaris a retrouvé une lettre que lui avait adressée Philippe Thomas à l’époque de sa démission, effectivement due à un différend provoqué par les nouvelles directives de programme :

 

 

Philippe Thomas                                                            10 juin 1986

....

76190 YVETOT

 

                               Chère S ...

 

     Je tiens tout d’abord à te remercier de ta carte d’anniversaire, cela m’a fait un immense plaisir et j’aimerais bien connaître le tien, je serais heureux de te le souhaiter au moment venu.

Je ne sais pas si tu connais les dernières nouvelles, mais je ne fais plus d’émissions à Radio Solaris malheureusement. La raison en est que je ne suis pas d’accord avec la nouvelle formule du dimanche matin.

    Je connais assez bien le public de la région et je sais ce qu’il aime entendre le dimanche. Il me reste un grand ami à la station, c’est Jean-Claude à qui je souhaite que son émission qui est très écoutée, puisse durer encore longtemps.

    Voilà ma chère S ... les petits changements, je dois te dire que Bruno et Virginie sont également partis.

   J’espère que ta famille se porte bien et que j’aurais l’occasion de te revoir un jour très proche, car je veux rester en bonnes relations avec tous ceux qui m’ont aidé moralement dans mes émissions.

    Je te laisse (...) en espérant qu’un jour je puisse revenir sur les ondes de la FM dans des émissions de mon style.

 

                               Merci pour tout

 

                              Philippe Thomas

 

Par miracle, ce climat torride ne transparaît pas à travers les ondes. Dès cet instant, les salariés permanents prennent l’habitude - avec un malin plaisir, on dira - à “se monter” peu à peu, les uns contre les autres et à se jalouser à tel point que ces manigances conflictuelles apparaissent bien puériles aux yeux des animateurs bénévoles qui viennent ici assouvir leur passion du micro et goûter aux joies de la radio.

 

Prenons un exemple concret : imaginez un DJ bénévole, las de son existence étriquée dans le quotidien, épuisé par des tâches soporifiques. Il vient de terminer sa journée routinière dans le bureau open space d’une société quelconque à Rouen et a supporté toute la semaine les remontrances d’une cohorte de petits chefs... Ou encore ce guichetier d’une banque X où règne une atmosphère pesante, solennelle et guindée, blasé des exigences d’une clientèle ingrate, impatiente et capricieuse : “Qu’est-ce que je fais là, se dit-il, au lieu d’être avec les autres là-bas à Yvetot !” (ça sent le vécu ?) Il éprouve une réelle fierté à débarquer chaque semaine à la radio, avec sa collection personnelle de 33 tours, se changer les idées devant les platines, l’espace de quelques heures, le temps de réaliser un “show” sublime, plein d’entrain ! Dès la porte du studio franchie, il pénètre dans un autre monde... on ne dira pas “idyllique” mais... différent, enviant ceux ici qui vivent leur passion et ont transposé leur vieux hobby d’animateur-radio dillettante en véritable métier (les salariés permanents). Stupéfaction ! Passé l’odeur insistante de tabac froid qui stagne dans l’air, il découvre un malaise, une ambiance morose, des mines renfrognées. étrange pour une station de radio censée être joyeuse et bouillonnante! Que se passe-t-il ? Évidemment quelques heures de présence hebdomadaire dans les coulisses ne lui permettent pas de deviner les causes de ce climat détestable et de comprendre ce qu’il se passe réellement dans la tête de chacun, contrairement aux sept copains salariés qui eux sont confinés chaque jour de la semaine dans ces 60 m2. Travailler ici quatorze heures d’affilée pour assurer la continuité de l’antenne n’a rien d’exceptionnel et est même devenu un rituel. Même pour l’éternel fondu de radio, le phénomène d’usure est proche. Surtout, s’il est entretenu en plus, par le harcèlement continuel des messes basses de ses charmant(e)s collègues... de bagne !

 

Si l’envers indigne du décor de la radio du pays de Caux prend peu à peu l’apparence d’une poudrière, cela reste avant tout une véritable ruche. Pour illustrer les âpres conditions de travail et souligner l’exiguïté des locaux, il est bon (pour détendre notre récit) de rappeler cette anecdote hilarante rapportée par Bruno, digne d’une aventure de Gaston Lagaffe : alors que chacun s’affaire à ses tâches respectives, répondre au téléphone, ranger et sortir les disques des casiers, écrire les textes des promos et des publicités, enregistrer celles-ci sur cassettes dans le studio2, assurer le programme live à tour de rôle dans le studio 1 en respect du planning établi, annoter sur les fiches de programme remises à chaque animateur, les pubs et les annonces qu’il devra diffuser à l’heure indiquée, etc... il n’est pas rare pour François, notre commercial, de recevoir un commerçant important, venu mettre au point sa prochaine campagne publicitaire. Tout cela se passe en retrait, dans l’ambiance feutrée du petit bureau, la porte restée négligemment entrouverte. Savourant déjà les bénéfices engrangés par son activité grâce à la pub qu’il va faire diffuser sur les antennes de cette radio - sérieuse, de bonne tenue (lui a-t-on recommandé) et qui inspire confiance - le client annonceur s’apprête à signer le juteux contrat quand à cet instant crucial, la porte d’entrée de l’appartement s’ouvre brutalement à toute volée. Le grand DanielV. débarque dans les lieux, se croyant déjà vendredi soir au micro des “Girls d’enfer”. Depuis le palier, du haut de son "mètre 95" (à peu près!), d’une stature olympienne encadrant l’entrée grande ouverte, le bras levé, il commence à déclamer à la cantonade, façon Coluche, une suite de mots incongrus “bi..., cou..., poils” en guise de saluts préliminaires à l’assistance entière accaparée dans ses tâches respectives ! Cette déclaration soudaine autant impromptue qu’inattendue en un moment si solennel, est immédiatement suivie du claquement rageur et sonore de la porte du bureau, une détonation assourdissante qui ébranle l’immeuble tout entier, et dont le nombre de décibels est sûrement proportionnel au montant dudit contrat ! Oups ! N’est-ce pas compromis pour la signature?

 

 

 

                                          

L’opération Privilège

 

Dès le dimanche matin suivant, la morosité est bien réelle des deux côtés de l’antenne. L’atmosphère est bizarre pendant les “Dédicaces” et ne reflète plus cette ambiance enjouée de joyeux bastringue qui irradiait l’antenne. Malgré les efforts de Pierre et de Marylin, l’absence de Thomas et de son équipe se répercute les week-ends suivants sur la quantité de dédicaces, habituellement dénombrées à plus de cent appels. “Non, c’est faux ! Autant qu’avant!” objecte Pierre.

 

Bien sûr, nous l’ignorons encore, cette période marque l’apogée de notre belle aventure commencée il y a quatre ans et demi. Cependant la quantité de contrats publicitaires, encore en nombre suffisant, marque le pas. Une grande opération promotionnelle destinée à stimuler la radio est décidée pour redresser le tir. Des prospectus et des cartes de fidélité aux couleurs de la station ont été imprimés à cet effet. Christian, notre nouveau (et éphémère) commercial en second “chargé des opérations de promotion” prend la parole un soir au cours d’une assemblée générale mensuelle et expose pendant un bon quart d’heure, le principe de l’opération promotionnelle projetée, résumée maladroitement ci-dessous en quelques lignes :

“... l’Opération privilège ? Nous allons accomplir un tour de force unique dans le monde du marketing... Cette opération va révolutionner et bouleverser le monde de la publicité radiophonique ! On va oser ce que nul avant nous n’avait envisagé. Tous les commerçants vont vouloir se battre pour participer à cette opération qui va rencontrer un énorme succès...”

 

Le plaidoyer se poursuit de cette façon durant plusieurs minutes. Chacun écoute extasié, éberlué, hypnotisé, abasourdi... Mais, au bout d’un moment, n’y tenant plus, Didier qui s’était tu tout au long de l’exposé, habituellement très calme, éclate, “pète les plombs” et se met à hurler :

“Mais qu’est-ce donc que cette “Opération Privilège” ? Qu’est-ce que ça signifie ? Cela fait un quart d’heure qu’on nous rebat les oreilles avec cette “Opération Privilège” et on ne sait toujours pas de quoi il est question !”

Cette réflexion emportée de la part de Didier est tout de suite partagée par la majorité des membres présents à cette réunion, déjà peu familiarisés avec les opérations commerciales stratégiques et les grands exposés “marketing”. En effet, je ne suis pas sûr que toute l’équipe ce soir-là a finalement compris les modalités de cette gigantesque action commerciale censée être autant révolutionnaire. S’il s’agit d’une opération époustouflante, elle reste néanmoins très nébuleuse dans les petites têtes candides d’animateurs que nous sommes ! Plus sérieusement, nous dirons que l’opération consiste en une sorte de contrat de confiance passé avec le commerçant annonceur. Les spots de pubs seront désormais proposés sous la forme de “packs de messages publicitaires” (et non plus vendus à l’unité, comme c’était le cas jusqu’à présent), destinés à attirer et fidéliser les annonceurs. Mais là où le concept devient avant-gardiste, l’achat de “packs” donnera droit à certaines réductions sur la facture globale des publicités à diffuser, à un bonus de deux messages supplémentaires gratuits et enfin, la “grosse carotte”...  un tirage au sort d’un voyage de huit jours aux Baléares pour le commerçant chanceux et neuf week-ends à Londres à distribuer à ses propres clients également tirés au sort. Rien que ça : une bagatelle de dix voyages au total, offerts gracieusement par la station. Whaoou, quelle prodigalité !

 

Quand on vous dit que les châteaux en Espagne font rêver ! Pourtant, il faut vite oublier cette foultitude de voyages utopiques et revenir sur terre car un hic inattendu semble bloquer les rouages de cette belle mécanique, vu qu’aucun tirage n’aura jamais lieu, excepté un départ pour les Baléares (ou l’Angleterre, on ne sait plus où ?) gagné par notre jeune fan “Austin Mini”, convaincue avec juste raison qu’il ne pouvait s’agir que d’un mauvais gag ! Enfin sérieusement, combien de packs de messages publicitaires, la station devrait-elle placer auprès des commerçants-annonceurs de la région pour financer tous ces voyages ? Quant au futur aéroport international d’Yvetot-Autretot reconverti à cette occasion, serait-il en mesure d’assurer tout le trafic, faire décoller et atterrir autant de charters de ses pistes ? ;-))

ça bouge : de gros cumulus sont annoncés

 

Il y a longtemps que Solaris lorgne la ville de Fécamp nichée au pied de ses falaises où la réception de la FM y est quasi impossible. Malgré nos augmentations de puissance obtenues avec les émetteurs et amplificateurs HF successifs, sans oublier les dipôles supplémentaires rajoutés sur le pylône, rien n’y fait, les ondes VHF, tout comme les ondes lumineuses, ne se “courbent” pas. Même au prix de 8 kilowatts PAR (puissance apparente rayonnée ?), il est impossible d’atteindre le creux des valleuses le long de la côte et notamment la ville de Fécamp. Un relais sur place s’impose. En ce sens, des contacts sont établis avec une petite station locale “Radio Cumulus” qui émet en centre ville. Bientôt le 1er juin 1986, Radio Solaris et Radio Cumulus ne font plus qu’une. Notre premier émetteur de 100 W est allé renforcer le faible émetteur fécampois et par l’intermédiaire d’un tuner FM recevant (une chance inouïe) les émissions yvetotaises de 99 MHz, il arrose l’ancienne cité des terre-neuvas sur 95,3 MHz. Donc, ça y est enfin ! Grâce à ce tour de passe-passe technique, la radio cauchoise est audible dans toute la ville, exceptée à partir de 17 heures où Radio Cumulus rebaptisée “Radio Solaris-Fécamp” reprend son autonomie jusqu’à 20 heures. A l’occasion de cette fusion, un carton d’invitation de couleur rouge, très “classieux”, célébrant l’union des deux stations, est adressé à la presse et à quelques commerçants fécampois, annonceurs potentiels. Le président de l’association Cumulus est un homme d’affaires. Nos archives personnelles ne possèdent aucune trace du contrat de partenariat liant les deux associations. En effet, on a jugé inutile de distribuer la moindre copie à l’ensemble des membres respectifs, vu que la tambouille administrative ne les passionne pas (?). Néanmoins, avec cette fusion, il est difficile de croire que Cumulus n’exige rien en retour de l’association Solaris, si ce n’est le paiement mensuel par nos soins, du loyer des locaux qui abritent studio et émetteur, rue de Mer à Fécamp, dans les coulisses de l’ancien cinéma “Palace”. Quelle est la teneur exacte du contrat de jumelage et quels sont les engagements et obligations réels de chacun? Mystère total. La mariée semble trop belle ! Nous livrer sa dot, en fait... sa fréquence “95 point 3” [sic] sur un plateau, sans contrepartie, reste pour nous, une transaction fabuleuse. N’est-ce pas trop beau ? Qui est-il le beau pigeon désigné dans cette mirobolante négociation ? Après ce coup de maître, les recettes publicitaires de la station font un bond spectaculaire, preuve qu’une radio musicale était nécessaire et attendue de longue date dans cette ville. Il est réconfortant de savoir que la notoriété de Solaris acquise au moment du concert de soutien mémorable de janvier 1982, était restée intacte dans les mémoires. Avec la prise en compte du marché publicitaire fécampois, on parle de triplement du chiffre d’affaires grâce à l’extension du réseau Solaris qui lui-même double le nombre de ses auditeurs potentiels.

 

Pourtant loin d’être euphoriques, le président et “son staff” - constitué du vice-président et des salariés permanents de l’association présents à Yvetot - sont devenus bien cachottiers depuis le départ de Daniel Lefebvre. Les décisions d’importance sont désormais prises “en petit comité” (hors de la présence d’administrateurs et bénévoles de l’association) à l’écart des houleuses réunions mensuelles. C’est pour avancer plus vite, nous rétorque-t-on ! Un exemple, un matin, il n’y a pas d’émissions sur le 99 MHz à Yvetot. Que se passe-t-il ? Une panne technique ? C’est bien la première fois que cela arrive. Est-ce Pierre qui a eu sa propre panne... d’oreiller ! ;-) (Pierre assure la tranche du 6-10) Ou bien TDF et la gendarmerie ont-elles investi les lieux et coupé l’émetteur à la suite des plaintes réitérées de voisins exacerbés ? Que nenni ! Simplement la décision a été prise subitement, sans avertir quiconque, de modifier temporairement la fréquence nominale de l’émetteur de quelque 200 kHz, pour une raison qui échappe à ce moment aux collègues qui écoutent à Rouen. Il s’agit de libérer le point 99 pour s’assurer qu’il n’existe sur la fréquence aucun brouillage intentionnel ou non de notre station. Avait-on perçu “superposée” à notre signal une vague interférence ou un quelconque parasite durant les heures précédentes, nul ne le sait ? Bien sûr, pourquoi ne pas entreprendre cette vérification la nuit en coupant l’émetteur quelques minutes comme il est de coutume lors d’une maintenance planifiée ? Cette fois, l’action a été décidée brutalement en pleine heure de pointe sans en informer les auditeurs, lesquels n’ont pas eu notre réflexe, on peut le supposer, de retoucher leur transistor ou autoradio vers 99,2 MHz pour récupérer la station. Très dociles, ils ont cru à une réelle panne ce matin-là. Lorsque nous avons signalé cette initiative technique plutôt cavalière vis-à-vis de nos auditeurs, Pierre au téléphone s’est montré très “agacé” de notre remarque (ce n’était pas la seule de la matinée qu’il entendait, semble-t-il, vu qu’on n’était pas les premiers à appeler pour lui faire remarquer la dérive de 200 kHz!) Il a invoqué le fait qu’il en avait marre [sic] :-)) et qu’il exécutait les ordres - Les ordres de qui, on se demande? - sans apporter le moindre éclaircissement sur ce brouillage fantôme (acte perpétré par TDF ou le technicien frustré d’une station rivale ?) dont on n’a jamais réentendu parler. Finalement, la fréquence de 99 MHz, réputée inadéquate pour Radio Solaris*, on le sait selon les affirmations de TDF, est très claire et exempte de signaux parasites puisqu’elle est non inutilisée en Normandie et bien au-delà.

 

En septembre, le conseil d’administration exige du Président qu’il suspende le service d’informations mis en place il y a quelques mois, parce que trop ruineux pour le budget de la station. L’association peut-elle continuer de supporter de telles dépenses incompatibles avec les moyens financiers dont elle dispose ? Au lieu de ceci, on croit rêver, malgré les décisions prises, on apprend qu’un démentiel contrat d’abonnement à l’AFP a été souscrit à l’insu du conseil, mis devant le fait accompli. Ce qui au vu des finances actuelles ne manque pas de révolter et de déclencher une inévitable polémique, au point de provoquer la démission pure et simple de Daniel Verdière, le seul administrateur omniprésent sur place à s’indigner. A croire que le contrat passé avec l’AFP était déjà souscrit bien avant la réunion de septembre et que le président qui semble faire “cavalier seul”, était coincé par son initiative personnelle précipitée et ne pouvait plus reculer ! En guise de protestation, Daniel adresse le 9 décembre 1986, une lettre de démission de son poste de responsable technique à Gérard R., notre président (voir livre p. 262) ainsi qu’une copie destinée aux autres membres du conseil. Désabusé comme tant d’autres, Daniel espacera ses visites mais par amour de la radio, assumera encore un rôle purement symbolique de technicien de la radio.

François et Pierre (dont les noms sont cités) ne sont que salariés de l’Association Solaris et ne disposent pas du pouvoir de décision des membres-administrateurs !

 

 

 

 

 

Chapitre 1987

 

 

 

Le “big bang” : découverte de détournements massifs dans la trésorerie - Rupture du contrat “pipé” avec Cumulus Fécamp : perte instantanée de 75% du chiffre d’affaires - Mais luxueuse soirée du VIe anniversaire aux Vikings

 

 

L’apparition d’une “marnière” financière

 

Cela vous étonne ? Les rentrées financières font décidément tourner les têtes de notre état-major. On ne compte plus les dépenses somptueuses. Chaque semaine, les bénévoles découvrent l’arrivée d’un nouvel équipement à la station. Il semble qu’à cet instant, le trop gentil président et ses drôles de conseillers sont saisis d’une folie de “fièvre acheteuse”, encouragés par la “prétendue” passivité des membres du conseil peu motivés, selon leurs dires ! D’où quelques frictions au sujet des faramineux abonnements souscrits sans concertation auprès des agences de presse. Ces jours-ci, notre inventaire de matériel s’est enrichi d’un système d’alarme autant coûteux qu’inutile. On sait déjà que les rares déclenchements intempestifs de la sirène d’alarme n’ameutent pas grand monde dans le quartier : “Ce sont encore ces rigolos de Solaris qui se font remarquer!” D’ailleurs, vu qu’il y a le plus souvent un animateur sur place, on s’interroge sur la nécessité d’un tel équipement ? D’ailleurs, le second appartement où “réside” l’émetteur est dépourvu           de dispositif anti-intrusion. Cela n’émeut personne. Il est est vrai que l’absence d’émission consécutive au vol de l’émetteur ou plus spectaculairement du pylône, serait tout de suite remarquée ! Quoique la nuit... Un limiteur-compresseur et une nouvelle table de mélange “Freevox Samantha” font également partie des acquisitions récentes. Là en revanche, rien à dire : les anciennes tables Redson pleines de faux contacts génèrent des craquements et du grésillement.Elles ont fait leur temps et acquis une retraite bien méritée. Tout ce pimpant matériel est bien sûr financé par une ribambelle de crédits. D’ailleurs les banques de la place l’ont bien compris et nous accueillent à bras ouverts. Manque plus que le tapis rouge devant l’entrée ! La radio locale est en plein essor, il y a du bizeness à faire et puis ses dirigeants ont l’air assez crédules... C’est ça ! Côté dépenses, il y a toujours le gros crédit en cours de l’émetteur Itelco, cautionné par un (ou plusieurs ?) membres de l’association. D’ailleurs, le président indigné que personne n’ose se “mouiller” comme lui l’a fait, a réussi à convaincre d’autres candidats candides de se porter caution pour garantir les autres prêts. Ceux-là, très naïfs, s’en mordront les doigts quelques échéances plus tard ! Mais n’allons pas si vite.

 

En parfaite logique, la situation financière d’une association autant endettée devrait être placée “sous surveillance”, du moins le suppose-t-on. Mais bon, tout va bien, les membres du conseil n’ont pas l’air angoissé et n’ont jamais été autant insouciants. Et puis, il y a toujours cette bonne ambiance que l’on a plaisir et hâte à retrouver chaque mois. On rigole tellement pendant les assemblées que l’on remarque à peine les absences rituelles de notre trésorier. A partir de maintenant, un détail amusant va nous surprendre dès notre arrivée. Chaque réunion mensuelle voit apparaître la tête d’un nouveau vice-président de l’Association Solaris, place autant convoitée qu’éphémère, semble-t-il! Régulièrement chaque mois, le président nous recommande un nouveau personnage, hâbleur comme il se doit, qui débarque parmi nous avec ses grandes idées et son lot de réformes associées ! (pas eu le loisir de noter le nom de ces touristes passagers !) Côté recettes, les agents commerciaux font ce qu’ils peuvent. Deux nouveaux représentants ont été embauchés pour assister François dans sa rude tâche d’alimenter le compte en banque de la station. Pour le moment, il faut le reconnaître, le “chiffre d’affaires” apporté par ces nouveaux représentants est maigrelet. On ne peut pourtant pas évoquer leur inexpérience car Solaris n’est pas la première entreprise où ils exercent ce métier, loin d’être facile, il faut en convenir. Entre nous, cela devient même une plaisanterie d’affirmer que les remboursements d’indemnités kilométriques perçues par ces deux missionnaires, leur rapportent plus que les commissions qu’ils sont censés empocher pour chaque pub placée ! Fidèle à sa tradition philanthropique et ses origines normandes, l’Association Solaris incarne une merveilleuse vache à lait ! Fort heureusement, François, rompu à cet exercice s’est constitué un carnet de clientèle abondamment garni grâce auquel il décroche à lui seul la majorité des contrats glanés auprès des commerçants et des associations de tout le pays de Caux, au cours de ses vadrouilles qui le mènent de Barentin à Dieppe, de Lillebonne jusqu’au Havre et depuis le 1er juin 1986, la région fécampoise, grâce au second relais. Bien qu’il réfute vigoureusement l’affirmation selon laquelle toute l’organisation ne repose que sur ses “frêles” épaules ! Cette réalité pourtant évidente n’inquiète nullement la présidence et quiconque parmi nous. L’insouciance toujours : le “je m’en fichisme” permanent sera sûrement la principale philosophie qui a dominé nos réunions mensuelles pendant ces années.

 

Tenez justement, un exemple précis : les finances ? Pendant les assemblées, on n’aborde jamais le sujet. L’argent on le sait, c’est sale, c’est un domaine tabou et délicat. On ne vit pas au cœur de la Normandie pour rien ! Bon, c’est vrai, les gars viennent ici pour faire de la radio, partager leurs goûts pour la musique et en même temps, changer d’horizon. Alors, le reste, l’administratif, la paperasse, les comptes de trésorerie... Les chiffres paraissent secondaires. Ce sont les affaires du président et de son staff, du trésorier et du secrétariat. Donc, question finances, on n’est au courant de rien ou de pas grand chose ! Ce qui explique que la plupart des membres de l’association ne s’en préoccupent guère. En plus, chaque mois, on est familiarisé avec le refrain : “Le trésorier n’a pu se libérer du fait d’un emploi du temps privé chargé !” Ce qui clôt toute discussion. Lui au moins, il est “cool”, il sait prendre du recul ! ça le regarde après tout. Nous, on sacrifie notre temps libre à venir assister à ces réunions toutes affaires cessantes. Demain matin, chacun devra se lever tôt pour rejoindre son lieu de travail, mais ce soir, nous sommes là et n’avons pas hésité à refaire cette route d’Yvetot une fois de plus, rien que pour la radio ! La défection habituelle de notre coéquipier nous empêche de connaître l’état exact des finances. Pas grave, on abordera un autre sujet... Tiens au fait ! Depuis combien de mois n’avons-nous pas vu notre ami ? Avec le recul du temps, cette attitude pourra vous sembler irréelle. Pourtant à ce moment, je vous assure, rien ne semble nous alarmer. Pourquoi s’inquiéter ? La banque ne manquerait pas de signaler le moindre écart sur le compte. Les relevés bancaires parviennent régulièrement au domicile du trésorier. C’est lui qui gère le compte, quoi de plus normal ! S’il y a un surplus de dépenses, un “dysfonctionnement” (terme à la mode !) de trésorerie, allons donc, méticuleux comme il est, il le verrait illico ! Cependant dans cette organisation, il faut bien l’admettre, rien ne permet de tenir informés, à l’instant T, le président et le secrétariat de l’état réel du compte bancaire où chacun tire des chèques à sa guise, selon les besoins de l’association, en mutuelle confiance.

 

Chaque assemblée générale mensuelle est l’occasion de se retrouver un soir à Yvetot à partir de 21 heures, confinés dans le bureau rue Pierre et Marie Curie, porte close afin de ne pas perturber de nos éclats de voix et fous rires, le collègue de permanence à l’antenne, à l’autre bout de l’appartement. Comme à l’accoutumée, le plus important - on l’a dit - est de passer une bonne soirée à raconter les blagues en vogue, s’informer des nouvelles du quartier, sans jamais exprimer le moindre intérêt sur la marche de l’entreprise, sa comptabilité rébarbative et accessoirement les raisons de l’absence routinière de l’ami trésorier chargé, jusqu’à preuve du contraire, de... la trésorerie. A vrai dire, lequel d’entre nous pourrait entrevoir un scénario catastrophe? Nous sommes en pleine période d’été 1987, la radio a atteint sa vitesse de croisière. Le courrier et les témoignages reçus sont des preuves de satisfaction des auditeurs. Pour le moment, les recettes rentrent à un rythme régulier si l’on considère le nombre appréciable de messages publicitaires qui émaillent le programme journalier. Bon, c’est vrai, il y a quand même une ombre insistante au-dessus du tiroir-caisse qui commence à aiguillonner les esprits pessimistes. Allez, c’est promis. Par simple précaution, le président décide, la prochaine fois, d’aller faire un détour par la banque pour s’informer et en même temps, réclamer un duplicata du dernier relevé, histoire de chasser de nos esprits sceptiques, de vagues soupçons, des mauvaises pensées, enfin simplement chercher de quoi se rassurer.

 

Le mois suivant, nous sommes de retour à Yvetot, un peu fébriles cette fois, il faut bien l’avouer. D’ailleurs, ce soir, il semble y avoir plus de monde qu’à l’ordinaire ? Parfait, si les gens se sentent enfin concernés! Toutefois, dans cette assemblée, il manque quelqu’un : toujours pas de trésorier en vue ! C’est mauvais signe. éternel injoignable ? Et puis, l’ambiance ce soir est bizarre, comme surnaturelle. D’habitude enjoué, Gérard, notre président a le visage grave et plutôt décomposé. Tout le monde aux aguets est en émoi. Le double du relevé tant attendu du Crédit Agricole est enfin entre ses mains. Houlà ! Effectivement, au ton de sa voix, on comprend tout de suite qu’il a raison d’être inquiet : le document laisse apparaître une série impressionnante de retraits mystérieux (plusieurs retraits consécutifs de 10000F), tous effectués par chèques alignés dans la colonne des débits, paradant parmi les dépenses courantes, aux sommes bien plus modestes de l’association ! Sur ce seul document bancaire, l’addition rapide de tous ces prélèvements inexpliqués atteint la bagatelle de près de cent mille francs, réduisant le solde final au bas du relevé à un montant ridicule ! Comme l’on ne dispose d’aucun historique antérieur, peut-on imaginer autant de retraits fantômes au cours des mois précédents ? Que peuvent bien signifier ces multiples chèques de retrait qui ne correspondent à aucune dépense logique effectuée par l’association ? Le mystère est complet.

 

Pour la première fois en six années d’existence de l’Association Solaris, la stupeur se lit sur tous les visages présents ce soir à cette assemblée. Les conversations animées d’habitude ont disparu.Un silence de morgue a envahi le bureau. Assommés par la révélation de ces actes, peut-on déjà les qualifier de malhonnêtes car nous ne pouvons croire ce qui arrive. Comment est-ce possible ? Il y a sûrement une explication. S’agit-il d’erreurs ? Cette multitude de débits inscrits sur notre relevé ne nous concernent absolument pas ! Cela arrive, parfois un bug informatique peut entraîner une confusion entre numéros de compte de clients et provoquer des opérations erronées, des virements externes frauduleux... Évidemment non.Il faut l’admettre, ici, il n’y a pas eu d’erreur. Les retraits sont bien réels et concernent notre compte. D’ailleurs les numéros de formules indiqués en marge sur le relevé correspondent précisément à l’un des 3 chéquiers délivrés à l’Association Solaris.

 

En quelques secondes, l’enfer s’est substitué au paradis ! Le rêve est devenu cauchemar. Le retour sur terre est brutal pour chacun d’entre nous, totalement sidéré. Avec lui, apparaissent les conséquences matérielles à court terme : comment allons-nous régler les salaires de nos amis permanents à la fin du mois et payer leurs cotisations URSSAF ? Comment pourrons-nous honorer les prochaines échéances des prêts en cours avec si peu de solde disponible ? Va-t-on pouvoir récupérer les fonds détournés ? Toutes ces interrogations se bousculent dans nos têtes. Le moral de tous s’est effondré. Chacun s’en veut d’avoir manqué de vigilance et de s’être trop peu investi. Avons-nous laissé faire et accordé trop de confiance à notre copain trésorier ? Que s’est-il passé dans sa tête ? Aveuglés par notre passion commune, Gérard et nous tous à cet instant, regrettons n’avoir rien soupçonné malgré ces absences inexpliquées de ces derniers mois. Depuis combien de temps n’avons-nous pas vu notre ami ? Qui pouvait imaginer de la part d’un des nôtres partageant la même passion, le même engouement pour la radio, une pareille traîtrise ? Six années d’efforts communs sont réduits à néant. Pire, ce soir, tous les espoirs placés dans notre modeste entreprise se sont évaporés. Pffuittt ! Comment imaginer qu’une station comme Radio Solaris puisse s’arrêter et disparaître du jour au lendemain, d’un simple claquement de doigts, sachant pertinemment que les stations voisines plus humbles et plus modestes poursuivront leur existence paisible.

 

Pas de mystère, la radio a toujours été un vieux rêve de gosses pour la plupart d’entre nous. Depuis novembre 1981, c’était une joie et un but enfin atteint dans nos vies. Plus qu’un passe-temps, venir à Yvetot à tour de rôle, chaque jour, chaque semaine, partager notre passion de la radio et de la musique, distraire les gens en effectuant deux, trois heures d’antenne, le casier à disques à nos côtés, tout cela représentait une fierté d’accomplir quelque chose de vraiment utile. Puis l’émission terminée, à regret mais heureux d’appartenir à cet univers, il fallait bien retourner vers d’autres obligations moins épanouissantes celles-là. Depuis six ans, nous avions découvert le remède miracle pour changer d’horizon, fuir la grisaille quotidienne et l’autoritarisme des petits chefs qui pourrissent la vie de tout un chacun. Complètement anonymes derrière le micro, étions-nous parvenus à composer une personnalité différente beaucoup plus respectable que celle de la réalité ? Enfin tout cela, c’était avant !

 

La bonne santé apparente de l’association Solaris a permis de maintenir un cap sans trop d’embûches malgré l’absence de véritable timonier à la barre. Depuis le 15 mars 1986, jour funeste de la démission de Daniel Lefebvre, bien peu d’entre nous ont pressenti des jours sombres. Les dettes ont commencé à s’additionner mais n’ont alerté personne. Bien au contraire, l’euphorie et l’insouciance régnaient jusqu’au jour où l’impensable vient de se dévoiler. Des malversations sont découvertes. Saura-t-on combien a été détourné ? L’iceberg dressé devant nous ne peut être évité. Je martèle ces mots pour m’en imbiber : “C’est notre faute, nous sommes responsables !” Choqués et conscients du montant colossal des créances qui vont dégringoler dès le mois prochain, nous ne pouvons oublier ces prêts et leurs échéances à venir qu’il faudra nous-mêmes rembourser. Personnellement, je me souviendrai de cette unique caution de ma vie, donnée avec grande naïveté pour la pérennité de la station. C’était pour m’impliquer, une fois de trop, hélas...

 

Au-delà des questions d’argent, on ne peut s’empêcher de penser à celui que l’on estimait, moi le premier. Cela m’a terriblement meurtri car je le considérais comme un grand “compagnon” de radio. Au cours des années qui ont suivi cette tragédie, nous n’avons jamais eu l’ombre d’une explication de ce qui avait pu se passer chez lui. Je ne vous apprends rien : la trahison d’un ami est dure à accepter et sûrement la pire chose au monde. Le plus doué de l’équipe, ai-je écrit quelques paragraphes plus haut, à qui l’on aurait donné le “bon dieu sans confession”, pour paraphraser l’expression fétiche des honnêtes gens, témoins impuissants d’escroqueries et d’actes délictueux ! “Pourquoi a-t-il détruit notre rêve ?” restera la question sans réponse depuis l’issue de cette sinistre soirée. Cette nuit-là, je commence seulement à entrevoir le sens des paroles énigmatiques que notre ami avait tenues avec tant d’aplomb et de désinvolture, il y a quelques mois. Au moment où l’avenir de la radio semblait si radieux, n’avait-il pas prétendu avec un ton blasé “que le plus gros de sa carrière radiophonique était derrière lui” dans une phrase prononcée de façon laconique, avec beaucoup de détachement. Ses mots résonnent encore dans ma tête. Entendre ça d’un passionné de radio qui réalisait son rêve comme nous autres, sur le moment, j’avais trouvé ces propos désabusés et étais tellement déçu. Envisageait-il les conséquences futures de ses agissements ? Ou bien, était-ce une ébauche d’aveux qui paraissent encore plus sordides maintenant que nous connaissons l’horrible vérité : se targuait-il d’avoir déjà commencé ses détournements? 

 

Au soir de l’affreuse révélation, avons-nous découvert le morceau manquant du puzzle ? Après un tel anéantissement, la “carrière radiophonique” de nous tous qui rêvions tant de liberté d’expression grâce à notre Radio Solaris, comment pourrait-elle se poursuivre ?

 

 

 

 

Les rats quittent le navire

L’avenir radiophonique en totale perdition, certains l’ont tout de suite entrevu. En effet, ça bouge à Radio Solaris. Le 31 juillet 1987, notre président et l'ex-nouveau vice-président (à peine élu, il n’a eu guère le temps de savourer son titre très longtemps) ayant anticipé les conséquences imminentes de la déroute financière, prennent la décision stratégique de se retirer, sans chercher à obliger notre détrousseur (éternellement injoignable ?) à expliquer ses actes et sans chercher à connaître l'ampleur véritable du désastre, un cratère financier s'élargissant au fil du temps à la lecture des relevés bancaires : on ne les reverra jamais. Que sont-ils devenus? Pourquoi aucune plainte de détournements de fonds n’a-t-elle été déposée ? Des animateurs bénévoles écœurés, conscients du naufrage, profitent de quitter discrètement le navire, non par crainte d’être emportés dans le tourbillon mais plutôt de peur qu’on vienne les solliciter. Le chacun pour soi marque la fin d’une solidarité... Les autres ne peuvent que rester, liés par leurs obligations envers les banques yvetotaises.

Malgré l’abasourdissement général, un soupçon d’optimisme nous anime encore le 18 août 1987. Pourtant les possibilités de continuer les activités de la station s’avèrent terriblement réduites. Au milieu du lot de courageux membres qui gardent espoir, Anne Chevalier une animatrice bénévole arrivée parmi nous depuis quelques jours, s’est mise dans l’idée de reprendre le poste vacant de la présidence. “Moi, je veux bien” annonce-t-elle à plusieurs reprises dans le brouhaha des discussions enflammées. Est-elle consciente ou inconsciente, elle aussi ? Qui est-elle vraiment? D’une nature résolument volontaire et d’un caractère apparemment expansif, les circonstances tragiques de ces dernières heures et les lourdes responsabilités qui pèsent sur la fonction ne paraissent pas l’effrayer. De toute façon, devant le cortège de démissions, de fuites, de découragement, du peu qu’il nous reste de notre chère association, on n’a pas vraiment le choix. Sans grande surprise, Anne est facilement élue : logique, les candidats au poste suprême ne se bousculent pas.
Malgré cela, reconnaissons-le, on n’y croit pas vraiment. L’enthousiasme ne règne plus ici. Il n’y a plus l’ambiance festive d’avant. Cette élection accélérée ne connaît pas le même faste que celles vécues dans le joyeux chahut, à quatre reprises au cours de la vie de l’association : l’élection de Paul Dom le 7 décembre 1981, les deux élections successives de Daniel Lefebvre début 1983, renouvelée le 21 février 1986 et plus récemment celle de Gérard R. le 15 mars 1986. Maintenant, c’est le tour d’Anne Chevalier, le 18 août 1987. Si cette dernière est apte à tenir les rênes, son arrivée inespérée de dernière minute à ce poste, devant l’ampleur de la tâche à accomplir, laisse paraître une bien faible lueur d’espoir de sauver la station. Après avoir fait analyser les comptes par un expert-comptable, celui-ci constate un passif effroyable: 450.000 francs [valeur actuelle : 120 000 €]. L’horreur peut donc être chiffrée ! Si l’on tient compte des salaires, de l’URSSAF, des crédits restant dus, etc... ce montant représente combien d’argent détourné au préjudice de l’association ? Comment une telle escroquerie a-t-elle pu se perpétrer durant ces derniers mois sans que personne ne s’en aperçoive ? Quelle honte et quelle négligence d’avoir laissé faire, même si nous n’avions jamais accès aux écritures comptables. Ok, je le sais, ce n’est pas une excuse valable.

La nouvelle présidente possède décidément un tempérament plutôt énergique. Elle veut secouer d’une poigne de fer les moribonds hébétés que nous sommes devenus et veut imposer un changement de ton indispensable dans la façon de gérer ce qu’il subsiste de l’entreprise. Les émissions que l’on avait quasiment négligées en plein marasme, doivent continuer coûte que coûte. Ne rien lâcher ! Selon elle, l’antenne devra paraître plus branchée, plus professionnelle, en attribuant le même animateur chaque jour, aux mêmes tranches horaires. A cet instant, les esprits sont branchés ailleurs et ce discours paraît surnaturel comme on l’imagine. Autant optimiste que stricte, Anne pense pouvoir combler le déficit abyssal en obtenant de la part de son personnel commercial de meilleures performances. (NdA : pour rappel, le personnel commercial se compose d’un seul et unique élément : François !) D’après elle, si l’on tient compte d’un chiffre d’affaires mensuel de 100000 francs, en quatre mois, la barre sera redressée. “C’est jouable”, pense-t-elle. A condition que les (gentils) créanciers se montrent coopératifs. Toutefois à la lecture du compte-rendu de réunion, la fois suivante, il ressort malgré tout que:
“... la majorité des gens actuellement en place se révèle très négative sur beaucoup de sujets évoqués pendant la soirée. Actuellement au sein de l’équipe Solaris, une constatation s’impose, certains membres ne marchent pas dans le bon sens et c’est très regrettable pour tout le monde, comme je l’ai maintes et maintes fois répété, nous avons très peu de temps pour redresser la barre, je vous demande de prendre note que si d’ici le 30 septembre (1987), rien ne change, des décisions importantes au niveau du personnel seront prises. Je souhaite fortement ne pas en arriver là, vous rappelant qu’une équipe soudée marchera beaucoup plus vite avec les retombées financières non négligeables pour tout le monde”.

Toujours dans le même rapport, la présidente poursuit : “Divers problèmes ont été soulevés notamment au niveau des augmentations de tarifs de la publicité, la direction reconnaît que François, seul et unique commercial peut rencontrer des difficultés mais il est urgent de se ressaisir si chacun veut conserver son salaire et en cela, les recettes publicitaires sont essentielles. François devra présenter le fichier complet des clients, adresses, tarifs, date de premières commandes et suivis. Je donne au service commercial un mois pour s’organiser et faire le point...”

— Alors François, le “Service commercial à toi tout seul”, comment te sens-tu ce matin ? La forme ?

Il est impératif que les programmes se poursuivent, quelles que soient les circonstances. L'organisation d'une grille de programmes dans une telle atmosphère s'avère complexe. Dans un contexte où le bien-être des collaborateurs et des collaboratrices est une priorité, il est essentiel de comprendre que certains animateurs et animatrices continuent d’avoir leurs petites exigences en matière d'horaires de travail. Ces besoins, qui peuvent varier d'un individu à l'autre, comprennent parfois le souhait de ne pas travailler tôt le matin et s’éviter la corvée du lever-tôt aux aurores pour assurer les tranches matinales dès 6.00, très contraignantes. Il est important de reconnaître que le déplacement simple d'une fiche nominative sur le planning des programmes, permettant de modifier les horaires de travail, peut s'avérer une solution efficace pour répondre à ces besoins individuels. Malgré la situation tragique actuelle, Solaris se considère-t-elle toujours comme une entreprise idyllique, “à part”, une sorte d’Eden perpétuel ?

A l’antenne, seul Brice est un excellent animateur. Une diction impeccable, une voix ample et grave, idéale pour faire de la radio. A mon avis, de tous, c’est celui qui sort vraiment du lot. Dommage pour la station qu’il soit arrivé tardivement, après ces évènements. Par bonheur, la radio semble reprendre quelques couleurs depuis son arrivée. Pour l’instant, bien que bénévole, il est nommé responsable des animateurs et après un stage envisagé - paroles, paroles ! - si tout va bien, la promesse lui a été faite de l’engager. C’est le moins que l’on puisse faire. A ses côtés, il y a aussi Marylin, Véronique, Pascal et à titre bénévole Harry, Jean-François, Edouard, Jacques, Stéphane, Luc, Olivier, Gilles, Patrick et moi-même JC. Quant à Pierre, en manque d’inspiration [sic], il arrête l’animation pour se consacrer pleinement à l’élaboration des pubs. Selon lui, c’est une façon élégante de lui signifier sa mise “au placard”. François est confirmé à son poste “d’attaché commercial”, un titre super-ronflant comme on les aime. Annie abandonne également le micro pour s’occuper à temps complet du secrétariat administratif.

Malgré la crise et ses difficultés, l’aspect futile reprend vite ses droits au 6 rue Pierre et Marie Curie puisqu’il est décidé d’acquérir coûte que coûte un ordinateur “Amstrad” d’une valeur de 4 500 F [1 200 euros] pour faciliter les différentes tâches de secrétariat et la gestion de la discothèque. Est-ce si urgent à ce moment ? Excellent début pour se désendetter ! D’ailleurs voici une autre extravagance désastreuse en vogue : il devient indispensable d’aménager sans plus attendre un serveur Minitel, l’incontournable folie devenue nécessité pour toute entreprise dynamique à ce qu’il paraît en cette année 1987. La preuve, la note de téléphone va connaître d’un seul coup, une soudaine exubérance. Une fois de plus, ne fallait-il pas mieux attendre ? Surtout pas, nous rétorque-t-on. Réjouissons-nous au contraire, car les perspectives financières promises par l’ancêtre de l’internet sont paraît-il, tellement alléchantes. Et ce n’est pas France Telecom qui nous contredira !

 

Le piège Cumulus se referme sur Radio Solaris

 

En septembre 1987, un coup de Trafalgar se profile à l’horizon : conséquence de l’insuffisance de fonds disponibles en caisse, due aux malversations de l’été et à la gestion dispendieuse de la précédente direction (antérieure au 18.08.1987), le loyer du local où loge Cumulus, notre station relais à Fécamp, ne peut être réglé au jour J et à l’heure H, comme nous l’imposent les termes précis du contrat de partenariat liant les deux stations. Vous allez voir que le mécanisme des affaires s’enclenche très vite. Étrange d’ailleurs comme la sanction est immédiate ! Cela ne traîne pas: après constat du délai échu (combien d’heures, de minutes, de secondes dépassées ? Personne ne sait). le partenariat automatiquement dénoncé entraîne sans sommation la suppression pure et simple du relais fécampois. Voilà donc Radio Solaris une nouvelle fois muselée sur Fécamp et carrément expulsée sur le trottoir, emportant avec elle ses belles illusions. Nous y sommes enfin, les masques sont tombés. Notre défaillance financière est donc la cause directe de la perte du 95,3 MHz. En même temps, faisons un adieu à notre tout premier émetteur Elecktro-Elco exilé à Fécamp, l’objet quasi-symbolique des pionniers de Solaris qu’on n’a même pas songé à rapatrier ! Représentait-il une caution perdue ?

 

 

Un partenariat opaque

 

Vous le savez dans le “bizeness”, lorsqu’il est question d’argent, on ne fait guère de place aux sentiments. Sans concertation, la sentence s’applique de façon brutale et précipitée. Beaucoup le murmurent : pourquoi pas... combinée ? Manifestement à Fécamp, on attendait un prétexte pour agir. On guettait le faux-pas de Solaris en pleine panade financière pour dénoncer un partenariat bancal ! Nous y sommes pourtant. Quel beau mystère que cette alliance où déjà le 1er juin 1986, les termes du “contrat fantôme” d’association entre nos deux stations sentent déjà l’arnaque : qui les avaient lus et acceptés ? Seuls les présidents respectifs et leurs sbires, on le suppose? A Yvetot, aucun membre de l’association Solaris en tout cas. Comme le vénérable “staff” de Solaris est désormais aux abonnés absents, un        ex-collaborateur (bien informé) de Radio Cumulus pourrait-il nous en apprendre plus? A moins qu’une omerta là aussi interdise toute révélation. Exceptée cette défaillance de règlement de loyer si décisive, qu’est-ce que la direction de Cumulus pouvait reprocher de si grave à Radio Solaris pour agir ignoblement, sachant pertinemment quelles seraient les conséquences: en effet l’entreprise pourrait-elle se relever d’une perte de 75% de son chiffre d’affaires ? Des contacts (infructueux) avaient-ils eu lieu entre les deux directions pour prévenir le désastre ? Sinon faut-il parler de magouilles, de coup prémédité du côté de la présidence de l’Association Cumulus ? Et à Yvetot, a-t-on fait preuve d’une grande naïveté ou y a-t-il eu un manque d’honnêteté de la direction de Solaris qui régnait en terrain conquis avec arrogance (on peut tout supposer) imposant un contrat d’union contraignant n’autorisant que trois petites heures d’autonomie journalière à l’antenne fécampoise. Trop insuffisantes peut-être ?

 

Les nécrophages et les porte-paroles de la médisance se réjouissent d’affirmer que cette fois Radio Solaris n’est plus dans la course. A Fécamp, le champ est donc libre. Très vite, nos craintes se vérifient : au mot “magouilles” s’ajoute celui de “traîtrise” dans les conversations aussi bien à Fécamp, à Yvetot et même à... Rouen ! ça ne fait plus de doute, la direction de Cumulus dévoile ses intentions : elle offre illico sur un plateau d’argent, peut-on dire, sa fréquence disponible à RVS, la grande rivale rouennaise, laquelle attendait avec impatience une opportunité - celle-ci convoitait l’auditoire fécampois depuis longtemps - pour compléter sa couverture dans ce coin de Normandie qu’elle ne desservait pas encore. Une véritable aubaine! Pour pallier la perte immédiate de notre audience sur la côte, l’émetteur d’Yvetot est poussé à son maximum, sans grand effet dans le centre ville de Fécamp, vous l’imaginez.Ce qui grâce au gain de l’antenne équivaut à une puissance apparente rayonnée d’environ 4 kW. Jamais une radio FM n’aura “craché” autant de watts sur le pays de Caux ! (radios du Service public exceptées) Nous manquons cruellement de réponses à nos questions. Il ne reste que des hypothèses : RVS en plein essor, a-t-elle offert au Président de Cumulus des conditions moins contraignantes et financièrement plus alléchantes que celles proposées par Solaris ? Quoi qu’il en soit, les rumeurs en provenance de Fécamp - fondées ou non - nous parviennent : les mots corruption, pots de vin, lobbying (manœuvres de couloir ou travail d’influence)... de la part de nos concurrents pour acquérir coûte que coûte la fréquence, sont évoqués. Comme d’habitude, l’info se mêle à l’intox. Ce dont on est sûrs, avec la perte du relais fécampois, trois-quarts du chiffre d’affaires du Réseau Solaris se sont définitivement évaporés, pschitt ! Compte tenu d’une trésorerie chancelante depuis les détournements de fonds de juin/juillet 1987, ce nouveau désastre, prémédité ou pas, est forcément celui qui contribuera le plus à la fin de Radio Solaris et la précipitera!

 

 

Le début de la fin

 

Après ce dernier coup de poignard, le moral à la station est au plus bas. A cela s’ajoute la zizanie qui ronge le personnel, habilement orchestrée par une direction qui n’hésite plus à “monter” les gens les uns contre les autres. Le harcèlement patronal règne dans cet espace confiné de 60 m2. Peu respectueux des contraintes hiérarchiques, les anciens salariés permanents supportent difficilement les décisions autoritaires de la présidente, laquelle dévoile (hélas) un visage différent de celui que nous avions découvert au moment de son élection. Cette façon dictatoriale de diriger est à coup sûr une manière de faire naître l’inquiétude et le découragement au sein de l’équipe. De plus, Anne, contrairement à ses prédécesseurs est disponible chaque jour de la semaine puisqu’elle est présente physiquement, ici même dans les locaux de la station. Une situation jamais connue auparavant. Les anciens présidents au tempérament, on va dire “cool”, profitaient de leur passage à Yvetot pour apparaître en coup de vent dans les locaux, une ou deux fois la semaine, une fois libérés de leurs contraintes professionnelles. Désormais, les temps ont changé : subissant la présence permanente de l’autorité patronale (!), le plus décontracté des salariés ressent très vite les effets de l’oppression. Quelques uns ici n’ont jamais vécu une situation équivalente ailleurs puisque la radio représente leur premier emploi ! La politique de fermeté adoptée depuis peu par la maîtresse des lieux, contraste avec le joyeux laisser-aller qui régnait auparavant les mois ou les années précédents. Finie l’ambiance désinvolte et super-relax... Conséquences de ce climat tendu, les algarades entre animateurs bénévoles et permanents se multiplient. Troublés, démotivés, certains de nos amis envisagent leur départ, à moins qu’on ne les y pousse pour accélérer le processus. C’est évidemment le but inavoué. La recette a été éprouvée avec succès par d’autres DRH : orchestrer habilement la discorde parmi le personnel, fait des merveilles pour écarter l’un ou l’autre des candidats indésirables désignés au départ. Dans l’association Solaris, la politique de copinage et de mise en place de personnes sûres après mises à l’écart des anciens collaborateurs, a démarré. La radio a changé de visage. Elle s’est transformée en une véritable firme sans âme où les coups bas visant un personnel subitement gênant sont devenus banalités : chaque séparation, faute de pouvoir payer les salaires dus, annonce un nouveau litige avec le passage rituel devant le Conseil des Prud’hommes pour faire valoir ses droits. Les collègues se jalousent et convoitent les futures places vacantes. Ainsi, pour Pierre, figure légendaire de Solaris, l’aventure radio libre prend fin. Démotivé depuis quelques semaines et réfractaire à l’autorité de la présidente, une haute tension s’est installée, selon son propre aveu, entre lui, l’intrigante direction et ce qui est déplorable, avec certains de ses collègues. Pour lui, travailler à la radio a pris un sens péjoratif qui signifie “corvée”. Fini le temps de la radio-passion, finies les heures interminables, collé au micro pour meubler l’antenne coûte que coûte, parce qu’un DJ défaillant n’est pas arrivé. Avec lui, disparaît tout un pan de l’historique et de la structure de Radio Solaris. La création du logo de la station, les maquettes des stickers, les posters, c’était lui. Les premiers jingles-maison fabriqués avec la complicité de Rod et Laurent, l’animation de “Gravé au burin” dès 6 heures du matin, le “Top 40” l’après-midi, les “Girls d’Enfer” le vendredi soir, les voix off et l’élaboration des pubs, l’aspect technique du “Podium Solaris”, et plein d’autres tâches encore, tout cela, c’était son oeuvre durant six années consacrées à Radio Solaris ! Gentiment remercié, en toute logique, on négligera de lui verser ses derniers salaires et cotisations URSSAF, une infraction pourtant gravissime pour tout employeur...

—“Adieu Pierre ! Allez, on t’aimait bien, tu sais. Mais bon vent... Hein? Quoi encore ?... Tu plaisantes ? De quels salaires parles-tu ?... M’enfin, sois raisonnable ! On ne va tout de même pas se fâcher pour une vulgaire histoire d’argent, avoue que ça serait stupide. Non, non, écoute, pas de ça entre nous, voyons!”     <  pure fiction... mais on s’y croirait !

A peine écarté, William va le remplacer aux montages des pubs. A partir de maintenant, rien n’est plus comme avant. L’ambiance nauséabonde qui règne au 6 de la rue Pierre et Marie Curie va se répandre et distiller son poison insidieux qui hâtera la décrépitude de la station. Sur l’antenne, le malaise ne peut être dissimulé plus longtemps car il émerge au grand jour. Les auditeurs attentifs le constatent. Les “Dédicaces” du dimanche matin - jadis l’une des émissions les plus populaires de la station, celle qui drainait les tarifs de pub élevés - sont devenues insignifiantes. N’oublions pas le départ conjoint de Philippe Thomas et de Bruno Gilbert, deux autres légendes de la radio, il y a quelques semaines dont la station semble mal s’accommoder, le dimanche matin précisément. L’animation du week-end n’est assurée qu’avec des bénévoles. Soulignons cette erreur stratégique : le règlement intérieur scrupuleusement respecté n’autorise la présence de personnel salarié qu’en semaine, pendant ses 40 heures légales de travail. Mis à part les bénévoles, aucun salarié ne peut donc être présent le week-end pour assurer la continuité de l’antenne. Le démarrage des émissions enregistrées, le remplacement d’un DJ absent, il ne faut plus y songer. Bien qu’il s’agisse d’une entreprise très particulière, une station de radio fonctionne aussi (et surtout) le week-end, un moment où l’audience est maximum. Pas besoin d’être professionnel des médias pour comprendre cela. Conséquences : les enregistrements programmés le samedi et dimanche ne sont plus diffusés vu qu’il n’y a personne à la console à l’instant T pour les lancer. C’est un manque flagrant de respect de l’auditeur. Après deux dimanches “ratés”, il est donc inutile de gaspiller mon temps à réaliser cette heure de “Chansons d’hier”, au regard du travail de préparation en amont que l’enregistrement réclame.

 

Un dimanche (fin août/début septembre 1987), le jour se lève dans le studio désert.La bande “triple durée” de musique non-stop démarrée automatiquement dans la nuit, s’est déroulée sans incident jusqu’à 8h00, heure à laquelle elle fait place à un long silence : un blanc ! Pour les non-initiés, un “blanc” en radio, c’est quasiment LA faute professionnelle. Plus tôt, à 2h00, j’avais calé la bande de “Chansons d’hier” sur le second magnéto, avant de rentrer me coucher (désolé, c’est le maximum que je pouvais assurer !) Ainsi l’émission sera prête à être lancée à 8h00 précises. Un mot amical en évidence sur la table de mélange est destiné au copain qui sera là aux aurores. C’est la coutume convenue depuis des mois maintenant. Bien sûr, il faut que l’ami en question soit présent car le Revox n° 2 ne partira pas tout seul. Si l’informatique existait, ces problèmes d’intendance seraient résolus car l’enregistrement démarrerait pile à l’heureH. ça y est, il est 8h00! Mais... Silence ! De là où je suis, je pense très fort à m’en éclater le crâne...Rien ne bouge. Par télépathie, je ne peux même pas convaincre ce satané Revox à démarrer.J’ai la tête sûrement trop embrouillée. Personne n’est donc sur place là-bas. Alors, vis-à-vis des fidèles auditeurs de l’émission, c’est idiot mais je me sens coupable du “blanc” qui inonde l’antenne... Ma foi, malgré la nuit bien entamée, j’aurais dû retenter dès l’aube, les 80 km aller-retour Rouen-Yvetot-Rouen. Ou, comment n’y ai-je pas songé, errer dans les studios déserts pour être au poste à l’heure dite. Jadis, la présence d’un courageux bénévole du dimanche matin - Paul-Yves, Joël, Philippe Thomas, Didier ou Pierre (tiens, n’était-il pas salarié, lui. Et un dimanche matin en plus?) - suffisait à assurer la continuité de l’antenne. Après ce désagrément indigne de la “Première radio” du pays de Caux, les émissions dominicales renaissent subitement au bout de deux heures de “néant” total, sur le coup de 10.00, voire 10.30, c’est selon, si quelqu’un daigne renoncer à sa grasse matinée et se souvenir qu’il existe (pour quelque temps encore) une radio à Yvetot, pour le moment muette, à faire tourner. A grand peine, il consent gravir l’escalier jusqu’au studio désert: “Ben pourquoi y a personne au micro ?” s’interroge-t-il. Puis, s’approchant de la “Samantha”, il va remettre la machine en route, comme on remonte le ressort d’un jouet mécanique, celui d’une boite à musique ou d’un vieux réveil, ou bien comme l’on rajoute quelques piécettes dans le juke-box, afin que la techno* interrompue la veille, reparte et retentisse de plus belle.

Pauvre radio, qu’es-tu devenue ?  :-/

 

* Pas sûr que les mordus de techno ne soient réveillés si tôt un dimanche matin !

Après un rapide tour d’horizon sur la bande FM, le constat est flagrant. En ce dimanche matin ensoleillé, sur les fréquences voisines, les dédicaces des stations concurrentes font le plein depuis l’aube. On y entend de l’accordéon, l’instrument soi disant ringard ! Chez eux, la joie éclate. Les auditeurs ont retrouvé d’autres antennes amicales. Partout, la gaieté se répand effrontément. Quand on pense, il y a quelques semaines, les téléphones, ici dans la petite pièce du standard, “fumaient”. La tant décriée équipe du dimanche matin, Thomas, Marylin, Maurice et les autres, chacun était à son poste, prêt à prendre les appels, à compiler les messages... Ces “mercenaires” du dimanche matin battaient des records d’audience sur 99 MHz, accompagnés à l’approche de midi, du son familier des bouteilles “gardées au frais”, cadeaux des auditeurs que l’on sacrifiait dans le fond du studio “pop, pop, et re-pop...” à la bonne franquette, les micros largement ouverts !A consommer avec modération, cela va sans dire.Il fallait se lâcher, au diable les convenances ! C’était la grande fête du dimanche ! Depuis, changement d’ambiance, le studio résonne en boucle du “boum, boum, boum...” lancinant de la “musique” techno. On ne rit plus, on ne plaisante plus.Le contraste est saisissant !

 

L’ambiance dans la radio est en berne : c’est le moment décidé pour François de démissionner de son poste d’attaché commercial! Il fallait s’y attendre. Marre des intrigues, harcelé, épié comme s’il devait supporter à lui seul toute la responsabilité de la déroute de la station. Fatigué de voir ses comptes épluchés tel un vulgaire contribuable dont la vocation aux yeux de l’Administration est inévitablement celle de fraudeur, il en a eu assez de voir ses copains chassés l’un après l’autre. Il préfère tirer un trait définitif sur cet environnement détestable et partir lui aussi. Le personnage vital, le plus important de l’entreprise, la “poutre maîtresse” pourrait-on dire, qu’il fallait évidemment préserver. Ce pilier de la radio disparaît corps et âme dans le naufrage, emportant avec lui nos derniers espoirs de sauver la radio locale du pays de Caux (10).

 

(10) François, après avoir lu l’ébauche de ces lignes, a refusé catégoriquement d’être qualifié de "pilier de la radio", estimant que l’ensemble des bénévoles et du personnel salarié de la station ne formait qu’un tout. Selon lui, c’est cet ensemble qui avait contribué au succès de Radio Solaris. Trop modeste...

Et si finalement, tout ce stratagème déployé pour licencier ou forcer à la démission nos ex-collègues de radio n’était qu’une ignoble machination destinée à faire disparaître corps et biens cette station de radio prospère. Radio Solaris, la première radio de proximité apparue en pays de Caux, la station qui gène... mais, qui gène qui au fait ? D’autres stations concurrentes en plein essor ? Pourquoi voudrait-on effacer Radio Solaris ? Quel intérêt stratégique financier pourrait-on retirer de la disparition de ce média-là dans le pays de Caux ? Il y a de la place pour tout le monde. Les interrogations sont nombreuses... Ou alors, n’existe-t-il des ambitions que pour notre matériel ?

 

Vous ne trouvez pas bizarre cette hargne tenace à chasser les uns après les autres, les pionniers de la radio ou chaque membre de l’association? François disparu lui aussi, dans ces conditions, vous le devinez, l’édifice est gravement fragilisé. Le compte à rebours est enclenché.

 

 

Au fil des pages, vous l’avez constaté, le conte de fées s’est affadi en quelques semaines ! Malgré les atouts dont nous disposions au départ, notre grand rêve de radio “pop musicale” s’est désagrégé et a viré au cauchemar depuis l’été 1987. La déception est immense. Pardon d’anéantir le peu de magie qu’il reste de Solaris pour certains de nos lecteurs, de ternir l’image idéale qu’ils conservaient de la station, et de dévoiler les coulisses obscures car nous allons aborder le côté sordide de notre saga dans toute sa laideur : ses coups bas, ses petits arrangements, ses éternels détournements de fonds et dénis de parole avec ce qu’il y a de plus moche dans une association. Pendant cette tragédie, vous le verrez, les masques tombent, les vrais visages se dévoilent !

 

 

L’enfer, quoi ! Mais c’est maintenant

 

Après la perte du relais de Fécamp, le chiffre d’affaires mensuel de Radio Solaris passe instantanément de 120.000 francs à... 4.500 francs! (31 200 à 1 200 €) C’est d’ailleurs bien étrange : avant l’existence du relais fécampois, la station fonctionnait en toute quiétude avec pour unique émetteur, celui d’Yvetot et elle s’en sortait modestement. Pourquoi, n’est-ce plus possible ? A croire que tous les efforts de démarchage se sont tous polarisés sur la cité des terre-neuvas pendant les 15 mois de partenariat. Il est vrai aussi qu’avant l’époque “Solaris-Fécamp”, la station ne tournait qu’avec 3 salariés et une vingtaine de bénévoles.

 

Depuis le départ de François, l’unique commercial, la situation est dé-sespérée. Les dettes s’accumulent. En pareil cas, les créanciers s’avertissent les uns et les autres (le miracle du bouche à oreille !) et se bousculent à l’entrée. Il faudra songer à agencer un guichet sur le palier de l’entrée, muni d’un distributeur de tickets numérotés comme au rayon “poissonnerie” de votre hypermarché ! Premier coup de sonnette, premier créancier : l’URSSAF, client fidèle qui exige un rappel de cotisations de... on va arrondir à 83.000 francs (21 500 €). Ok, candidat suivant! Qui propose plus ?...

 

La plaisanterie a suffisamment duré. Dans mon entourage, ma présence à la radio après la disgrâce infligée à mon frère, devient indécente. Je me demande vraiment ce que je dois faire, étant lié par mon engagement bancaire dans cette “pétaudière”. La naïveté a atteint ses limites. L’actuelle programmation est désormais orientée vers les maxi-45 tours à longueur de journée, avec ce fabuleux son “techno”, style de musique électronique de danse répétitive que l’on nous débite au kilomètre...

ça, de la radio ? Vraiment est-ce cela que les gens veulent entendre ?

 

NB : peut-on appeler ça une chance : on a échappé au rap !

 

Pourquoi ne l’ai-je compris plus tôt... Ce soir-là, je juge que je n’ai plus ma place ici. J’en prends vite la résolution. Pour un fan mordu de radio, c’est un quasi suicide ! N’espérant plus rien ici, la mort dans l’âme et la boule au ventre, je ferme le micro de Solaris à mon tour. La lampe rouge s’éteint une dernière fois pour moi ce samedi 5 septembre 1987 à minuit pile, après quatre heures de patchwork musical, certainement pas les plus gaies, dédiées aux vingt dernières années discographiques. Les mois précédents, chaque samedi soir, je n’hésitais jamais à poursuivre au-delà de minuit avec quelques disques supplémentaires, pendant une ou deux heures de rab, on ne compte plus, histoire de prendre une maxi dose de bouffée radiophonique indispensable pour tenir la semaine jusqu’au week-end suivant. Cette nuit-là, j’ignore si les trois ou quatre auditeurs présents à 23.58 écoutent et comprennent le sens de mes propos bredouillés, tant l’émotion me tenaille. En écrivant cette histoire, je suis incapable de me souvenir quel était ce speech ultime, d’ailleurs le seul improvisé de ma carrière d’animateur à Radio Solaris mais surtout le tout dernier prononcé devant un micro : une marnière béante s’est creusée dans ma mémoire!

 

Mes proches amis, Daniel Lefebvre, Arielle, Rod, François, mon frère Pierre, mon cousin Laurent, Philippe Thomas, Bruno et... pardon, je ne peux les citer tous... tout ce monde dingue de radio est parti écœuré les uns après les autres ou a été viré comme des malpropres au cours des semaines précédentes, niant tous leurs efforts fournis durant ces années pour bâtir et consolider la réputation de la station. Oui, les vrais passionnés ont déserté les lieux, emportant avec eux cette joie communicative de “faire de la radio” dont nous nous étions tant auréolés. L’absence de passion dans tout ce que l’on réalise, signifie un adieu à l’espoir. Les rescapés de Solaris encore présents ne sont plus que des gugusses ordinaires d’une entreprise quelconque, dépourvus de la “flamme” et du grain de fantaisie indispensable pour exercer et apprécier ce métier d’animateur. Ils n’éprouvent aucun enthousiasme à participer à la vie de la radio et méconnaissent la ferveur qui nous animait, il y a bien longtemps dans notre grenier d’EuroWeekend Radio. Faut-il pour autant les blâmer ? Vu les circonstances de cette fin 1987, tenir le micro à Yvetot s’est transformé en corvée ennuyeuse et routinière comme celles que l’on effectue derrière son comptoir, son guichet, à la chaîne d’une usine ou désormais devant une ribambelle d’écrans d’open space. Faire ça, plutôt qu’autre chose ! Cette réplique maintes fois entendue transpire la lassitude et le dégoût. Le problème de l’ennui devant un micro, cela s’entend quand on est auditeur attentif. Alors pourquoi poursuivre plus longtemps? Comme un vieil attardé soixante-huitard, je suis à l’antenne de Solaris, le dernier briscard d’une équipe fondatrice qui s’accroche vainement à son rêve perdu. Tiens, sans m’en rendre compte, j’ai battu un record de longévité en quelque sorte: novembre 1981 - septembre 1987. On dirait une épitaphe! Pourtant cette nuit-là, la performance m’indiffère. Véritable automate, j’ai réintégré consciencieusement les disques de la soirée à leur place dans les casiers de la discothèque, éteint sagement les lumières, claqué machinalement la porte du local derrière moi et quitté ces lieux, définitivement. Durant les quarante kilomètres de retour nocturne vers Rouen, l’autoradio rivé sur 99 MHz ne retransmet qu’un faible grésillement. La tête ailleurs, je n’ai même pas songé à lancer derrière moi une bande enregistrée comme j’avais coutume de le faire pour meubler le reste de la nuit. A quoi bon ? Qui nous écoute encore ? Mon périple dans la campagne endormie est un grand moment de solitude, un zombie solitaire sur une nationale déserte, penché sur le volant d’une vieille R5! Un peu sonné comme lorsque l’on revient des obsèques d’un être cher, l’esprit tellement embué, je me rends compte que j’ai conservé bêtement le trousseau de clefs des studios et du système d’alarme dans ma poche. Après sept années de bonheur intense à parcourir cette route dans les deux sens, je prends subitement conscience que plus jamais, je ne reviendrai à Yvetot. L’aventure “Radio Solaris” s’arrête là, cette nuit, sur la RN15. C’est trop tard pour renoncer et faire demi-tour, après le bref laïus d’adieu déclamé il y a une demi-heure, même si je le suppose à cette heure tardive, personne n’y a prêté attention. Pas eu d’échos... C’est bien la preuve !

Le bouquet final : un sixième anniversaire

 

L’histoire étrange se poursuit... Comme si de rien n’était, le samedi 31 octobre 1987, le 6e anniversaire de la station est célébré en “grandes pompes” à Yvetot dans la grande salle de spectacles “Les Vikings” transformée pour l’occasion en immense salle de cabaret. Les malheurs liés au train de vie somptueux du passé n’ont pas servi de leçon ni freiné les ardeurs dispendieuses de l’actuelle direction ! N’ignorant pas la situation financière critique de la radio cauchoise, pas moins de 650 personnes sont tout de même présentes ce soir-là. Je reste sidéré ! Consciente d’une situation de crise et malgré tout, pleine d’optimisme, la municipalité d’Yvetot a offert gracieusement sa salle de spectacles à la disposition de la radio cauchoise. Avec ce soutien appréciable, la ville a-t-elle (enfin) pris conscience de l’utilité et des avantages de disposer d’une radio locale sur son territoire ? Souhaite-t-elle écarter le risque menaçant et imminent de perdre à jamais un tel média pour le pays de Caux ? C’est ce que je suppose en pénétrant dans la salle.

 

Décidément le programme proposé pour cette soirée fastueuse me stupéfie. La facture pourrait être salée : notre présidente a invité des vedettes frôlant les sommets du Top 50, aidée par l’une de ses relations du show-biz, une ancienne Clodette, danseuse du groupe qui accompagnait Claude François ! J’ignorais évidemment qu’Anne possédât (Ouais !) un carnet d’adresses autant prestigieux ! Comme les spectateurs présents, je découvre tout ceci avec ébahissement et en oublie presque les embarras financiers du moment. Parmi les stars présentes, la pétillante Yianna Katsoulos, une chanteuse en vogue, bien placée dans les hits parades, est venue jusqu’ici, ainsi que d’autres groupes musicaux tombés depuis dans l’oubli, il est vrai. Les animateurs de Solaris y compris les anciens “démissionnés” qui ont accepté l’invitation juste par curiosité, sont brièvement présentés sur scène, immédiatement suivis de nos collègues de Radio Mouette, la nouvelle radio havraise qui relaie depuis quelques   semaines le programme cauchois de Solaris dans le centre ville du Havre. Comme tous les spectateurs de la Salle des Vikings présents ce soir, je regarde défiler, au pas de course, ce cortège interminable d’animateurs havrais. Est-ce une illusion, il me semble qu’ils sont bien une bonne trentaine à traverser la scène, de droite à gauche ! Ou bien se sont-ils offert le luxe d’un second passage en boucle (en repassant derrière le décor ?) La question que je me pose : avec autant d’animateurs, combien reste-t-il d’heures disponibles dans la grille des programmes de Radio Mouette pour relayer ceux de Radio Solaris ?   

“Une disco d’enfer vient compléter ce spectacle de qualité, reconnaissons-le, qui a permis de faire découvrir - dixit la presse - une radio cauchoise new look, bien décidée à retenter un nouveau départ”.

 

Ah, la presse ne tarit pas d’éloges ! Toujours la démesure. L’illusion est totale, les spectateurs sont ravis, et c’est ce qui compte puisque c’est évidemment le but recherché de cette soirée. Il faut rassurer avant tout les annonceurs potentiels inquiets au courant des événements récents et démentir les rumeurs entendues ici et là. Il faut montrer à quel point la station est capable de rebondir et en mesure de poursuivre sa course à l’audience.

 

A l’extinction des feux, le public yvetotais est rentré chez lui, totalement conquis. Dans la Salle des Vikings, les fauteuils ont retrouvé leur place, parfaitement alignés dans leurs rangées. Le cabaret improvisé a disparu et la salle de spectacles a repris sa physionomie habituelle. Pendant que le rangement du matériel côté scène se poursuit, il faut bien en convenir et redescendre doucement sur terre. Si les lumières de la fête ne brillent plus, le pessimisme refait surface. La triste réalité a quand même un sale goût amer. Après cette soirée, ce rêve constellé de paillettes scintillantes d’une Solaris new look entourée de ces artistes renommés, n’est qu’une horrible chimère. Le proverbe “La chance sourit aux audacieux” ne s’est pas confirmé, la décision insensée de créer notre propre radio, il y a six ans de cela, va finalement nous coûter très cher... Le gouffre financier, bien réel lui, avec la jolie ardoise de ce soir, s’est encore approfondi.

 

       

 

 

 

 

 

 

Chapitre 1988

 

 

 

La zizanie règne à fond, les abus de confiance sont légion et s’associent aux autres événements sordides.En quête d’une dignité, Solaris en totale perdition change de nom.Pourtant la dernière ligne droite est amorcée

 

 

Comme l’on dit souvent : “Les malheurs n’arrivent jamais seuls”. En toute logique, les éléments naturels se sont concertés et rajoutent leur part de désolation. Vendredi 22 janvier 1988, coup de semonce, la tempête s’abat sur le nord-ouest de la France. Le pays de Caux n’est pas épargné. La station n’avait pas vraiment besoin de cela en un pareil moment.

 

Une rafale de vent vient subitement plier l’antenne dans son premier tiers supérieur. Sous les assauts de la tempête, la fixation soutenant le tube cylindrique à l’extrémité du pylône s’est rompue et ce tuyau de huit mètres pend, renversé le long du mât. Les deux dipôles qui y sont encore fixés, sont hors service, complètement désorientés. Ils ne visent plus l’horizon et chacun “asperge” au hasard, vers la gouttière ou en bas dans la rue, comme le gag du tuyau d’arrosage des films muets ! L’ensemble se balance hideusement dans le vide au gré du vent, retenu uniquement par le feeder d’alimentation, avec le risque de se décrocher et de s’écraser trente mètres plus bas sur le trottoir. Le diagramme de rayonnement doit avoir fière allure ! Vue d’en bas, quelle image pitoyable offre-t-on de la radio ! La foudre par le passé avait déjà frappé l’antenne, sans jamais occasionner autant de dégâts visibles. Il est inutile de préciser que la portée des émissions fortement réduite avec les deux seuls dipôles intacts en action, s’en est ressentie chez les auditeurs lointains à la limite de la zone normale de réception. Dans ce malheur, il faut reconnaître qu’aucun court circuit n’est intervenu dans le système, puisque nul câble coaxial n’a été arraché, ce qui a permis de poursuivre le “semblant” d’émission encore existant.

 

Au mois de février 1988, avec largesse - ou grande naïveté, on ne le saura jamais - quelques chèques sont signés de la main de notre présidente pour amadouer ou calmer les esprits échauffés. Il s’agit de gagner du temps. Celle-ci n’ignore pas qu’ils sont évidemment “en bois” ! Clairvoyante, la banque bloque aussitôt le compte de la station, ce qui a comme conséquence immédiate d’empêcher le paiement des salaires des animateurs permanents et le prélèvement des échéances de prêts, faute de couverture suffisante. Fin avril, les sept salariés dont les deux commerciaux (à peine embauchés) sont fatalement licenciés pour raison économique. Compte tenu des salaires en retard et des mois de préavis à verser aux “licenciés”, le passif atteint allègrement la somme vertigineuse de... 550.000 F ! [valeur actuelle : 139 000 euros]

 

Vendredi 29 avril 1988 : mort de Radio Solaris

Samedi 30 avril 1988 : ultime soubresaut avec Pulsion FM 99

Samedi 30 avril 1988, après cinq mois d’agonie, Radio Solaris, dont les programmes deviennent de plus en plus insignifiants, se meurt dans la discrétion la plus totale. Après cette accumulation d’histoires sordides et ce fiasco financier, le nom de la station bien difficile à prononcer est devenu synonyme de ringardise. Il n’a plus la cote. Le moment est venu de s’en séparer et de tout balayer. D’ailleurs, dans le studio, l’idée fait l’unanimité, les gens sont d’accord ! Une nouvelle association* doit donc naître des cendres de Radio Solaris. Déjà, oublier le mot Radio qui fait “vieux jeu” [sic] au profit d’un titre plus jeune, plus ambitieux, plein d’ardeur qui respire le dynamisme ! Faire table rase du passé et rebâtir la station sur des bases solides s’imposent: “Pulsion” ? Quelqu’un a lancé ce nom morbide : Pulsion!... Brrr, plutôt ésotérique comme nom de radio, non ? On pense tout de suite à l’argument fétiche de défense des repris de justice : “Ce n’est pas ma faute Monsieur le Président, j’ai obéi à une... pulsion !” < Ok, pas drôle ! (NdA)

 

Allons-y pour “Pulsion” ! Devant l’enthousiasme exhubérant de cette fin de règne, personne n’a osé conserver quelque enregistrement de l’époque frelatée de “Pulsion FM 99”. Est-ce un signe ? Difficile de décrire ce qu’était le format musical proposé pendant ces mois de mai et juin 1988. Sans surprise, ce n’était guère différent des derniers soupirs de l’ère Solaris : en gros, diffusion intensive de son techno, instrumental et répétitif à longueur d’antenne. S’il fallait en un mot qualifier ces deux mois d’émissions, ce serait... Bof ! Reprenant la fréquence et le matériel de la défunte Radio Solaris, la nouvelle association “Pulsion” se donne comme président un chef d’entreprise rouennais Gilbert Bouvet, ami précieux de l’ex-présidente, car il accepte d’aider financièrement la station! On peut d’ores et déjà affirmer “un ami en or”. L’ancienne présidente, subitement saisie d’hésitation d’ordre moral, décide par souci extrême du devoir, de s’effacer et de rester dans l’ombre. Toutefois, elle garde la confiance entière du nouveau PDG. A moins que ce ne soit le contraire ? En effet, celui-ci ne semble vouloir rien refuser à l’ultime représentante de Solaris, puisqu’elle continue d’assurer simultanément la charge des relations extérieures avec celle de l’organisation des programmes. Ce cumul de fonctions plutôt incompatibles entre elles, intensément chronophages, exige en parfaite logique, une grande capacité de travail. Les membres “fantoches” du conseil sont à peu de choses près les deux ou trois animateurs de jadis réembarqués dans cette nouvelle galère. A ceux-ci viennent s’ajouter deux nouveaux visages yvetotais, un commerçant Jean-Pierre Monnier (Gérant d’un garage à Yvetot) et un visage déjà connu Gérard Jacquel, responsable de l’ancienne émission du lundi soir “Vivre à Yvetot”, diffusée au temps de la belle époque du partenariat Radio Solaris - Ville d’Yvetot en 1985 et 1986 (cf au chap. précédent).

Redoutant un remue-ménage néfaste pour son image de marque et les nuages noirs qui risquent de l’accompagner, Paris Normandie a “le nez creux” et souhaite récupérer ses locaux de la rue Pierre et Marie Curie. Le journal en pleine restructuration (lui aussi !) demande donc à la station de libérer les lieux au plus vite. Les studios sont déménagés promptement - on devrait dire “en catastrophe” - vers un appartement plutôt cossu d’un autre quartier de la ville, rue du Calvaire à Yvetot où d’étonnants travaux d’agencement importants sont engagés. Des studios sont agencés. Par exemple, dans une ancienne chambre, le mur jouxtant la salle de bains a été préalablement évidé pour y accueillir une vitre épaisse destinée à séparer la régie du studio. Que serait un studio de radio dépourvu de sa vitre d’aquarium ? Tous ces travaux, même s’ils sont réalisés par des bénévoles de l’équipe, paraissent surréalistes à un moment où chacun est pleinement conscient des difficultés financières qui rongent la trésorerie de la station !

 

M. Bouvet, le président de la nouvelle organisation Pulsion, un homme apparemment trop confiant, vient de recruter quatre animateurs de l’ancienne équipe Solaris et surtout vient d’embaucher en pleine précipitation, ça il faut le déplorer, deux nouveaux commerciaux par le biais de petites annonces, MM. Jean-Michel F. et Olivier N., deux individus trop polis pour être honnêtes, sans prendre le soin de vérifier leurs références vraisemblablement falsifiées, on peut le supposer. C’est une négligence impardonnable. Voilà qui semble mal engagé et très inquiétant pour la reprise en main de la station. Il était inévitable que la rumeur fasse le rapprochement entre la “pègre” cauchoise et la radio en totale déroute. Vous le pensez bien, ces deux types ont flairé une bonne aubaine de s’enrichir avec peu d’efforts dans une station de radio en pleine reconstruction dont le patron, coutume oblige, réside à cinquante kilomètres des opérations. Rengaine connue, le pays de Caux est une région bien trop vaste pour gérer une radio locale en toute quiétude ! L’équipe de jeunes animateurs sur place, livrés à eux-mêmes, n’inquiètent nullement les deux arnaqueurs, bien au contraire. La presse révèlera plus tard qu’un des lascars est un fidèle des rubriques “Faits divers” à l’occasion de diverses truanderies, chèques sans provision... Son comparse, d’une moralité équivalente, adepte de “contacts virtuels”, passera le clair de son activité de “commercial”, à tripoter le minitel, ancêtre sulfureux et coûteux d’internet, grâce auquel des fortunes colossales (douteuses ?) se sont constituées avec la complicité de France Telecom. Pulsion FM ne profitera guère de ce pactole providentiel. Bien au contraire, le relevé téléphonique tombe tel un couperet et affiche 14.000 F [val. actuelle : 3 500 €] de communications, vous le devinez, vers les serveurs roses 36-15, bien plus aguichants à effeuiller que d’aller quérir auprès des commerçants,  des contrats de pub indispensables au renflouement de la station!

 

Dès son arrivée dans les nouveaux locaux rue du Calvaire, Jean-MichelF., l’un des aigrefins, manipulateur et beau parleur...

 

(Hep ! On a déjà entendu ça, non ? Problème récurrent, les directions successives de Solaris sont tombées les unes après les autres sous le charme des beaux parleurs. Normal, vous me direz à la radio ! - NdA)

 

... le bel orateur, au cours de la réunion du vendredi 17 juin 1988 convainc le président et les membres du bureau de Pulsion FM, d’écarter définitivement Anne Chevalier de la direction, en attaquant celle-ci sur sa gestion personnelle et la manière particulière dont elle gère “son personnel”, tout en promettant en retour, d’énormes rentrées d’argent et des salaires mirobolants pour tous. Pendant que le conseil délibère dans la pièce voisine, Anne s’effondre et réalise soudain qu’à cause de ces deux lascars arrivistes, toute l’affaire est en train de lui échapper : ses “efforts” [sic] pour redresser la barre pendant ces dix derniers mois risquent d’être anéantis. Constatant qu’ils tiennent la situation bien en mains, les deux acolytes échangent un clin d’œil complice peu discret, lequel n’échappe pas à un témoin qui me rapporte la scène après coup : “L’affaire est dans le sac!” pensent-ils à cet instant. Un vrai mélodrame. Cette ambiance tendue dans ces nouveaux locaux ne va pas s’améliorer! En plein centre d’Yvetot, rue du Calvaire, les Yvetotais ne se doutent même pas, un polar est en train de se dérouler à deux pas de chez eux et l’on ne croit pas si bien dire... Ce que Monsieur Bouvet et son Conseil d’administration ignorent à cet instant, c’est l’existence de faits troublants que l’on pourrait croire sortis effectivement d’une mauvaise fiction TV. En voici le récit : au début du mois de juin - quelques jours avant la tenue de cette réunion décisive du 17 juin - le même Jean-Michel F., un personnage effectivement pittoresque, a tenté d’entraîner l’équipe ou ce qu’il en reste, dans une tournée de bars mal famés. Le décor, les personnages, les bons, les méchants, tout y est. Un polar, qu’on vous dit ! Rompant le secret, quelques animateurs décident bien tardivement* d’informer le président et les membres du bureau, de ce qui se passe réellement en coulisses rue du Calvaire, dans les studios flambant neufs de “Pulsion FM”, hors antenne fort heureusement.

 

* Pourquoi ont-ils attendu le 20 juin  pour révéler les faits qui vont suivre ?

 

LE ROCAMBOLESQUE COURRIER

des animateurs de Pulsion FM adressé à M. Gilbert Bouvet, Président

de l’Association Pulsion et les membres du Conseil d’administration :

(Si vous pensez rêver, n’oubliez pas de vous pincer après...)

 

 

PULSION FM

13 rue du Calvaire

76190 YVETOT

 

M. le Président et MM. les membres

du Conseil d’administration de Pulsion FM

 

Yvetot le 20 juin 1988

 

Messieurs,

 

Par la présente, nous avons l’honneur de porter à votre connaissance certains faits qui se sont déroulés à l’intérieur de la station et à l’extérieur depuis l’arrivée de Monsieur FOLLIN.

Auparavant, nous pensons qu’il convient de faire un bref historique remontant à environ 3 semaines :

- L’arrivée de Monsieur FOLLIN a semblé apporter un nouveau souffle à la station. Les références dont il disposait nous permettaient d’espérer un avenir meilleur. Au fil des jours, ce personnage a tenté de nous convaincre du bien-fondé et du sérieux de ses prétentions et de ses intentions. Nous y avons cru ! Toutes et tous, nous sommes conscients que l’élément vital de la station est l’argent ! Et Monsieur FOLLIN nous a promis que cet argent allait rentrer rapidement et en abondance.

 

Mais, comme Sœur Anne,(Jeu de mots ? Est-ce bien le moment...) nous n’avons rien vu venir, si ce n’est une tentative de prise de possession de la station par M. FOLLIN. Lors de la réunion du vendredi 17 juin, nous avons assisté impuissants à la mise en cause et à une attaque personnelle de Mme CHEVALIER (dernière présidente de Solaris) sans vouloir auréoler Mme A.C., nous sommes tous convaincus et témoins des efforts qu’elle a accomplis depuis des mois pour remonter la station, allant même jusqu’à s’endetter personnellement, courant à sa ruine matérielle.

 

M. FOLLIN a accusé Mme CHEVALIER et le personnel de la station de s’adonner à la boisson, de se détruire dans la drogue et de forniquer dans les locaux de Pulsion FM. Ces accusations ont été tellement violentes qu’elles nous ont laissés pantois et abasourdis, ce qui a justifié notre manque de réaction, vendredi dernier.

( pas compris.N’était-ce pas justement l’occasion d’en parler devant l'assemblée ?  - NdA )

 

Hier dimanche dans la soirée, nous avons rencontré Monsieur MONNIER, un membre du bureau de l’Association Pulsion et lui avons expliqué ce qui s’est passé récemment:

- Il y a 3 semaines, M. FOLLIN nous a entraîné dans un établissement de boissons où il a rencontré un dénommé "Claudio", collaborateur de PASTIS 51. Avec lui, il a envisagé de nous faire passer une soirée plus que douteuse.

Il nous a empêché d’une manière autoritaire de rentrer chez nous, et nous a entraîné dans son véhicule pour finir la soirée chez ce "Claudio".

Après de nombreuses libations, il nous a incité à détrousser "Claudio" et lui voler tout l’alcool en sa possession. Entre autres...               suite et fin >

 

Ensuite, il nous a emmené de force dans son véhicule, voulant prendre la direction du Havre, pour un "bain de minuit". Devant son état second, il est entré dans les locaux de la radio, jetant tous les documents, voulant prendre l’antenne, vidant et déchirant nos objets personnels, bousculant et jetant l’un d’entre nous à terre.

Tout ceci n’a que trop duré ! Nous voulons vivre et travailler dans la dignité et le respect de chacun.

Quelle que soit votre décision, nous tenions à ce que vous soyez informé de ces événements que nous laissons à votre appréciation.

Soyez assurés, Messieurs, de nos sentiments respectueux.

 

Signatures  

RL, MH, VV, MCL, LLG.    <  animateurs salariés de Pulsion

 

NdA : Deux versions de l’extravagante missive ont circulé. Les destinataires auront apprécié.Dans la seconde version du 24.09.1987 - issue étrangement du même traitement de texte (?) - adressée nominativement à chaque ex-administrateur par Madame Chevalier, la phrase élogieuse (surlignée page 295) a été retirée. Excès de pudeur vis-à-vis des autres membres endettés ? Sûrement.

 

Vous ne cauchemardez pas ! Nous sommes bien au sein d’une association type loi 1901, tout ce qu’il y a de très sérieux qui gère un média régional supposé en plein essor. Je vous le confirme, on parle bien d’une véritable radio de proximité destinée au pays de Caux tout entier et en aucun cas d’un camp de vacances pour ados, d’une sorte de patronage organisé ou pire, d’une confrérie dont les fidèles suivraient une voie mystique sous l’influence d'un gourou, d’un maître (ou dans notre cas, d’une maîtresse !)   (humour...)

 

Après lecture de la missive, les questions que chacun se pose sont celles-ci : pourquoi les animateurs de Pulsion FM ont-ils laissé passer la réunion du 17 juin sans jamais ne rien révéler des agissements dont ils ont (auraient ?) été victimes trois semaines plus tôt et pour quelles raisons n’ont-ils seulement informé le président et les membres du conseil que le 20 juin? (date de leur courrier). Est-ce par peur de représailles de la part des deux forbans ou plus vraisemblablement, redoutaient-ils la destitution de Madame Chevalier de ses fonctions ? Ainsi, attendaient-ils avant de se manifester, de connaître la décision probable d’ailleurs, du Conseil de Pulsion FM à l’issue de la réunion. Reste à savoir si ces “abracadabrantesques” révélations avaient été portées plus tôt à la connaissance du président Gilbert Bouvet et des membres de son bureau, auraient-elles infléchi la décision prise par le conseil à l’encontre d’Anne Chevalier ? Pas sûr !

 

Vous l’avez remarqué ? Le fait d’avoir eu connaissance de ces faits trois jours après la fameuse réunion cruciale est étrange. Cette lettre d’aveux spontanés de la part d’une équipe autant inféodée, n’aurait-elle pas été dictée précisément à l’issue de la réunion capitale afin de culpabiliser le Président et ses membres complices, de leur infâme décision ? On peut le supposer. Cette lettre d’aveux en fin de compte, qui l’a vraiment écrite... ou inspirée ? Qu’importe, il est vain d’espérer voir quelque argent frais remplir de nouveau les caisses de la station avec les deux recrues aussi peu commerciales et recommandables ! D’ailleurs Pulsion FM ne verra jamais les arrhes versées par les ultimes annonceurs attachés à leur radio locale qui ont été ignoblement abusés durant cette période de fin de règne et d’incertitude de 1988. Voilà où est parvenue l’aventure d’une radio indépendante créée dans l’enthousiasme bouillonnant il y a presque sept années, promise à un bel avenir, croyait-on. Ovation à ceux qui ont contribué à ce fiasco retentissant qui ne concerne pas seulement les derniers acteurs, soyons honnêtes de le souligner, vous l’avez compris.

 

Désormais, quels commerçants, quels artisans oseront renouer leur confiance avec la station et ses futurs représentants ? Ces événements sordides, inconcevables dans l’existence d’une entreprise suffisamment tourmentée par les injonctions menaçantes d’une administration publique, obtuse et partiale, n’ont pas manqué de faire réagir, quelques semaines plus tard, l’ex-présidente déchue, lorsque la presse locale s’est intéressée au parcours des deux fumistes :

Circulaire du 24.09.1988 de Madame Chevalier, à l’entête de feue "Radio Solaris" * adressée personnellement à chaque administrateur de Pulsion FM, accompagnée des pièces jointes: l’exemplaire de la "lettre des animateurs" (sans la phrase élogieuse, voir pages précédentes), et les 2 coupures de presse éloquentes présentées juste après.

 

 

* Radio Solaris “ressuscitée” et pas Pulsion FM ? Comprenne qui peut, on s’y perd...

 

 

 

 

Jeudi 30 juin 1988 : une fin d’aventure indigne !

 

Pas étonnant après cela que notre “Pulsion” ait manqué d’élan : le blanc apparu à l’antenne en mai, n’était pas une faute professionnelle. Il se reproduit de nouveau début juillet mais cette fois, se prolonge de manière inquiétante. La dernière émission de Pulsion FM (plus ou moins officielle) aurait donc eu lieu le 30.06.1988. Y a-t-il eu un message d’adieu prononcé, un quelconque mot d’explication ? Y a-il eu seulement du monde à l’écoute ? Combien d’auditeurs reste-t-il à ce moment? Bien sûr, on ne le saura jamais. Une fin de vie honteuse pour la radio du pays de Caux qui s’éteint dans l’apathie complète. Aucune réaction publique ne trouble le silence assourdissant : la ville d’Yvetot souhaitait-elle redevenir un trou noir radiophonique ? De même, la presse locale est muette.Est-ce par pudeur ? Le monde semble attendre les événements. Si ce n’est un “De profundis” poignant, paru tardivement dans le bulletin municipal “Vivre à Yvetot” d’octobre 1988 qui fera connaître enfin l’avis officiel de la municipalité, au bout d’un délai de trois mois de réflexion, certainement dû aux vacances.*

 

NB : la décision d’arrêter (qui l’a prise ?) et les circonstances exactes de la fin des émissions restent inconnues. Le dernier jour fixé arbitrairement jeudi 30 juin 1988 n’a d’ailleurs jamais été confirmé.

 

Côté charges, l’URSSAF, épistolière fidèle, réclame un arriéré de 40.000 Francs [10 400 euros]. Bopfhh ! (gros soupir) Au point où nous sommes, une bagatelle de plus à additionner dans la colonne des dettes impayées! Chaque matin, c’est devenu la routine au relevé du courrier. Quand on est simple bénévole d’une association, on peut s’étonner de voir autant de montants gargantuesques de cotisations à régler impérativement, de taxes et autres surtaxes exigées sans délai, sous peine de sanctions menaçantes et apocalyptiques infligées par les robots sans âme d’une administration boulimique et impitoyable ! A quels salaires “mirobolants” (comme ils disent !), ces alignées interminables de charges correspondent ? Quand on pense que notre hobby initial, c’était uniquement de “faire de la radio pour distraire les gens” et non de renflouer le déficit de l’Administration avec nos propres économies !

 

Le président de Pulsion, M. Bouvet est sûrement un homme plein de bonne volonté. Néanmoins, il s’est montré trop confiant. Il est aussi très dupe. On ne le serait à moins. Dès son arrivée, il semble tout à fait ignorer l’existence des coulisses mafieuses qui gangrènent l’association. Il ignore tout des multiples manigances et intrigues savamment orchestrées pour se séparer de tel ou tel collaborateur gênant (licenciements abusifs et/ou démissions provoquées). Il n’a aucune connaissance de ces chèques émis sans provision et distribués avec grande désinvolture pour amadouer les naïfs et calmer les plus impatients. Il ne sait pas que de fausses signatures ont été apposées sur les documents officiels de déclaration en préfecture, etc... Finalement le 7 juillet 1988, il prend la pénible mais courageuse décision de mettre un terme à cette farce grotesque, l’énorme “maelström” qui risque d’imploser et de nous engloutir les uns et les autres plus profondément. A l’issue de quelques semaines de présidence, M. Bouvet accablé comprend qu’il a été abusé - comme d’autres avant lui - et embarqué dans une affaire coûteuse dont finalement il ne peut (ou ne pourra) rien contrôler en raison de ses activités professionnelles qui le retiennent éloigné d’Yvetot. Il convoque alors les membres du Conseil pour une ultime réunion, non pas rue du Calvaire au siège de la radio (accès interdit au Président et aux membres du conseil ?) mais discrètement en centre-ville, dans les locaux professionnels d’un membre administrateur récemment accueilli au sein de l’association. La séance sera brève. Mis au courant des derniers rebondissements: les chèques “en bois”, les signatures contrefaites, la mainmise sur le matériel, etc... sans la moindre hésitation, le président déclare la dissolution de l’association Pulsion. L’ordre d’arrêter sur le champ toutes les activités est la décision douloureuse et définitive adoptée. Elle évite que la situation ne dégénère vers davantage d’escroqueries probables et autres usages de faux. D’ailleurs avec un tel boulet financier à traîner, comment l’association Pulsion en pleine déroute, pourrait-elle mieux s’en sortir que sous l’ancien nom de Solaris? Pour information, l’antenne est muette depuis une semaine bien que l’émetteur soit toujours en fonction et pleinement disponible. L’onde porteuse est toujours “audible” dans les récepteurs. Cependant plus rien ne bouge dans les studios et indiquer une prochaine reprise de l’activité.

 

Pour mémoire, les Membres de l’Association Pulsion présents à cette dernière réunion de Conseil du 6.07.88 sont Messieurs G. Bouvet, Président, H. Voiment, D. Verdière, G. Jacquel, J-P. Monnier, S. Hagues et J-C. Dumenil, membres du bureau.

 

A la fin de la courte réunion d’une durée d’à peine 10 minutes dont les conclusions étaient pressenties, l’un des membres présents confirme que le matériel équipant les studios a été “déménagé” au préalable, discrètement et promptement (ce qui explique l’absence d’émissions) et mis en lieu sûr chez une “personne de confiance” ! Mystère, mystère... L’équipement disparaît ainsi des regards envieux, entreposé quelque part et mis à l’abri. Officieusement, il s’agit d’étudier les offres de rachat et les possibilités de reprise de la station par d’éventuels repreneurs. Nul n’est dupe. En effet, de mauvais esprits, ces dernières heures, n’ont-ils pas répandu la rumeur selon laquelle ce matériel pourrait représenter un ultime moyen de chantage exercé par les ex-salariés et les membres grugés, leur permettant de récupérer au moins une partie de leur dû, en toute légitimité. On peut imaginer la réaction indignée du camp adverse : “C’est insensé ! Pourquoi ces gueux auraient-ils l’impudence de s’en prendre bassement à un matériel inoffensif au point de vouloir s’en emparer ?”

 

Malgré ce déballage de calomnies et d’indignités, la détresse est bien au rendez-vous, symbolisée par cette fréquence de 99 MHz désormais muette sur la bande FM. L’émetteur attend désespérément un hypothétique refrain à retransmettre au-dessus de la plaine cauchoise. Seul un grésillement perceptible et familier à nos oreilles, ainsi que l’aiguille du “S-mètre” du récepteur scotchée à 8/10, signalent toujours sa présence.

 

Petite anecdote rapportée par Jeff (Jean-François qui faisait l’émission de hard rock le lundi soir), il nous apprend qu’il a pu réaliser deux programmes supplémentaires à l’horaire habituel (22.00 - minuit) malgré la fin des émissions de Pulsion FM le 30 juin. Ces deux “apparitions” plus ou moins clandestines, pour le plaisir des nombreux fans de hard rock de la région, présents aux rendez-vous, ont eu lieu durant le mois de juillet 1988. L’émetteur silencieux tournait à vide dans la journée. Personne n’avait songé à le débrancher mais il a “recraché” sa pleine fougue impétueuse sur le pays de Caux pendant deux ultimes soirées d’émission ! Jeff aura eu le (tragique) privilège d’être le dernier d’entre nous à faire vibrer cette fréquence magique de 99 MHz !

 

Soudain, un jour d’été 1988, (en août ? Pas noté le jour, hélas) dans cette mansarde proche de Rouen qui me servait de studio d’enregistrement, l’indicateur dégringole à zéro. Au même moment, le souffle de l’enfer retentit. Pour être sûr que le poste n’est pas en cause, je tripote le bouton d’accord de part et d’autre de la fréquence pour retrouver le signal : c’est évident, il n’y a plus rien ! Plus d’émetteur... Terminé. Immédiatement, dans ma tête, j’imagine un tas de factures impayées, glissées sous la porte. L’EDF aurait-elle pris l’initiative de couper le jus au 20 rue des Victoires ? Je repense à ce qu’avait dit Eric Hauville en 1981, le boss perfectionniste de RVS: “L’auditeur doit toujours entendre un son “clean” et ne pas être surpris par la coupure brutale de l’émetteur (...) ça ne se fait pas. Ce n’est pas pro. On ne fait pas de la cibi !” Il avait raison. Alors cette fois, après un bon mois de délai, l’auditeur cauchois a largement eu le temps d’admettre que c’était bouclé pour nous. Même qu’entre-temps, tel un aventurier, il est parti seul, en quête d’une autre fréquence accueillante. Cette fois, on peut le dire, la fin, c’était nickel. La  “libération” de la fréquence suscitera-t-elle des convoitises ? énormément ! prophétise le Courrier Cauchois qui a l’air d’en savoir plus que nous. Néanmoins, contrairement aux affirmations optimistes de lendemains qui chantent selon lesquelles de nombreux projets se précipiteraient sur notre place désertée dans le style : “Une fréquence de perdue, dix de retrouvées!” Non, il faut en convenir, il n’y aura plus de bousculades sur les ondes en Haute-Normandie et surtout en pays de Caux. La fréquence mythique de 99 MHz est d’ailleurs vacante au moment où j’écris ces lignes !

 

Ajout en 2012 : plus maintenant, la fréquence a été attribuée à la station parisienne “Radio Classique 99 MHz” à Dieppe et à “HDR 99,1 MHz”, une radio communautaire de Rouen. Quand on vous le disait, la fréquence n’était donc pas si inadéquate que cela! Sauf bien sûr lorsqu’il s’agissait de l’octroyer à Radio Solaris ! ;-)

 

Ces péripéties affligeantes vont-elles refroidir les ardeurs d’éventuels successeurs ? L’inexistence de radio locale depuis 36 ans à Yvetot laisse craindre le pire. S’agit-il seulement d’un manque flagrant de vocations radiophoniques en pays de Caux ? C’est vrai, les moyens de consommer de la musique ont changé. L’écoute entièrement gratuite à partir d’un classique “transistor” est passée de mode* : les radios musicales n’ont plus la cote auprès des jeunes scotchés à leurs écrans ! Paradoxalement, ils ne rechignent pas de payer pour écouter leurs airs favoris (via Deezer, Apple Music, Spotify...) sur leurs smartphones, les couteaux suisses du multimédia ! Est-ce pour fuir les niaiseries de nos talentueux successeurs, allez savoir? L'exigence des auditeurs s'est affirmée : accepteraient-ils encore qu'on leur impose titre après titre, ce qu'ils doivent écouter ? Malgré quelques tentatives infructueuses en pays de Caux, aucune station FM n’est parvenue à remplacer Solaris depuis sa calamiteuse sortie de scène. Il est vrai qu’aucune autorisation d’émettre aux radios associatives n’est plus délivrée en Haute-Normandie par le CSA (l’ARCOM aujourd’hui)       - d’où le quasi monopole de France Bleu - à l’opposé de l’époque dorée de 1981 où nous avions bénéficié du fait accompli: faible concurrence et aucun embarras pour le choix d’une fréquence. Quant à la puissance d’émission à mettre en œuvre, ce n’était qu’une question de trésorerie.

“Seriez-vous prêts à retenter

une nouvelle expérience de radio ?”

 

Néanmoins du 27.02 au 14.03.1999, une autorisation temporaire d’émission a été accordée à la Médiathèque d’Yvetot par le CSA, pour le prétexte d’une exposition consacrée au thème de la “Radio en Normandie” avec une présentation d’anciens récepteurs (quelques vénérables postes à lampes et à transistors) et une série de panneaux d’exposition évoquant les vies de feues “Radio Normandie” et “Radio Solaris”. La station éphémère “Yvetot FM 90,9” créée à cette occasion, d’une puissance de 50 watts sortis d’une antenne équipée d’un seul dipôle, rayonne sur quatre kilomètres de rayon pendant une quinzaine de jours. Évidemment les moyens techniques sont plus modestes que ceux mis en œuvre par Radio Solaris, dix-huit ans plus tôt.

 

Organisée par Daniel Lefebvre et le personnel de la Médiathèque, l’émission est animée par Philippe Thomas, Bruno Gilbert et Serge Baillivet, un jeune animateur de “Resonance”, la station domiciliée près de Fécamp. Moments attendus et redoutés, cette manifestation a permis à quelques anciens combattants de Radio Solaris de se retrouver de visu. Stupéfaction ! En une décennie, les traits des visages se sont spectaculairement durcis. Hélas et c’est pire : les années de séparation forcée ne semblent toujours pas avoir effacé les plaies. Quand ils ne brillent pas par leur absence, l’embarras des membres présents et les clans reconstitués dans cette vaste salle d’exposition de la médiathèque me laissent songeur quant au retour hypothétique d’une Radio Solaris “nouvelle formule”. Pourtant à la question générale de Philippe Thomas, arborant un sourire complice au micro d’Yvetot FM : “Seriez-vous prêts à retenter une nouvelle expérience de radio ?”, le grand Daniel Verdière qui n’a rien perdu de son optimisme “boute-en-train” (!), après un temps de réflexion savamment mesuré, prononce posément ces deux mots : “Pourquoi pas ?... [un temps] Pourquoi pas ?” Une réponse en forme d’interrogation répétée deux fois pour bien faire planer une lueur d’espoir dans l’esprit des gens qui écoutent attentivement et qui espèrent voir renaître une radio locale à Yvetot ! A entendre la question posée non sans malice par Philippe et la réponse pleine de suspense, toute laconique de Daniel, un ange passe dans la salle. Et sûrement aussi chez la centaine d’Yvetotais confinés derrière leur transistor fétiche, dépoussiéré pour l’occasion. L’enthousiasme que nous connaissions jadis quelques rues plus loin, flotte de nouveau sur cette bonne ville d’Yvetot pendant plusieurs secondes. C’est reparti avec les fantasmes... Oui, seulement les amis, cette scène émouvante, désormais historique - puisqu’elle est immortalisée ici ! - c’était il y a... vingt-cinq ans ! Alors, l’enfièvrement que nous avions tous entrevu à cet instant, s’il en reste une trace infime, qu’est-il devenu aujourd’hui, depuis ce fameux dimanche 14 mars 1999 ?

 

Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et Télédiffusion de France seraient-ils prêts à “remettre le couvert” et à renouveler leurs déboires dans cette région peuplée d’ingérables trublions cauchois ? Sinon, c’est à craindre, le pays de Caux “marqué à l’encre rouge” par TDF et le CSA, restera l’une des régions françaises sans aucune radio locale à écouter et où France Bleu continuera seule de parader et s’autoproclamer... “Première radio de Haute-Normandie !” En revanche, si jamais une nouvelle aventure s’engage dans les pas de Radio Solaris, il ne faudra pas se leurrer, les autorités ne voulant prendre aucun risque, n’autoriseront qu’une station confidentielle, ultra-locale, à l’image d’Yvetot FM, soit un mini-émetteur “de poche” de 50 watts maxi, prétextant par le sempiternel refrain, le manque de fréquences disponibles* dans la région! Alors, imaginez l’impact d’une Radio Solaris “bis”, vingt fois plus faible que son aïeule, cantonnée dans une zone de 5 kilomètres autour d’Yvetot ! Bye, bye les ami(e)s de Cany, Doudeville, Fontaine-le-Dun, Goderville, Luneray, Tôtes, Pont-Audemer et... Rouen. (snif !)

Retour en octobre 1988 : le journal municipal “Vivre à Yvetot” sous la plume de Gérard Jacquel, responsable de l’ex-émission du même nom, écrit un texte cinglant visant les dirigeants et animateurs de la radio :

 

De profundis

 

     Dans l’ignorance la plus totale, la radio locale du pays de Caux, “SOLARIS FM 99”, démarrée dès 81 par une poignée de passionnés dans une cave de la rue Guy de Maupassant, s’est éteinte, victime de ce qu’il est convenu d’appeler une longue maladie. Rongée par une gestion fantaisiste depuis plus d’un an et demi, la bonne volonté de certains n’a pas suffi devant l’implacable loi du marché. Gérer une radio demande énormément de rigueur, faire de la radio demande du professionnalisme, toutes choses qui, ces derniers temps, auprès des responsables de l’antenne ne dépassaient guère le niveau des intentions. Et la parenthèse “Pulsion FM 99 “ - courte rémission de 60 jours environ - n’a pu, à elle seule, relever le lourd passif de “SOLARIS” agonisante. Qu’à cela ne tienne, plusieurs projets, très différents par la taille et par la conception, semblent se profiler. Espérons seulement que seuls aboutissent ceux qui continueront d’offrir un espace d’expression radiophonique au pays de Caux. “La radio est morte, vive la radio!”

     Rappelez-vous, 9 novembre 1981 ! Le pays de Caux avait sa radio et, comme pour forcer le destin météorologique de la région, elle prenait pour nom “SOLARIS”. Rappelez-vous, à cette époque, il y a à peine sept ans, il n’était question que de casser le monopole de radiodiffusion, il n’était question que de nouveaux espaces de liberté, de communication... de convivialité. Et, grâce à une poignée de “radioteurs” un peu fous, installés au fond d’une cave, Yvetot pouvait s’enorgueillir de posséder, comme les grands, sa radio, œuvre de douze animateurs bénévoles qui, dès le 16 novembre 81, émettaient de 17h à 20 h d’abord, puis de 6 h à 24 h quelques mois plus tard. Le virus de la “radio libre” venait de gagner la capitale du pays de Caux, avant même la légalisation officielle. Peu importe, le vent était portant et l’onde de “SOLARIS” rayonnait joyeusement alentour, permettant à la station de se tailler un joli succès d’estime tout en renouant avec l’esprit d’illustres prédécesseurs qui avaient animé, jusqu’en 1939, depuis l’antenne de Louvetot : Radio Normandie. Les anciens étaient “vengés”, le Caux Central retrouvait son expression.                                     

     Le temps des découvertes passé, il fallut songer à répondre à la demande, à satisfaire au mieux l’auditeur, à lutter contre la concurrence et de partout des voix se faisaient entendre avec de puissants moyens à faire       frémir la sympathique équipe du conseil d’administration. Bref, l’heure de la gestion sonnait avec son implacable logique qui tenait en deux mots : dépenses, recettes. Mais la station sut faire face, sut introduire la publicité, sut maintenir bon le cap en sauvegardant l’originalité d’une station locale, en prise avec la vie locale, bref une mission de service public en quelque sorte.

     Puis dans le courant 86, grisée peut-être par une expansion indéniable et une comptabilité largement excédentaire, l’équipe en place, dans un souci louable de professionnalisme, a certainement mené une “politique trop dispendieuse” pour les potentialités financières de la station et, dès l’été 87, de gros cumulus, annonciateurs d’orages dévastateurs, voilaient le rayonnement de “SOLARIS”. La dépression s’est rapidement abattue, personne n’était de taille pour lutter contre les éléments. Seule la fuite a paru être la solution. Las, comme l’hirondelle ne fait pas, le printemps, le changement de patronyme à lui seul ne suffit pas pour faire une bonne radio. L’interlude “PULSION FM” n’a rien réglé et, le 6 juillet, au pied de l’antenne rue des Victoires, il ne restait qu’un peu de matériel déclassé, quelques cœurs gros et le lourd silence dans la nuit. Cette radio née dans l’explosion de fièvre des années 80 s’est tue dans l’ignorance et l’indifférence générales. La radio demande de la rigueur, du professionnalisme, de l’imagination. Une radio de pays doit avant tout écouter battre son cœur avant d’essayer de “singer” quelques gloires régionales. Pour ne pas avoir su marquer sa différence, radio “SOLARIS” a perdu son âme puis naturellement ensuite son corps !       

 

Gérard Jacquel  "Vivre à Yvetot" ©

 

Les propos ci-dessus sont sévères, durs à entendre, même s’ils sont justes forcément. Cet édito paru dans le bulletin municipal d’Yvetot, dénonce le manque de rigueur de gestion et l’absence de professionnalisme de la part des responsables de la radio. Pourtant, c’est trop facile à dire : cette vérité assénée comme un coup de massue, passe mal auprès des fondateurs de Solaris ! Que pouvions-nous faire confrontés à l’Administration obtuse et ses menaces permanentes... De plus, notre hobby transformé du jour au lendemain en véritable entreprise commerciale, nous a échappés, personne n’étant disponible 24/24 pour gérer une station située à des dizaines de kilomètres de nos vies professionnelles et familiales. C’était un handicap pressenti dès les premiers jours, sans oublier les tracas rencontrés sur place par une équipe de permanents plus ou moins expérimentés et de bénévoles livrés à eux-mêmes. L’expérience de l’animation était mince pour les    dernières recrues embarquées. La démission (ou la destitution) de présentateurs chevronnés plus aguerris par le micro ne facilitait pas l’apprentissage et l’entraînement requis pour un job qui ne ressemblait plus à un passe-temps d’oisifs du week-end ! De plus, chez les animateurs fraîchement embrigadés, l’univers de la radio et la pratique de l’animation se résumaient à ce qu’ils avaient entendu faire chez les stations concurrentes, qu’ils se contentaient de reproduire avec plus ou moins de succès. Cela donnait un fort côté amateur que nous déplorions de “sous-versions RVS”, complètement dépourvues d’originalité, juste limitées à donner l’heure constamment après chaque disque ou se contenter de citer le titre et le nom de l’interprète sans jamais extérioriser le moindre entrain. Ils ignoraient tout d’un métier - et pourquoi ne pas dire, “un art” - qu’ils exerçaient et découvraient plus par opportunité que par réelle passion.

 

NB : “La radio demande de la rigueur, du professionnalisme, de l’imagination. Une radio de pays doit avant tout écouter battre son cœur avant d’essayer de “singer” quelques gloires régionales”. 

G.J. -  De Profundis - "Vivre à Yvetot" ©

 

Parlons aussi du mutisme dont ont fait preuve nos élus locaux qui n’étaient ni aveugles ni sourds aux difficultés rencontrées par la station. Tout le monde savait. Etait-ce un manque de volonté, ou de l’attentisme? Toutes les communes du pays de Caux, les services culturels, les artistes locaux qui avaient su profiter de la radio en des temps meilleurs, sont restés muets et témoins impassibles. Les chanteurs et les groupes musicaux haut-normands ont vite oublié le concert de soutien à la station auquel ils avaient participé bénévolement le dimanche 3 janvier 1982 à Fécamp.

 

Le 8 octobre 1988, à la rumeur qui l’accuse de sa disparition, Anne    Chevalier, l’ultime présidente de l’Association Solaris (quel rôle veut-elle encore jouer à cet instant ?) réapparaît au premier plan dans un article hallucinant du Courrier Cauchois où elle déclare avoir trouvé un pige... pardon, un partenaire financier qui consent à apurer la dette faramineuse de 550.000 francs [= 139 000 € actuels]. Absolument splendide!

Des affabulations prédisent le retour de... Solaris (?)

 

Selon l’article, l’antenne sera démontée, les studios seront déménagés à Yerville (10 km à l’est d’Yvetot) et, surprise : les émissions vont reprendre en novembre 1988. Le journal sûr de lui-même, l’affirme :

“... qu’il est donc totalement faux de prétendre que Madame A.C. a disparu. Elle fait front, ne cherche pas à fuir ses responsabilités et assure la sauvegarde de Solaris (on oublie Pulsion ?) et de sa fréquence...”

 

Ouf ! Au moins, nous voilà rassurés sur ce point ! C’est vrai on s’imaginait quelques manigances supplémentaires... évidemment, si les émissions reprennent en novembre 1988 - par miracle - comme il l’écrit, le journal omet juste de préciser que cela ne se fera jamais avec le nom de “Solaris”, ni celui de l’éphémère “Pulsion FM” dont on ne parle plus, car enfin...Mais, on vous laisse réfléchir un instant !

 

 

Novembre 1988, l’eussiez-vous cru ? SILENCETOTAL ! L’espoir s’est envolé. En guise d’alouettes, ce sont des vautours qui voltigent au-dessus de nos têtes. Et le dépeçage de la bête encore fumante va commencer.

 

Pour la première fois, l’anniversaire de la station - le septième - ce 16 novembre 1988 n’est pas fêté, décence oblige. Le retour manqué des émissions dont on nous a fait miroiter la reprise, n’augure rien de bon. Derrière la volonté d’éponger les dettes, il s’agit selon l’autorité de justice, de récupérer un maximum de fonds, puisqu’il faut bien en arriver là, en bradant le matériel technique* de la station aux enchères.

 

* Rappel : la plupart de ce matériel provenait de “dons” des membres ! (voir p.354)

Dans le pays de Caux, c’est une coutume quasi-ancestrale, chaque fin de semaine. Pourtant cette fois-ci, ceux qui épluchent scrupuleusement leur hebdomadaire local de la première à la dernière page incluse, assis comme il se doit au bout de la table de cuisine, le dos tourné vers le poêle (du vécu !), sont stupéfaits de découvrir et de lire l’encart reproduit ci-dessous. Ce sera d’ailleurs l’occasion de citer une dernière fois le nom de Radio Solaris dans les colonnes du Courrier Cauchois mais cette fois-ci en queue de journal, juste avant le sport (enfin, quand même!) dans la rubrique des annonces légales. Par tradition, l’endroit n’est pas très exaltant. Cependant l’annonce tant redoutée flashe sous nos yeux et nous assène une grande claque au visage. Honte suprême, déception humiliante pour tous les “pionniers” de la radio, elle nous nargue au bas de la grande page. Fascinés, nous ne voyons plus qu’elle:

Boire la coupe jusqu’à la lie, rien ne nous sera épargné ! étonnamment peu de gens l’ont aperçue : cette annonce dans le journal est pourtant le coup de maillet définitif de l’autorité de Justice, redouté par les fans de la station qui espéraient l’hypothétique retour, comme on nous l’avait laissé entrevoir dans les déclarations fallacieuses du 8 octobre. Naïfs, embobinés une fois de plus que nous sommes ! Puisqu’on vous le dit :

 

Radio Solaris ne reviendra plus...

c’est  Ter - Mi - Né   ! ! !

 

Notre matériel, tous nos disques personnels, fruits d’efforts financiers depuis vingt ans (de 1960 à 1980), sont jetés en pâture et vendus aux enchères. Les heureux acquéreurs exultent, vous pensez ! D’ailleurs, il n’y a que du beau monde présent à la salle des ventes, ce jour-là...

 

Toutefois, en lisant et relisant compulsivement la liste de ce modeste inventaire, c’est curieux, vous ne trouvez pas que l’énumération de matériel semble bien restreinte ? Il manque pas mal de trucs qui faisaient tourner notre radio. Excusez du peu : on ne retrouve même pas l’inutile et coûteux système d’alarme. De même, “l’arbre de noël” (baptisé ainsi par Bruno), brille par son absence : ce fameux limiteur-compresseur, filtre actif BSS VZ20, pour lequel des gogos de la farce continuent pour un bon moment encore, de rembourser les échéances de prêt impayé (20000F)... Et l’emprunt pour le sublime émetteur Itelco, où en est-on? Combien de mensualités reste-t-il à honorer sur les 150 000 F initiaux? Combien y-a-t-il eu de prêts et de cautions associées pour acquérir tout cet arsenal ! Avec le recul des années, il faut le reconnaître, les banques yvetotaises étaient prospères du temps de Solaris, une époque bénie qu’elles doivent regretter avec nostalgie. On peut le dire, à notre manière, nous boostions l’économie locale! C’est sûr, des clients ingénus à ce point, on les choie!

 

Étonnant tout de même, ce pimpant matériel, objet de tant d’attentions,     a disparu de la scène et échappé à la grande braderie du 26 novembre 1988. Qu’est-ce que cela veut dire ? Rassurez-vous, rien n’est perdu. Pas besoin de réfléchir trop longtemps. Qu’on se rappelle, cet équipement habilement soustrait des enchères, avait été dissimulé à l’abri des convoitises, sans doute parce qu’il faisait l’objet justement de tous ces prêts cautionnés en cours. De toute évidence, ce matériel mis de côté par précaution, a pu être redistribué gracieusement entre gens de bonne compagnie, une fois la dissolution de l’association Pulsion prononcée et le calme revenu, pour rejoindre un autre... “Horizon” enchanté ! (jeu de mot en référence à une rumeur persistante du moment - NdA) Bref, un entre soi dont les salariés floués et les membres endettés de l’ancienne association Solaris ont amèrement regretté d’être écartés!

 

Alors, un doute m’assaille subitement, après avoir tapoté les quelques lignes ci-dessus : pour éliminer purement et simplement par tous les moyens possibles et inimaginables, une radio locale gênante, pourquoi ne pas affirmer “la radio de trop” dans le paysage audiovisuel haut-normand : “détourner” des sommes massives de sa trésorerie pendant “x” mois, licencier abusivement ses collaborateurs gênants l’un après l’autre, éloigner ses membres fondateurs encore présents, créer un climat de défiance parmi le personnel, provoquer la rupture d’un partenariat décisif avec l’Association Cumulus Fécamp (le coup de grâce)... et ainsi avoir les coudées franches, une fois la station réduite au silence, pour faire main basse sur son matériel...N’est-ce pas là une machination infernale combinée et savamment orchestrée dès le début de l’été 1987?

Le délire m’égare affirmeront certains...

 

Toutefois, la lecture du Journal Officiel du 7.12.1988 nous apprend une bien curieuse révélation :

A ce propos, notre ami Rod nous fait remarquer : «Sauf erreur, il n’y a eu aucune trace publiée à ce jour, d’une quelconque dissolution de cette association “Radio Solaris” qui existe toujours légalement !»

Surprenant tout de même, une association qui change de titre et d'adresse sans la moindre réunion de son bureau ??? Pourquoi adopter une telle stratégie et dans quels buts est-ce nécessaire de prolonger cette perpétuité pour une radio “fantôme” ? Existe-t-il encore des projets de sauvetage de la station, ou bien s’agit-il d’empêcher la résurgence possible d’une (nouvelle) station au nom de “Radio Solaris” par une éventuelle équipe dissidente ?

 

Mystère. Alors, restons attentifs...

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 1989 

et plus...

 

 

 

 

Des nouvelles de l’émetteur ?

 

Il y a tout de même un bout d’explication sur le destin de notre “trésor” : tout ne s’est pas passé comme prévu avec le repreneur début 1989. Selon divers témoignages, l’émetteur Itelco de Radio Solaris n’a pas supporté son ultime déménagement vers le château d’eau d’Ancretiéville-Saint-Victor (à 16 kilomètres à l’est d’Yvetot), le nouveau site d’émission envisagé. A-t-il été réinstallé précipitamment en ces lieux ou manipulé par des mains inexpertes ? Il le semblerait... Quoi qu’il en soit, dès sa remise sous tension pour relayer une certaine “Radio Service”, on imagine après six mois d’abstinence, l’émetteur figé ne semble plus du tout réagir, plongé dans une profonde léthargie d’où il ne peut se réveiller, comme la Belle au Bois dormant ! L’hibernation forcée rend l’électronique “paresseuse et capricieuse”. Et là, c’est pas la ouate!  < allusion à "C'est la ouate" de Caroline Loeb sorti en 1986.
 

Toutefois pour le bouquet final de cette histoire et la beauté de cette tragédie, on aurait préféré décrire ici une fin de règne plus glorifiante, avec beaucoup de panache, comme l’apparition d’un énorme flash bleuté ou une nuée d’étincelles, accompagnés d’un significatif claquement de pétard retentissant (condensateurs qui explosent), immédiatement suivi d’une projection de fumée noire à l’odeur âcre ! Forcément, tous ces phénomènes physiques sont étroitement liés en pareil cas. Bref, le pauvre émetteur “aurait” (conditionnel !) purement et simplement rendu son dernier souffle à cet instant, comme si cette machine dotée d’une âme, ne souhaitait voir circuler dans ces modules que les programmes ébouriffants de Solaris, à l’exclusion d’autres guimauves FM issues on ne sait d’où, qu’on lui destinait ! Le providentiel court-circuit interne, qui sait, œuvre anonyme d’une main experte, a (aurait) forcé le destin juste avant le retour sur scène, on dirait? Pas de veine ! Si cette version des faits se confirme, alors la question se pose: qui a osé ?... Eh oui, pour qu’on le félicite ! Depuis des mois, il faut le reconnaître, la malchance ne nous a pas épargnés. Enfin, on peut le dire, il semble y avoir une justice ! S’il s’agit d’une défaillance matérielle due à une erreur de manipulation ou d’un sabotage volontaire, le résultat inespéré est le même ! Ce n’est pas de l’égoïsme de le dire, vous le comprenez bien. Savoir que cet émetteur, l’âme de Solaris, ne sera plus entendu et utilisé par quiconque est une triste consolation. être certains qu’après nous, aucun réseau FM ici ou ailleurs, ne puisse profiter indûment de ce matériel est un soulagement, une conclusion supportable et une fin de tragédie moins pénible. C’est terminé pour lui comme s’est achevée l’aventure pour nous. Et puis, n’est-ce pas le dénouement qu’espéraient intimement tous ceux qui ont consacré huit années de leur vie, en vain, à cette radio locale?

 

Rajout en 2024 : la rumeur du “bricolage” de l’émetteur avant son exil pour Ancretiéville afin qu’il “explose” dès sa remise en route dans d’autres mains, s’est estompée avec le récent témoignage recueilli auprès de Daniel Verdière - notre technicien - qui a dit "Les gars de Radio Service ont dû faire les c... en le rallumant, c'est pas normal qu'il ait grillé"! Voilà qui clarifie un peu le mystère planant sur la fin tragique de notre émetteur fétiche.



Fin du démantèlement
 

Jeudi 12 janvier 1989, l’animation règne dans la rue des Victoires, bien mal nommée en ce jour funeste. Une grue de 50 tonnes vient d’investir le quartier et crée l’événement de la journée. Après quelques manœuvres délicates dans la contre-allée, l’engin déploie sa flèche de 47 mètres et s’apprête à cueillir le pylône symbolique, planté au sommet de l’immeuble depuis sept années. L’état de corrosion avancée de l’antenne ne permet pas une dépose en toute sécurité, élément par élément comme aux joyeuses heures de la construction où nous suivions d’en bas et en pleine extase, la lente progression du Méccano géant. Aujourd’hui, c’est d’un seul tenant que le dernier témoin visuel de la belle aventure est soulevé du sommet de l’immeuble avant de disparaître définitivement au regard des Cauchois. “Cette fois, c’est la fin” s’écrie un passant, “Yvetot vient de perdre sa radio !” Espérait-il, lui aussi, le miracle de dernière minute?

 

Sept années d’averses, de giboulées, de précipitations, de crachin, de brouillards givrants, de coups de vent rageurs, de violentes tempêtes, de coups de foudre destructeurs et d’hivers sans fin, laissent apparaître de nombreuses traces de rouille. Le pylône doit néanmoins resservir comme relais éphémère d’une certaine “Radio Service” qui souhaite l’ériger au sommet du château d’eau d’Ancretiéville-Saint-Victor, avec la ferme intention d’arroser de nouveau le pays de Caux.

 

NB : le 1.12.2005, nous avons reçu un message de Bruno Gilbert   qui donne quelques infos supplémentaires à propos de la mise en exploitation début 1989, depuis ce château d’eau, du relais de       “Radio Service”, la station à laquelle notre ami a participé, avant de rejoindre RVS à Rouen et ensuite le Groupe NRJ à Paris :

 

“... Après mon départ en 1986, je ne savais pas ce qui s’était passé en détail à Solaris et ce qui en provoqua le déclin si rapide... et la démotivation de quasiment toute l’équipe... J’avais des échos par mon ami de toujours, Philippe Thomas, mais j’étais sur Dieppe FM et pensais déjà à évoluer au niveau national. Merci Jean-Claude de toutes ces précisions!

 

J’ai participé au démontage du pylône rue des Victoires : J’étais alors sur “Radio Service” et j’étais avec Patrice Toussaint, technicien hors pair de cette station rouennaise, pour l’assister lors de ce démontage “casse-gueule” au début 89 !

Une fois l’opération terminée, il fallait tout remonter sur le château d’eau d’Ancrétieville-St-Victor, près de Yerville ! Je me vois encore aller chercher les clés du dit château d’eau à la Mairie de Yerville pour y retrouver Patrice et quelques animateurs de Radio Service Rouen afin d’installer émetteur et dipôles en pleine campagne ! C’est à ma demande que les dipôles furent orientés sur Saint-Valery-en-Caux où j’habitais à l’époque afin de recevoir plein pot Radio Service où j’animais le 21h-1h du matin pour les “disques à la demande”! Je captais un max la radio sur les 99 FM de l’ex-Solaris!... et avec une stéréo d’enfer !

Je pourrais raconter un paquet d’anecdotes sur ce démontage-remontage plus que folklorique avec cet émetteur capricieux qui n’a jamais voulu marcher !

Il a fallu démonter le 1 kW de Radio Service sur le site de Canteleu en plein après-midi pour le remonter une heure plus tard à Ancretiéville Saint-Victor. Il m’arrive d’aller m’y perdre de temps en temps et de m’arrêter au pied de ce château d’eau que j’ai escaladé un paquet de fois... jusqu’à mon arrivée sur RVS fin août 89... Mais c’est une autre histoire !”

 

Bruno Gilbert  (1.12.2005)

 

 

Epilogue

 

Dur de terminer cette histoire ! Il resterait tant à dire pour comprendre les raisons d’un tel fiasco. Sans surprise, les témoignages et anecdotes des “ex-Solaris” se sont taris ! Je le regrette. Amnésie collective? (Si ça se trouve, on aurait pu doubler notre nombre de pages ! ) Les années n’ont pas effacé les plaies et les rancœurs accumulées au cours des derniers mois d’existence de la station. Compte tenu de ce contexte, était-ce une si bonne idée de consacrer un livre à Radio Solaris qui a tout de même été notre “première station de proximité” en pays de Caux depuis la grande époque de Radio Normandie et à ce jour, l’unique occasion pour la ville d’Yvetot de briller et de se différencier grâce à SA radio locale indépendante !

Au-delà des fabuleux souvenirs d’antenne que ces pages pourront inspirer malgré tout, même s’il ne s’agit plus que de rêves envolés, fallait-il révéler publiquement les aspects cachés peu reluisants, liés à cette aventure : la mésentente, la gestion inconséquente, les abus de confiance, les malversations financières perpétrées entre “amis”, etc qui ont sciemment précipité la fin de notre odyssée cauchoise? Pourquoi ternir davantage la légende de Radio Solaris ? A quoi bon ressasser une nostalgie inutile après tant d’années écoulées ? D’ailleurs, certains avaient cru à une provocation de ma part en découvrant le site internet consacré à la station. D’autres voix plus proches se sont “étonnées” - le mot est faible! - de cette initiative personnelle et pire, n’ont pas compris mon excès de complaisance (ou d’animosité?) à l’égard des ex-compagnons embarqués dans cette entreprise :
“Il y a un écart entre une personne qui ne vient que le week-end, n’entend qu’un seul son de cloche et une autre qui travaille ici tous les jours” m’a fait remarquer Pierre.

NdA : dans cette “Histoire d’une radio libre...”, j’ai rapporté ce que j’ai ressenti à l’écoute de Radio Solaris et décrit l’ambiance perçue en venant une à deux fois par semaine à Yvetot, avant de prendre place devant le micro, avec enthousiasme forcément. Ce récit est ma version. Pour les faits déroulés hors de ma présence, encore une fois, je laisse à ceux qui les ont vécus, le soin de réagir, de rectifier ou de compléter le cas échéant (via le blog du site), et de nous fournir les autres “sons de cloche” de cette histoire, s’ils ou elles le veulent, évidemment !(jcd)

 

Qu’importe. Il fallait écrire ceci avant que tout ne s’efface de nos mémoires, marquer cette histoire et empêcher la radio de sombrer irrémédiablement dans l’oubli collectif qui la menaçait dès sa disparition. Bien qu’elle ne puisse plus jamais émettre, je souhaitais qu’elle reste présente à travers son cortège de souvenirs sonores et sa galerie de personnages, malgré sa trop brève existence, qu’elle continue de résonner dans la tête des Cauchois qui l’ont entendue et appréciée durant ces belles années 80. Sous une forme virtuelle, Radio Solaris peut ainsi prendre sa revanche et continuer de briller. 

 

Quel auditeur, quelle auditrice assidu(e) n’a pas éprouvé un pincement au cœur en réentendant un jour : Jeanne Mas “En rouge et noir”, Ken Laszlo “To Night”, Rose Laurens “Quand tu pars”, Paul Young “Come back and stay”, Ryan Paris “Dolce Vita”, Talk Talk “It’s my life”, Laura Branigan “Self Control”, Nik Kershaw “Wouldn't It Be Good”, Scotch “Take me up”... liés pour toujours à la légende de Radio Solaris. Notre devise “Le soleil dans la tête” symbolisait un flot continu de musique ensorcelante jamais étouffée par le papotage non stop, la plaie des radios actuelles. “Jamais plus d’une minute avant le disque suivant” aurait pu faire les paroles d’un ultime jingle et un second slogan de ralliement. 

 

Cette fois, il faut vraiment conclure...

 

 

 

Novembre 2001, le moral est à l’image de la grisaille ambiante. Le ciel est bas, incertain, plombé on va dire. Tiens, n’est-ce pas le même décor qu’au premier jour ? Ailleurs en France et particulièrement à Paris, impossible de le rater, les médias, la presse écrite célèbrent avec faste le “20e Anniversaire des Radios Libres” à grand renfort de souvenirs élogieux et d’anecdotes surannées évoquant pour les anciens “radioteurs”, l’avènement de la “Liberté et du Progrès”! Loin des réjouissances et des grands discours, qu’en est-il en pays de Caux ? Pfff, indifférence cauchoise ou plus de coeur à la fête, la résignation force à la retenue. Ici, question radio charismatique, désormais c’est peanuts et clopinettes, la “vacuité hertzienne sidérale” !Alors, se réjouir de quoi? Avouez-le, il serait très absurde, cynique même, de commémorer... l’inexistence de la moindre radio locale à Yvetot ! Un poète célèbre l’a écrit: “Les douleurs les plus terribles sont les douleurs muettes”.

 

Récemment, me retrouvant de passage non loin du quartier de nos premiers exploits, j’imagine au fond de notre sous-sol, d’autres cartons empilés dans la pénombre, en pleine hibernation. Cette fois, ni refrains, ni éclats de voix ne       traversent le soupirail d’où jaillissait effrontément notre câble d’antenne, tel un diable surgissant de sa boîte. Au même moment, sur la bande FM, le souffle nostalgique et les bribes de stations lointaines squattent notre vieil ancrage “99” abandonné. Après 2419 jours de musique ininterrompue, le silence recouvre la plaine cauchoise. Un peu, on serait tenté de s’excuser : “Désolé pour la panne. On reviendra un jour, il suffit d’être patient !” Allons donc, après tant d’années, qui sera dupe une fois de plus ? Chacun l’a compris, un long silence à la radio n’est juste qu’un “blanc” qui commence !

 

Jean-Claude Dumenil

 

“Le blanc sonne comme un silence, un rien avant tout commencement.”  (Vassily Kandinsky)

 

                                    F I N

 

© radiosolaris.free.fr  2001

 

 

 

 

Renseignements complémentaires sur Radio Solaris

Emplacement de l’émetteur et du pylône d’émission du 18.01.1982 au 12.01.1989 :

Latitude  : 49° 37’ 04.16” Nord  -  Longitude : 0° 45’ 10.34” Est  -  Altitude : 149 m +35m

 

Adresses successives utilisées par la station à Yvetot (76190)

 

l Du 16.11.81 au 17.01.82 :  le premier studio de Radio Solaris est installé de façon provisoire au 3 rue Guy de Maupassant (Yvetot) dans le sous-sol d’un commerce d’électro-ménager, pendant huit semaines.

l Du 18.01.82 au 14.06.84 : un studio est agencé dans un appartement F2 au 20 rue des Victoires. Le toit de l’immeuble supporte le pylône d’émission. A noter : l’émetteur et l’antenne occuperont ces lieux jusqu’au 12 janvier 1989.

l Du 15.06.84 au 30.04.88 : la radio investit le 6 rue Pierre et Marie Curie.

l La dernière domiciliation, 13 rue du Calvaire, est utilisée très peu de temps en mai-juin 1988, la radio est devenue entretemps "Pulsion FM".

 

 

Fréquences & Puissances utilisées

 

Périodes                Fréq        Emetteur+Ampli HF      Puiss(1)     Antennes (alt. 185 m)

 

16.11.81 - 23.03.82     101 MHz     Elecktro-Elco          100 W        ant. 2 dipôles > posée le 16.11.81

23.03.82 - 2.07.82      101 MHz     E°-Elco + Microset     400 W        ant. 2 dipôles

2.07.82 - 18.08.84      101 MHz     E°-Elco + Microset     400 W        ant. 4 dipôles > posée le 2.07.82

18.08.84 - 17.10.84     88.6 MHz    Itelco               1 000 W (2)    ant. 4 dipôles

17.10.84 - mi-08.88     99 MHz      Itelco               1 000 W (2)    ant. 4 dipôles > déposée le 12.01.89

 

(1) La puissance indiquée est la puissance nominale de l’émetteur (et non la PAR - Puissance Apparente Rayonnée, beaucoup plus importante en fonction du gain de l’antenne, etc...)

(2) Le cahier des charges n’autorisait qu’une PAR à 500 W sous certaines conditions !

 

Les dipôles d’antenne étaient orientés plein nord-ouest, censés privilégier l’axe Fécamp-Goderville. Néanmoins, la propagation plus ou moins omnidirectionnelle couvrait confortablement la plus grande partie du plateau de Caux, sauf le fond de certaines vallées encaissées, les parties en bordure de Seine au sud ou au pied des falaises au nord (Fécamp, Saint-Valéry...)

Pour anecdote, l’onde de Solaris était perçue au sud jusqu’à Brionne et Bernay; à l’est jusqu’à La Feuillie (sur la RN30), Argueil et les hauteurs de Neufchâtel (excepté le centre-ville) ; au nord, aux abords de Dieppe et épisodiquement sur la côte sud de l’Angleterre (Eastbourne, Hastings) ; à l’ouest aux abords de Caen et la côte est du Cotentin. La qualité de la réception variait fortement en fonction du relief et des conditions météos. Normalement, les performances dues à "l’hyper puissance" tant reprochée à notre station par TDF, ne peuvent plus se reproduire aujourd’hui avec les réseaux FM actuels (radios publiques exceptées), l’ARCOM (ex CSA) veille !

 

 

Nouveautés apparues en 1981 entendues

sur Radio Solaris (hors émissions thématiques)

( Liste non exhaustive - Classement par ordre alphabétique )

 

15,95 - Tokyo tot

9 Below zero - Don't Point Your Finger At The Guitar Man

ABC - Tears Are Not Enough

Alain Bashung - Aficionado

Alain Bashung - Vertige de l’Amour

Alain Chamfort - Bambou

Alain Chamfort - Laide, jolie laide

Alain Souchon - Somerset Maugham

Altered Images - I could be happy

Aneka - Japanese Boy

Angelo Branduardi - La musica

Anita Meyer - Why tell me, why

Barrabas - On the road again

BB & Q Band - On the beat

Bijou - Qu'on me foute la paix

Bijou - Rock à la radio

Bill Deraime - Demain peut-être

Billy Idol - Dancing with Myself

Blondie - Rapture

Blue Öyster Cult - Burnin’ for You

Boney M - Boonoonoonoos

Bruce Springsteen - Sherry darling

Buzy - Dyslexique

Buzy - Engrenage

Carol Jiani - Mercy

Celmar Engel - Le musicien qui restera toujours...

Chagrin d’Amour - Chacun fait ce qui lui plaît

Charlélie Couture - Oublier

Chas Jankel - Glad to know you

Christopher Cross - Arthur's theme (best that you can do)

Claude Nougaro - Le chat (The cat)

Comateens - The munsters theme

Daryl Hall & John Oates - I Can’t Go for That (No Can Do)

Daryl Hall & John Oates - Kiss On My List

David Bowie - Under Pressure

David Bowie - Wild is the wind

Debbie Harry - Backfired

Depeche Mode - Dreaming of me

Depeche Mode - Just can’t get enough

Depeche Mode - New Life

Diana Ross - Think I'm in love

Diana Ross - Why do fools fall in love

Dire Straits - Romeo and Juliet

Donald Byrd - Love has come around

Duran Duran - Girls on Film

Earth Wind & Fire - Boogie Wonderland

Earth Wind and Fire - Let’s Groove

Electric Light Orchestra - Hold On Tight

Eric Starck - Hay Pepito

Errol Dunkley - Ok Fred

Foreigner - Urgent

Foreigner - Waiting for a girl like you

France Gall - Résiste

France Gall - Tout pour la musique

Francis Cabrel - Répondez-moi

Freeez - Southern Freeez

Garland Jeffreys - Modern lovers

Generation 60 - Medley

Genesis - Abacab

Genesis - No reply at all

Gérard Blanchard - Rockamadour

Gino Soccio - Try it out

Girl School - Hit and run

Girl School - Tush

Grace Jones - I've seen that face before

Haircut 100 - Favourite Shirts (Boy Meets Girl)

Heaven 17 - Play To Win

Imagination - Body Talk

INXS - Stay Young

J.J. Lionel - La danse des canards

Jean Schulteis - Confidence pour Confidence

Jean-Jacques Goldman - Il suffira d’un signe

Jesse Green - 1, 2, 3, let's go

Jo Lemaire & Flouze - Je suis venue te dire que je m'en vais

Kat Mandu - I wanna dance

Kate Robbins - More than in love

Kim Carnes - Bette Davis Eyes

Kim Carnes - Draw of the cards

Kim Carnes - Miss you tonite

Kim Wilde - Chequered Love

Kim Wilde - Kids in America

Kim Wilde - Water on Glass

Klaus Nomi - You don't own me

Kool and the Gang - Take my heart

Kraftwerk - Pocket Calculator

Laurent Voulzy - Ricken

Les Nordistes - Arras (parodie sur l’air de «Dallas»)

Lesley Jayne - My isle of Wight

Lesley Jayne - Rocking with my radio

Level 42 - Theme to Margaret

Louis Chedid - Ainsi soit-il

Louis Chedid - Le rock du rocking-chair

Louis Chédid - Les horreurs du musée des horreurs

Loverboy - Working for the Weekend

Madleen Kane - You can

Madness - Grey day

Marianne Faithfull - Sweetheart

Martha and the Muffins - Swimming

Men at Work - Down Under

Men at Work - Who Can It Be Now ?

Michel Berger - Mademoiselle Chang

Mino - Les mocassins

Moon Martin - Bad News

Motörhead - Overkill (live in England)

Nine below zero - Three times enough

Odissey - Going back to my roots

Olivia Newton-John - Physical

Orchestral Manoeuvres in the Dark - Joan of Arc

Orchestral Manoeuvres in the Dark - Souvenir

Pat Benatar - Hard to believe

Pat Benatar - Promises in the dark

Patrick Coutin - J’aime regarder les Filles

Ph.D. - I won’t let you down

Phil Collins - In the Air Tonight

Philippe Timsit - Henri Porte des Lilas

Pino d'Angio - Una notte da impazzire

Président Rosko - CB wrapper

Quarterflash - Harden my heart

Quarterflash - Valerie

Quaterflash - Harden My Heart

Queen & David Bowie - Under pressure

Quincy Jones - Ai no corrida

Renaud - J'ai raté Télé-foot

Renaud - Le Pere Noel noir

Rex Smith - Rock me slowly

Ricchi e Poveri - Made in Italy

Richard Gotainer - Le Sampa

Rick Springsfield - Jessie's Girl

Robert Charlebois - Pobre Julio

Rockin' Chair - Six jours sur la route

Rod Stewart - Tonight I'm Yours

Roxy Music - Jealous Guy

Sammy Hagar - I'll fall in Love again

Santana - American Gypsy

Santana - I love you much too much

Saxon - Never surrender

Saxon - Princess of the Night

Saxon - Rough and ready

Shakin' Stevens - You drive me crazy

Sheena Easton - Morning Train

Sheena Easton - You could have been with me

Sky - Moonroof

Soft Cell - Tainted Love

Spandau Ballet - Paint Me Down

Stanley Clarke & George Duke - Wild dog

Starshooter - La course

Stevie Nicks - Stop draggin' my heart around

Stiff Little Finger - Go for it

Stray Cats - Rock this town

Stray Cats - Stray cat strut

Sugar Hill Gang - Apache

Tears for Fears - Suffer The Children

The Bee Gees - He's a liar

The Clash - The Magnificent Seven

The Clash - This is Radio Clash

The Cure - Charlotte Sometimes

The Cure - Faith

The Flying Lizards - Lovers and other Strangers

The Gogo’s - Our lips are sealed

The Gogo’s - We got the Beat

The Human League - Don’t You Want Me

The Jacksons - Shake your Body

The Pointer Sisters - Slow Hand

The Police - De Do Do Do De Da Da Da

The Police - Demolition man

The Police - Everything she does is magic

The Police - Rehumanise yourself

The Police - Spirits in the Material World

The Police - Too much information

The Pretenders - Day after day

The Pretenders - I go to sleep

The Pretenders - Pack it up

The Ramones - We want the airwaves

The Rolling Stones - Start me up

Tom Tom Club - Booming and zooming

Tom Tom Club - Wordy Rappinghood

Toyah - Thunder in the mountains

Tri Yann - Kan an kann

Trust - Certitude... solitude...

Two Man Sound - Capital Tropical

UB40 - Don't slow down

UB40 - One in ten

UB40 - Present Arms

Ultravox - The Thin Wall

Ultravox - The Voice

Ultravox - Vienna

Vagues, RS Marty Balin - Hearts

Visage - Fade to Grey

Warning - Tel que tu l'imaginais

Weekend Millionnaire - Pars

Whitesnake - Would I lie to you

Your music Quarterflash - Harden my heart

Yves Montand - Battling Joe

Yves Montand - Le carrosse (live à l'Olympia 1981)

ZZ Top - I wanna drive you home

ZZ Top - Leila

ZZ Top - Tube snake boogie

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Nouveautés apparues en 1982 entendues

sur Radio Solaris (hors émissions thématiques)

( Liste non exhaustive - Classement par ordre alphabétique )

 

ABC - The Look of Love

Al Jarreau - Breakin’ Away

Alain Bashung - Lavabo

Alice Cooper - Vicious rumours

Alice Cooper - You look good in rags

Asia - Heat of the moment

Atlantic Starr - Circles

Atlantis - Keep on movin' and groovin'

Axe - Rock N Roll Party in the streets

Bananarama - Shy boy

Barry White - Change

Belle Stars - Sign of the times

Benoit Blue Boy - Dans la vie y'a pas qu'l'argent

Bernard Lavilliers - La complainte du progrès

Bill Baxter - Petit avec des grandes oreilles

Bill Deraime - S'coue toi

Blondie - Atomic

Blondie - Call me

Blondie - Dragon fly

Blondie - War child

B-Movie - Nowwhere Girl

Boys Town Gang - Can't take my eyes off you

Captain Sensible - Wot

Cassie - Vous

Celena Duncan - I want your love back

Chagrin d’amour - Fais le waou waou

Cheri - Murphy's law

Chris De Burgh - Don’t pay the Ferryman

Christopher Cross - Ride Like the Wind

Claire D'asta - Avec l'amour en plus

Clannad - Theme from Harry's game

Claude Nougaro - Cadencé

Cliff Richard - Little town

Cook da Books - Your Eyes

Crocodile Harris - Give me the good news

Culture Club - Do You Really Want to Hurt Me

D Train - Walk on by

D Train - You're the one for me

Daryl Hall & John Oates - Maneater

David Christie - Saddle up

Depeche Mode - See you

Depeche Mode - The Meaning of Love

Dexis Midnight Runners - Come on Eileen

Diana Ross - Muscles

Diane Dufresne - Oxygène

Diane Tell - Les trottoirs du boulevard St Laurent

Diane Tell - Si j’étais un homme

Dick Rivers - N'oublie pas tout (manquant)

Dionne Warwick - Hearthbreaker

Dire Straits - Industrial disease

Divine - Shoot your shot

Dogs - Shakin’ with Linda

Donald Fagen - New Frontier (The Nightfly)

Donald Fagen - The goodbye look

Donna Summer - Love is in control (finger on the trigger)

Dorothee - Hou la menteuse

Earth Wind & fire - Fall in love with me

Eddy Mitchell - Le cimetière des éléphants

Elegance - Vacances j'oublie tout

Elliott Murphy - Garden City

Elton John - Blue Eyes

Escarede - Felicie aussi (version disco-rap)

Etienne Daho - Le grand sommeil

Fabienne Thibeault - Secrétaire de star

Fad Gadget - For Whom The Bells Toll

Falco - Der Kommissar

Five Letters - You sky me

FR David - Don’t come easy

FR David - Words

Frida - I know there’s something going on

Gary Moore - Always Gonna Love You

Genesis - Paperlate

George Chandler - This could be the night

George Harrison - I really love you

Gibson Brothers - My heart's beating wild (tic tac tic tac)

Giorgio Moroder - Paul's theme

Grandmaster Flash & the furious five - The message

Haircut 100 - Love plus one

Henri Salvador - Syracuse

Herbert Leonard - Ca donne envie d'aimer

Hervé Christiani - Il est libre Max

Hervé Cristiani - Radio bonheur

Hervé Cristiani - Salve Regina

Hot Chocolate - It started with a Kiss

Huey Lewis & the News - Do you believe in Love

Idris Cheba - Le misunderstanding

Imagination - Just an Illusion

Imagination - Music and Light

Indochine - L'aventurier

Jacques Blanchard - Sa musique à elle

Jacques Dutronc - Savez vous planquer vos sous

Jan & Tina Provenzano - Hot blood

Janet Jackson - Young Love

Jean-Jacques Goldman - Au bout de mes rêves

Jean-Louis Mahjun - Un Homme sur deux

Jean-Louis Pick - Bocal à musique

Jean-Luc Lahaye - Femme que j'aime

Jean-Michel Jarre - Orient express

Jean-Noel Chaleat - Flash black

Jean-Patrick Capdevielle - Qu'est-ce qui va rester ?

Jim Cuomo (album - Jazz)

JJ Cale - City girls

JJ Cale - Does your Mama like to Reggae

Joan Jett and the Blackhearts - I Love Rock’n’Roll

Joe Cocker - Look what you've done

Joe Jackson - Breaking us in two

Joe Jackson - Cancer

Joelle - Aime-moi

Johnny Hallyday - Ave Maria

Johnny Hallyday - Mon Amerique à moi

Julien Clerc - Femmes... Je vous aime

Junior - Mama Used to Say

Kansas - Chasing shadows

Kansas - Play the game tonight

Kate Bush - Babooshka

Kate Bush - Ne t'enfuis pas

Katia - Ca danse boite à musique

Kenny Loggins - I gotta try

Kid Creole & the Coconuts - Annie, I’m not your Daddy

Kid Creole & the Coconuts - I'm a wonderful thing, Baby

Kim Carnes - Voyeur

Kim Wilde - Cambodia

Kim Wilde - View from a Bridge

Kinkina - Jungle Fever

Kiss - I love it loud

Kiss - No where to run

Kiss - War machine

Klaxon - La belle Allemande

Kool and The Gang - Let's go dancing (Ooh, la, la, la)

Kool and the Gang - Too Hot

Koxo - Step by step

La Compagnie Créole - C'est bon pour le moral

Laura Branigan - Gloria

Le Grand Cinéma - Fais-nous Tarzan

Led Zeppelin - Poor Tom

Led Zeppelin - We're gonna groove

Les Charlots - Chagrin d'labour

Les Coco Girls - Pour être un Co-co boy

Les Forbans - Yéyé

Les Revenants - Le twist des revenants

Lesley Jayne - Sailing away

Lili Drop - L'africaine

Lili Drop - Nippon glacé

Lili drop - Personne nous aura

Lime II - Babe, we're gonna love tonight

Lio - Mona Lisa

Little Bob Story - 10 million people in Paris

Little Bob Story - Get out of my way

Little Bob Story - Moving slowly in the dark

Little Bob Story - Play with fire

Little Bob Story - Remember

Lou Desesprits - Cocadeche

Louise Tucker - Midnight blue

Loverde - Die Hard lover

Madness - Our House

Madonna - Everybody

Manowar - Dark avenger

Marvin Gaye - Sexual healing

Material - I'm the one

Mauro Micheloni - Meglio un gelato

Meat Loaf - Peel out

Mel Brooks - It's Good To Be The King

Michael Franks - Jealousy

Michael Jackson - Beat it

Michael Jackson - P.Y.T. (Pretty Young Thing)

Michael Jackson - Thriller

Michel Jonasz - Lord have Mercy

Mickael Schenker group - Are you ready to rock ?

Mickael Schenker group - Searching for a reason

Mickey Jupp - Some people can’t dance

Midnight Oil - Power and the Passion

Mike Anthony - Why can't we live together

Mini Pop Kids - Stupid Cupid

Moon Martin - Firing line

Musical Youth - Pass the Dutchie

Nathalie Lhermitte - Il y a des jours comme ça

Neil Young - Little thing called love

Nick Straker Band - Straight Ahead

Nicolas Peyrac - Elle disait

Nicolas Peyrac - J'ai rêvé

Nicolas Peyrac - Mal au coeur

Nina Hagen - African Reggae

Olivia Newton-John - Xanadu

Orchestral Manoeuvres in the dark - Enola Gay

Pat Benatar - Heartbreaker

Patrick Coutin - Danse

Patrick Juvet - Du tac au tac

Paul McCartney & Stevie Wonder - Ebony and ivory

Paul Young - Love of the Common People

Peter Godwin - Emotional disguise

Phil Collins - Thru' these walls

Phil Collins - You Can’t Hurry Love

Phil Fearon & Galaxy - Head over heels

Pierre Parachini - La danse des petits chats

Pod' fleur - Ah l'argent

Positive noise - Get up and go

Queen - Another One Bites the Dust

Queen - Back shaft

Rettore - Kamikaze Rock’n’Roll Suicide

Richard Gotainer - Le Mambo du Décalco

Roxy Music - Avalon

Roxy Music - More than this

Roxy Music - My only love (live)

Sacha Distel - Ma femme

Santana - Hold on

Secret Service - Flash in the Night

Shakatak - Streetwalkin'

Shalamar - A Night to remember

Shalamar - I Can Make You Feel Good

Shirley Bassey - All by myself

Soft Cell - Say hello, wave goodbye

Soft Cell - What !

Sparks - I Predict

Sparks - When I’m with You

Status Quo - Caroline

Stella Maessen - Si tu aimes ma musique

Steve Miller Band - Abracadabra

Steve Miller Band - Keeps me wondering why

Steve Van Zandt - Under the gun

Steve Winwood - Valery

Stevie Wonder - Ebony Ivory

Sting - Roxane

Stray Cats - Little miss Prissy

Supertramp - Crazy

Supertramp - Don't leave me now

Supertramp - It’s Raining Again

Taco - Puttin’ on the Ritz

Talk Talk - Talk Talk

Taxi Girl (New York City)

Tears for Fears - Pale Shelter

Ted Nugent - We're gonna rock tonight

Telepathic - We are telepathic

Telephone - Cendrillon

The Alan Parsons Project - Eye in the sky

The Alan Parsons Project - Mammagamma instru)

The Buggles - Fade away

The Buggles - On TV

The Cure - One hundred years

The Disco Connection - Rock your baby

The Dogs - Poison town

The Human League - Mirror Man

The Human League - Only After Dark

The Jam - A Town Called Malice

The Jam - Running on the spot

The Maisonettes - Heartache avenue

The Mobiles - Skeleton dance

The Nitecaps - Give me one more chance

The Pointer Sisters - American music

The Pointer Sisters - I’m so excited

The Police - Don’t Stand So Close to Me

The Pretenders - Back on the chaingang

The Pretenders - Precious

The Rolling Stones - Under my thumb

The Scorpions - Can't live without you

The Scorpions - Dynamite

The Scorpions - No One Like You

The Steve Miller Band - Abracadabra

The Stranglers - Golden Brown

The Stranglers - Strange Little Girl

The Stranglers -The European Female

The Sugarhill Gang - Apache (Jump on it)

Third World - Low Key-Jammin'

Third World - Try Jah love

Tight Fit - The lion sleeps tonight

Tom Petty & the Heartbreakers - Finding out

Toto - Africa

Trust - Antisocial

Two Man Sound - Oye Miami

UB40 - Food for Thought

Ultravox - Reap the Wild Wind

Veronique et Davina - Gym tonic

Véronique Jannot - J'ai fait l'amour avec la mer

Vincent Malone - Margarete

Visage - The Damned don't cry

Whitesnake - Here I Go Again

Whodini - Magic's Wand

Winogradoff - Frappe à ta porte

Winogradoff - Rock russe

XTC - Senses Working Overtime

Y'aura toujours quelqu'un

Yazoo - Don’t Go

Yazoo - Situation

Yves Lecoq - Radio castagne

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Nouveautés apparues en 1983 entendues

sur Radio Solaris (hors émissions thématiques)

( Liste non exhaustive - Classement par ordre alphabétique )

 

Ainsi soit-il - Coucher avec vous

Alain Chamfort - Bons Baisers d’ici

Alain Chamfort - Sorcier

Alain Souchon - Les papas des bébés

Alain Souchon - Saute en l'air

Alec Mansion - Dans l'eau de Nice

Antirouille - Les Boîtes à musique

Asia - Eye to Eye

Axel Bauer - Cargo

Bananarama - Cruel Summer

Bandolero - Paris Latino

Barclay James Harvest - Just a day away

Barclay James Harvest - Looking from the Inside

Barclay James Harvest - Waiting for the right time

Bernard Arcadio - I love You

Bernard Lavilliers - Idées Noires

Bernard Lavilliers & Nicoletta - Idées noires

Billy Joël - Allentown

Billy Joel - Uptown Girl

Blanmange - Waves

Bonnie Tyler - Have you ever seen the rain

Bonnie Tyler - Total Eclipse of the Heart

British Colony - Have you ever seen me dancing

Buzy - Adrénaline

Buzy - Adrian

Carly Simon - Hello big Man

Catherine Lara - La rockeuse de diamants

Change - Magical night

Charades - Gimme the funk

Charlélie Couture - Local Rock

Charlélie Couture - Missipi dancing

Chic - Believer

Chilly - Goo goo eyes

Chris Rea - I can hear your Heartbeat

Christophe - Mon amie jalousie

Christophe - Succès fou

Christopher Cross - All Right

Claude Nougaro - Ami chemin

Club House - Do it Again - Billy Jean "medley"

Corinne Hermes - Si la vie est cadeau

Culture club - Church of the poison mind

Cyndi Lauper - Girls Just Want to Have Fun

Cyndi Loper - Time after time

David Bowie - China Girl

David Bowie - Let’s dance

David Bowie - Ricochet

Def Leppard - Photograph

Diana Ross - Love Will Make it Right

Diana Ross - Pieces of ice

Diane Tell - Souvent, longtemps, énormément

Dick Rivers - Restons amis

Dire Straits - Twisting by the Pool

Dominique Galopin - Pourquoi tu t’en vas ?

Donald Fagen - I.G.Y. What a beautiful World

Donna Summer - She works hard for the money

D-Train - The shadow of your smile

Eddie Grant - Electric Avenue

Edith Butler - A la claire fontaine

Elton John - I’m still standing

Eurythmics - Sweet Dreams (Are Made of This)

Eurythmics - Tous les garçons et les filles

Fiction Factory - Feels like heaven

Fonda Rae - Heobah

Forrest - Feel the need

Francis Cabrel - Quelqu'un de l'intérieur

Frank Stallone - Far from over

Frankie Goes to Hollywood - Relax

Freeez - I O U

Freur - Doot doot

Frida - Here we'll stay

Furyo - Forbidden colors

Ganaël - T’as le bon look

Gary Low - You are in Danger

Gazebo - I like Chopin

Gazebo - Lunatic

Genesis - Just a job to do

Genesis - Mama

Genesis - That's all

Gérard Presgurvic - Détective

Gilbert Montagné - On va s’aimer

Gloria Gaynor - I Am What I Am

Gloria Gaynor - More than enough (manquant)

Greg kihn band - Jeopardy

Heaven 17 - Let Me Go

Heaven 17 - Temptation

Herbie Hancock - Rockit

Hervé Cristiani - Voyageurs

Howard Jones - What Is Love?

Hubert-Félix Thiefaine - Lorelei Sebasto Cha

Imagination - Point of no return

Indeep - Last Night a D.J. saved my Life

Indochine - A l'est de Java

Indochine - Kao Bang

INXS - Original sin

Irene Cara - Flashdance

Irene Cara - What a Feeling

Irene Cara - Why me ?

Jackie Quartz - Juste une mise au point

Jackie Quartz - Mise au point

Jah Wobble - Hold on to your dreams (instrumental)

James Ingram - One more rhythm

James Ingram - Ya mo B there

James Ingram - Yah Mo Be There (Duo avec Michael McDonald)

Jean Schultheis - Je suis pervers

Jean-Baptiste Mondino - La Danse des Mots

Jean-Jacques Goldman - Comme toi

Jimmy Cliff - Reggae night

Jo Lebb - Faut qu'ça passe ou qu'ça casse

Joan Armatrading - Drop the pilot

John Miles - Take me to my heaven

Judas Priest - Freewheel Burning

Julien Clerc - Lili voulait aller danser

Junior Talker - Mr telephone man

Kajagoogoo - Too Shy

Kansas - Fight Fire with Fire

Katrina and the Waves - Que te quiero

Kenny Loggins - Heart to Heart

Kent - Long long long

Kid Creole & the Coconuts - The lifeboat party

Kim Wilde - Dancing in the dark

Kim Wilde - Love Blonde

Kiss - And on the 8th day

Kissing the pink - The last film

Kool and the gang - In the heart

Le Club - Un fait divers et rien de plus

Les Charlots - L’Aérobic

Les Désaxés - Juste 15 ans

Les Forbans - Demain je t'enlève

Level 42 - Can't walk you home

Level 42 - The Sun Goes Down (Livin’ It Up)

Little Bob Story - Too young to love me (they say

Louis Chedid - Dansez

Louise Portal - Marylin

Lucid Beausonge - Des mots qui me plaisent

Lucid Beausonge - Terre où aller

Madonna - Borderline

Madonna - Holiday

Madonna - Lucky Star

Malcolm Mc Laren - Buffalo Gals

Mama's Boys - In the heat of the night

Marianne Faithfull - Blue millionnaire

Marianne Faithfull - Falling from grace

Marie Eleonor - Haute fidélité

Matthew Wilder - Break My Stride (diffusion sur Solaris à confirmer ?)

Melba Moore - It's really love

Men At Work - Overkill

Men Without Hats - The Safety Dance

Michael Franks - Never say die

Michael Jackson - Billie Jean

Michael Sambello - Maniac

Michael Sambelo - The automatic man

Michel Berger - Les princes des villes

Michel Jonasz - Big Boss

Michel Jonasz - Minuit sonne

Mike Oldfield - Foreign Affair

Mike Oldfield - Moonlight Shadow

Molly hatchet - Fall of the peacemakers

Nena - 99 Luftballons

New Order - Blue Monday

Nik Kershaw - I Won’t Let The Sun Go Down On Me

Nile Rodgers - Beet

Nino Ferrer - Est-ce que mon cheval est une moto ?

Nino Ferrer - Rock 'n Roll cowboy

Odeurs - L'addition

Odeurs - Le cri du kangourou

Odeurs - Ma chanson est malade

Ofra Haza - Hi/ 'n

Ofra Haza - Va, va, va

Oliver Cheatham - Get down saturday night

One Two Three - Runaway

P. Lion - Happy children

Panic - Move your Body

Paris Latino - Bandolero

Pat Benatar - Love Is a Battlefield

Patrick Juvet - Getting to the Heart of me

Paul Anka - Gimme the word

Paul Personne - Ca va rouler ce soir

Paul Young - Come Back and Stay

Peter Allen - Not the boy next door

Phil Collins - I cannot believe it’s true

Pierre Akendengue - Epuguzu

Plastic Bertrand - Mon nez

Quarterflash - Take me to Heart

Reed Nielsen & Mark Pearson - Hasty Heart

Re-Flex - The Politics of Dancing

Regrets/Agathe - Je ne veux pas rentrer chez moi seule

Renaud - En cloque

Renaud - Morgane de toi

Richard Cocciante - Deux tickets

Rick Springfield - Living in Oz

Robert Plant - Big Log

Robert Plant - Horizontal Departure

Robin Gibb - Juliet

Rod Stewart - Baby Jane

Rod Stewart - What Am I Gonna Do ?

Roman Holliday - Don't try to stop it

Rose Laurens - Africa

Ryan Paris - Dolce vita

Saga - Intermissions

Saga - The writing

Shalamar - Closer

Sortilege - Progeniture

Spandau Ballet - Gold

Spandau Ballet - True

Stacy Latisaw - Million dollar Babe

Stacy Lattisaw - 16

Stevie Nicks - Stand back

Stevie Nicks - Wild Heart

Survivor - Eye of the Tiger

Sylvain Eudier - Un homme ordinaire

Talking Heads - Pull up the Roots

Tania Maria - Come with me

Taxi Girl - Quelqu’un comme toi

Tears for Fears - Mad World

The Cure - Let’s Go to Bed

The Cure - The Lovecats

The Doobie Brothers - What a fool believes (live)

The Human League - (Keep Feeling) Fascination

The Maisonettes - Say it again

The Miamis - Vamos a la Playa

The Moody Blues - Blue world

The Pointer Sisters - Automatic

The Pointer Sisters - Jump

The Police - Every Breath You Take

The Police - Synchronicity no 1

The Romantics - Talking in Your Sleep

The The - Perfect

The The - This is the day

The Waterboys - A girl called Johnny

Tim Finn - Fraction to much Friction

Toni Basil - Over my Head

Toto - I won't hold you back

Toto Coelo - Milk from the Coconut

Toto Cutugno - L’Italiano

U2 - Sunday bloody sunday

Valérie Lagrange - La Folie

Vladimir Cosma - BO tout le monde peut se tromper

William Sheller - Les Filles de l'aurore

Yes - Owner of a Lonely Heart

ZZ Top - Gimme All Your Lovin’

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Nouveautés apparues en 1984 entendues

sur Radio Solaris (hors émissions thématiques)

( Liste non exhaustive - Classement par ordre alphabétique )

 

Accept - Balls to the Wall

Afrika Bambaataa - Unity (avec James Brown)

Air supply - I can't wait forever

Airrace - I don't care

Al Corley - Square Rooms

Al Jarreau - Imagination

Alexandre Martin - J'Suis Pas Ying, J'Suis Pas Yang

Alison Moyet - All Cried out

Alison Moyet - Invisible

Alphaville - Big in Japan

Alphaville - Forever Young

Alphaville - Sounds like a melody

Andy - Jeanne la Féline

Art of Noise - Close (To the Edit)

Bananarama - Robert de Niros waiting

Bananarama - Rough justice

Basehart - Crazy charleston mix

Berlin - No more words

Billy Idol - Eyes Without a Face

Billy Idol - Flesh For Fantasy

Billy Ocean - Caribbean Queen

Blancmange - Don’t tell me

Break Machine - Break Dance Party

Break Machine - Street Dance

British Colony - Hold me

Bronski Beat - Smalltown Boy

Bronsky Beat - Why

Bryan Adams - Run to you

Chagrin d'amour - Monte Carlo

Chaka Khan - I Feel for You

Charlélie Couture - Elle a trop d'expérience

Chicago - Stay the Night

Chris de Burgh - High on Emotion

Christopher Cross - A chance for Heaven

Cocteau twins - Pearly-Dewdrops' Drops

Cookie Dingler - Femme libérée

Corynne Charby - A Cause de Toi

Cyndi Lauper - She bop

Cyndi Lauper - Time After Time

Dan Hartman - I can dream about you

Daniel Seff - Je pars avec elle

Daryl Hall / John Oates - Out of touch

Dave Grusin - Shuffle city

David Koven - Charlie Turquoise

Dead or Alive - You Spin Me Round (Like a Record)

Deodato - SOS Fire in the Sky

Depeche Mode - Master and servant

Depeche Mode - People are People

Diana Ross - Telephone

Dick Rivers - Nice Baie des Anges (diffusion sur Solaris à confirmer ?)

DJ Ventura & Mr Backer - Blancanieves (I'll change...)

Duran Duran - The Reflex

Eddy Grant - Romancing the stone

Eddy Mitchell - Un chèque en bois c'est drôle

Elton John - Passenger

Eric Eliot - Ma chérie noire

Etienne Daho et Françoise Hardy - Et si je m'en vais avant toi

Eurythmics - Sex Crime

Evelyn 'Champagne' King - Out of control

Evelyn Thomas - High Energy

Fox the Fox - Precious Little Diamond

France Gall - Calypso

France Gall - Débranche !

Francis Cabrel - La fille qui m'accompagne (public)

Francis Cabrel - Question d'équilibre

Frankie goes to hollywood - San Jose

Frankie Goes to Hollywood - The Power of Love

Frankie goes to hollywood - Two tribes

Fun Fun - Color my Love

Gary Moore - Empty Rooms

George Duke - Got to get back to love

George McCrae - One step closer to love

George Michael - Careless Whisper

Gino Vannelli - Black Cars

Giorgio Moroder - Machines

Glenn Frey - The Heat Is On

Gravestone - The hour

Haywoode - I can't let you go

Hazel O'Connor - Don't touch me

Hazell Dean - They say it's gonna rain

Howard Jones - Like To Get To Know You Well

Howard Jones - New Song

Huey Lewis & the News - The Heart of Rock & Roll

Isabelle Adjani - Pull marine

Isabelle mayereau - Les bleus

Ivan - Fotonovela

Jean Falissard - Troglodyte moi

Jean Schultheis - Echec et mat

Jean-Jacques Goldman - Envole-moi

Jean-Jacques Goldman - Long is the road

Jean-Jacques Lafon - Ne change rien

Jean-Luc Ponty & Chick Corea - Open mind

Jeanne Mas - Toute première fois

Jean-Pierre Mader - Disparue

Jean-Yves Lievaux - Petit à petit pas à pas

Jermaine Jackson - when the rain begins to fall

Jermaine Jackson & Pia Zadora - When the rain begins to fall

Jim Capaldi - One man mission of Love

Jim Diamond - I Should Have Known Better

Jimmy Rufin - I'm gonna love you forever

Jodie - Where the Boys

John Parr - St-Elmos Fire

Julian Lennon - Too late for Goodbyes

Julien Clerc - La Fille aux bas nylon

Ken Lazslo - Hey hey guy

Kent - Tout petit doute

Kid Creole & the Coconuts - If You Wanna be Happy

Kool and the Gang - Fresh

La Compagnie Créole - Le bal masqué

Laroche Valmont - T’as le look Coco

Laura Branigan - Satisfaction

Laura Branigan - Self Control

Level 42 - Hot water

Lime - Take it up

Lizzy Mercier-Descloux - Mais où sont passées les gazelles ?

Lune de miel - Paradise mi amor

Madonna - Angel

Maggie Reilly - As tears go by

Maria Vidal - Body Rock

Martin Alexandre - L'incroyable histoire du Sergent Watson

Matt Bianco - Get Out of Your Lazy Bed

Matt Bianco - Whose side are you on

Meat Loaf - Modern Girl

Mezzoforte - Spring Fever

Mia Frye - All the girls and boys

Miami sound Machine  - Dr Beat

Michael Jones - Viens

Midnight Star - Operator

Mike Oldfield - To France

Mike Oldfield - Tricks of the light

Miquel Brown - Black leather

Modern Talking - You’re My Heart, You’re My Soul

Murray Head - One Night in Bangkok

Nick Heyward - Warning sign

Nik Kershaw - Wouldn’t in be good

Norma Lewis - The fight

P. Lion - Dream

Paco de Lucia - Moonlight

Patrice Rushen - Now

Patrice Rushen - Superstar

Patrick Verbeke - Epique époque

Patrick Verbeke - Se sentir bien

Paul Young - I'm gonna tear your playhouse down

Peter Brown - Zie Zie won't dance

Phil Collins - Against All Odds (Take a Look at Me Now)

Philippe Chatel - Bande dessinée blues

Pierre Rapsat - Animal

Pierre Rapsat - Decalage horaire

Pierre Rapsat - Elle m'appelle

Plein Sud - Shangai

Prince - Purple rain

Queen - I want to break free

Raf - Self Control

Ray Parker Jr - Ghost busters

Ray Parker Junior - Ghostbusters

Regrets/Agathe - Tout le monde s’amuse

Richard Berry - Un homme solitaire

Richard Gotainer - Le Youki

Rita Coolidge - Games

Robin Gibb - Boys do fall in Love

Rockwell - Somebody’s Watching me

Roger Hodgson - Hooked on a problem

Roger Taylor - Man on fire

Romain Didier - Senor ou Senorita

Sarah Mandiano - Ombres chinoises

Scritti Politti - Wood Beez (pray like Aretha Franklin)

Serge Gainsbourg - Love on the beat

Sergio Mendes - Dance attack

Shakatak - Down on the Street

Sheila E. - The glamorous life

Slade - All join hands

Slade - Run runaway

Spandau Ballet - Only when you leave

Stanley Clarke - Future shock

Stephanie Mills - The medicine song

Steve Allen - Letter from my heart

Stevie Ray Vaughan - Voodoo Child

Stevie Wonder - I Just Called to Say I Love You

Talk Talk - It’s my Life

Taxi Brousse - Nivakine pour Kinshasa

Tears for Fears - Shout

The Alan Parson Project - Don’t Answer Me

The Alan Parsons Project - Let's talk about me

The Blazetroopers - Smash The Truth

The Cars - Drive

The Jacksons - The Hurt

The Jacksons - Torture

The Pointer Sisters - Neutron Dance

The Pretenders - Middle of the Road

The Rita Mitsouko - Marcia baila

The Scorpions - Rock You Like a Hurricane

The Scorpions - Still Loving You

Thompson Twins - Doctor ! Doctor !

Twisted sister - Burn in hell

U2 - Pride (in the name of Love)

Ultravox - Dancing With Tears In My Eyes

Ultravox - One small day

Valerie Dore - The night

Van Halen - Jump

Viola Wills - Gonna get along without you now

Vivien Savage - La P’tite Lady

Wallis Franken - Une étrange affaire

Wang Chung - Dance Hall Days

Wham - Everything She Wants

Wham - Wake me up before you go-go

Womack & Womack - Love Wars

Zeta - Eh Ah Oh

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Nouveautés apparues en 1985 entendues

sur Radio Solaris (hors émissions thématiques)

( Liste non exhaustive - Classement par ordre alphabétique )

 

2 Belgen - Lena

A Flock of Seagulls - Who's that girl (she's got it)

Adventures - Send my Heart

Affinity - I love my radio

A-ha - Take on me

Al Corley - Cold Dresses

Alan Fox - Please don't go

Alba - Only music survives

Alexis Laik - Danse danse danse

Alisha - Baby talk

Alix Morgen - Explose

Andrea - I’m a lover

Anne Clark - Heaven

Anne Jousset - Ok j'me gone away

Annie Philippe - Attends encore un peu

Antoine Violette - Electric lady

Antony Flores - Animal sauvage

April - Boys come and go

Arcadia - Election day

Aretha Franklin - Freeway of love

Baltimora - Tarzan Boy

Baltimora - Woody boogie

Bananarama - Do not disturb

Belgian girl - Trillion

Beltane Fire - Fortune favours the brave

Bernadette - Midnight lover

Bernard Demichelis - Joueur de guitare

Betty Miranda - Dance

Bibi Flash - Saint Trop by Night

Bill Baxter - Embrasse-moi idiot

Bill Deraime - Energie positive

Bill Deraime - Si tu voulais, tu pourrais

Billy Joel - You're only human (second wind)

Blanmange - Lose your Love

Bronski Beat - Hit that perfect beat

Bronski Beat - Love to love you baby medley

Bronsky Beat - I feel love

Bruce Springsteen - I’m on Fire

Bruno Grimaldi - Retour de Manivelle

Bryan Adams & Tina Turner - It's only love

Bryan Ferry - Don't stop the dance

Bryan Ferry - Slave to Love

Buzy - I love you Lulu

C. Clemons & J. Browne - You're a friend of mine

Camy Todorow - Bursting at the seams

Carl Carlton - Hot

Carlos Sottomayer - Crazy about you

Carly Simon - Can't give it up

Carly Simon - Come back home

Carole Serrat - Suzy et moi

Carrara - Welcome to the Sunshine

Catherine Lara - Au milieu de nulle part

Catherine Lara - Graffiti

Cazino - Around my dream

Century - Lover Why

Chanteurs sans frontières - Ethiopie

Charlotte & Serge Gainsbourg - Lemon incest

Chaz Jankel - No 1

Chris Rea - Josephine

Chrissie Hynde & UB40 - I got you babe

Christian Delagrange - Champion

Christophe - Ne raccroche pas

Christophe Jenac - Bleu de Chine

Christophe Jennac - Nous n’avons pas choisi ce monde

Christophe Laurent - Nuits brésiliennes

Christopher Cross - Love is love (in any language)

Clarence Clemons - It's alright with me girl

Cock Robin - Just when you're having fun

Cock Robin - When your heart is weak

Cookie Dingler - Eva Zoe Macha et Les autres...

Culture Club - Love is Love

Daniel Balavoine - L’Aziza

Daniel Glikman - dancing

Daniel Lavoie - Ils s’aiment

Danielle Messia - Cantamanana

Danielle Messia - Carnaval

David Bowie & Mick Jagger - Dancing in the street

Dead or Alive - My heart goes bang

Debarge - Rhythm of the Night

Debbie Davis - Love on the radio

Deep Purple - Knocking at Your Back Door

Delia Sheppard - Action

Den Harrow - Bad boy

Den Harrow - Future Brain

Depeche Mode - It’s Called a Heart

Depeche Mode - Shake the disease

Diana Ross - Eaten alive

Diane Dupuys - Les Nuits De Métropole

Didier Macaga - Elle est shé-bran

Dio - Hungry for Heaven

Dionne Warwick - Stay devoted

Dire Straits - Money for Nothing

Dokken - It's not love

Dollie De luxe - Queen of the night / Satisfaction

Domino Band - Fool in love

Double - The Captain of the Heart

Duran Duran - A View to a Kill

Duran Duran - The Wild Boys

Duran Duran- A View to a kill

E.G. Daily - Say it, say it

Eddie Murphy - Party all the time

Eighth Wonder - Stay With Me

Elton John - Nikita

Elton John & Millie Jackson - Act of war

Erasure - Who Needs Love Like That

Eros Ramazotti - Una storia importante

Etienne Daho - Tombé pour la France

Eugene Wilde - Don't say no tonight

Eurythmics - Sisters are doin' it for themselves

Fake Another - Brick

Falco - Jeanny part 1

Feargal Sharkey - A Good Heart

Feargal Sharkey - You little thief

Fine Young Cannibals - Johnny Come Home

Finzi Contini - Cha Cha Cha

Firefly - Stay

Foreigner - I Want to Know What Love Is

Foreigner - That was yesterday

Francis Cabrel - Encore et Encore

François Feldman - Amour de corridor

G.J. Lunghi - Acapulco nights

George Benson - No one emotion

Gilbert Montagné - Jimmy

Gilles Lacoste - Cours, ne t’arrête pas

Gilles Lacoste - Mélanie

Gino Vannelli - Hurts to be in love

Glenn Frey - You Belong to the City

Go West - We Close your Eyes

Gold - Plus près des étoiles

Grace Jones - Slave to the rhythm

Gravestone - Back to attack

Hanoi Rocks - Up around the bend

Hazell Dean - No fool for love

Henriette Coulouvrat - Johnny Bigame

Hot & Cold - Love is like a game

Huey Lewis & the news - The power of love

Indochine - Canary Bay

Indochine - le 3ème sexe

INXS - What you need

Isabelle Peruzat - Alice

Ivan - Baila

Ivan - Pon la radio

Jackie Rawe - I believe in dreams

Jacques Higelin - Cult movie

Jacques Higelin - La croisade des enfants

Jakie Quartz - Jeu dangereux

James Brown - Living in America

Jean Ferrat - Pardonnez-moi Mademoiselle

Jean-Jacques Goldman - Compte pas sur moi

Jean-Jacques Goldman - Je marche seul

Jean-Jacques Goldman - Pas toi

Jean-Jacques Goldman - Plus fort

Jean-Michel Navarre - Rock à gogo

Jeanne Mas - Coeur en stéréo

Jeanne Mas - Johnny Johnny

Jean-Patrick Capdevielle - 40 à l'ombre

Jean-Pierre Mader - Jalousie

Jean-Pierre Mader - Macumba

Jean-Pierre Mader - Un pied devant l'autre

Jean-Yves Lievaux - J'aime bien passer chez toi

Jean-Yves Lievaux - Vivre à ciel ouvert

Jennifer Jane - I am a winner

Jimmy Cliff - Brown eyes

Jimmy Cliff - Hot shot

Joe Mubare - I love you

John Cougar Mellencamp - Small town

Johnny Hallyday - Aimer vivre

Johnny Hallyday - Quelque chose de Tennesee

Julian Lennon - Because

Julien Clerc - Respire

Kasino - Around my Dream

Kasso - Baby Doll

Kate Bush - Running up that Hill

Katrina & the Waves - Walking on sunshine

Ken Laszlo - Hey, Hey, Guys

Ken Laszlo - To Night

Kick Axe - With a little help from my friends

Kid Creole & the Coconuts - Caroline was a dropout

Kid Creole & the Coconuts - Endicott

Kid Creole & the Coconuts - The animal cop

Killing Joke - Love Like Blood

Kimera and the Operaiders - The lost Opera

Kool and the Gang - Cherish

Laura Branigan - Spanish Eddie

Laurent Puig - Femmes insectes

Laurent Voulzy - Belle ile en mer

Laurent Voulzy - Les nuits sans Kim Wilde

Les Koeurs - Les clés du paradis

Les Rita Mitsuko - Marcia Baila

Level 42 - Follow me (live)

Level 42 - Something About You

Limahl - The Never Ending Story

Linda William's - C'est pas la peine

Lionel Richie - Say You, Say Me

Lloyd Cole & Commotions - Brand new friend

Lloyd Cole & Commotions - Lost weekend

Louis Chedid - God save the swing

Madness - Yesterday's men

Madonna - Crazy for you

Madonna - Gambler

Madonna - In the groove

Madonna - Like a Virgin

Madonna - Material Girl

Magazine 60 - Don Quichotte

Mai Tai - History

Make up - She's number one

Manfred Mann's Earth Band - Killer on the loose

Marc Lavoine - Elle a les Yeux Revolver

Marc lavoine - Tu me divises par deux

Marc Seberg - L'éclaircie

Marie-Paule Belle - La machine jaune et noire

Marie-Pierre Antoni - Miss body building

Mark Spiro - One for You, One for Me

Martin garat - Cannibale

Martinelli - Cenerentola (Cinderella)

Matia Bazar - Ti Sento

Matt Bianco - More Than I Can Bear

Matt Bianco - Yeh yeh

Max Him - Lady fantasy

Miami sound machine - conga

Michel Blanc - Le mec plus ultra

Michel Jonasz - La boîte de jazz

Michel Polnareff - Grafitti

Mick Jagger - Just another night

Mick Jagger - Lucky in love

Midge Ure - If I Was

Miko mission - The world is you

Mino - Nez en l'air

Modern Talkin' - You're my heart, you're my soul

Modern Talking - Diamonds never made a lady

Monte Kristo - The girl of Lucifer

Morris - Tonight's the night

Mötley Crüe - Home Sweet Home

Mötley Crüe - Smokin’ in the Boys Room

Mr Mister - Kyrie

New Regime - No reason

Nick Heyward - Laura

Nick Lowe - (Hope to God) I'm right

Nick Lowe - I knew the bride (when she used to R n' R)

Nicole - Don't you want my love

Nik Kershaw - The Riddle

Nina hagen - Universal radio

Noe Willer - Toi, femme publique

O.M.D. - Secret

Oingo Boingo - Weird Science

Olivia Newton-John - Soul Kiss

Opus - Live is Life

Pascal Caremb'o - Amour passion

Pascal Karenb'o - Cette fille

Pascal Karenb'o - Jolie jalouse

Pat Benatar - 7 rooms of gloom

Patrick Bruel - Comment ça va pour vous ?

Patrick Coutin - Le sable est chaud

Patrick Lasner - J'en ai marre

Paul Hardcastle - Back in time

Paul hardcastle - Don't waste my time

Paul Hardcastle - Nineteen

Paul Hardcastle & Yves Mourousi - 19

Paul McCartney - Spies like us

Paul Personne - J'veux pas attendre

Paul Personne - T'arrêtes pas d'me manquer

Paul Young - Everytime You Go Away

Paula Moore - Wheel of desire

Pet Shop Boys - West End Girls

Pete Townshend - Brilliant blues

Phil Collins - Don’t Lose my Number

Phil Collins - Easy Lover

Phil Collins - One More Night

Phil Collins - Sussudio

Phil Fearon & Galaxy - You don't need a reason

Phil Lynott - Nineteen

Philip Oakey & Georgio Moroder - Together with Electric dreams

Pierre Bachelet - La fille solitaire

Pierre Bachelet - No mans land

Pierre Meige - Chanteur Français

Plein Sud - Au bout de la nuit

Precinct - Don't go

Primadonna - Flashing on the floor

Prince - When doves cry

Propaganda - Duel

Quai des brumes - Dommage qu'on soit pacifiques

R.I.O. - Caramba Morena

Rah Band - Clouds across the moon

Raoul Petite - Paris Tokyo

Renaud - La Pêche à la ligne

Rene & Angela - I'll be good

Richard Berry - Homme solitaire

Robert Charlebois - C'est pas physique, c'est électrique

Rockwell - Captured

Rose Laurens - Cheyenne

Rose Laurens - Quand tu pars

Sabine Paturel - Les bêtises

Sade - Smooth Operator

Sade - The sweetest taboo

Salamandres - Sors de ton trou

Sandra - Maria Magdalena

Sandy Marton - Exotic and erotic

Scala - Macchina nera

Scotch - Take me Up

Secret service - Let us dance just a little bit more

Serge et Charlotte Gainsbourg - Lemon Incest

Serge Guiario - Fascination

Shakatak with Al Jarreau - Day by day

Shannon - Do You Wanna Get Away

Silent Circle - Touch in the night

Silver Pozzoli - Around my dream

Silver Pozzoli - Step by step

Simple minds - Alive and kicking

Simple Minds - Don’t You (Forget About Me)

Simply Red - Holding Back the Years

Simply Red - I won't feel bad

Simply Red - Money’s too tight to mention

Sister Sledge - Frankie

Starship - Hearts of the world

Starship - Sara

Starship - We built this City

Stephan Eicher - Le matin

Stephan Eicher - Two people in a room

Steve Arrington - Feel So Real

Steve Jerome - Extra special

Stevie Nicks - I can't wait

Stevie Wonder - Go home

Sting - Love is the seventh wave

Sting - Russians

Survivor - Burning heart

Suzy Carr - I knew you when

Swing Out Sister - Breakout

Ta Mara & the Seen - Everybody dance

Taffy - I love my Radio (Midnight Radio)

Talk Talk - Such a Shame

Talking Heads - And she was

Talking Heads - Road to Nowhere

Tears for Fears - Everybody Wants to Rule the World

Tears for Fears - Head over heels

The Bangles - Manic Monday

The Communards - You are my world

The Cure - In between days

The Pointer Sisters - Bodies and soul

The Pointer Sisters - Twist my arm

The Star Sisters - Cold as ice

Thierry Aymès - Bachau

Thierry Aymès - Nana (?)

Thierry Pastor - Sur des musiques noires

Time bandits - Endless road

Time bandits - Fiction

Tina Turner - We don’t need another hero

Tony McKenzie - Lolita

Twilight - My mind

Tynga - Fétiche

U.A. against apartheid - Sun City

USA for Africa - We are the World

Valérie Lagrange - Animal Sauvage

Valérie Lagrange - Rebelle

Valérie Lagrange - Un peu de vérité

Vanilla - Imagination (Calypso Nights)

Véronique Rivière - Si seulement tu voulais monter

Viktor Lazlo - Canoë Rose

Viktor Lazlo - Shanghai Lili

Viola Wills - Tune in for lovin'

Vivien Savage - C'est qu'le vent

Vulcain - Blueberry blues

Wang Chung - To Live and Die in L.A.

Wham - I'm your man

Whitney Houston - How will I know

Whitney Houston - Saving all my love for you

Willy Finlayson - On the air tonight

Yello - Vicious games

Yves Duteil - Comme dans les dessins de Folon

Yves Simon - L'Abyssinie

Zinno - What's your name ?

ZZ Top - Delirious

ZZ Top - Dipping low (in the lap of luxury)

ZZ Top - Rough boy

 

 

 

Nouveautés apparues en 1986 entendues

sur Radio Solaris (hors émissions thématiques)

( Liste non exhaustive - Classement par ordre alphabétique )

 

A-Ha - Hunting High and Low

A-Ha - I’ve Been Losing You

A-Ha - Stay On These Roads

Alain Chamfort - La fièvre dans le sang

Alain Chamfort - Traces de Toi

Alain Souchon - La ballade de Jim

Alice Dona - Y'a les gens qui disent...

Alison Moyet - Is This Love

Alphaville - Dance with Me

Animotion - I engineer

Anneclaire - I want

Arnold Turboust - Adelaïde

Aurra - You and me tonight

Bad Boys Blue - I Wanna Hear Your Heartbeat (Sunday Girl)

Bananarama - Venus

Berlin -Take my Breath Away

Bernie Bonvoisin - L'aube

Bibi Flash - Pas d'angoisse

Bill Baxter - Ding dong

Billy Joel - Modern Woman

Billy Ocean - When the Going get tough, the tough get going

Black - Wonderful Life

Bon Jovi - You give love a bad Name

Bonnie Tyler - If You Were a Woman (And I Was a Man)

Boom Boom Room - Here comes the man

Bronski Beat - C'mon! C'mon!

Bryan Ferry - Is your love strong enough ?

Buzy - Body Physical

Caroline Loeb - C’est la ouate

Catch - Cause you are young

Catherine Lara - Décaféine-moi

Catherine Lara - Nuit Magique

CC Catch - Cause you are young

Cecil Maury - Comme un héros

Chris de Burgh - The Lady in red

Chris Rea - On the Beach

Christopher Cross - That Girl

Claude Brasseur - Chasseur de rêves

Cock Robin - The promise you made

Cora - Amsterdam

Corynne Charby - Boule de flipper

Crown - Wake me up

Cruisin' Gang - America

Cyndi Lauper - True Colors

David Bowie - Absolute beginners

Demis Roussos - Island of love

Depeche Mode - A Question of Lust

Depeche Mode - A Question of Time

Depeche Mode - But not tonight

Desireless - Voyage, voyage

Diana Ross - Chain reaction

Diane Tell - Partie

Dionne Warwick - That's what friends are for

Do Piano - Again

Duane Eddy - Peter Gunn

Eartha Kitt - This is my life

Eddie Floyd - Knock on wood

Edith Butler - Diggy Liggy Lo

Elizabeth Anaïs - Balance ascendant Capricieuse

Elli Medeiros - Toi mon toit

Elliott Murphy - Texas

Elsa - T’en Vas Pas

Emilou Harris - Lacassine special

Erasure - Oh l’amour

Etienne Daho - Epaule tatoo

Eugenie Arrowsmith - Dancing in my heart

Europe - The final countdown

Eurythmics - When tomorrow comes

Fatidic Seconde - Sidonie (Le Drakkar)

Felicity - Something about you

Francis Cabrel - Tourner les hélicos

Francis Lalanne - Dissident

Francis Lalanne - Les miroirs

Francis Lalanne - Monsieur pouvoir

François Feldman - Rien que pour toi

Françoise Hardy - V.I.P.

Gary Moore - Over the Hills and Far Away

Gatsby - Pin-up

Genesis - Invisible Touch

Gérard Blanc - Une Autre Histoire

Gilles Langoureau - Envie d’ailes

Gloria Gaynor - Every breath you take

Gold - Capitaine abandonné

Gold - Ville de lumière

Goûts de luxe - Les Yeux de Laura

Hervé Cristiani - Emmenez-moi

Hong Kong Syndikat - Concrete & Clay

Hong Kong Syndikat - Girls I love

Huey Lewis & the News - Stuck with You

Icehouse - No promises

Images - Les Démons de Minuit

Jackson Browne - Candy

Jackson Browne - For America

Jackson Browne - In the shape of a heart

Jacky - Le parleur des haut-parleurs

Jacky Reggan - Bye bye

Jakie Quartz - Vivre ailleurs

Janet Jackson - What have you done for me lately

Janet Jackson - When I think of you

Jean Albert - Un jour ton prince viendra

Jean-Louis Aubert - Juste une illusion

Jean-Michel Gascuel - Ca m'fait mal au coeur

Jean-Michel Jarre - Fourth rendez-vous

Jean-Michel Navarre - J'ai pas sommeil

Jeanne Mas - En rouge et noir

Jeanne Mas - Sauvez-moi

Jermaine Jackson - Do you remember me ?

Jermaine Jackson - I Think it's love

Jermaine Jackson - Voices in the dark

John Cafferty - Hearts on fire

Julian Lennon - Stick around

Julie Piétri - Eve lève-toi

Karim Kacel - Bouffon

Karim Kacel - Clin d'oeil

Karim Kacel - P'tite soeur

Kenny Loggins - Danger Zone

Kiki Dee - Another day comes (another day goes)

Kim Wilde - Schoolgirl

Kim Wilde - You keep me hangin’ on

Kool and the Gang - Victory

Lee Carson - Baby Lou

Les Avions - Nuit sauvage

Les Charlots - Il est plein "No Comment"

Les Charlots - Station Barbès

Les Rita Mitsuko - Andy

Level 42 - Lessons in Love

Limahl - Love In Your Eyes

Lio - Les Brunes comptent pas pour des prunes

Lionel Richie - Dancing on the Ceiling

Little Bob Story - Cover Girl

Lords of the New Church - Dance with me

Madonna - Live to Tell

Marc Lavoine - Bascule avec moi

Marc Lavoine - Le parking des Anges

Matt Bianco - Dancing in the Street

Max Anderson - The night hey ho ho ho

Maxime Le Forestier - La septième femme de Barbe Bleue

Mc Miker & DJ Sven - Holiday rap

Metallica - Welcome home (Sanitarium)

Miami Sound Machine - Bad Boy

Michael Fortunati - Give me up

Michael Jones - Guitar man

Michael Jonzun - Burnin' up

Midnight Oil - The Dead Heart

Midnight Star - Midas Touch

Modern Talking - Atlantic is calling

Modern Talking - Brother Louie

Modern Talking - Cheri, Cheri Lady

Monte Kristo - Sherry Mi-Sai

Muriel Dacq - Là où ça ???

Muriel Dacq - Tropique

Murray Head - Some people

Mylène Farmer - Libertine

Niagara - Je dois m’en aller

Niagara - L’amour à la plage

Niagara - Tchiki boum

Noe Willer - L'épouvantail

Off - Electrica Salsa

Ozzy Osbourne - Lightning strikes

P:Machinery - Propaganda for Frankie

Pal - Talk we don't

Partenaire particulier - Je n'oublierai jamais

Partenaire Particulier - Partenaire Particulier

Pascale Richard - Orléans

Pat Benatar - Le bel age

Patrick Coutin - Tous des salauds

Pet Shop Boys - Suburbia

Peter Frampton - You know so well

Peter Gabriel - Sledgehammer

Philippe Panchione - Mise Amor

Pierre Bachelet - Marionnettiste

Plastic Bertrand - La fille du premier rang

Poussez - Never gonna say Goodbye

Préface - Palace Hôtel

Prince & the Revolution - Kiss

Propaganda - P machinery

Psychedelic Furs - Pretty in Pink

Queen - A kind of magic

Raft - Io (c'est ça)

Regina - Baby Love

Renaud - Miss Maggie

Renaud Hantson - Ta voix sur le répondeur

Richard Cocciante - Vivre ensemble

Robert Palmer - Addicted to Love

Rose Laurens - La nuit

Run DMC - Walk This Way

Sade - Is it a crime

Sade - Never as good as the first time

Samantha Fox - Touch Me (I Want Your Body)

Sandra - In the heat of the night

Self Service - Special night

Serge Faubert - Rien à déclarer

Serge Gainsbourg & Brigitte Bardot - Je t'aime moi non plus

Serge Guirao - Maria

Sigue Sigue Sputnik - 21st Century Boy

Sigue Sigue Sputnik - Love Missile F1-11

Skipworth & Turner - Can't give her up

Sol Charys - Don't watch me

Spagna - Easy lady

Spandau Ballet - Fight for ourselves

Spencer Jones - How to win your love

Starlight- If I had money

Stephanie - Irresistible

Stephanie - Ouragan

Steve Allen - Message of love

Sting - Shadows in the rain

Talk Talk - Life’s What You Make It

Taxi Girl - Aussi belle qu'une balle

The Blow Monkeys - Digging you

The Communards - Desenchanted

The Communards - Don’t Leave Me This Way

The Cure - Close to me

The Gap band - Automatic brain

The Rita Mitsouko - Andy

The Rolling Stones - Harlem Shuffle

The Stranglers - Always the Sun

Tony McKenzie - Come on, come on

Trance Dance - Do the dance

Two of US - Generation swing

U2 - With or Without You

Valerie Dore - Lancelot (diffusion sur Solaris à confirmer ?)

Van Halen - Dreams

Van Halen - Why can't this be love

Vivien Savage - Bébé, j’le sens bien

Wang Chung - Everybody Have Fun Tonight

Wham - The Edge of Heaven

Zinno - Money is Honey

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Nouveautés apparues en 1987 entendues

sur Radio Solaris (hors émissions thématiques)

( Liste non exhaustive - Classement par ordre alphabétique )

 

A-Ha - Living Daylights

Animo - Des gens stricts

Bangles - Walk like an Egyptian

Camouflage - The Great Commandment

Charlotte Gainsbourg - Elastique

Christine Roque - Premiers frissons d'amour

Def Leppard - Women

Den Harrow - Don’t Break my Heart

Depeche Mode - Never Let Me Down Again

Depeche Mode - Strangelove

Duran Duran - Meet el Presidente

Eddie Grant - Gimme hope Johanna

Eighth Wonder - When The Phone Stops Ringing

Elli Medeiros - A Bailar Calypso

Erasure - Sometimes

Europe - Cherokee

Fleetwood Mac - Everywhere

France Gall - Babacar

Genesis - Tonight, Tonight, Tonight

Goût de Luxe - Omaha beach

Guesch Patti - Etienne

Jean-Jacques Goldman - Elle A Fait Un Bébé Toute Seule

Jean-Jacques Goldman - Là-Bas

Johnny Clegg & Savuka - Scatterlings of Africa

Johnny Hates Jazz - Shattered Dreams

Kiss - Crazy Crazy Nights

Les Avions - Tu changes

Les Portes-Mentaux - Elsa Fräulein

Level 42 - It’s Over

Level 42 - Running in the Family

Living in the Box - Living in the Box

Madonna - La Isla Bonita

MARRS - Pump Up the Volume

Mel & Kim - Respectable

Michael Jackson - Bad

Michael Jackson - The Way You Make Me Feel

Midnight Oil - Beds are Burning

Modern Talking - Jet airliner

Nancy Boyd & The Capellos - Maybe I know

New Order - True Faith

Nick Kamen - Each Time You Break My Heart

Off - Step By Step

Pauline Ester - Oui, j’l’adore

Pet Shop Boys - It’s a Sin

Pretty Maids - Love games 1987

Prince - Sign o’ the Times

Rick Astley - Never Gonna Give You Up

Rick Astley - Whenever you need somebody

Sabrina - Boys, Boys, Boys

Samantha Fox - Nothing Gonna Stop me Now

Sandra - Everlasting love

Serge Gainsbourg - You’re Under Arrest

Sinitta - Cross my broken Heart (diffusion sur Solaris à confirmer ?)

Spagna - Call Me

Starship - Nothing’s Gonna Stop Us Now

Stéphane Eicher - Combien de temps

Swing Out Sister - Surrender

Terence Trent d’Arby - Wishing Well

The Communards - Never can say goodbye

The Cure - Just Like Heaven

The Cure - Why can't I be you?

Vanessa Paradis - Joe le taxi

Vaya con Dios - Just a Friend of Mine

Viktor Lazlo - Breathless

Viktor Lazlo - Pleurer des rivières

Wax - Building A Bridge To Your Heart

Wet Wet Wet - Angel Eyes

Whitney Houston - I wanna dance with somebody...

XTC - Dear God

 

(1987 représente la dernière playliste fiable de notre histoire)

 

 

 

 

 

Liste récapitulative du matériel utilisé à Yvetot

 

NB : il s’agit ici du seul matériel utilisé à Yvetot. Il n’est donc question de celui utilisé pendant la période Solaris-Fécamp qui était la propriété de l’Association Cumulus Fécamp, ni celui de Mouette FM (relais Solaris sur le Havre)

 

 

Inventaire au 1er janvier 1987

 

STUDIO 1  (6 rue Pierre et Marie Curie)

 

- 1 table de mixage "Freevox Samantha" (vendue aux enchères le 21.11.1988)

- 2 platines disques "Technics" SL 1200 équipées de cellules Shure SC35, (vendues aux enchères le 21.11.1988)

- 1 limiteur-compresseur (filtre actif BSS VZ20) (matériel cédé à Radio Service ?)      

- 2 magnétophones "Revox" B77 (vendus aux enchères le 21.11.1988)

- 5 (?) micros "AKG" (considérés comme dérobés depuis le 21.11.1988)

- 1 tuner FM "Technics", don d’un membre de l’association (matériel dérobé)

- 2 lecteurs de K7 "Alpage" (vendus aux enchères le 21.11.1988)

- 2 enceintes studio "Martin", dons d’un membre (matériel dérobé)

- 1 casque "Sennheiser" + suspension de micro (pas d’infos ?)

 

 

STUDIO 2  (6 rue Pierre et Marie Curie)

 

- 1 table de mixage "Prevox" 5 entrées (pas d’infos ?)

- 2 platines disques "Technics" SL 1200 équipées de cellules Shure SC35 (vendues aux enchères le 21.11.1988)

- 1 magnétophone "Revox" B77 (vendu aux enchères le 21.11.1988)

- 1 magnéto "Tascam" 22-4, 4 pistes (matériel dérobé après juin 1988)

- 1 micro "AKG" (matériel dérobé)

- 1 tuner FM (marque Technics ?) (pas d’infos ?)

- 2 lecteurs de K7 "Alpage" (vendus aux enchères le 21.11.1988)

- 1 ampli studio (pas d’infos ?)

- 2 enceintes studio (pas d’infos ?)

- 1 casque "Sennheiser" (pas d’infos ?)

 

 

EMETTEUR (20 rue des Victoires)

 

- 1 émetteur "Itelco" 1 kW (encodeur stereo + synthétiseur 20 W + 4 modules de 250 W + 1 module alimentation) (matériel cédé à Radio Service ?)

- 1 pylône + 4 dipôles FM Sherman + haubans + coaxial 30 m* (idem ?)
(* A noter : la facture du câble coaxial d’un montant de 6 000 F [valeur équivalente 2 050 €] avait été réglée par un membre de l’association en juin 1982)


EMETTEUR(S) DE RéSERVE

 

- 1 émetteur FM "Elecktro-Elco" 30 W, utilisé à Fécamp pour renforcer le  relais Solaris-Cumulus, (matériel non récupéré par l’association)

- 1 amplificateur linéaire "Elecktro-Elco" 100 W, utilisé à Fécamp pour       renforcer le relais Solaris-Cumulus, (matériel non récupéré par l’association)

- 1 amplificateur linéaire "Microset AM 100-400" 400 W, revendu en 1984 ? (ou parti renforcer l’émetteur de Mouette FMLe Havre en 1987 ?) < Selon un témoignage, ce matériel peu fiable a été récupéré en 1988 par une radio libre havraise “Epsilon FM”.

 

 

MATéRIEL DIVERS

 

- 1 système d’alarme (appartement rue Pierre et Marie Curie) (matériel dérobé après juin 1988) <  un comble pour un système d’alarme !

- 1 magnétophone "Philips" N4450 (sauvé et récupéré in extremis par son propriétaire)

- 2 tables de mixage "Redson" PAM802 (mises au rebut, défectueuses et probablement jetées en déchetterie)

- Discothèque (45 tours, 33 tours, albums, maxi 45 tours...) évaporée ?

- Bandes magnétiques Ø 30 cm, cassettes. (même sort ? aucune info)

- 2 lecteurs de K7 "Akaï" CS-M3 (matériels dérobés dans les locaux de la station.Ce matériel utilisé aux premiers jours de la station, était la propriété de Christophe Gubri)  

- 2 micros “AKG” dérobés à Fécamp le 24.08.1985 lors du démontage du Podium Solaris.

 

Il faudrait mentionner le matériel personnel utilisé à Paris et Rouen pour les émissions enregistrées de Michel : "Vols de Nuit vers Vénus", “Flipper” ou celles de JC : "Chansons d’Hier" sans omettre celui de provenances diverses, utilisé lors des retransmissions extérieures (Foires de Printemps, Podium Solaris, spectacles en partenariat avec Jean Avenel et autres manifestations avec le concours de la station).

 

 

 

 

La discothèque de la station (45, 33 tours + albums et maxi-45 t.) a été éparpillée et/ou dilapidée. Les cassettes (jingles/pubs) et les bandes enregistrées dont toutes celles contenant le dernier mois réglementaire d’émissions ont été purement effacées ou jetées “à la benne”, c’est à craindre.

Quant au matériel technique ne figurant pas sur la liste de mise aux enchères du 26.11.1988 (p.313), aucune indiscrétion n’a permis à ce jour d’identifier le ou les actuels détenteurs “illégitimes”. L’Association Solaris/Pulsion peut considérer cet équipement comme dérobé (et recelé).

 

JC Dumenil

 



Quatrième de couverture

RADIO SOLARIS : Dans les années 80, une radio “pop-rock” a vraiment existé en pays de Caux, une région nichée entre Seine et mer au coeur de la Haute-Normandie. Comment faisait-on de la radio à cette époque ? Au-delà des souvenirs, des joies et des peines... les duperies, les intrigues et les coups bas ont clairsemé l’histoire de RADIO SOLARIS, “emblème des radios libres dans le pays de Caux” comme certains l’affirmaient. Revivez la saga de huit années à travers le regard sans concession, mêlé à une pointe de dérision - ou de provocation ! - d’un animateur Solaris présent dès les premières heures, passionné de radio, impliqué (sûrement trop) à fond dans l’aventure !



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